When the defense of transport integrates representations of proximity. The case of the Occitanie region (France)
Guillaume Carrouet
〉Maître de conférences en géographie
〉UMR 5281 ART-Dev
〉Université de Perpignan Via Domitia
〉guillaume.carrouet@univ-perp.fr 〉
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Mots-clés : proximité, instrumentalisation, transport ferroviaire, desserte
Abstract: This article aims to show the use of proximity and its instrumentalization in the case of campaigns mobilizing for the defense of railway services. The Occitanie region is a peripheral territory compared to the Paris region. The accessibility of the region can be improved through various transport projects, including the TGV and the conventional rail network. In the first case, the LGV (Toulouse-Bordeaux and Perpignan-Montpellier) projects aim to reduce travel times between the Occitanie region and Paris. Authorities instrumentalize the concept of proximity to make it a favorable argument for the attractiveness of the territories. In a second, different case, proximity is instrumentalized in another relation to time and space. The night train connecting the region and Paris is also seen as a way to bring the territories closer, although travel times are very long. The central idea of the advocacy groups for these services is to overcome distance. They emphasize the fact that individuals travel at night. Sleep, in this case, would reduce the distance between two places. In the case of Occitanie region, proximity is thus artificially instrumentalized. It is the relationship to space and time that is highlighted in the case of transport between a peripheral region and the capital.
Keywords: proximity, intrumentalization, rail transport, service
A partir du cas de la région Occitanie, le présent article met en évidence la mobilisation de la proximité dans l’argumentaire pour la défense de projets de transport. Si les infrastructures de transport sont un vecteur de transformations du rapport à l’espace et de développement de relations entre acteurs (Torre, 2009), la proximité qui en découle est aussi instrumentalisée par les catégories d’acteurs qui défendent le maintien de la desserte et de futurs projets.
Frontalière de l’Espagne, la région Occitanie est apparentée à juste titre comme une périphérie du territoire français, centralisé par la capitale, et dont la connexion par de grands équipements de transport est un enjeu pour de nombreux territoires. S’il n’est pas question d’analyser ici les objectifs de raccordement à la région parisienne, le réseau étoilé dessiné par les infrastructures de transport (autoroute et LGV) s’est largement imposé au détriment des liaisons transversales si peu nombreuses à l’heure actuelle, en particulier dans le cas du réseau ferré.
D’un point de vue pragmatique, la distance qui sépare l’Occitanie de la capitale, à la lecture des conceptions géographiques les plus courantes de la proximité, ne peut être favorable au développement de celle-ci (Di Méo, 2023 ; Lebrun, 2022 ; Ramadier, 2023). La distance euclidienne parle d’elle-même puisqu’il faut plus de 900 km en train pour relier Perpignan, agglomération de taille moyenne la plus au sud de la région, et Paris. Si l’on regarde de plus près la distance-temps, une autre dimension possible rattachée à la proximité, le constat est plus favorable puisque les infrastructures rapides favorisent de façon certaine le rapprochement des lieux. Autrement dit, « deux lieux éloignés mais bien connectés ne sont-ils pas plus « proches » que deux lieux contigus mais mal reliés et ne dit-on pas que le TGV « rapproche » les villes qu’il dessert ? » (Bavoux, Chapelon, 2016). Dans le cas présent, il faut en effet un peu moins de 5 heures pour relier les villes précédemment citées par TGV direct.
Globalement, les infrastructures utilisées pour la mobilité physique des individus et l’ubiquité engendrée par les TIC, viennent complexifier le concept de proximité géographique (Shearmur, 2023). Et, au-delà de l’éloignement (distance euclidienne ou distance-temps), la proximité géographique recherchée, temporaire ou non (Torre, 2009), peut être utilisée comme argument de défense de la desserte ou de projet de transport, au risque parfois d’être instrumentalisée. C’est ici la rhétorique bien identifiée des transports et de l’accessibilité qui est présente, et la mobilisation de la proximité peut se justifier par le fait que « au fond tout n’est que situation d’échelle et de représentation, chacun place les limites spatiales selon ses propres appréciations » (Lageiste, 2023). Pour aller plus loin dans le raisonnement, le tourisme s’inscrit pleinement dans cette logique puisque le voyage pour rallier origine et destination est une composante de la pratique touristique (Stock, 2005).
