Scaling up local food circuits: the approach of an intermediary market player in the Nantes region (France)
Julien Noel
〉Docteur en géographie & chercheur associé
〉UMR 6590 ESO
〉Nantes Université
Sécou Omar Diédhiou
〉Docteur en géographie
〉UMR 6590 ESO
〉Nantes Université
Christine Margetic
〉Professeure des universités en Géographie
〉UMR 6590 ESO
〉Nantes Université 〉
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Télécharger l'article. 05-2025 Noel et al.
Résumé : Cet article interroge les différents degrés de mobilisation et d’activation des proximités alimentaires d’un acteur marchand intermédiaire alternatif dans une perspective croisée de triple changement d’échelle. Nous explicitons tout d’abord le cadre d’analyse basé sur les changements d’échelle et les circuits alimentaires de proximité. Puis nous présentons le cas d’étude mobilisé en région nantaise, l’outil coopératif de micro-logistique du Kiosque Paysan. Notre dernière partie analyse ainsi comment le Kiosque Paysan mobilise distinctement les dimensions des proximités alimentaires au regard de ses capacités à changer d’échelle.
Mots-clés : changement d’échelle, circuits alimentaires de proximité, logistique, région nantaise
Abstract: This article examines the different degrees of mobilisation and activation of the food proximities of an alternative intermediary market player from the perspective of a triple change of scale. We begin by explaining the analytical framework based on changes of scale and local food circuits. We then present the case study used in the Nantes region, the Kiosque Paysan cooperative micrologistics system. Our final section analyses how the Kiosque Paysan mobilises the dimensions of food proximity in relation to its ability to change scale.
Keywords: change of scale, local food circuits, logistics, Nantes region
Introduction
Depuis près d’une trentaine d’années, de nombreuses disciplines ont exploré la notion de proximité, en particulier l’économie, la gestion, la géographie, la sociologie. A la suite des travaux précurseurs issus de l’École de la proximité (cf. les synthèses de Bellet et al., 1993 ; puis de Torre & Talbot, 2018), nombre de recherches francophones ont ainsi appréhendé les processus territorialisés de coordination et de coopération entre acteurs au travers de lectures croisées de l’espace (proximité géographique), des institutions et des interactions humaines (proximité organisée). Ces logiques de proximité concernent donc une multitude de secteurs d’activité, notamment celui du commerce marchand qui fait régulièrement l’objet d’analyse (Pouzenc & Grandmontagne, 2024 ; Lemarchand, 2016 ; Colla, 2012). En effet, les acteurs marchands n’ont de cesse de rapprocher l’offre de produits et de denrées au plus près des consommateurs, par l’intermédiaire de différents dispositifs physiques (magasins) et/ou numériques (plateforme en ligne). A ce titre, plusieurs études récentes se sont penchées sur ces transitions opérées en matière de modalités commerciales dans le domaine alimentaire (Chabault, 2023 ; Vonthron & Devillet, 2023 ; Deprez, 2019), ou ont cherché à mieux comprendre les ressorts de nouvelles territorialisations, en particulier en lien avec le développement des circuits courts agricoles et alimentaires (Rolland, 2019 ; Mundler & Rouchier, 2016).
Toutefois, plusieurs recherches soulignent que si ces innovations marchandes agri-alimentaires portent en elles des promesses de transformation ou peuvent contribuer à la transition des opérateurs des systèmes, et plus largement celle des territoires dans lesquels elles se déploient (cf. notamment le numéro spécial coordonné par Loudiyi et al., 2022), leurs capacités à changer d’échelle géographique restent peu interrogées et investiguées, que ce soit dans leur dimension spatiale et/ou scalaire (Vonthron & Devillet, 2023 ; Valette et al., 2022). Comme l’expliquent ces auteurs, leurs capacités d’entraînement restent en l’état assez faible ou mesurée, si elles ne sont pas susceptibles d’être répliquées, imitées, amplifiées, soutenues, diffusées, reliées entre elles. Cette capacité varie bien sûr en fonction de l’échelle d’ancrage même des initiatives, et de l’écosystème territorial dans lesquelles elles naissent, se développent et se structurent.
Dans ce cadre, notre analyse porte sur un cas d’étude d’organisations collectives territorialisées situées dans une région nantaise que nous arpentons depuis plusieurs années (Margetic et al., 2016), à travers le suivi par exemple de plusieurs modalités marchandes et commerciales tels que des associations de producteurs paysans locaux (Noel et al., 2021b), des groupements d’achats alternatifs (Noel et al., 2021a), ou bien encore des commerces de détail (Margetic et al., 2019). Nous focalisons ici notre attention sur un nouvel opérateur marchand impliqué dans une micro-logistique coopérative et alternative, le Kiosque Paysan. Cibler l’activité marchande autour des services logistiques s’avère en effet des plus pertinent tant ces derniers constituent des points faibles récurrents (efficacité énergétique, efficience économique, complexité partenariale…) dans l’essor et la structuration des circuits alimentaires de proximité (Raton et al., 2020). Dans cette logique, le Kiosque Paysan fait aussi figure d’acteur intermédiaire marchand qui cherche à contribuer à la structuration du commerce alimentaire en région nantaise. Nous cherchons donc à interroger comment ce dernier (re)connecte et mobilise producteurs paysans, opérateurs intermédiaires, collectivités locales, et collectifs de mangeurs à travers la consolidation de son projet territorialisé au sens de Hakimi Pradels et al. (2022), fondé ici sur un jeu de proximités agro-alimentaires. Notre hypothèse est qu’en fonction de divers changements d’échelle (Moore et al., 2015), il existe une certaine hiérarchisation et configuration en matière de mobilisation et d’activation de proximités alimentaires.
