Representations of proximity in teaching of geography in Tunisia: three models as benchmarks
Nour Ben Hammouda
〉Docteur en géographie
〉Univ. de Caen Normandie et Univ. de la Manouba, Tunis
〉chercheur associé, UMR 6590 ESO
〉nour.benhammouda@gmail.com 〉
Jean-François Thémines
〉Professeur des universités en géographie
〉Université de Caen Normandie
〉UMR 6590 ESO
〉jean-francois.themines@unicaen.fr 〉
〉Article court 〉
Télécharger l'article. 4-2024 Ben Hammouda & Thémines
Mots-clés : proximité, représentations, enseignement, apprentissage, géographie scolaire, didactique
Abstract: This text presents three models of proximity in teaching of geography in primary school in Tunisia. The spatial possibility that gives a geographical meaning to the idea of proximity makes sense concerns learning geography. The positive dimension of proximity is constituted differently for each model. These models could provide benchmarks for teachers to analyse their practices and beliefs in geography.
Keywords: proximity, representations, teaching, learning, school geography, didactics
Introduction
Ce texte propose trois modèles de représentations de la proximité dans l’enseignement de la géographie à l’école élémentaire. Cette proposition est issue d’une recherche doctorale sur la géographie enseignée à l’école élémentaire en Tunisie (Ben Hammouda, 2023).
Dans ce cadre, la proximité est une propriété des situations d’enseignement que certains acteurs de la discipline (professeurs, formateurs, prescripteurs) jugent important de construire. La dimension positive propre aux représentations de la proximité (Torre, 2009) mobilisées par ces acteurs renvoie aux apprentissages des élèves. La « possibilité spatiale » par laquelle l’idée de proximité fait sens (Lebrun, 2023) est la perspective d’apprentissages pertinents en géographie.
Plusieurs représentations de la proximité circulent dans la géographie scolaire tunisienne qui, comme toute discipline scolaire, est une construction sociale dynamique (Reuter et al., 2013). La recherche a pris pour matériau les programmes récents (1991, 2002), les manuels correspondants, des entretiens avec des professeurs ayant suivi une formation conçue par le chercheur et ceux d’élèves interrogés à l’issue de cours observés. Les représentations mobilisées dans ces divers matériaux sont repérées à l’aide de marqueurs de contenus dont nous donnons des exemples.
Modèle 1 : une proximité de position
Dans ce modèle, la proximité est une affaire de position relative dans l’espace : celle des élèves et celle des espaces que le programme met à l’étude (figure n°1). Dans les textes officiels, le marqueur de cette représentation est l’attribution de qualités a priori à des espaces sélectionnés pour le début de la scolarité (espace proche, espace local, territoire de proximité). Leur taille à la mesure des pratiques des enfants, les rendrait plus propices aux apprentissages. Leur familiarité supposée jouerait dans le même sens.
Figure n°1 : Représentation de la proximité de position dans les apprentissages en géographie
Des marqueurs de ce modèle se trouvent dans le programme tunisien actuel. Installés à propos d’un premier type de paysage censé être familier pour les élèves, les questionnements géographiques doivent être approfondis avec des paysages lointains : « Si l’élève vient par exemple du nord de la Tunisie, le choix de la deuxième situation paysagère sera du sud ou du centre de la Tunisie » (Programmes officiels de cycle 3, 2002, p. 189).
« Mettre l’espace de proximité au cœur des apprentissages est une idée ancienne, alternative aux apprentissages par cœur d’une nomenclature générale » (Considère, 2023). En Tunisie, la rupture avec des programmes nomenclaturaux a lieu avec la réforme dite de Charfi[1] (1991). L’idée d’un « enfant, source de ses apprentissages » commence alors à trouver un écho dans le système éducatif, prenant le relais de la pédagogie par objectifs d’inspiration comportementaliste qui s’accommodait de l’apprentissage par cœur de nomenclatures.