Dans le cas de la région Occitanie, deux principaux exemples (projets de lignes à grande vitesse et de lignes de train de nuit) mettent en évidence l’appropriation de la notion de proximité, au risque de son artificialisation, à des fins d’argumentation de soutien à la mise en relation des lieux. Dans le premier cas, l’exécutif régional mobilise tout un argumentaire pour la défense de deux projets avec pour vocation principale le raccordement ferroviaire à grande vitesse de l’Occitanie à la région parisienne. Le premier projet vise à prolonger la LGV Paris-Bordeaux jusqu’à Toulouse d’une part, et Dax d’autre part, avec une mise en service prévue à l’horizon 2031-3032. Le second, aux délais encore incertains, a pour fonction de relier Montpellier à Perpignan par un nouveau tracé de LGV, et mettra cette dernière ville à près de 4h de Paris. Dans ces deux cas, au-delà de la persistance du discours performatif sur les effets d’attractivité renouvelée des territoires grâce à la nouvelle infrastructure et des bénéfices en termes de désenclavement (Carrouet, 2018), les arguments énoncés sur le site de la région Occitanie soulignent de façon sous-jacente l’importance donnée à la notion de proximité engendrée par la future offre de transport. En créant de la proximité par le raccourcissement des distance-temps, la collectivité, qui au passage en sera le principal financeur, instrumentalise, voire artificialise cette notion pour convaincre. Dans quelques documents de communication, l’on peut lire : « Toulouse-Paris en 3h10, Montpellier-Barcelone en 2h20, ça change tout ! – Occitanie/Pyrénées-Méditerranée doit se rapprocher de Paris (et inversement) »[1]. En définitive, à grands traits, le lien mécanique de causalité est clairement posé dans le cas de ces deux grands projets de transport à grande vitesse ferroviaire, faisant de la proximité un facteur de développement territorial par le rapprochement des villes à Paris.
L’autre cas d’étude, le train de nuit, sera davantage développé au motif que les représentations de la notion de proximité par une catégorie particulière d’acteurs engagés dans la défense d’une desserte ferroviaire, soulignent également sont instrumentalisation mais dans un rapport au temps et à l’espace bien différent en comparaison des projets de grande vitesse ferroviaire. Au regard de ses configurations, le train de nuit, quelle qu’en soit sa forme (siège incliné, couchette ou compartiment) s’inscrit à plusieurs points de vue en contraste justement des lignes à grande vitesse présentées précédemment. Il inscrit de fait les usagers dans un rapport au temps – dirait-on à la distance-temps – différent d’un voyage journalier. En circulant sur le réseau ferré classique, avec des vitesses nettement inférieures à celles pratiquées sur LGV, il ne favoriserait pas a priori le rapprochement des lieux tant du point de vue euclidien que temporel. Par exemple, un trajet direct en train entre Perpignan et Paris, certes plus lent qu’à l’habitude en raison de travaux sur l’itinéraire passant par Toulouse et le centre de la France, peut se faire en 11h avec une arrivée au petit matin à Paris (6h44)[2]. Pourtant, dans leur argumentaire de défense de ce service ferroviaire, le collectif de citoyens « Oui au train de nuit », la principale association de défense du train de nuit en France, place la proximité comme un argument en faveur de son redéploiement. En effet, quasiment à l’arrêt fin 2017, en raison de la concordance d’une diversité de facteurs tant politiques qu’économiques (Carrouet & Mimeur, 2023), à l’image d’autres pays en Europe, dont l’Autriche, le train de nuit a vu son nombre de dessertes s’étoffer en France grâce à la réouverture de quelques lignes (Paris-Nice, Paris-Hendaye, Paris-Aurillac), qui tient à un changement d’orientation politique et d’aspirations écologiques plus fortes par rapport à la période précédente. Alors que l’on aurait pu s’attendre à l’inefficace mobilisation de la proximité, le collectif « Oui au train de nuit », reprenant à son compte les principes mêmes de ce mode de transport, en a fait un argument performatif au profit de sa défense. Ainsi, dans plusieurs interventions médiatiques, les porte-paroles indiquent « Les trains de nuit permettent un gain de temps (on a coutume de dire qu’un voyage en train de nuit équivaut à un trajet d’1h00, 30 min pour s’endormir et 30 min pour se réveiller) et d’argent (coût exorbitant d’une nuit d’hôtel à Paris) et contribuent à l’aménagement du territoire »[3], ou encore, sur leur page Facebook : « Développons les trains de nuit, outil moderne qui met tous les territoires de France à 1h de train »[4]. Dans le cas de ce service atypique, la distance-temps pourtant contraignante en apparence, est présentée comme un facteur favorable au développement de la proximité, en raison de la caractéristique essentielle de ce mode : le sommeil du voyageur dans le cadre d’un transport de nuit. De plus, pour des trajets de moyenne et longue distance, les trains Intercités de nuit et de jour entrent en opposition pour le critère de la proximité. Dans le cas des liaisons nocturnes, la perception du temps permet au voyageur de s’affranchir de la distance réelle par le fait de pouvoir se reposer et dormir. A l’inverse, un trajet de jour peut exacerber voire amplifier la notion d’éloignement par le fait même que le transport soit perçu comme plus long (en distance et en temps), et donc associé à une perte éventuelle de temps.
