Juliette Benedetti
〉Doctorante en géographie
〉Université Côte d’Azur 〉UMR ESPACE 〉
Karine Emsellem
〉Maîtresse de conférences en géographie
〉Université Côte d’Azur 〉UMR ESPACE 〉
Stéphane Bouissou
〉Professeur des universités en géographie
〉Université Côte d’Azur
〉UMR ESPACE 〉
Article court 〉
Télécharger l'article. 0-2023 Benedetti et al.
Dans un contexte d’émergence d’intérêts nouveaux pour des questions de résilience et de durabilité alimentaires, le terme de « proximité » est un terme polysémique. Si certains critères de proximité sont bel et bien identifiés par les auteurs géographes, comment ces proximités s’inscrivent-elles réellement dans l’espace ? En pratique, quels points de vente alimentaires répondent à quelles formes de proximité ? A partir du cas niçois, cette contribution propose une analyse des pratiques de trois formes de proximité (spatiale, fonctionnelle et relationnelle) observées sur différents points de vente (marchés, magasins de détail, AMAPs…) commercialisant sous l’appellation « de proximité. »
- Un nouvel intérêt pour les proximités alimentaires
Les systèmes alimentaires, ou la manière dont les Hommes s’organisent pour produire et consommer leur nourriture, évoluent dans le temps. Fondés sur le gage d’une garantie des approvisionnements, ces systèmes alimentaires observent une dynamique de mondialisation au cours du XXème siècle. Or ce fonctionnement mondialisé n’est pas sans conséquence, tant sur le plan écologique que social ; et les crises sanitaires et politiques récentes en ont souligné la fragilité par la hausse des prix des denrées. Dans ce contexte, la question des proximités alimentaires émerge depuis une vingtaine d’années. Des initiatives de relocalisation alimentaire émergent portées, selon le cas, par des politiques publiques (dans une approche « top-down »), ou par des acteurs associatifs ou citoyens (« bottom-up »). En outre, les géographes abordent la question alimentaire à travers les termes de « local » ou « de proximité » parfois renouvelées par « éthique de la distance » (Loudiyi, et al., 2022). C’est donc intuitivement sous l’angle spatial qu’est souvent abordée la proximité : si certains labels tels que « Ecocert en Cuisine » retiennent un périmètre régional incluant les départements limitrophes pour l’alimentation « de proximité/locale », il n’apparaît pourtant aucun consensus sur le périmètre géographique de la proximité.
Entamé à la fin de l’année 2021, ce travail porte sur les dynamiques de relocalisation alimentaire. Si l’abondance de la littérature portant sur cette thématique ne fait aucun doute et que les outils méthodologiques visant l’anticipation des dynamiques spatiales sont nombreux, c’est le terme de « relocalisation » qui nous a valu des étonnements, étant bien incapable de répondre à la simple question de mon périmètre d’étude. Jusqu’« où » s’étend ce travail ? Qu’est-ce que la proximité alimentaire ? Les politiques publiques de relocalisation étant souvent déployées au sein de l’échelon administratif porteur, ce sont les initiatives « bottom-up » qui ont retenu notre attention. Comment se caractérisent les pratiques de la proximité par les acteurs, producteurs et commerçants, qui s’en saisissent
- Les circuits courts et de proximité : quelle ou quelles proximités ?
Les espaces commerciaux dans lesquels s’inscrivent les circuits alimentaires dits « de proximité » adoptent des formes très variables : vente à la ferme, sur les marchés, en AMAP, magasin de détail, ou encore via une plateforme en ligne. Ces approches de la proximité regroupent des stratégies de « relocalisation », basées sur la proximité spatiale entre production et consommation ; et celles de « réseau », qui s’appuient sur l’organisation entre producteurs et consommateurs (Guiomar, 2015). S’ils ne relèvent pas d’une unique définition, ces circuits sont caractérisés de manière récurrente dans la littérature par au moins trois critères de proximité :
- Le critère spatial, dont les distances topologiques varient selon le cas entre 10-25 km et jusqu’à 30-50 km (Mariolle & Brès, 2021), selon la typologie d’AMAP entre 18-60 km(Guiraud, 2019), se limitent à 100 km entre lieux de production et de consommation pour l’ADEME, voire atteignent 250 km pour « La Ruche qui dit oui ».