En l’absence de formation continue[2], les professeurs s’appuient sur le manuel scolaire unique qui est peu adapté à l’étude d’espaces dits de proximité. Ce manuel fournit son lot d’images de type « carte postale » (figure n°2). En entretien, certains professeurs identifient dans le manuel une présentation monumentale de Paris, en distorsion avec les récits migratoires dont ont connaissance de nombreux enfants, récits qui selon ces professeurs pourraient être exploités dans des cours sur les paysages urbains, en jouant d’une proximité vécue.
Figure n°2 : Photographies de paysages de villes touristiques (source : manuel unique de géographie de 2002)
Modèle 2 : une proximité discutée
Cette interrogation sur la proximité de position (modèle 1) fonde le modèle 2 pour lequel la proximité résulte d’une mise en question par les élèves de leurs rapports aux lieux (figure n°3). La dimension positive de cette représentation tient à ce qu’elle fait de la proximité le résultat d’une mise en recherche du groupe classe, constituant à ce titre un levier d’appropriation de démarches de la discipline.
Plusieurs processus peuvent être engagés : un « va-et-vient » mental (Tourmen, 2023) qui soutient le décentrement nécessaire à l’établissement de représentations du monde tel que la géographie s’en saisit (Considère, 2023) ; la constitution de l’espace vécu des enfants en matériau d’une analyse géographique conduite par et avec eux (Leroux et Verherve, 2014 ; Le Guern et Thémines, 2011) ; le franchissement d’une épreuve, proche de l’idée d’expérience dans une perspective jalonnée par l’idée de Bildung (Fabre, 2019), l’expérience étant « ce qui nous attrape, nous inquiète et nous met en mouvement : ce qui nous arrache […] à ce que nous savons et que nous attendons, à nous-même enfin » (Larrosa et Masschelein, 1997, p. 31).
Ces orientations didactiques ne sont pas formulées telles quelles dans les matériaux réunis pour la recherche. Des marqueurs potentiels dans les programmes sont les demandes de mise en recherche des élèves. Des marqueurs plus sûrs sont trouvés dans les cours observés. Après une leçon sur « Les plans de villes » en classe de 5e année (CM1 en France) dans une école rurale du Sud-Ouest tunisien, cours où le professeur s’est appuyé sur les connaissances des élèves pour comparer Kebili (ville proche), Barcelone, Milan, Paris et Sfax, la réception qu’en ont les élèves attestent du « va-et-vient » mental opéré. D’une part, ils aimeraient poursuivre la comparaison avec d’autres villes, sans doute des hauts-lieux de leur imaginaire (Nice, Madrid, Paris, la « ville de Maradona »). D’autre part, ils se questionnent – sans formuler le concept – sur les modes d’habiter urbains, eu égard aux densités et aux circulations qui les surprennent, habitués qu’ils sont aux espaces très ouverts qu’ils perçoivent depuis leur oasis.
Figure n°3 : Représentation d’une proximité discutée dans les apprentissages en géographie
Modèle 3 : une proximité à construire
Dans ce modèle, la représentation de la proximité prend pour référence les savoirs structurants de la discipline, « ce qui constituerait les enjeux essentiels de la géographie scolaire, à savoir les objets, les démarches et les finalités de la discipline dans le cadre de l’École » (Naudet, 2022, p. 5). La dimension positive de la représentation est associée à l’idée d’une compréhension mieux assurée de ce que sont ces savoirs et cette structure, de sorte que la proximité s’éprouverait par un sentiment d’appropriation disciplinaire. Le tableau n°1 en propose une déclinaison issue de la recherche doctorale, pour l’enseignement du paysage dans le contexte tunisien.
