Nicolas Lebrun
〉Maître de conférences HDR en géographie
〉Université d’Artois 〉UR 2468 Discontinuités
〉UR 4287 Habiter le Monde
〉Cofondateur et Directeur de la revue GéoProximitéS 〉
〉 Article court
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La création d’une nouvelle revue n’est jamais anodine. Elle relève au départ de proximités dans la recherche. Elle témoigne même au départ simplement de cela : mettre en synergie des chercheur(e)s et ami(e)s qui ont envie de faire quelque chose ensemble. GéoProximitéS (GPS) n’échappe pas à la règle : Sylvie Coupleux[1], Sylvie Delmer[2], Corinne Luxembourg[3] et moi, nous sommes lancés ce défi, un peu égoïstement, pour formaliser notre volonté de travailler ensemble, sous une autre forme que ce que nous pratiquions jusqu’alors, notamment dans le cadre des Journées Proximités depuis 2016.
Parfois, ce « quelque chose ensemble » fait sens, dans une époque, par la posture épistémologique proposée, par le courant de pensée qu’elle incarne, par la pertinence de l’objet d’étude au moment de sa création, par la vision et l’énergie portées par son ou ses fondateur(s). Nous n’aurions pas la prétention de prétendre jouer un tel rôle dans le paysage des revues scientifiques francophones.
Néanmoins, GPS répond à un double enjeu, celui d’un objet transversal « la proximité », évanescent mais durable, évident mais polysémique, mesurable mais relatif, régulé mais souple, implacable mais résilient, probable mais aléatoire, intemporel mais actuel, et celui d’une inscription dans une tendance disciplinaire lourde, celle d’une géographie de plus en plus ouverte sur les disciplines connexes. Parce que nous avons compris que pour concevoir la dimension spatiale du fonctionnement de nos sociétés, il était parfois nécessaire, de sortir de la seule analyse consciente des phénomènes spatialisés, en commençant par étudier autre chose pour subséquemment appréhender les impacts spatiaux générés.
Bien sûr, nous pourrions proposer une définition de la proximité. Mais est-ce vraiment l’objet d’une revue de restreindre les auteurs à un cadre ? Nous pourrions aussi nous revendiquer dans la lignée d’écoles de pensées marquantes autour de la proximité, par exemple les réflexions en sciences régionales (Torre, Pecqueur, Lacour, etc.) relayées notamment par la RERU (Bouba-Olga, Coris et Carrincazeaux (dir.), 2008 et Torre et Talbot (dir.), 2018), ou encore des réflexions autour de la maitrise des mobilités dans nos villes (Kaufmann, Drevon, Moreno, etc.). Nous pourrions aussi nous référer aux développements sur le binôme cospatialité/coprésence en géographie (Lévy, 1999). A vrai dire, ces travaux théoriques, les uns comme les autres, sont indispensables pour comprendre les grands enjeux de la proximité. Nous en sommes tous de modestes héritiers ou usagers. Mais notre idée est qu’en mettant en avant de telles filiations, nous oubliions que nous sommes tous, chercheurs en sciences sociales, géographes ou non, des acteurs en puissance de la réflexion sur les spatialités mises en œuvre par nos usages de la proximité. Parce que nos pratiques, nos choix et habitudes, relèvent et révèlent une appropriation du concept de proximité, qui n’efface en rien ses possibles dimensions spatiales.
La proximité en géographie est certes affaire de distance euclidienne, c’est ce que les économistes appellent d’ailleurs la proximité géographique (Torre, 2009 ). Mais de même que la géographie n’est pas qu’affaire de distance euclidienne, sinon elle se confondrait avec la seule analyse spatiale, la proximité en géographie est aussi bien plus (Lebrun, 2022 et 2023). Toute dimension de la proximité peut faire sens à partir du moment ou directement ou plus incidemment elle comporte, génère ou offre une possibilité spatiale.
Quand la proximité s’inscrit dans l’espace euclidien, elle est alors vivabilité, minimisation des distances parcourues, instrument d’un avenir plus vertueux, reposant sur la densité et la mixité plutôt que l’étalement et la mobilité motorisée. Elle est tout autant restriction du champ des possibles, son affranchissement, par le progrès technique et par la motilité, étant perçu – il n’y a pas si longtemps – comme la possibilité libératrice d’envisager de nouveaux horizons pérennes (la périurbanisation grâce à l’automobile) ou fugaces (l’internationalisation du tourisme grâce à l’avion). C’est la possibilité d’étendre notre capital spatial et notre Habiter, et ce en redéfinissant nos propres proximités.
La proximité s’inscrit donc aussi dans l’espace social. Elle est alors interaction, échange, coprésence, coopération, symbiose, mixité, transfrontalier, transterritorialité. Mais elle peut être promiscuité, enfermement, friction, conflit d’usage, connivence, aparté, entre-soi et donc rapprochement par mise à distance de l’altérité. Le binôme proximité-social n’est pas avare de contradictions, d’ambiguïtés, qui le rendent malléable et complexe.
La proximité s’inscrit par ailleurs dans le temps. Elle est alors temps d’accès, célérité, fréquence, immédiateté, simultanéité, ubiquité, réplique, distance-temps, etc. Cette distance-temps qui permet la mise en concurrence de lieux proches selon des métriques différentes. D’ailleurs, le temps est alors spatialisable, en aires de chalandise, en aires domicile-travail, etc.