L’exemple de la région Occitanie, en situation périphérique par rapport à Paris, de fait se mobilise à différentes occasions pour la défense de la desserte ferroviaire. L’intérêt de cet article est de montrer que, au-delà des seuls critères classiques qui appréhendent la proximité, les représentations de cette notion par différentes catégories d’acteurs (collectivité, collectif de citoyen), dans des contexte différents (défense de projet de LGV, soutien à la desserte en train de nuit), montrent qu’elle peut être instrumentalisée, parfois artificialisée. Dans ces cas de figure, la proximité, entendue comme une valeur positive pour les voyageurs et territoires s’apparente davantage à un construit dont le fondement principal serait le rapport espace-temps où dans certains cas, c’est la vitesse qui prime pour relier deux villes, et dans l’autre, l’expérience des voyageurs et le rapport au temps, ou dirait-on à la relative lenteur. Le cas du transport pourrait donc s’inscrire, à la faveur de certaines formes de mobilités, comme celles des touristes, comme un intermédiaire entre la proximité spatiale et la simultanéité virtuelle (Di Méo, 2023). Et plus globalement, l’exemple de l’Occitanie souligne finalement le rapport que chacun entretien, avec ses propres représentations, à la proximité.
Références bibliographiques :
Bavoux J.-J. & Chapelon L., 2014, « Proximité ». Dictionnaire d’analyse spatiale, Paris, Armand Colin, 608 p.
Carrouet G. & Mimeur C., 2023. « Le train de nuit, un miroir de l’évolution de l’intervention de l’État français dans le transport ferroviaire de 1980 à 2022 », Annales de géographie, 2023/3, n° 751, pp. 5-28.
Carrouet G., 2018. « Dégradation de la desserte ferroviaire interurbaine et périphérisation du département des Pyrénées-Orientales ». Les cahiers scientifiques du transport, n°74, pp. 3-28.
Di Méo G., 2023, « Espaces et temps de la proximité ». in Lebrun N. et al., Ma Proximité, GéoProximitéS, n°0-2023, https://geoproximites.fr/ark:/84480/2023/09/09/espace-et-temps-de-la-proximite/
Lageiste J., 2023. « Voyager ou faire l’expérience conjointe de la proximité et du lointain ». in Lebrun N. et al., Ma Proximité, GéoProximitéS, n°0-2023, https://geoproximites.fr/ark:/84480/2023/09/10/voyager-ou-faire-lexperience-conjointe-de-la-proximite-et-du-lointain/
Lebrun Nicolas, « Proximité », glossaire de Géoconfluences, 2022, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/proximite
Ramadier T., 2023. « La multi-dimensionnalité de la proximité géographique ». in Lebrun N. et al., Ma Proximité, GéoProximitéS, n°0-2023, https://geoproximites.fr/ark:/84480/2023/09/10/la-multi-dimensionnalite-de-la-proximite-geographique/
Shearmur R, 2023. « Localisation et proximité géographiques : comment les mesurer dans un univers de mobilité ? » in Lebrun N. et al., Ma Proximité, GéoProximitéS, n°0-2023, https://geoproximites.fr/ark:/84480/2023/09/10/localisation-et-proximite-geographiques-comment-les-mesurer-dans-un-univers-de-mobilite/
Stock Mathis., 2005, « Les sociétés à individus mobiles : vers un nouveau mode d’habiter », Espaces Temps.net.https://www.espacestemps.net/articles/societes-individus-mobiles/
Torre André, 2009. « Retour sur la notion de Proximité Géographique », Géographie, économie, société, 2009/1 (Vol. 11), p. 63-75. URL : https://www.cairn.info/revue-geographie-economie-societe-2009-1-page-63.htm
[1] https://www.laregion.fr/LGV-Occitanie-Oui-sur-toutes-les-lignes
[2] Horaire consulté le 5 avril 2024.
[3] https://www.enbata.info/articles/oui-au-train-de-nuit/
[4] https://fr-fr.facebook.com/ouiautraindenuit/
Pour citer cet article :
CARROUET Guillaume, « Quand la défense du transport intègre les représentations de la proximité. Le cas de la région Occitanie», 4 | 2024 – Représentations de la proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ark:/84480/2024/12/23/rp-ac15/