Cette proximité à construire dans les apprentissages est représentée en trois facettes (figure n°4) :
- la facette relationnelle renvoie à un « espace-entre-les-humains »[3] constitué comme référent de la discipline ;
- la facette capacitante touche à la visée politique des compétences à construire. Elle est prise de conscience par l’élève de sa capacité d’action ;
- la facette expérientielle correspond à une démarche de mise en enquête, une fois passé le temps de la surprise qui fait douter de son propre jugement.
Ce modèle se rattache davantage à l’idée de conception que de représentation, en raison de son faible ancrage social chez les acteurs de la discipline scolaire et en raison du caractère formalisé et cohérent de ses composantes qui doivent d’abord à la théorie pédagogique de la problématisation (Fabre, 2000). Conçue en référence à ce cadre de pensée, la formation proposée par le chercheur cherche à faire entrer ce modèle dans le domaine des représentations de l’enseignement de la géographie.
Lors de cette formation, un article portant sur les controverses liées à l’édification du champ d’éoliennes de Borj Essalhi[4] avait été soumis aux participants pour un essai de transfert dans les classes. Eloignées des images classiques de paysage, les figures n°5 et 6 ont suscité un grand intérêt chez eux, les aidant à envisager pour leurs élèves, les perspectives d’une proximité avec le référentiel de la discipline. Les observations de cours montrent des essais, mais aussi des difficultés à installer une proximité capacitante autour de la compréhension des enjeux politiques du paysage. Des professeurs expriment leur sensibilité aux risques pesant sur la valeur patrimoniale des paysages tunisiens. Mais il est davantage question de patrimoine constitué que de processus de patrimonialisation qui font débat en Tunisie (Bielawski, 2024). La proximité capacitante est davantage avérée dans un cas où l’inscription territoriale locale a semblé jouer sur l’engagement des élèves. Leurs questionnements sur la gouvernance de l’Etat tunisien ont fait écho, pendant le cours, au contexte local marqué par une lutte citoyenne contre les conséquences pour la santé, le cadre de vie et l’agriculture, de l’exploitation d’un parc d’éoliennes.
Figure n°4 : Représentation-conception d’une proximité à construire dans les apprentissages en géographie
Tableau n°1 : Modèle d’une proximité à construire en géographie dans le cas de l’enseignement du paysage
Figure n°5 : La famille de Samir vit avec une éolienne à 40 mètres depuis 2007 (Source : Inkyfada, 20 avril 2021)
Figure n°6 : Déchets d’une éolienne tombée il y a quatre ans (Source : Inkyfada, 20 avril 2021)
Conclusion
Ces trois modèles font de la proximité une condition pour des apprentissages pertinents en géographie à l’école élémentaire. La dimension positive de la proximité est différemment constituée pour chaque modèle. Dans le premier, elle est associée à une organisation des contenus jugée favorable si les apprentissages démarrent en prenant pour terrain des lieux proches des élèves par leur position dans l’espace. Dans le deuxième, elle caractérise des situations de mises en recherche en classe qui permettent aux élèves de réévaluer, réorganiser les rapports de proximité et d’éloignement qu’ils établissent de manière spontanée entre les lieux et avec ces lieux. Dans le troisième, elle connote un travail d’intériorisation par le « sujet élève » des enjeux de formation propres à la discipline.
Les deux premiers modèles s’inscrivent nettement dans l’ordre des représentations : ils sont mobilisés dans une histoire de la géographie scolaire tunisienne riche en ruptures et ouverte sur une circulation mondiale des idées et des politiques pédagogiques. Le troisième relèverait davantage du monde des conceptions : il est produit dans une sphère d’experts qui peine à le diffuser dans le corps enseignant, en la quasi-absence de formation en géographie actuellement en Tunisie. Ainsi formalisés, ces trois modèles pourraient cependant constituer des repères en formation pour l’analyse par les enseignants de leurs pratiques et de leurs croyances pédagogiques en géographie.
Références bibliographiques
Arendt H., 1983, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy.
