L’action de la fiscalité sur la survie du petit commerce de proximité  

Impact of taxation on commercial revitalization of city centers

Emmanuelle Bornet
〉Doctorante en droit public
〉Institut des Études Juridiques de l’Urbanisme, de la Construction et de l’Environnement (IEJUC)
〉Université Toulouse Capitole 〉

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Mots clés : fiscalité locale, petits commerces, centralité, friches, artificialisation

Abstract : Commercial vacancy affects both city centres and outskirts, mainly due to the digitalisation of trade. In order to stop the current proliferation of commercial wastelands in urban centres, public authorities have developed tax tools that help, in a clumsy way, to combat commercial desertification with the intention of bringing small businesses back to city centres.

Keywords : local taxation, small businesses, city centre, wasteland, artificialization

Aux côtés de la révolution agricole et des révolutions industrielles, on dénombre trois révolutions commerciales. La première, sous le Second Empire, avait été celle des grands magasins ; la deuxième, durant les années 1950-1970, fut celle de la grande distribution ; la troisième, la montée en puissance du e-commerce, a débuté dans les années 2000. À chaque période, son modèle de local commercial, du bel immeuble haussmannien des années 1850 aux gigantesques entrepôts d’Amazon, en passant par les linéaires de constructions modulaires d’entrées de ville, faites de tôle froissée et enceintes d’immenses parkings.

Les conséquences de la deuxième révolution commerciale, caractérisée par une régulation politico-économique[1] de l’établissement commercial aussi inefficace qu’insatisfaisante, se font aujourd’hui sentir en nous apparaissant sous la forme de friches, c’est-à-dire des symptômes du dysfonctionnement des territoires à l’heure où les dynamiques urbaines commerciales sont importantes (DRIEA IDF, 2016, 29). On trouve, notamment depuis la crise pandémique de 2020, de nombreuses cellules abandonnées dans les centres-villes — qui peuvent parfois représenter jusqu’à 20 % des locaux commerciaux ! — sous l’effet de plusieurs facteurs conjugués tels la rigidité excessive de la réglementation d’implantation des commerces, la surdensité commerciale, l’inadaptation du local à l’activité exploitée, le déclin de la zone urbaine concernée et le manque d’adaptation aux mutations du commerce, entre autres. Ce que l’on nomme alors pudiquement la « vacance commerciale » (Banque des territoires, 2023), et qui accompagne la perte d’attractivité commerciale des centralités, a poussé le gouvernement à mettre en place plusieurs politiques nationales d’envergure, supposées résorber ce phénomène présenté comme inéluctable tant les mutations commerciales actuelles font craindre une dématérialisation presque complète de l’acte d’achat ; ainsi, par exemple, des programmes Action cœur de ville (ACV) et Petites villes de demain (PVD) ou de l’opération de revitalisation de territoire (ORT) qui vise une requalification d’ensemble d’un centre-ville. À côté de ces outils réglementaires ou contractuels, nous allons voir comment l’outil fiscal est envisagé pour lutter contre la multiplication de ces espaces vacants, en particulier des friches dites « de croissance » caractérisées par l’abandon d’anciens espaces commerciaux, difficiles à réhabiliter ou à mettre aux normes, au profit de nouveaux espaces « plus modernes, plus spacieux, plus attractifs » (Lebrun, 2023, 17) .

Une taxe ad hoc difficilement applicable

Parmi la multitude d’impôts locaux susceptibles de frapper une entreprise commerciale, plusieurs concernent spécifiquement les locaux vacants. C’est le cas, notamment, de la taxe annuelle sur les friches commerciales, perçue en addition aux taxes foncières (Cruvellier, 2020, 617). Institué par délibération des communes[2] ou des intercommunalités, le dispositif a été créé en 2008 pour lutter — comme son intitulé le prévoit — contre la création de friches. La loi de finances pour 2013[3] en a renforcé la portée en augmentant son taux et en permettant de l’appliquer à des locaux vacants depuis deux ans (au lieu de cinq auparavant). Relativement peu utilisé au départ[4], l’outil rencontre aujourd’hui un succès plus franc mais toujours relatif ; les élus la jugent en effet difficilement applicable en raison d’une complexité de gestion — difficulté d’identifier les locaux commerciaux vacants, souplesse des causes d’exonération, fâcheuse tendance de certains propriétaires à utiliser leur local vacant en tant que lieu d’entrepôt ou de stockage pour échapper à l’assujettissement à la taxe — obérant son effectivité[5].

