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Quand j’ai commencé à travailler sur la proximité dans le libre-service alimentaire en France, en 2012, l’un de mes interlocuteurs m’avait répondu que la proximité resterait toujours marginale dans le commerce alimentaire arguant que le nombre de personnes susceptibles d’être intéressées par ce type de format était limité (jeunes et personnes âgées vivant en centre-ville) mais c’était sans compter sur l’évolution du rapport au temps des consommateurs. En effet, avec l’usage des Technologies de l’Information et de la Communication et particulièrement celui du smartphone devenu désormais indispensable, les consommateurs se sont habitués à une réponse immédiate à leurs besoins. Le libre-service alimentaire de proximité peut répondre à ce souhait d’immédiateté : accès à pied au magasin, choix rapide car limité en raison de la taille du magasin, peu d’attente en caisse, ce qui a permis d’étendre la cible de clientèle de ces magasins aux actifs vivant en milieu urbain.
En 2020, ce format de distribution a particulièrement bénéficié de l’effet COVID au même titre que le drive[1] mais aujourd’hui un certain nombre de défis se présentent à lui parmi lesquels j’identifie notamment l’inflation et la concurrence des drives piétons et de la livraison à domicile.
En ce qui concerne l’inflation, les commerces alimentaires de proximité sont généralement un peu plus chers que les autres formats, de type supermarchés ou hypermarchés. Ils peuvent donc en effet, pâtir de l’augmentation générale des prix. Cependant le différentiel de prix reste le même puisque les prix augmentent aussi dans les autres formats. Par ailleurs, la clientèle de ces magasins, notamment la clientèle aisée des centres-villes des grandes métropoles, est vraisemblablement moins sensible aux prix qu’au service rendu. De nouveaux concepts développés ces dernières années au centre-ville se positionnent d’ailleurs plus sur le service que sur le prix comme Monoprix avec des magasins très qualitatifs comme le[2] Monop’ de la rue Saint Maur à Paris, développé en collaboration avec des start-up de la foodtech afin de proposer des offres de spécialistes (rayon vins, cocktails, pâte à tartiner, macarons, …), du vrac et des solutions de restauration diversifiées allant du prêt-à-déguster au kit repas prêt à cuisiner ou Franprix avec son concept Mandarine qui se positionne sur les services et le snacking[3].
Un autre défi concurrentiel pour les commerces alimentaires de proximité est le développement du drive-piétons qui permet à certaines enseignes de la grande distribution alimentaire, initialement peu présentes dans les centres villes (Leclerc, Auchan, Intermarché par exemple) de capter une clientèle urbaine et ce, avec des prix identiques à ceux de la périphérie.
Le drive-piétons nécessite cependant une certaine organisation de la part du consommateur : faire sa commande sur internet, aller chercher ses achats dans un créneau horaire et avoir un décalage dans le temps entre la commande et la mise à disposition des produits qui peut être de plusieurs heures voire parfois d’une journée. Le drive-piétons ne répond donc pas au besoin d’immédiateté du consommateur mais peut se révéler utile pour se décharger des courses corvée, notamment les courses « de fond de placard » qui reviennent régulièrement et ce, à des prix très compétitifs.
La montée en puissance de la livraison à domicile dans l’alimentaire s’avère également fortement concurrentielle car elle revêt désormais différentes formes, entre les livraisons proposées par les grandes enseignes de distribution, les spécialistes de la livraison, appelés aussi agrégateurs, de type Uber Eats ou Deliveroo ou encore le quick commerce qui dispose de ses propres entrepôts appelés dark stores (Getir, Flinck, …), le service est omniprésent. Les délais de livraison tendent à se réduire, ce qui nécessite une logistique pointue mais répond au souhait d’immédiateté des consommateurs. La livraison à domicile et particulièrement le quick commerce permettent aux consommateurs, non seulement de gagner du temps sur le trajet et la réalisation de leurs achats (proximité d’accès et proximité fonctionnelle) mais aussi de pouvoir répondre quasi instantanément à un besoin ou un souhait sans avoir à se déplacer (Gahinet et Deparis, 2022). Une étude récente de la fondation Jean Jaurès montre que depuis le COVID 19, on assiste à une « épidémie de flemme » de sortir de chez soi, accompagnée et prise en charge par le marché, notamment par les plateformes proposant la livraison à domicile[4]. La flemme et le souhait d’immédiateté peuvent effectivement expliquer le développement actuel de la livraison à domicile.
Sous la pression des élus des grandes villes et particulièrement ceux de Paris, le gouvernement a tranché et considère désormais que les dark stores sont des entrepôts et non des commerces, ce qui nécessite une autorisation lors d’un changement de destination lorsqu’ils s’installent dans un local commercial[5]. Sous couvert de limiter les nuisances liées au fonctionnement des dark stores (stationnement et va-et-vient des véhicules de livraison notamment), cette décision risque de freiner l’expansion des dark stores. Ce frein à l’expansion aura sans doute plus d’effet dans les grandes villes de province où le quick commerce n’est pas encore trop présent qu’à Paris où le maillage des dark stores est déjà relativement dense.