Ben Hammouda N., 2023, Paysage(s) et problématisation en géographie scolaire : parcours croisés de conceptualisation et de formation des enseignants du primaire en Tunisie, Thèse de doctorat de géographie, Université de Caen Normandie, URL : https://theses.hal.science/tel-04468598.
Bielawski M., 2024, « L’inscription au patrimoine mondial de l’île de Djerba, révélatrice des problèmes de gouvernance postrévolutionnaire en Tunisie », Géoconfluences, URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/patrimoine/articles/djerba-tunisie
Considère S., 2023, « L’espace de proximité au cœur des apprentissages en géographie au cycle 3 », GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ark:/84480/2023/09/10/lespace-de-proximite-au-coeur-des-apprentissages-en-geographie-au-cycle-3/
Fabre M., 2019, « Bildung », Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique. Érès, URL : https://doi.org/10.3917/eres.delor.2019.01.0197.
Fabre M., 2000, « La question du sens en formation ». In : Barbier J.-M., Galatanu, O. (dir.), Signification, sens, formation, Paris, PUF, p.131-132
Larrosa J. & Masschelein J., 1997, « Le voyage, la bibliothèque, l’éducation. Introduction : éducation et expérience », (le) Télémaque, Éducation et philosophie, 9, p. 30-34.
Le Guern A.-L. & Thémines J.-F., 2011, « Des enfants iconographes de l’espace public urbain : la méthode du parcours iconographique », Carnets de géographes [En ligne], 3, URL : http://journals.openedition.org/cdg/2355
Lebrun N., 2023, « Pour une conscience de proximité(s) », 0 |– Ma proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ark:/84480/2023/09/09/pour-une-conscience-de-proximites/
Leroux X. & Verherve M., 2014, « Ma petite géographie » ou la fabrique des représentations des lieux chez de jeunes élèves, M@ppemonde, https://mappemonde-archive.mgm.fr/num41/articles/art14101.html
Naudet C., 2022, Expliciter les savoirs structurants de la géographie scolaire, Thèse de doctorat de didactique des disciplines – Géographie, Université de Paris Cité.
Reuter Y., Cohen-Azria C., Daunay B., Delcambre I. & Lahanier-Reuter, 2013, « Disciplines scolaires », Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, De Boeck Supérieur, p. 81-85.
Torre A., 2009, « Retour sur la notion de Proximité Géographique ». Géographie, économie, société, n°1, Vol. 11, p. 63-75.
Tourmen C., 2023, « Le va-et-vient entre proche et périphérique, au cœur du développement de l’intelligence », 0 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ark:/84480/2023/09/10/le-va-et-vient-entre-proche-et-peripherique-au-coeur-du-developpement-de-lintelligence/
[1] La Réforme porte le nom de son ingénieur Mohamed Charfi, laquelle introduit outre l’exigence du baccalauréat, une formation professionnalisante diplômante de deux années.
[2] Il n’est pas rare de rencontrer des professeurs qui, durant leur carrière, n’en ont jamais reçu. Pour un tableau détaillé des « profils » de formation des professeurs de l’école élémentaire tunisienne, voir Ben Hammouda (2023).
[3]Cette conception est reprise de la philosophe Hannah Arendt (1983), laquelle distingue trois sphères de l’activité humaine, dont l’action associée au monde entendu comme ce par quoi les humains se lient entre eux et caractérisé par la diversité des points de vue et les débats (Zwischenraum).
[4]L’article peut être consulté au lien suivant : https://inkyfada.com/fr/2021/04/20/eoliennes-cap-bon-tunisie/. Inkyfada est un journal d’investigation tunisien qui promeut la liberté de la presse et d’expression en Tunisie.
Pour citer cet article :
BEN HAMMOUDA Nour & THEMINES Jean-François, « Une proximité à construire dans la classe de géographie. À partir du cas de l’enseignement du paysage à l’école primaire en Tunisie », 4 | 2024 – Représentations de la proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ark:/84480/2024/12/23/rep-ac9/