Cet article questionne ainsi les différents degrés de mobilisation et d’activation des proximités alimentaires de cet acteur marchand intermédiaire alternatif dans une perspective croisée de triple changement d’échelle. Quelles sont les dimensions des proximités alimentaires que mobilise et active le Kiosque paysan dans son processus de structuration ? Observe t’on un gradient de mobilisation ou de progressivité en fonction des modalités de changements d’échelle dans lesquelles se situe cet acteur coopératif ? L’article s’articule en trois parties. Après avoir explicité notre double cadre d’analyse basé sur les changements d’échelle et les circuits alimentaires de proximité, nous présentons dans le détail notre méthodologie d’enquêtes et le cas d’étude mobilisé en région nantaise. Notre dernière partie analyse dès lors comment le Kiosque Paysan mobilise distinctement les dimensions des proximités alimentaires au regard de ses capacités à changer d’échelle.
1. Une combinaison de deux cadres d’analyse : changement d’échelles et circuits alimentaires de proximité
1.1. Un cadre théorique : le changement d’échelle
Dans le champ fécond des innovations sociales, de multiples initiatives et expérimentations sont portées par une pluralité d’acteurs et de structures (citoyennes, entrepreneuriales, publiques …). Parfois issues du secteur marchand, elles sont confrontées à diverses possibilités de changements dans leur phase de structuration et de consolidation. Les enjeux sont multiples : améliorer leur fonctionnement organisationnel, se projeter sur leurs perspectives d’évolution, ou mieux mesurer et amplifier les impacts positifs de leurs actions. Dans cette lignée, les théories de la transition cherchent depuis une dizaine d’années à expliquer la façon dont s’opèrent les transformations majeures en proposant notamment une analyse multi-niveaux (cf. les travaux sur la multi-level perspective de Geels & Schot, 2007). Recouvrant une pluralité d’aspects stratégiques (objectifs, ressources, partenariats, règles …), ces changements d’échelle sont généralement perçus comme l’un des moteurs principaux susceptible d’enclencher chez ces organisations des mécanismes de transition, voire de transformation. Dans la même veine de travaux précurseurs, Moore et al. (2015) ont cherché à explorer et mieux détailler les modalités existantes en la matière. Ils distinguent trois formes majeures graduées de changement d’échelle, qui vont schématiquement de processus d’élargissement (scaling out), d’institutionnalisation (scaling up), et enfin de changement de valeurs (scaling deep) (Figure 1).
Figure 1 : trois types de changement d’échelles pour qualifier une initiative et/ou une expérimentation
Sources : d’après Moore et al. (2015)
Scaling out | Scaling up | Scaling deep |
Élargissement de la portée de l’initiative / expérimentation, par massification et/ou dissémination | Mécanismes d’institutionnalisation, et/ou de formalisation et de normalisation de l’initiative / expérimentation | Modification des valeurs de l’initiative / expérimentation, via un enracinement dans les représentations et les pratiques |
Schématiquement, le scaling out – changement d’échelle par élargissement- s’apparente à un mécanisme de diffusion horizontale. Il correspond le plus souvent à l’augmentation du nombre de personnes ou de structures impactées, soit un effet de massification. Cet élargissement peut aussi se faire par la duplication / dissémination de l’initiative ou de l’expérimentation dans d’autres contextes ou d’autres territoires, sur la base d’une diffusion de principes ou de savoir-faire notamment.
Le scaling up – changement d’échelle par institutionnalisation – renvoie plutôt à un mécanisme de diffusion verticale. Il peut se traduire par une inscription / intégration dans des politiques publiques, ou dans des mécanismes de normalisation / formalisation plus collectifs (réglementations par exemple), au risque éventuel d’une simplification, voire d’une atténuation des principes initiaux de l’initiative ou de l’expérimentation.
Le scaling deep enfin souligne un changement d’échelle en profondeur. Il évoque surtout une adhésion croissante aux normes et valeurs portées par l’initiative ou l’expérimentation. En pratique, ces normes et valeurs s’enracinent et/ou viennent enrichir les représentations et les pratiques de communautés d’acteurs diversifiées, plus nombreuses et plus larges (par exemple par l’ajout de préoccupations sociales ou environnementales en matière de durabilité).
Plus récemment, ce triptyque scalaire a été repris et argumenté dans des analyses appliquées aux systèmes agri-alimentaires, en vue de mieux cerner le potentiel transitionnel ou transformatif d’acteurs, de structures et/ou d’organisations développant des expérimentations se révélant porteuses d’innovations, de réformes et/ou d’alternativités sociales (Le Velly, 2017). D’autres auteurs spécialistes de ces questions d’agriculture et d’alimentation durable (Valette et al., 2022 ; Bricas et al., 2021) ont perçu l’intérêt de mobiliser cette approche afin de mesurer comment ils se succèdent ou se combinent dans le temps en fonction des évolutions intrinsèques aux initiatives, ou celles de l’écosystème territorial d’acteurs qui les environnent (en particulier les institutions publiques). A l’instar notamment de Valette et al. (2022), cibler l’ancrage spatial/territorial et l’articulation de ces processus de changement d’échelles dans le domaine agricole et alimentaire semble opportun pour évoluer vers une réflexion plus systémique. Mieux les prendre en compte implique en effet de raisonner selon une approche transversale et intégrée, reflet d’une logique multi-acteurs spatialisée, multi-sectorielle et multidimensionnelle. Une telle perspective s’avère nécessaire au regard de la multiplicité d’initiatives (entrepreneuriales, citoyennes, institutionnelles …) qui prennent forme en particulier dans le champ des circuits courts ou alimentaires de proximité.