Avec le développement du drive, du drive-piétons et de la livraison à domicile, les courses alimentaires se font donc de plus en plus souvent de manière hybride, notamment en milieu urbain, avec un processus d’achat qui démarre en ligne et se finit, soit en point relais, soit par une livraison à domicile. La proximité d’accès au magasin semble de plus en plus souvent céder le pas à la proximité d’accès aux produits. La proximité physique évolue donc vers une proximité plus virtuelle dans laquelle l’application ou le site internet permettent de répondre à certaines attentes en termes de proximité, notamment en matière de proximité fonctionnelle et de proximité d’accès.
Chaque nouvelle forme de distribution répond ainsi à des besoins de proximité différents : la proximité fonctionnelle pour le drive à laquelle s’ajoute la proximité d’accès pour le drive-piétons, ce qui permet de gagner du temps. On se situe alors dans la dimension chronos du temps, c’est-à-dire une dimension quantitative. La livraison à domicile et notamment le quick commerce, offre également ces deux proximités mais s’y ajoute la dimension kaïros du temps, c’est-à-dire la possibilité de faire un achat sur le pouce et de disposer immédiatement du produit, soit une dimension plus qualitative (Gahinet, 2018). Le virtuel permet donc de gagner du temps mais aussi de rendre l’opération simultanée. En revanche, ce que ne permet pas encore le virtuel, c’est d’offrir une réelle proximité relationnelle. De même, la proximité de similitude y est limitée, à savoir le partage de valeurs, même si certains services de livraison mettent en avant des artisans et des produits bio comme la Belle Vie en région parisienne.
Face à cette concurrence, le libre-service alimentaire traditionnel doit se réinventer en proposant par exemple plus de produits bio, locaux et de qualité mais aussi des services (restauration sur place, conciergerie, …) afin de répondre aux attentes en termes de proximité relationnelle et de similitude mais aussi proposer de la livraison à domicile ou des points de retrait pour le click and collect pour ne pas être en reste sur la proximité d’accès et la proximité fonctionnelle. Le dernier concept Intermarché Relais développé sur Paris, propose ainsi à la fois la fonction de drive-piétons et celle de commerce de proximité avec des produits frais, du vrac et de la petite restauration[6], ce qui semble répondre aux multiples attentes actuelles des consommateurs urbains en matière de proximité.
Références bibliographiques : Gahinet M.-C. et Deparis M., 2022. « Le quick commerce est-il un commerce de proximité digital ? » 25ème colloque Etienne Thil, La Rochelle, 13-14 octobre. Gahinet M.-C., 2018. « Les dimensions de la proximité appliquées au commerce alimentaire », Revue d’Economie Régionale & Urbaine, n° spécial 25 ans de proximité, 5-6, p. 1367-1390 [1] Parigi Jérôme (02/02/2021), Hypers, supers, proxi, drive : les gagnants et les perdants face au Covid en 2020, LSA, consulté le 17/04/023) à l’adresse https://www.lsa-conso.fr/hypers-supers-proxi-drive-les-gagnants-et-les-perdants-face-au-covid-en-2020,371758 [2] Delvallée Julie (07/02/2020), Zoom sur les dernières innovations de Monop’, LSA, consulté le 05/04/2023 à l’adresse https://www.lsa-conso.fr/zoom-sur-les-dernieres-innovations-chez-monop,339256 [3] Cadoux Marie (09/03/2017), Avec Mandarine, Franprix est devenu un magasin où manger, LSA, consulté le 05/04/2023 à l’adresse https://www.lsa-conso.fr/avec-mandarine-franprix-est-devenu-un-magasin-ou-manger,255585 [4] Fourquet Jérôme et Peltier Jérémie (11/11/2022), Fondation Jean Jaurès, consulté le 5/04/2023 à l’adresse : https://www.jean-jaures.org/publication/grosse-fatigue-et-epidemie-de-flemme-quand-une-partie-des-francais-a-mis-les-pouces/ [5] Menguy Brigitte (24/03/2023) consulté le 5/04/2023 à l’adresse : https://www.lagazettedescommunes.com/859522/la-reglementation-sur-les-dark-stores-et-dark-kitchens-est-publiee/ [6] Leclerc M., « Intermarché Relais, l’enseigne qui mélange click and collect et proximité », LSA Conso, 17/09/2020, en ligne Pour citer cet article : GAHINET Marie-Christine, « L’évolution de la proximité dans le commerce alimentaire », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://quamoter.hypotheses.org/2201 Télécharger l’article en PDF