François Singue Diouf
〉Docteur en Géographie
〉Université Cheikh Anta Diop, Dakar
〉Laboratoire de Géographie 〉 IFAN-CAD 〉
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Le foyer qui peut signifier l’âtre, le lieu où l’on fait le feu, est un espace multifonctionnel. Dans un contexte africain, ce lieu est assimilé à la cour de la concession familiale et par extension à la maison. En ce sens, le foyer est un lieu géographique à l’échelle du carré, donc un espace de proximité. C’est dans ce sens qu’il est compris dans ce texte.
Pour une meilleure compréhension de l’espace qu’est le foyer dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, une approche diachronique s’impose. A cet effet, le foyer est d’abord présenté dans le contexte de la société traditionnelle des Lébous de Dakar exempte de toute influence étrangère européenne. Ensuite, Dakar qui a fait l’objet d’une installation officielle des Français en 1857 a entamé un processus d’urbanisation qui a abouti à la métropolisation du site (Seck, 1970). Il s’en suit une ville dense qui recompose l’espace et ses usages ainsi que les temporalités. Enfin, le foyer est abordé dans un contexte de Covid-19 avec l’application du confinement nocturne par un couvre-feu à Dakar. Cette période d’exception faite de restrictions spatiales consacre la redécouverte du foyer.
Il convient de préciser d’emblée qu’avant l’installation des Français, le site qui abrite la ville de Dakar est un espace quelconque habité majoritairement par les Lébous. Ces derniers impriment au milieu une forme d’organisation en hameaux caractéristique de la société rurale africaine. La pratique de l’espace dans cette société met en évidence une territorialisation des usages nocturnes en rapport avec la croyance à un monde des esprits. Ces derniers sont les maîtres de la nuit. Partant de cette croyance, les Lébous connotent négativement la nuit dont il faut se protéger dans des espaces sécurisants comme le foyer.
Ainsi, le foyer, assimilé à la cour, était un espace de proximité sujet à des sociabilités. En effet, c’est dans ce cadre que l’on prenait le dîner en famille. Il devient alors un espace de rencontres. Cette fonction était prolongée après les repas par un autre usage, celui de l’éducation des jeunes particulièrement la nuit. La cour, la nuit était une salle de classe à ciel ouvert. Le « goonal », c’est-à-dire la veillée se tenait dans cet espace et mettait en relation les jeunes et les adultes. Ces derniers au moyen de contes et de paraboles se livraient à l’éducation des enfants. Par ce moyen, ils retenaient la famille hors de portée des dangers de la nuit (Diouf, 2022).
Espace de proximité nocturne dans une société africaine rurale, le foyer a perdu de sa superbe au gré de l’urbanisation. Cette dernière a disloqué le foyer au moins de deux manières. D’une part, l’urbanisation de Dakar a engendré une crise de l’habitat qui a provoqué une promiscuité. Ainsi, les maisons sont devenues plus petite avec de moins en moins de cour intérieure. Le foyer tenant maintenant dans un appartement ou même, une chambre abolissant alors les espaces d’interactions d’hier.
La morphologie urbaine de Dakar laisse apparaitre une ville dense qui manque d’espace. En effet, le département de Dakar, correspondant à la ville, enregistre 1 363 444 habitants (ANSD, 2021) concentrés sur 0,5% du territoire national soit, une densité de l’ordre de 17 707 hbts au km² (ANSD, 2021). Cette population mis en rapport avec la superficie de la ville met en lumière l’exiguïté du site qui se reflète dans la structure de l’habitat avec des constructions en hauteur à plus de 47% des bâtiments à usage d’habitation (ANSD, 2015). Il s’en suit une promiscuité qui touche 27,8% de personnes avec 3 individus ou plus par pièce (ANSD, 2015, p.125-126). La maison basse n’est donc plus d’actualité à Dakar. Elle est supplantée par la construction en hauteur faisant ainsi de l’habitat traditionnel un vestige de la ruralité.
D’autre part, la ville et son corollaire ont provoqué une recomposition des temporalités. La nuit qui était consacrée au regroupement familial et au repos est maintenant un temps de travail et de loisirs. Dès lors, les horaires des membres de la famille s’opposent ne favorisant pas la présence dans un même lieu, à la même période. Il en résulte un foyer disloqué par des centres d’intérêts différents. Le numérique et la télévision n’étant pas neutre dans cette entreprise de déstructuration du foyer par leurs effets qui s’apparentent au « régime d’attention » de Boullier (2020). C’est dans ce contexte de dislocation de l’espace de proximité qu’est le foyer que survient la pandémie de la Covid-19.