1. 2. Un cadre opérationnel : les circuits alimentaires de proximité
Parmi la multitude de travaux sur les circuits courts de commercialisation cherchant à relocaliser / reterritorialiser l’alimentation[1], nous mobilisons ici plus particulièrement ceux de Praly et al. (2014). Ces derniers ont donné corps à la notion de « circuits alimentaires de proximité » (CAP), afin de mieux mettre en exergue les diverses dimensions des proximités géographiques et organisées entre acteurs d’un système alimentaire (figure 2). Schématiquement, la grille opérationnelle conçue par ces auteurs (ibid.) se fonde sur quatre dimensions spatiale, relationnelle, fonctionnelle et économique des proximités alimentaires territoriales, à laquelle nous ajoutons celle plus « politique » de Talbot (2010).
Figure 2 : les cinq dimensions des circuits alimentaires de proximité
Sources : d’après Praly et al. (2014) ; Talbot (2010).
Dimension spatiale | Dimension fonctionnelle | Dimension relationnelle | Dimension économique | Dimension politique |
Échelle et périmètre géographique du circuit entre la production et la consommation | Moyens logistiques pour acheminer et adapter le produit de la production à la consommation | Moyens de renforcer les conditions de l’échange marchand : confiance, partage de valeurs, de connaissances, etc. | Moyens de garantir une meilleure répartition de la valeur ajoutée et des prix rémunérateurs, des engagements réciproques, etc. | Ensemble de modalités de coordination et de régulation partenariale, degré d’implication des acteurs, etc. |
En lien avec les caractéristiques morphologiques de l’espace géographique, la dimension spatiale d’un CAP reflète les représentations socioculturelles et physiques d’un raccourcissement des distances entre acteurs et l’attachement à une origine géographique du produit. Le périmètre du bassin alimentaire « local » se doit d’être circonscrit tant à l’amont au niveau du monde agricole productif qu’à l’aval au stade de la consommation, car les représentations varient selon la nature des produits et les pratiques des acteurs.
La dimension fonctionnelle insiste sur le cheminement opéré par les produits au sein de filières re-territorialisées, et notamment sur les opérations logistiques nécessaires en termes de planification et de gestion mutualisée des flux (de marchandises, d’informations et d’argent). Elle permet aussi de mieux (re)mettre en valeur et de légitimer le rôle des intermédiaires dans le fonctionnement plus global des CAP.
La dimension relationnelle envisage les logiques d’appartenance et de similitude de la proximité organisée, contribue au rapprochement identitaire entre les acteurs. Elle leur permet de renforcer entre eux des liens de confiance (notamment entre producteurs et consommateurs), au travers d’apprentissages, de règles et de valeurs partagées. Si cette dimension de la coopération entre acteurs se construit souvent à partir d’un objectif collectif rassembleur, elle peut aussi se constituer dans la construction progressive de régulations conjointes.
La dimension économique des proximités alimentaires permet d’analyser comment est abordée la problématique de prix rémunérateurs (côté producteurs) et acceptables (côté consommateurs), et de la répartition équitable de la valeur ajoutée et des marges dans les filières. Elle reste cependant consécutive de l’activation des autres dimensions précédemment évoquées, sur les plans géographique (plus faible distance), relationnel (réductions des intermédiaires) et fonctionnel (mutualisation logistique).
Enfin, en écho à la proximité institutionnelle dans les logiques de coordination des acteurs, la dimension politique insiste sur le travail de mise en cohérence entre des intérêts divergents (conflictuels) et les logiques de choix et d’arbitrages qui s’opèrent entre des acteurs hétérogènes au sein de processus de construction de coordinations collectives. Elle met au jour le degré d’implication des acteurs ainsi que les modes de régulation et de gouvernance alimentaire partenariale qui en conditionnent les objectifs fédérateurs, les modalités de coopération et la détermination de stratégies collectives.
Croiser échelles d’action et formalisation d’un réseau alimentaire de proximité contribue à renouveler les approches autour des circuits courts. Un exemple représentatif de démarches originales peut être mobilisé : le Kiosque Paysan, un acteur marchand intermédiaire et alternatif de l’alimentation à Nantes.
2. Un acteur marchand intermédiaire et alternatif de l’alimentation en région nantaise : le Kiosque Paysan
De manière générale, le terrain métropolitain de Nantes situé dans l’Ouest de la France (re)présente un terreau favorable pour aborder ces questions de proximités et d’intermédiation dans le champ agri-alimentaire tant les initiatives alternatives citoyennes, comme les politiques publiques institutionnelles, y sont prégnantes (Fort-Jacques & Marcadier, 2022). Dans ce cadre, la méthodologie d’enquêtes suivie s’inscrit dans une démarche d’observation recherche-action en géographie sociale qui se veut inductive, qualitative et participative. Elle a été déployée depuis plusieurs années avec un suivi de terrain longitudinal d’une série d’initiatives citoyennes et de dispositifs commerciaux alternatifs (Noel et al., 2021a ; Noel et al., 2021b ; Margetic et al., 2020), parmi lesquels figure cet outil marchand de micro-logistique qu’est le Kiosque paysan.
Ce projet coopératif nait en 2018 d’une réflexion commune entre différents professionnels de la distribution et de la restauration alimentaire durable, des producteurs paysans en CAP et des collectivités locales. Ils partent du constat partagé que, si l’offre en produits bios et locaux de qualité est présente sur le territoire métropolitain, ils se heurtaient à des difficultés de mise en relation entre les acteurs en vue d’une reterritorialisation du fait alimentaire, en particulier en raison de l’absence d’une logistique mutualisée à faible empreinte (économique, environnementale).
