Flora Lecomte
〉Doctorante en géographie
〉Université Sorbonne Nouvelle 〉UMR 7227 IHEAL CREDA 〉
〉Article court
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Quand, en Catalogne, nous allons aux « courioulettes », les Audois vont aux « candelettes » ; pourtant, le Guide vert des champignons de France (Chaumeton et al., 2006, p. 213) nous indique que nous ramassons des « marasmes des oréades » (lat. : marasmius oreades). S’il est un aliment révélateur de l’appropriation du territoire, le champignon arrive en tête. En effet, il structure, entretient et révèle les pratiques de proximité que les habitant-es entretiennent avec leur territoire. Si la mention du champignon évoque immédiatement la promenade automnale en forêt ou les dictées ardues qui harassent l’élève Ducobu, il est une ressource précieuse non seulement pour l’économie, mais aussi pour l’appropriation des territoires par leurs habitant-es et donc l’intensification de la proximité, physique et affective. Le mot « champignon » venant du latin populaire campaniolus, qui signifie, « qui vit dans les champs », le champignon est d’abord lié à la campagne, dans les imaginaires. Cependant, le déclencheur de ma réflexion autour du champignon et de la proximité est l’ouverture d’une ferme urbaine souterraine de champignon à deux pas de chez moi, dans le 18ème arrondissement de Paris. Il semblerait alors que le champignon soit à la fois un levier et révélateur d’appropriation du territoire et de proximité, non seulement à la campagne mais aussi en ville.
Cèpes, girolles, morilles, trompettes de la mort, courioulettes, mousserons, coulemelles, truffes… Les champignons à la campagne sont nombreux et ne sont pas cultivables. Ils représentent la « nature », ce qui n’est pas tombé sous le contrôle de l’humain. Ils impliquent alors un parcours plus ou moins certain de l’espace. Le-a ramasseur-euse de champignons sait qu’iel va en trouver « par-là », mais d’une année sur l’autre, le coin ne se retrouve pas exactement au même endroit. Cela implique non seulement une souplesse quant à sa pratique spatiale – il faut savoir accepter le fait qu’on ne peut pas toujours maîtriser ce qu’on espère trouver à un endroit précis – mais aussi un élargissement de l’appropriation du territoire : ne trouvant pas les champignons à l’endroit où l’on pensait, on procède à une extension de la pratique du territoire. Des espaces qui n’étaient pas fréquentés car considérés comme dépourvus d’utilité deviennent alors objet d’intérêt et d’appropriation dans l’espoir d’y découvrir un nouveau coin. La proximité avec le territoire s’intensifie alors.
Cependant, cette extension ne se fait pas au hasard. On observe une fine connaissance du ou de la ramasseuse de champignons qui procède selon les caractéristiques physiques et botaniques du milieu. On va rester dans les milieux humides et marécageux pour les morilles, sous les épicéas pour les cèpes, sous les rhododendrons pour les girolles. La recherche des champignons révèle alors une connaissance précise et en lien avec l’activité des ramasseur-euses, connaissance géographique souvent transmise par la famille ou les proches.
De fait, la recherche des champignons et des nouveaux coins permet aussi d’appréhender les relations sociales à plusieurs échelles, entre les habitant-es d’un même village ou d’une même région, c’est-à-dire partageant une même proximité. Certains coins à champignons sont collectivement identifiés comme tels ; ainsi, pour espérer y trouver quelque chose à se mettre sous la dent, il faut se lever littéralement de bonne heure. Aussi, les parkings aux lisières des forêts envahis de voitures dès l’aube renseignent sur la sortie des premiers champignons. Parmi les lève-tôt, souvent organisés, on assiste à des « razzias » des forêts pour ramasser tous les champignons qui ont pu pousser pendant la nuit. Cela crée et alimente l’animosité entre plusieurs groupes sociaux qui convoitent les mêmes espaces. Par exemple, dans les Pyrénées, les « Espagnol-es » sont accusé-es de voler ceux des « Français-es ». Le champignon devient alors un support supplémentaire révélateur des inimitiés entre voisin-es et donc, des personnes qui partagent ou pas une relation de proximité, une même communauté.
En effet, à l’échelle du village ou du territoire, la connaissance des coins à champignons traduit l’inclusion dans la communauté. Quand un-e nouvel-le habitant-e arrive, iel tâtonne, ne trouve pas grand-chose, admire ses voisin-es qui font sécher leur récolte sur le pas de leur porte ; soupçonne celles et ceux qui rentrent de promenade, le sac à dos bien fermé, sans savoir si la cueillette a été bonne ou non. Cependant, au fur et à mesure que la confiance s’installe, le mystère se lève. Le partage des lieux gardés secrets s’ouvrent à celles et ceux qui ont réussi à s’intégrer dans la communauté. L’intégration sociale se révèle alors être une intégration spatiale. Celle-ci se fait progressivement et s’accompagne de l’apprentissage botanique et physique que j’évoquais plus haut et une appropriation territoriale par un marquage informel dans les toponymes : le « Pont aux morilles », ou « le versant où on trouve des girolles »[1].
Si le champignon est, comme on l’a vu, un objet géographique structurant et révélateur des pratiques spatiales de proximité dans l’espace rural, il peut également l’être dans l’espace urbain, même si cela paraît moins évident.