Cette taxe est aujourd’hui due « pour les biens (…), qui ne sont plus exploités depuis au moins deux ans au 1er janvier de l’année d’imposition et qui sont restés inoccupés au cours de la même période »[6]. Un jugement a récemment rappelé que les dispositions de l’article 1530 du code général des impôts « ne subordonnent pas l’application de la taxe en litige à l’existence d’une friche commerciale mais à l’inexploitation d’un local commercial depuis au moins deux années avant le 1er janvier de l’année d’imposition »[7].Elle ne s’applique pas dès lors que le propriétaire a prouvé avoir effectué toutes les démarches pour vendre ou louer son bien et que l’absence d’exploitation du bien est indépendante de sa volonté. La jurisprudence apprécie scrupuleusement cette condition[8] mais, en pratique, il existe un hiatus réel entre les commerces vacants et ceux effectivement taxables.

Selon la Cour des comptes, « la mise en œuvre par les collectivités locales de la taxe sur les friches commerciales augmente : 404 collectivités y avaient recours en 2022 et son rendement a été multiplié par cinq depuis 2017 ». Si l’institution financière admet qu’il s’agit d’un « outil intéressant au service d’une politique de lutte contre la vacance commerciale », elle préconise cependant de faciliter « à la fois en termes opérationnels et juridiques » son utilisation en la simplifiant « au plus tard en 2024 » (Cour des comptes, 2023, 11). La réforme attendue tarde encore, mais le ministère de l’économie a récemment fait savoir que des propositions de réforme étaient analysées afin « d’améliorer son rendement et d’en simplifier la gestion par les différents services administratifs »[9].

Des outils fiscaux non spécifiques, mal calibrés

Une autre taxe s’applique aux commerces, sans être spécifique aux friches : la taxe sur les surfaces commerciales de plus de 400 m² (Tascom), prélevée depuis 2011 au profit des collectivités locales (auparavant de l’État). Elle rapporte chaque année aux collectivités un peu moins d’un milliard d’euros. Son taux, à valeur forfaitaire et basé sur le chiffre d’affaires par mètre carré, « n’incite pas à un usage économe des sols » (Adam, Kerbarh, 2021) — ce qui la fait indirectement participer à la création de friches commerciales. En effet, « lorsque les taux de taxes foncières votés par une petite commune de la périphérie peuvent être quatre fois moindres que ceux de la ville-centre, il est facile de comprendre le choix fait par l’investisseur immobilier ». Conjuguée à une absence de planification commerciale satisfaisante, cette distorsion de fiscalité entre la ville-centre et les communes périphériques a été accusée de favoriser l’implantation des grands équipements commerciaux en périphérie, là où le foncier est moins cher.

Or, cette implantation périphérique a toujours été, depuis ses origines dans les années 1970,  particulièrement consommatrice de foncier. Le nécessaire recours à l’automobile a engendré une artificialisation incidente, en raison de la construction d’infrastructures routières et d’immenses parkings, ainsi qu’une hausse des émissions de gaz à effet de serre. Afin de corriger la distorsion fiscale et faire revenir les commerces en centre-ville, les rapporteurs de la mission d’information commune sur la revalorisation des friches ont préconisé d’instituer « un taux croissant avec la surface » et de « différencier le taux de la Tascom sur la base d’un critère géographique, en le diminuant notablement pour les implantations intra-urbaines et en l’accroissant nettement pour les installations périurbaines » en raison des externalités négatives « qui ne sont pas internalisées » dans la taxation des grandes surfaces périphériques.