L’essence de ce projet consiste alors à créer de l’interconnaissance entre les producteurs engagés pour une agriculture durable et des distributeurs soucieux de promouvoir une alimentation durable. Pour y parvenir, l’idée est de faciliter la rencontre et l’organisation logistique de chacun de ces acteurs dans un périmètre territorial circoncit. La démarche s’inscrit toutefois dans la capitalisation de certains projets antérieurs dont Terroirs sur la Route ou la Folle tournée paysanne promus par l’association Terroirs 44, organisation membre phare qui réfléchit depuis une quinzaine d’années sur ces thématiques (Margetic et al., 2016 ; Noel et al., 2021b).
Concrètement, sur le plan fonctionnel, le Kiosque met en place divers services logistiques (en termes de mutualisation de livraisons, d’interface numérique, d’accompagnement administratif …) pour gérer l’approvisionnement des CAP bios, locaux et de saison, dans un rayon interrégional de 100 km autour du bassin de vie de consommation de l’agglomération nantaise (Figure 3a). Outre une optique de réduction de l’impact environnemental et du coût des transports de denrées alimentaires cet outil ambitionne aussi d’améliorer les conditions de travail de ses opérateurs, en diminuant notamment le temps consacré à la gestion commerciale : transport, facturation et référencement pour les producteurs ; passage de commandes et de réception pour les acteurs de la restauration et/ou de la distribution.
Figure 3a : le fonctionnement du Kiosque Paysan : ses services et ses objectifs de micro-logistique

Sources : documents internes du Kiosque Paysan (2019-2024)
L’intermédiation marchande d’une micro-logistique coopérative combine une plateforme numérique et physique de commandes, basée sur des prix justes pour tous les utilisateurs (des producteurs et artisans aux distributeurs et restaurateurs) (Figure 3b). Elle repose également sur l’organisation mutualisée de deux tournées de collecte chez une cinquantaine de producteurs et un service de livraison mutualisé bas-carbone (à vélo dans Nantes) auprès de plus d’une centaine de professionnels de la RHD et de la distribution « alternative » (Figure 3c). Dans une optique d’économie circulaire et d’écologie, le Kiosque cherche par ailleurs à promouvoir l’usage de produits en vrac ainsi que l’incitation au réemploi et aux consignes.
Figure 3b : le fonctionnement du Kiosque Paysan : son catalogue de produits et sa plateforme de commandes

Sources : documents internes du Kiosque Paysan (2019-2024)
Figure 3c : le fonctionnement du Kiosque Paysan : deux tournées de ramasse dans le département 44

Sources : documents internes du Kiosque Paysan (2019-2024)
Pour concrétiser l’objectif de connexion relationnelle et politique entre acteurs est créée une association qui repose en premier lieu sur deux partenaires forts : une fédération collective de quelques 70 fermes paysannes en CAP sur le département (portée par Terroirs 44), et un groupement d’une centaine de professionnels de la restauration et des métiers de bouche (porté par Les Bouillonnantes). Le Kiosque Paysan a par ailleurs tissé des liens avec un large réseau d’acteurs engagés dans l’alimentation durable, tant avec d’autres initiatives associatives qu’avec des collectivités locales ou des entreprises (figure 3d). Parmi les acteurs de l’amont du système alimentaire de la région nantaise, on retrouve des organismes d’accompagnement agricole (tels le GAB 44[2] ou la CIAP 44), ainsi que des acteurs des filières de races locales (Association La vache nantaise, Poulets nantais …). Côté acteurs « stratégiques », il contractualise avec des acteurs de la logistique, tels Green course (livraisons à vélo en centre-ville de Nantes), ou des acteurs de la consigne (Boîtes Nomades, Bout’ à bout). Plus en aval, au niveau de la distribution, des coopérations ont été nouées avec des acteurs de la RHD des métiers de bouche ou la restauration collective (Manger Bio 44, cantines scolaires de collectivités, etc.), avec plusieurs structures de distribution mutualisées de groupement d’achat (Micromarché, Scopéli, Amaps), ainsi que des acteurs de l’ide alimentaire (VRAC Nantes, Banque Alimentaire du 44). Sur le plan institutionnel, l’association participe activement à différents projets alimentaires territoriaux (PAT) (Nantes métropole, Pays de Retz, Brière et estuaires, Département 44). Enfin, il noue des partenariats avec des acteurs de la recherche académique (co-auteurs géographes de cet article, groupe « Logistique » du RMT alimentation locale, etc.).
Figure 3d : le fonctionnement du Kiosque Paysan : principales organisations et structures membres

Sources : documents internes du Kiosque Paysan (2019-2024)
Sur le plan organisationnel, le Kiosque compte 2,5 équivalents temps plein en 2024, et dispose côté matériel d’une plateforme logistique de 200m² (louée à la métropole) et de deux camions frigorifiques de 20 m³. L’association se projette sur une augmentation de ses effectifs (doublement des producteurs membres, quadruplement des clients), ainsi qu’un accroissement de ses volumes d’activités (quintuplement du chiffre d’affaires) (figure 3e). In fine, l’objectif de cet intermédiaire est d’atteindre à relativement court terme une certaine autonomie structurelle sur le plan économique, grâce à la montée en puissance des flux de livraison, à l’approfondissement géographique de l’aire de chalandise (principalement sur le département 44), à la diversification des activités et services proposés aux membres (gestion des consignes, groupements d’achat, ouverture de jours supplémentaires de livraisons…), et à un déploiement accru des partenariats techniques et économiques.
Figure 3e : le fonctionnement du Kiosque paysan : projections économiques

Sources : documents internes du Kiosque Paysan (2019-2024)
Au vu de cette rapide synthèse, l’outil de micro-logistique dédiée aux CAP du pays nantais semble arriver, après sa phase d’émergence de 5 ans, dans une étape de maturité organisationnelle en termes de développement, mais qui n’est pas sans interroger sur la consolidation et l’approfondissement de ce modèle expérimental. Pour autant, ses évolutions actuelles et futures dessinent des trajectoires organisationnelles et géographiques mouvantes, plus ou moins stabilisées en matière d’activation de proximités alimentaires, et que le cadre des changements d’échelle permet utilement d’analyser.