- Le critère fonctionnel, correspondant au nombre d’intermédiaires entre producteur et consommateur, est un critère reconnu par le ministère de l’Agriculture. Le nombre de 1 intermédiaire est usuellement fixé comme seuil, incluant les ventes directes et celles faisant intervenir un intermédiaire.
- Le critère relationnel, gage de qualité d’échange d’informations entre producteur et consommateur, correspond à un « renforcement des conditions de l’échange marchand : confiance, partage de valeurs et de connaissances » (Praly, 2014).
Dans la littérature, ce n’est donc pas une, mais bien des proximités qui caractérisent ces circuits alimentaires. Ainsi, à la question spatiale du « où ? », s’ajoute la multiplicité des critères de proximité susceptibles de caractériser ces circuits.
- Méthode : vers la constitution d’une base de données à partir du cas niçois
Auparavant très agricole, la commune de Nice observe un déclin rapide et important des espaces de production alentours, tout en conservant une grande diversité de formes de circuits. Avec une aire urbaine de près d’un million d’habitants, le bassin de consommation de Nice est typique d’un espace urbain où se concentre la demande alimentaire, faisant de Nice un cas de choix pour l’analyse des formes de circuits alimentaires de proximité. Les quelques travaux issus de la géographie quantitative caractérisant ces circuits mobilisent des données du recensement général agricole (RGA), qui s’intéresse exclusivement aux lieux de production. Pourtant, soulever la question de la proximité implique d’évaluer la nature des liens développés entre espaces de production et de consommation, par exemple en interrogeant l’inscription spatiale de cette proximité dans la même logique que le projet LOCAL (Mariolle & Brès, 2021). Ainsi, nous est peu à peu apparue la nécessité d’appuyer ce travail sur une base de données originale associant lieux de production, lieux de relais, et lieux de vente.
Ce travail a donc débuté par une enquête de terrain, menée au printemps 2022 auprès des points de vente répondant aux deux critères suivants : être circonscrits au bassin de consommation niçois, et déclarant commercialiser des produits alimentaires dits « de proximité ». Au total, 156 points de vente ont été enquêtés, dont 6 AMAPs, 78 exposants sur les marchés, 43 magasins de détail, 7 plateformes de vente en ligne et 18 magasins issus de chaînes biologiques. Les activités agricoles strictement localisées à Nice se faisant assez rares, seuls 4 points de vente à la ferme ont été identifiés et enquêtés. Sur la base d’une trame unique de questions, les entretiens auprès des commerçants ont permis de remonter les chaînes de distribution pour en identifier l’organisation. Au total, ce sont environ 690 lieux et acteurs « des proximités » qui ont été recensés dans notre base de données, caractérisant pour chaque circuit les proximités spatiales, fonctionnelles et relationnelles mobilisées. Ces données recueillies par le biais de méthodologies qualitatives ont, dans un second temps, été traitées à l’aide d’outils quantitatifs. Le recours à une méthode de clustering a permis d’identifier trois groupes distincts de circuits, mobilisant des combinaisons variables de proximités spatiales, fonctionnelle et relationnelle. Enfin, cette analyse quantitative alimente nos réflexions quant à la manière dont les différents types de points de vente s’emparent des notions de proximités : le choix du type de point de vente conditionne-t-il l’accès du consommateur aux produits de proximité ?
- Trois formes de circuits aux proximités variables
Le premier groupe de circuits se retrouve essentiellement sur les plateformes de vente en ligne, en chaîne de magasin, commerces de détail et dans une moindre mesure sur les marchés (Figure 1).
Les produits sont souvent transformés, et certaines étapes du circuit mal documentées. On retrouve par exemple de la crème de marrons au chocolat, dont seuls les marrons sont produits à proximité (Figure 2a), ou du chocolat dont seule la fabrication est locale (Figure 2b), tous deux vendus au sein d’une épicerie-relais dite « de produits locaux ». Dans le même registre, le vendeur d’une plateforme en ligne indique : « Suite à des vacances en Sicile, nous avons découvert le chocolat de Modica, le seul en Europe sous appellation IGP. » Nommé « étape de proximité », ce premier groupe se rapproche de la notion d’IGP (Indication Géographique Protégée) en cela qu’une seule des étapes du circuit (production, transformation, ou élaboration) revendique des proximités spatiale, fonctionnelle et relationnelle.