La proximité est réticulaire. D’aucuns la qualifie d’organisationnelle, d’autres de virtuelles ou numériques. Le village planétaire dans la mondialisation, c’est l’utopie de la suppression de la distance, permise par le changement de métrique.
La proximité est argument. Argument de l’agent immobilier qui préfère parfois la souplesse du ressenti quand il parle surface, et use et abuse de la bienveillance de la proximité pour valoriser un bien. Argument du commerçant, qui tente de traduire en sociabilité la résultante d’un maillage fin du territoire et d’une offre souvent plus réduite et plus chère.
La proximité est relative. Proxima du Centaure est la plus proche des étoiles, comme son nom l’indique, mais demeure inaccessible. Cette relativité est redéfinie à mesure que l’élasticité de nos métriques et usages évoluent : New York est plus loin de Paris depuis que les vols supersoniques ont cessé, et simultanément plus proche depuis que les câbles optiques traversent l’Atlantique ou que NYSE Euronext rassemblait leurs places boursières, alors que géologiquement 4 cm de plus éloignent les deux villes chaque année.
La proximité est probabilité. L’occurrence, la sérendipité, la possibilité d’interactions est plus grande si elle s’inscrit dans la coprésence et la cospatialité (Levy, 2013). Il est bon de se rappeler que fixer des règles à la proximité, n’épuise pas la part de l’aléatoire, et que même dans le hasard, la probabilité impose ses cadres. De fait, proximité et probabilité, signifient tout à la fois potentiel d’interactions ou encore probabilité d’exposition à l’aléa ou au risque.
Et de fait la proximité est choix. Le choix, volontaire ou non de mobiliser tel ou tel type de proximité précédemment mentionné, dans nos quotidiennetés ou dans le champ de la recherche. Il relève de la proxémie. La proxémie, ce besoin impérieux, de faire du tri conscient et inconscient dans nos usages de l’espace, nous amène à hiérarchiser, de façon mouvante et incessante, le rapport à nos proximités.
C’est ce travail d’introspection sur nos proximités auquel s’attellent les auteurs de ce numéro inaugural. En nous présentant, sur un format court, comment ils s’approprient la/les proximité(s) dans leur discipline, dans leur champ de recherche, les auteurs nous font le plaisir de participer à cette mise en valeur de la polysémie de la proximité. A l’image de notre revue, cette mise en bouche sera l’occasion, je l’espère, d’appréhender un peu mieux la place qu’occupe la/les proximité(s) dans notre quotidien de chercheurs.
De fait, non, GéoProximitéS n’a pas vocation à théoriser la proximité, ou pas que. Elle a vocation à faire avec elle. Elle prend juste acte du fait que les proximités, dans toute leur(s) diversité(s) sont au cœur de notre quotidien.
Il ne s’agit pas d’en faire l’éloge, il s’agit simplement de conscientiser leur omniprésence pour mieux en appréhender les conséquences spatiales. Puisse GéoProximitéS contribuer, humblement mais durablement, à une clairvoyance des chercheurs en sciences sociales, géographes ou non, sur la dimension spatiale des proximités qu’ils mobilisent.
Références bibliographiques
Bouba-Olga O., Coris M. et Carrincazeaux C. (dir.), 2008., numéro spécial « La proximité, 15 ans déjà ! » de la Revue d’Economie Régionale & Urbaine, n°2008/3.
Drevon G., Gwiazdzinski L., Klein O., 2017, Chronotopies: lecture et écriture des mondes en mouvement, Grenoble, Elya éditions (L’innovation autrement).
Kaufmann V., 2008, Les paradoxes de la mobilité. Bouger, s’enraciner, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.
Lebrun N., 2022, « Proximité », glossaire, Géoconfluences, en ligne, octobre.
Lebrun N., 2023, Réinterroger la centralité marchande. Pôles, territoires, discontinuités et réseaux au service de la centralité, mémoire d’HDR de Géographie, Université Paris 8.
Lévy J., 1999, Le tournant géographique : penser l’espace pour lire le monde, Paris, Belin, Mappemonde, 399 p.
Lévy J., 2013, Urbanité(s), Film-Documentaire, Choros.
Moreno C., 2020, Droit de cité : de la ville-monde à la ville du quart d’heure, Paris, les Éditions de l’Observatoire.
Torre A., 2009, « Retour sur la notion de Proximité Géographique », Géographie, économie, société, 11, 1, p. 63-75.
Torre A. et Talbot D. (dir.), 2018, numéro spécial « 25 ans de Proximité » de la Revue d’Economie Régionale & Urbaine, n°2018/5-6.
[1] Sylvie Coupleux est maîtresse de conférences en géographie à l’Université d’Artois, laboratoire Discontinuités
[2] Sylvie Delmer est maîtresse de conférences en géographie à l’Université de Lille, laboratoire TVES
[3] Corinne Luxembourg est professeure des universités en géographie et aménagement à l’Université Sorbonne Paris Nord, laboratoire Pléiade
Pour citer cet article :
LEBRUN Nicolas, « Pour une conscience de proximité(s) », 0 | 2023 – Ma proximité, GéoProximitéS
URL : https://geoproximites.fr/2023/09/09/pour-une-conscience-de-proximites/