L’outil fiscal n’est donc pas toujours utilisé de façon optimale (Jégouzo, Lebreton, 2011 ; Strebler, 2021) au regard des problématiques actuelles, que ce soit la hausse corrélée de la vacance commerciale et des loyers commerciaux en centre-ville, ou la spéculation foncière qui résulte de la poursuite d’un objectif de sobriété foncière en périphérie. Il faut d’ailleurs dire que les taxes se sont multipliées pour atteindre l’objectif de sobriété foncière (politique ZAN) — une trentaine à ce jour — sans que les dispositifs fiscaux ne soient toujours mis en cohérence. Outre la perfectibilité de la fiscalité commerciale, on peut également regretter l’incohérence de la fiscalité de l’urbanisme, historiquement stratifiée par à-coups pour répondre aux « nécessités du moment » — notamment le financement des équipements publics et la protection des espaces naturels — alors même que cette fiscalité n’a pas été originellement pensée ainsi. Pour mieux s’en convaincre, il suffit de se rappeler qu’après que le gouvernement a estimé que « la part des surfaces imperméabilisées pourrait passer de 6 % à 8 % du territoire métropolitain, soit une augmentation d’un tiers de la surface actuellement imperméabilisée » (Dussart, 2021), la taxe d’aménagement (TA) a subi une modification permettant de lutter contre cette artificialisation. La part départementale de la TA, jusqu’alors destinée au financement des espaces naturels sensibles, a donc été affectée à la renaturation des espaces en friche ou abandonnés.

Une refondation à venir de la fiscalité des friches

Les professionnels et acteurs de l’urbanisme commercial plaident alors unanimement pour une refondation de la fiscalité appliquée à l’équipement commercial. Les solutions proposées sont multiples. Intercommunalités de France, par exemple, suggère que la taxe soit « sectorisée et majorée dans des secteurs visés, et non plus appliquée à l’échelle de tout le territoire intercommunal »[10]. Plusieurs autres propositions prévoient une utilisation de la fiscalité pour accélérer la recherche de sobriété foncière, comme le rapport de France Stratégie, qui propose une exonération de taxe d’aménagement pour les projets qui ne modifient pas l’emprise au sol du bâti (France Stratégie, 2019, 47). Les rapporteurs de la mission sur la revalorisation des friches, eux, conseillent de « permettre la mise en place, à l’échelle intercommunale et sur la base du volontariat, un dispositif de compensation fiscale par bonus/malus qui refondrait la taxe annuelle sur les friches commerciales et renforcerait les capacités financières disponibles pour l’accompagnement de la réhabilitation des friches et la lutte contre l’artificialisation des sols » (Adam, Kerbarh, 2021, 87). Il s’agit, autrement dit, de financer la reconversion des friches par la taxation de l’artificialisation des sols et des friches laissées inexploitées. La Cour des comptes propose quant à elle un ciblage de la taxe sur les friches commerciales, sur « des rues de centre-ville marquées par des stratégies spéculatives ». Hors périmètre spécifique (de type ORT), la mise en œuvre d’un tel recentrage risque cependant d’achopper sur le principe d’égalité devant les charges publiques[11]. Le Conseil constitutionnel a en effet, à plusieurs reprises, connu de législations établissant une différenciation entre les contribuables. Il a ainsi, par une réserve d’interprétation, indiqué qu’une taxe incitant les personnes disposant de logements susceptibles d’être loués à les mettre en location n’était conforme au principe d’égalité devant les charges publiques que si les critères d’assujettissement étaient « en rapport direct avec cet objet ». En revanche, en périmètre ORT, un ciblage accru pourrait être justifié par l’objectif de revitalisation des centres-villes (Cour des comptes, 2023, 50). Enfin, Arnaud Gasnier imagine, dans une perspective aménagiste d’ensemble, la création d’un « impôt sur les mètres carrés de surfaces commerciales créées ex nihilo » qui permettrait « compenser, de manière plus efficace, les coûts élevés de recyclage de bâtiments en friche dans des perspectives de renouvellement urbain de zones d’activité plus ambitieuses » (Gasnier, 2017, 333).