Le second groupe fonctionne essentiellement en chaîne de magasins, magasins de détail et sur les marchés (Figure 1), avec des produits représentatifs du patrimoine agricole régional de la PACA (maraîchage, huiles, produits de l’olive, vins), et pour cause : les distances parcourues sont bornées dans 98% des cas à ce périmètre régional. Malgré des distances et un nombre d’intermédiaires limités, les informations dispensées sur le produit sont de faible qualité. Comme le précise le vendeur d’une chaîne de magasins biologiques : « Notre magasin est une franchise. Nous sommes rarement en contact direct avec les producteurs locaux car c’est le siège qui décide. » Ce second groupe nommé « circuit de proximité » présente donc des proximités spatiales et fonctionnelles de bonne qualité pour l’ensemble des étapes du circuit, mais pêche en ce qui concerne la qualité d’information dispensée au consommateur sur le produit.
Le troisième groupe est présent sur tous les points de vente mais est essentiellement représenté à la ferme, en AMAP et sur les marchés (Figure 1). Le nombre d’intermédiaires est réduit, variant selon le cas entre 0 et 1, associé à une bonne qualité d’information sur la qualité et l’origine du produit. Les vendeurs, souvent eux-mêmes producteurs, sont enclins à renseigner le client : « Nous cultivons 9 hectares sur deux communes, la Roquette et Mandelieu » ; et évoquent parfois leur métier, notamment la concurrence des circuits longs. Dans la logique de l’AOP (Appellation d’Origine Protégée), l’ensemble du circuit est réalisé dans un périmètre géographique réduit. À Nice, c’est un périmètre régional qui est désigné dans 99% des cas sous la terminologie de « proximité spatiale. » Seul ce troisième groupe peut être qualifié de « circuit court et de proximité », cumulant proximités spatiales, fonctionnelles et relationnelles pour l’ensemble des étapes du circuit.
Conclusion : à chaque type de point de vente ses proximités
À partir d’un matériel original, cette analyse corrobore l’idée déjà mise en avant dans la littérature d’une polysémie de « la proximité », soulignant la nécessité de circonscrire sémantiquement le vocabulaire des proximités. Pour le consommateur en aval du circuit, ce terme reflète des réalités variables en termes de réduction des distances parcourues, du nombre d’intermédiaires, mais également en termes de qualité d’information disponible sur le produit. De plus, ce travail met en évidence que tous les types de points de vente ne mobilisent pas ces proximités de la même manière.
Les ventes à la ferme et en AMAP sont presque systématiquement garantes d’une limitation des distances parcourues (dans le cas niçois à un périmètre régional), d’une réduction du nombre d’intermédiaires et d’une bonne qualité d’information sur le produit. En revanche, les plateformes de vente en ligne ne présentent généralement des proximités spatiale, fonctionnelle et relationnelle que pour une étape de leur circuit. Enfin, marchés, magasins de détails et chaînes de magasins mobilisent des proximités hybrides, qui impliquent généralement une réduction des distances et des intermédiaires, mais une qualité d’information souvent peu satisfaisante. Ainsi, tous les espaces commerciaux ne présentent pas les mêmes garanties de proximité pour les consommateurs. Ce travail constitue alors dans la perspective de recherches ultérieures, un point de départ pour l’analyse des rapports évolutifs des proximités entre espaces de production et de consommation, à la lumière des stratégies de relocalisation aujourd’hui mises en place.
Références bibliographiques :
Guiomar, X., 2015. Reterritorialisation et relocalisation, https://hal.inrae.fr/hal-02801865
Guiraud, N., 2019. « Le retour des ceintures maraîchères ? Une étude de la proximité géographique des AMAP en Bouches-du-Rhône (2006-2015) ». Géocarrefour.
Loudiyi, S., Margetic, C. & Dumat, C., 2022. « Pour des transitions alimentaires ancrées dans les territoires : nouvelles questions et perspectives de recherches » . Géocarrefour, 96(3).
Mariolle, B. & Brès, A., 2021. LOCAL : Le local au prisme de la transition écologique, s.l.: PUCA.
Praly, C., 2014. « Les circuits de proximité, cadre d’analyse de la relocalisation des circuits alimentaires ». Géographie, économie, société, pp. 455-478.
Pour citer cet article :
BENEDETTI Juliette, EMSELLEM Karine & BOUISSOU Stéphane, « D’ici ou de là-bas ? Diversité d’appréhension des proximités alimentaires à partir des points de vente niçois. », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/2023/09/10/dici-ou-de-la-bas-diversite-dapprehension-des-proximites-alimentaires-a-partir-des-points-de-vente-nicois/