3. Le Kiosque paysan, un acteur intermédiaire marchand en quête de consolidation territoriale
Depuis son émergence en 2018, le modèle expérimental logistique et marchand du Kiosque Paysan a largement évolué. Pour saisir au mieux ces évolutions, un croisement de nos grilles théoriques (les changements d’échelle) et opérationnelle (les circuits alimentaires de proximité) s’avère des plus intéressants. En effet, cet acteur marchand de micro-logistique mobilise et active, de manière différenciée et graduée, chacune des 5 dimensions des CAP en fonction en particulier de son avancée et de son degré de finalisation en termes de changement d’échelle. En pratique, l’ensemble des dimensions de la proximité alimentaire est concrètement activé dans le changement d’échelle par élargissement (Figure 4). Dans le deuxième niveau de changement d’échelle par institutionnalisation, les dimensions économiques et politiques des CAP le sont plus partiellement. Enfin, assez logiquement, le dernier niveau de changement d’échelle plus en « profondeur » fait que toutes les dimensions ne sont pour le moment encore qu’à l’état d’élaboration.
Figure 4 : le Kiosque Paysan, un activateur marchand de différentes dimensions des circuits alimentaires de proximité selon ses changements d’échelle
Dimension spatiale | Dimension fonctionnelle | Dimension relationnelle | Dimension économique | Dimension politique | |
Scaling out | Extension à l’aire urbaine nantaise, à partir des fiefs productifs paysans de Terroirs 44 Diffusion du modèle sur d’autres territoires voisins | Organisation efficiente d’une mutualisation logistique : deux tournées de ramasse, entrepôt central de stockage sur l’ile de Nantes | Socle de l’agriculture paysanne, locale et de qualité (bio) Socle éthique du commerce équitable | Soutien du réseau d’acteurs membres (producteurs, clients) Recherche de nouveaux fournisseurs et débouchés | Elaboration d’un conseil d’administration regroupant une diversité de structures et de membres utilisateurs |
Scaling up | Fixation d’un seuil « local » de 100 km pour le rayon d’approvisionnement et l’aire de chalandise | Structuration et formalisation du modèle coopératif logistique | Soutien et mobilisation vers d’autres acteurs agri-alimentaires (« alternatifs » et autres) | Appui à la structuration de filières locales, et de systèmes alimentaires alternatifs | Formalisation d’une charte engagement (inclusion artisans par exemple) Intéressement des collectivités locales (notamment via leur PAT) |
Scaling deep | Amorce de maillage territorial via la mise en réseau de micro pôles / hubs (stockage, point de (dé-)groupage, hall-relai…) | Amorce de maillage territorial via la mise en réseau de micro pôles / hubs (stockage, point de (dé)groupage, hall-relai…) | Intégration dans un écosystème d’acteurs et de lieux d’acculturation (ex. de la Maison des agricultures et de l’alimentation durables (MAAD) | Discussion / négociation sur des prix justes et des niveaux de marges adaptées aux acteurs « alternatifs (bio, paysans, artisans…) | Participation à l’évolution des politiques publiques vers des pratiques d’agriculture et d’alimentation durable |
Sources : d’après observations et enquêtes des auteurs (2022-2024).
NB : les cellules en italique du tableau traduisent que les dimensions des proximités alimentaires ne sont pas encore effectives dans les faits (soit en cours de réalisation, soit en l’état de réflexion).
3.1. Le scaling out avéré et effectif du Kiosque Paysan
Le scaling out s’avère effectif pour le Kiosque Paysan, celui-ci mobilisant l’ensemble des cinq dimensions possibles des proximités alimentaires.
En premier lieu, ce sont les dimensions spatiales et fonctionnelles qui apparaissent les plus tôt mobilisées par cet acteur marchand de la logistique. Fort de l’historique de son réseau originel (pays de Retz et presqu’île guérandaise, fiefs paysans de Terroirs 44), l’association a réussi à accroître au cours des dernières années l’ampleur géographique de son dispositif, en le pérennisant au sein et au-delà de l’agglomération nantaise (quasiment à l’échelle du Département 44). Parallèlement, la dimension spatiale activée passe également par un travail de diffusion du modèle de micro-logistique dédiée CAP auprès d’opérateurs similaires sur des territoires voisins, tels que Echanges paysans (dans les Hautes Alpes), La Marmite (en pays de Questembert), Livrazou (sur Marseille), 21 km (agglomération de Dinan) … A cela s’accole sur le plan fonctionnel une organisation nécessairement plus efficiente en termes de mutualisation logistique. Deux tournées de collecte/ramasse chez les producteurs, puis de livraisons chez les clients usagers de la plateforme numérique (catalogue de produits) ont ainsi été stabilisés. Point central du dispositif, la plateforme physique située au cœur de l’ancien MIN de Nantes fait figure d’entrepôt central de stockage, voire de groupage-dégroupage des produits pour les derniers kilomètres.
En parallèle, les dimensions relationnelles et politiques s’avèrent toutes aussi primordiales et constituent deux éléments du socle fondateur. Dès son origine, le projet de Kiosque Paysan se base sur la défense et la promotion de l’agriculture paysanne, locale et de qualité (majoritairement labellisée ou apparentée biologique), tout comme il s’inscrit dans les principes généraux du commerce équitable. Pour consolider et diffuser ces valeurs constitutives du projet, plusieurs temps d’interconnaissance sont organisés en interne, comme des rencontres inter-professionnelles (entre paysans et métiers de bouche), des visites de fermes, des ateliers de formation aux productions locales…). Toutes ces rencontres offrent ainsi un cadre de partage autour des savoir-faire de chacun, et permettent de faire connaître l’outil Kiosque Paysan dans son fonctionnement et ses services. En termes de gouvernance, l’élaboration d’un conseil d’administration éclectique, regroupant une diversité de structures et de membres utilisateurs (figure 3d), ainsi que la mobilisation d’un large réseau de partenaires – organismes agricoles, distributeurs alternatifs, collectivités locales… – facilitent en tout point ce sentiment de confiance et de renforcement de liens de sociabilités entre acteurs. A noter que dès 2025, l’association souhaite que soit impliqués dans le projet 100 producteurs bio ou en conversion, quelques 400 restaurants et épiceries, ainsi qu’une cinquantaine d’établissements de restauration collective.