On le voit bien, si une fiscalité idoine peut s’avérer efficace pour traiter certains maux conjoncturels, une fiscalité mal conçue peut s’avérer pernicieuse, comme c’est le cas actuellement en matière de lutte contre les friches commerciales en centralités. Si une refonte de l’outil fiscal semble nécessaire, reste à savoir comment le législateur fera muter la fiscalité pour parvenir à faire revenir les commerces au centre des villes. Il serait peut-être pertinent d’approfondir les conditions juridiques d’un ciblage accru — par exemple dans le périmètre d’une ORT — de la taxe sur les friches commerciales en s’appuyant sur l’objectif de revitalisation des centres-villes (Cour des comptes, 2023, 50). Plus largement, la fiscalité devra mieux prendre en compte la nature des sols et leur localisation, dans la perspective d’atteindre l’objectif de sobriété foncière inscrit dans le code de l’urbanisme. L’État devra donc développer des stratégies, y compris fiscales, pour mieux accompagner et orienter le commerce dans la ville ; dans ce cadre, le levier fiscal devra venir s’adosser à une vision aménagiste prospective et globale, autrement dit plus ambitieuse, afin d’éviter de demeurer un simple moyen de pression — du reste aléatoire — sur des acteurs encore trop ciblés.

Références bibliographiques :

Adam D., Kerbarh S., 2021. Rapport déposé par la mission d’information commune sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives, n° 3811, 27 janvier

Banque des territoires, 2023. Les guides pratiques. 10 essentiels de la redynamisation commerciale dans les Petites Villes de Demain, mai

Cour des comptes, 2023. La politique de l’Etat en faveur du commerce de proximité 2017-2022, rapport public thématique

Cruvellier E., 2020. Impôts directs, Répertoire de droit commercial, Dalloz, mars

DRIEA IDF, 2016. Dynamiques spatiales du commerce en IDF, p. 29

Dussart V., 2021, Fiscalité et participations d’aménagement et d’urbanisme, DAUH

France Stratégie, 2019. Objectif ZAN : quels leviers pour protéger les sols ?, juillet, p. 47

Gasnier A., 2017.Position et projet scientifiques : Le commerce dans la ville, entre crise et résilience. Vers une reterritorialisation soutenable ?, mémoire d’HDR, Le Mans Université, 2017

Jégouzo Y. & Lebreton J.-P., 2011. La réforme de la fiscalité de l’urbanisme, AJDA, p. 210

Lebrun N., 2023. Réinterroger la centralité marchande. Pôles, territoires, discontinuités et réseaux au service de la centralité, mémoire d’HDR, Université Paris 8 – Vincennes-Saint-Denis

Strebler J.-P., 2021. Réforme de la fiscalité de l’urbanisme, RDI 2021, p. 64


[1] Loi n° 73-1193 du 27 déc. 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat

[2] CAA Bordeaux, 08 févr. 2021 n° 18BX03715

[3] Loi n°2012-1509 du 29 déc. 2012 de finances pour 2013, art. 83

[4] La taxe sur les friches commerciales n’avait été mise en place que par 73 communes en 2014 selon la DGFIP.

[5] QE n° 00889, réponse à C. Brulin, JO Sénat du 5 déc. 2024 p. 4684

[6] BOI_IF_AUT_110_20140625.pdf

[7] TA Clermont-Ferrand, 10 janv. 2024, n° 2200839

[8] TA Clermont-Ferrand, ibid. « les seules circonstances qu’ils ont réalisé des travaux et que des visites des lieux ont eu lieu, eu égard à la durée de la vacance du bien, ne sauraient suffire à remettre en cause la qualification de ” friche commerciale ” de leur local professionnel ».

[9] QE n° 00889 op. cit.

[10] « Quel avenir pour le foncier commercial en zones périphériques ? » Intercommunalité magazines n° 287, nov. 2023, p. 22

[11] Cons. const., n° 2016-612 QPC, 24 févr. 2017 SCI Hyéroise ; Cons. const., n° 98-403 DC, 29 juill. 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions

Pour citer cet article :

BORNET Emmanuelle, « La personnalisation des applications mobiles dans les courses alimentaires : de la proximité fonctionnelle à la proximité relationnelle. », 5 | 2025 – Commerce et proximité(s), GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ark:/84480/2025/02/22/co-ac2/