Le foyer est, dans le cadre de la pandémie de la covid-19, un espace de proximité que l’on semble redécouvrir. Celui-ci est, dans le contexte de la société sénégalaise traditionnelle, un cadre d’échange, de dialogue et de formation que l’émergence du phénomène urbain a relégué, à travers la typologie de l’habitat et l’urbanité, au second plan. Sous le couvre-feu, alors que tout est confiné avec comme slogan « restez chez-vous », le foyer apparait comme le cadre le plus sécurisant possible.
Le foyer de jadis, était un cadre sécurisant qui tient la famille hors de portée des périls de la nuit avec ses êtres de mystères. Aujourd’hui, ce même rôle est d’actualité sauf que le danger est un virus qui, cependant, partage avec les êtres de la nuit le caractère d’invisibilité. La tendance imposée par les mesures de restrictions n’est plus alors aux sorties nocturnes mais, au regroupement familial dans les maisons pour des occupations qui ont bien changé.
Avec la survenue de la Covid-19, on constate que les pratiques au sein des foyers ont bien évolué (Diouf, 2022). Il s’agit principalement : de regarder la télévision, d’être sur les réseaux sociaux ou de faire du télétravail. Ces occupations sont des formes de sociabilité qui ont pour cadre le foyer dans le contexte de la pandémie. Même si elles ne favorisent pas forcément les interactions familiales, elles permettent d’user du temps nocturne dans la maison. Le foyer apparait donc comme un cadre spatial requalifié et redécouvert en ces temps d’exception. En ce sens, il tient aussi lieu de cadre de festivités.
En effet, une enquête que j’ai mené durant la pandémie de la Covid-19 montrent que 74% des fêtes privées se sont tenues dans des appartements et 22% dans des chambres (Diouf, 2022). Ainsi, des festivités qui avaient lieu dans l’espace public trouvent dans le foyer un lieu de substitution. Durant ces périodes d’exception, le foyer apparait comme l’un des rares milieux où la vie nocturne peut continuer. Longtemps délaissé au profit des espaces dédiés et de l’espace public, il se positionne durant la pandémie de la Covid-19, comme sauveur des interactions nocturnes.
La Covid-19 a montré l’importance de l’espace dans nos interactions sociales (Pumain, 2020). Cela se vérifie davantage avec le confinement nocturne qui a prévalu à Dakar durant la pandémie. En obligeant les gens à rester chez eux, la Covid-19 leur a permis de redécouvrir la chaleur du foyer même si les usages d’antan ne sont plus d’actualité. Mais, le foyer s’est révélé être un lieu de substitution à l’espace public prohibé. Toutefois, le retour à la normale avec une ville en continu (Gwiazdzinski, 2005) risque de replonger le foyer dans un statu quo ante même si sa redécouverte a laissé des séquelles.
Références bibliographiques :
Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), 2021. Situation économique et sociale régionale 2019, Service Régional de la Statistique et de la Démographie de Dakar, 27 p.
Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), 2015. Situation économique et sociale régionale 2013, Service Régional de la Statistique et de la Démographie de Dakar, p. 125-126.
Boullier D., 2020. « Quand la pandémie révèle la médiocrité de nos enveloppes d’urbanité : habit, habitat, habitacle, habitèle », Riurba, 2020/9, URL : http://www.riurba.review/Revue/quand-la-pandemie-revele-96/ DOI :
Diouf F. S., 2022, Géographie d’une ville la nuit. Exemple de Dakar au Sénégal, Thèse de Doctorat de Géographie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, 363 p.
Gwiazdzinski L., 2005, La nuit, dernière frontière de la ville, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 245 p.
Pumain D., 2020, « Le confinement a fait prendre conscience de l’importance de la dimension spatiale dans toutes nos interactions sociales », in Les géographes lisent le monde, Société de Géographie, En ligne, https://socgeo.com/2020/07/16/les-geographes-face-au-covid-denise-pumain-le-confinement-a-fait-prendre-conscience-de-limportance-de-la-dimension-spatiale-dans-toutes-nos-interactions-sociales/ , p.1-4.
Seck A., 1970, Dakar, métropole ouest-africaine, Dakar, IFAN, Université de Dakar, 517 p.
Senghor L.S., 1945, Chants d’ombre, poèmes, Paris, Éditions du Seuil, 78 p.
Pour citer cet article :
DIOUF François Singue, « Le foyer la nuit, un espace de proximité redécouvert à la faveur de la covid-19 à Dakar, au Sénégal », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/2023/09/12/le-foyer-la-nuit-un-espace-de-proximite-redecouvert-a-la-faveur-de-la-covid-19-a-dakar-au-senegal/