Par suite, l’activation de la dimension économique des proximités alimentaires s’est progressivement réalisée par le soutien à la soixantaine de producteurs paysans bios et locaux utilisateurs à l’année du dispositif, comme la centaine de professionnels des métiers de bouche clients (restaurateurs, traiteurs, épiciers, boulangers, pâtissiers, fromagers). Le doublement des volumes transportés par semaine et à l’année (figure 3e) atteste de ce dynamisme. Autre point important, l’ajout d’une activité de « démarchage » commercial semble s’être installé au cœur du projet. Pour ce faire, l’équipe salariée du Kiosque est majoritairement épaulée par Terroirs 44 et le GAB 44 pour « recruter » de nouveaux fournisseurs producteurs ; ces dernières épaulent aussi Les Bouillonnantes dans la recherche de nouveaux débouchés vers la restauration hors domicile (cantines scolaires, restaurants…).
3.2. Un scaling up enclenché mais encore partiel
Le scaling up du Kiosque Paysan apparaît plus partiellement réalisé au regard des dimensions de la proximité réellement activées. En effet, compte-tenu du degré d’avancement et de maturité du projet, les proximités relationnelles, spatiales et fonctionnelles sont entrées dans une phase de réelle formalisation ; à contrario, les dimensions économiques et politiques apparaissent encore peu mobilisées (mobilisables) à ce niveau d’échelle.
Sur le plan spatial, le fait de fixer un seuil « local » variable en termes de distance euclidienne autour de l’agglomération nantaise traduit une formalisation souple du périmètre géographique du dispositif. Celui-ci surfe sur une vision « pragmatique » du local, qui s’étend selon les besoins et les saisons en produits frais sur un rayon d’approvisionnement de 100 km autour de l’épicentre nantais. Ainsi il implique en plus de la Loire-Atlantique majoritaire, quatre départements voisins : deux bretons (56, 35) et deux ligériens (49, 85). Idem pour l’aire de chalandise, les membres du Kiosque Paysan ayant choisi depuis 2 ans d’approfondir le réseau de base de clientèle au sein du département 44 (magasins/boutiques et restaurants majoritairement), quitte à élargir le profil des débouchés sur ce territoire (restauration collective publique notamment).
La dimension relationnelle constitue aussi une dimension très largement activée à ce niveau. Elle se formalise notamment par le soutien et la mobilisation vers d’autres acteurs agri-alimentaires (« alternatifs »), afin de fédérer un maximum d’acteurs autour de l’outil. Dans ce cadre, les associations Terroirs 44 et Les Bouillonnantes mènent des missions de communication et de démarchage respectivement auprès des producteurs et professionnels des métiers de bouche, membre de leurs réseaux respectifs, mais également au-delà. Terroirs 44 poursuit ainsi son travail de mise en réseau et de sensibilisation à la logistique auprès des producteurs locaux par l’intermédiaire d’une dizaine de « bistroterroirs » territorialisés dans le département par exemple, avec d’autres organismes agricoles (GAB44, CIVAM, CAP44…). De son côté, Les Bouillonnantes a mis en place des modules de formation aux enjeux de l’alimentation durable pour les professionnels de son association, mais aussi avec d’autres membres intéressés (lien avec la chambre des métiers et de l’artisanat par exemple) autour des modes de culture agricoles, de la végétalisation des assiettes ou bien encore la gestion des déchets).
La structuration et la formalisation du modèle coopératif se poursuivent notamment par un certain étoffement des services logistiques proposés. Pour le transport, la densification des deux tournées de ramasse et de livraisons par semaine répond aux attentes de professionnels des métiers de bouche particulièrement attentifs à la bonne conservation des produits frais sensibles (petits fruits, micropousses …). Au-delà, le Kiosque Paysan propose à ses utilisateurs (fournisseurs comme clients) une gamme plus complète de services de proximité prenant en compte toute la chaîne logistique. Cela comprend le développement plus élaboré de la plateforme de commandes groupées en ligne, via l’appui de Socléo, opérateur spécialisé dans le numérique des circuits courts. Des services plus administratifs – comme la gestion et le suivi des commandes, l’aide et la personnalisation de la facturation, etc. – se sont également ajoutés. Une phase test de logistique-retour, avec un service consignes de verre (bouteilles, bocaux) est actuellement en cours. De son côté, avec en moyenne près de 400 kg de marchandises transitant par semaine, la plateforme physique a conforté ses capacités de stockage ; celle-ci compte désormais 2 entrepôts de 90 m2 chacun, l’un pour les produits frais du territoire (légumes, fruits, viandes…), l’autre pour les produits secs plus lointains (agrumes, huile d’olive…).