L’histoire du champignon de Paris (Larrère, 2004, p. 87) est le cas exemplaire de la capacité de l’homme à faire du champignon un élément structurant de son territoire. Apprivoisé par le jardinier et agronome royal Jean de la Quintinie au XVIIème siècle, le « rosé des près » a par la suite été cultivé dans des galeries souterraines du Sud parisien jusqu’à ce que la production soit délocalisée en Val de Loire lors des débuts de la construction du métro. Pourtant, si la majorité de la production française de champignons de Paris est produite aujourd’hui à Saumur et ses alentours, la région n’a pas le monopole. Les champignons recommencent à se cultiver de nouveau à Paris et en région parisienne. Je voudrais m’arrêter quelques instants sur une initiative encore marginale mais qui pourrait se développer dans un futur proche et recréer des pratiques de proximité dans l’espace urbain.
En effet, on voit fleurir de plus en plus de fermes urbaines souterraines qui cultivent des champignons. On peut citer par exemple La Caverne, une ferme installée dans un ancien parking sous-terrain désaffecté du 18ème arrondissement de Paris, dans le quartier de La Chapelle. C’est une entreprise qui a ouvert en 2017 et compte aujourd’hui environ un million d’euros de chiffre d’affaires annuel et embauche 5 salarié-es à plein temps ainsi qu’une vingtaine de saisonnier-es par an[2].
Ses objectifs sont multiples, à la fois écologiques et sociaux. D’une part, La Caverne propose une culture bio et locale de champignons de Paris, pleurotes, shi-takés, endives, cresson et micro-pousses, c’est-à-dire des végétaux qui s’adaptent à la culture souterraine et à la lumière artificielle ; d’autre part, elle insiste sur une insertion professionnelle des habitant-es du quartier, et particulièrement celles et ceux des logements sociaux qui se trouvent à proximité. Aussi, La Caverne entend combiner ses deux objectifs en facilitant l’accès aux produits bios pour toutes et tous et propose ainsi, une fois par semaine, ses produits à la vente en bas des immeubles de porte de la chapelle. On voit alors que la culture des champignons a pour objectif de redessiner le quartier, en créant de nouveaux espaces qui se veulent plus inclusifs et partagés, ainsi que d’avoir un effet positif sur la consommation alimentaire des habitant-es en réintroduisant des produits locaux de proximité.
En effet, l’entreprise a à cœur de sensibiliser ses client-es aux trajets d’importation des champignons en vente dans les supermarchés, importés en France de Hollande ou de Pologne principalement. Cependant, le marché du champignon est dominé par la Chine qui produit 65 % (Navarro Rodríguez, 2014, p.15) des champignons cultivés mondialement. Même si l’initiative est encore marginale, il est intéressant d’étudier les modifications territoriales qu’elle provoque, non seulement sur terre mais aussi sous terre.
La question des cultures souterraines ouvre un champ large pour le futur dans l’occupation des espaces urbains et la manière de repenser la production alimentaire en ville. De plus, la caverne questionne la question des mobilités en ville. Symboliquement, c’est un postulat fort de remplacer un parking, donc un espace consacré à la voiture, mode de transport largement remis en question actuellement pour des raisons écologiques, par une ferme bio. En ce qui concerne la livraison de leurs produits, la Caverne n’utilise que des vélos triporteurs pour les livraisons en Paris et banlieue proche ainsi qu’une voiture électrique pour les livraisons plus lointaines. Cependant, la majorité de la production est écoulée dans les épiceries bio de la capitale ou vendue à des restaurateur-ices.
Ces initiatives s’inscrivent également dans une perspective d’inclusion sociale et l’inscription dans une démarche d’économie de proximité locale et circulaire. On peut également noter que le développement de ce type de projet se fait dans des quartiers en voie de requalification territoriale : porte de la Chapelle à Paris, ou encore Rosa Parks, dans le 19ème arrondissement, où deux autres fermes sont en projet. Ce sont des quartiers du nord de la ville, en voie de gentrification où le foncier est encore abordable et où il est possible de remplacer les parkings par des fermes urbaines car les habitant-es n’ont pas forcément toujours les moyens d’avoir une voiture personnelle. Des initiatives semblables sont en projet à Bordeaux, Lyon et Marseille ; à surveiller de près !
Références bibliographiques
Chaumeton, Hervé, Jean Guillot, Jean-Louis Lamaison, Michèle Champciaux, et Patrice Leraut. Les Champignons De France. Solar. Le guide vert, 2006.
Larrère, Raphaël. « Les champignons sauvages ». Communications 76, no 1 (2004): 83‑107. https://doi.org/10.3406/comm.2004.2160.
Navarro Rodriguez, Ana María del Pilar. « Adaptation des températures élevées du champignon de Paris Agaricus bisporus ». Thèse de doctorat en biologie végétale, Université de Bordeaux, 2014.
[1] Exemples de dénominations utilisées par ma famille et des ami-es pour se repérer sur le territoire de notre commune dont je ne peux pas mentionner le nom ici pour des raisons de secret de ramassage.
[2] La Caverne, ferme urbaine. La seule ferme bio de Paris. https://lacaverne.co/
Pour citer l’article :
LECOMTE Flora, «Dis-moi comment tu nommes tes champignons, je te dirai d’où tu viens : comment le champignon nourrit l’appropriation territoriale par la proximité », 0 | 2023 – Ma proximité, GéoProximitéS, 2023/0 URL : https://geoproximites.fr/2023/09/09/dis-moi-comment-tu-nommes-tes-champignons-je-te-dirai-dou-tu-viens-comment-le-champignon-nourrit-lappropriation-territoriale-par-la-proximite/