Les deux dernières dimensions économiques et politiques demandent encore à être intensifiées. Sur le plan économique, l’appui à la structuration de filières durables locales, mais aussi à des systèmes alimentaires alternatifs à l’échelle de la région nantaise et du département, est certes enclenché, mais demande à être consolidé. En effet, cet outil coopératif bénéficie certes de certaines expériences de mutualisation passées de Terroirs 44, en matière de planification agricole, de transport logistique comme de mise en place d’outils de transformation et/ou de stockage (Margetic et al., 2016). A l’échelle du territoire départemental, ces expertises permettent ainsi au Kiosque de s’impliquer dans la continuité dans la structuration d’une filière de pain bio local ou dans l’accompagnement à la création d’une légumerie à destination de la restauration collective. Néanmoins, l’un des enjeux primordiaux va être de stabiliser son modèle d’affaires, en s’assurant d’une bonne efficacité économique et de seuils de rentabilité suffisants. A titre d’exemple, le chiffre d’affaires mensuel moyen optimal est évalué autour des 100 000€ au regard des coûts de fonctionnement de l’outil (évalués autour de 8 500€) ; ce qui revient à plus que doubler les montants actuels (Figure 3e).
Sur le plan politique enfin, la formalisation de l’outil s’arrime certes autour de l’élaboration d’une charte d’engagement consensuelle, qui reprend les grands principes et valeurs communes des organisations fondatrices et des actuels membres associés : diversité de structures (producteurs, intermédiaires, distributeurs) dimensionnées à taille humaine, engagées dans des activités durables (agricultures locales et labellisées (bio, équitable…), logistiques bas carbone, etc.) et dans des relations partenariales justes et transparentes … L’inclusion récente d’artisans transformateurs en tant que membres effectifs de l’association témoigne d’une volonté d’ouverture et d’inclusion. Cependant, l’activation de la proximité politique reste encore peu perceptible en ce qui concerne l’intéressement, voire l’implication plus appuyée des collectivités locales (intercommunalités, parc naturel, département …) dans le processus de développement du projet. Une sollicitation dans les divers programmes de soutien à l’économie agricole locale inclus dans les dispositifs PAT notamment constitue un axe de travail à renforcer.
3.3. Un scaling deep à construire
Le scaling deep implique un changement plus profond des représentations et des pratiques agricoles et alimentaires sur le territoire. Force est de constater que malgré de bonnes intentions en la matière, le Kiosque Paysan n’en est qu’aux prémices de mobilisation de toutes les dimensions des proximités alimentaires à ce niveau d’échelle.
Les proximités spatiales et fonctionnelles apparaissent les plus avancées et pourraient être élargies prochainement. En fait, elles traduisent une amorce d’ancrage et de maillage territorial de l’outil de micro-logistique via la mise en réseau de micro pôles / hubs logistiques aux services et fonctionnalités démultipliées pour les adhérents. L’enjeu est de conforter le déploiement de l’outil sur les différents secteurs du territoire départemental, en s’appuyant sur le réseau des producteurs, et notamment sur des plateformes nodales fédérant un pool d’activités existantes ou à créer (magasins de producteurs et/ou à la ferme, boutiques et épiceries, restaurants, ateliers collectifs de transformation …). A ce jour, trois secteurs géographiques sont identifiés comme stratégiques pour conforter le maillage existant : le pays de Châteaubriant au nord du département, la presqu’île guérandaise et le pays de Retz de chaque côté de l’estuaire de la Loire à l’Ouest, et le vignoble au sud-est. A ce titre, depuis novembre 2023, le Kiosque Paysan a signé une convention avec le groupe La Poste afin de mettre en place une expérimentation de dépôt de produits secs sur cinq centres de tri, et si les partenaires le jugent opportun, un traitement futur de produits frais.
Le second binôme de mobilisation va concerner, dans un avenir plus ou moins proche, les dimensions relationnelle et politique. Pour le moment relativement inactivée, la première va porter sur l’intégration de l’outil dans un écosystème d’acteurs plus large dans des lieux d’acculturation plus diversifiés. Un premier travail d’animation territoriale est en cours d’élaboration, s’appuyant sur les points de sensibilisation que sont les bistroterroirs territorialisés. En effet, l’équipe dirigeante envisage de décentraliser plus fréquemment et plus régulièrement une série d’évènements d’interconnaissance entre producteurs et professionnels de la RHD sur des territoires plus « périphériques » de l’aire urbaine nantaise (presqu’île de Guérande, pays de Retz, pays d’Ancenis …). Deuxième piste de réflexion, l’association participe à l’élaboration et la structuration d’une Maison des agricultures et de l’alimentation durables (MAAD), qui se veut être un réseau fédérateur des acteurs de la transition agricole et alimentaire de la métropole nantaise. L’enracinement des pratiques et des représentations agricoles et alimentaires du Kiosque Paysan pourrait à terme se concrétiser dans cet espace qui vise à faciliter la coopération entre professionnels, collectivités, tissu associatif et citoyens. Tout en apportant des ressources aux praticiens de terrain en matière de formation et de communication notamment. A noter que des projets similaires de maisons de l’alimentation durable sont également en cours de réflexion sur le Pays de Retz (autour de Rouansité de Pornic agglo), et dans le Pparc naturel régional de Brière (aux portes de l’agglomération nazairienne dans l’ouest ligérien).
Sur un plan plus politique, la participation à l’évolution de politiques publiques vers des pratiques d’agriculture et d’alimentation durable est encore balbutiante, en dehors de l’intégration ponctuelle et sporadique du Kiosque Paysan aux différents PAT de Loire-Atlantique. Là aussi, deux pistes de réflexion font leur chemin. La dimension politique des proximités implique de fait des évolutions partenariales. A ce titre, l’ouverture aux artisans transformateurs, en adéquation avec les valeurs socles du Kiosque, constitue un premier pas significatif. Des discussions ont aussi commencé pour élargir le socle d’adhérents de l’aval des filières (magasins locaux et/ou bios franchisés notamment). Un second axe investigué depuis un an concerne la mise en œuvre d’un vaste Mouvement Alimentaire Coopératif Humain et Environnemental (dénommé mâche, en référence au produit maraicher phare du territoire). Au-delà du fait que le Kiosque Paysan pourrait devenir le service logistique de cette nouvelle entité, la sollicitation de collectivités territoriales (Conseil départemental, agglomérations nazairienne et nantaise) pourrait pousser cet acteur sous statut associatif à se professionnaliser davantage, en prenant à moyen terme une forme juridique de SCIC.
Une fois n’est pas coutume, la dimension économique reste encore une fois la plus en retrait. Elle consiste selon nous pour le Kiosque à enclencher de réelles discussions inévitables en matière de transparence dans les relations (et les négociations) marchandes, autour de prix justes et de niveaux de marges à fixer, entre utilisateurs associés et non adhérents. La problématique du juste prix constitue une première variable sensible de la non activation actuelle de cette dimension de la proximité (ou des réelles difficultés à le faire). Le juste prix résulte classiquement d’une délibération entre des agents économiques soucieux de leurs besoins ; plusieurs acceptations sont actuellement débattues en interne, entre les différents adhérents, notamment entre les producteurs d’un côté, les distributeurs, et l’opérateur marchand intermédiaire que représente en tant que tel l’outil logistique Kiosque Paysan. Doit-on baser la construction du prix potentiel estimé à partir d’éléments considérés comme objectifs (coût, utilité, rareté, etc.) ? Sur le prix concurrentiel de marché, reflétant dès lors un certain point d’équilibre entre l’offre et la demande ? Ou bien, le prix souhaité doit-il être apprécié au regard de considérations plus éthiques ? La question est pour le moment loin d’être tranchée, tout comme celle de la juste répartition du niveau des marges et des tarifs d’utilisation du Kiosque. L’équilibre actuel, plus ou moins consensuel, consiste à proposer pour 2024 un tarif progressif et différencié aux producteurs, entre ceux qui livrent directement la plateforme physique centrale sur l’île de Nantes (+ 12%), ceux qui regroupent leurs marchandises en un lieu mutualisé de ramasse hors agglomération nantaise (+15 %) ou ceux qui bénéficient de la collecte sur leurs fermes (+17%). A ces premiers coûts s’ajouteraient une côte de +5-7% payée par le client final (restauration hors domicile, magasins et boutiques…). Une phase test sur le premier semestre 2024 est ainsi programmée, avec un point de réajustement envisagé au début de l’automne.
Conclusion
Cette étude inductive, qualitative et participative avait pour objectif d’estimer différents degrés de mobilisation et d’activation des proximités alimentaires du Kiosque Paysan, outil de micro-logistique coopérative dédié au CAP de la région nantaise. L’enjeu était de parvenir à une perspective croisée de triple changement d’échelle (élargissement, institutionnalisation, profondeur). A la lecture de cette grille de lecture, nous observons de réelles avancées territoriales de la part du Kiosque Paysan qui croise de manière plus ou moins concrète ces trois dimensions de scaling, au niveau métropolitain nantais notamment. Ainsi, si le scaling out de l’initiative paraît parfaitement enclenché, les scaling up et scaling deep demeurent encore partiels, notamment dans leurs dimensions économiques et politiques. Cependant, notre analyse est déjà en train d’être nuancée et amener à s’approfondir, du fait d’une évolution assez rapide de notre objet d’étude au fur et à mesure de sa structuration progressive. Un décentrement vis-à-vis de l’écosystème agri-alimentaire nantais, ainsi qu’une complémentarité avec des initiatives et des recherches similaires plus « extérieures » (cf. entre autres Raton et al., 2020 ; Noel et al., 2021b) devraient également permettre de gagner en réflexivité sur cet acteur marchand intermédiaire.
Au-delà de cette première analyse, l’entrée par les proximités alimentaires d’acteurs marchands à travers une lecture des changements d’échelle révèle que toutes les dimensions des CAP ne sont pas activées (et activables) au même moment et avec le même degré d’intensité, quelque soit le niveau scalaire identifié. Fort classiquement, c’est la dimension relationnelle qui semble mobilisée et mobilisable plus fortement de prime abord dans ces innovations agri-alimentaires territoriales, comme le confirment d’autres travaux en sciences sociales sur le sujet (cf. entre autres Chiffoleau, 2019 ; travaux du RMT Alimentation locale[3]). Une fois le projet bien établi dans ses missions et son socle de valeurs, les dimensions spatiales et fonctionnelles sont ensuite plus facilement sollicitées, afin de circonscrire le périmètre géographique de l’initiative, ainsi que ses modalités logistiques d’organisation (Raton et al., 2020). Les dimensions économiques et politiques de la proximité ne viennent dès lors qu’ultérieurement, une fois les autres dimensions bien consolidées. Ces dimensions demandent sans doute à être également étudiées à travers un niveau d’échelle temporel de plus long terme, en lien avec des temporalités (et des capacités) de changements (en termes de formalisation et de pratiques/représentations) nécessairement plus lentes de la part des opérateurs économiques et des politiques publiques, mais également des consommateurs (Bricas et al., 2021 ; Valette et al., 2022).
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[1] Cf. les recensements bibliographiques opérés notamment sur le site Internet du RMT Alimentation locale : https://www.rmt-alimentation-locale.org/publications
[2] GAB 44 : groupement des agriculteurs biologiques du 44 ; CIAP 44 : coopérative d’installation en agriculture paysanne du 44.
[3] Cf. https://www.rmt-alimentation-locale.org/publications
Pour citer cet article :
NOEL Julien, DIEDHIOU Sécou Omar & MARGETIC Christine, « Pour un changement d’échelle des circuits alimentaires de proximité : la démarche d’un acteur marchand intermédiaire dans la région nantaise », 5 | 2025 – Commerce et proximité(s), GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ark:/84480/2025/03/20/co-al12/
