Care for dependent children and adults, a poor man’s business? Evidence from the National Time Use Survey in Senegal
El Hadji Malick Sylla
〉Chercheur scientifique postdoctoral
〉West Africa Regional Office (WARO)
〉African Population and Health Research Center (APHRC)
〉msylla@aphrc.org 〉
Gloria Langat
〉Chercheur scientifique
〉Aging and Development Unit
〉African Population and Health Research Center (APHRC)
〉glangat@aphrc.org 〉
Allysha Choudhury
〉Doctorante au département de la santé de la mère et de l’enfant
〉Gillings School of Global Public Health
〉University of North Carolina
〉allysha@email.unc.edu 〉
Diénéba Aïdara
〉Chargée de recherche
〉West Africa Regional Office (WARO)
〉African Population and Health Research Center (APHRC)
〉daidara@aphrc.org 〉
Arsène Brunelle Sandie
〉Chercheur scientifique associé
〉West Africa Regional Office (WARO)
〉African Population and Health Research Center (APHRC)
〉asandie@aphrc.org 〉
Cheikh Mbacké Faye
〉Chef du West Africa Regional Office (WARO)
〉African Population and Health Research Center (APHRC)
〉cfaye@aphrc.org 〉
〉Article long 〉
Télécharger l'article. 2-2024 Sylla et al.
Résumé : Le débat autour des soins apportés aux enfants et aux adultes dépendants est davantage orienté par les féministes sur le temps important que les femmes consacrent à ces activités par rapport aux hommes et sur le fait que ces activités ne sont pas prises en compte dans les systèmes de comptabilité nationale. Cet article diffère de cette approche. Il cherche à voir si la pauvreté est associée à ces soins et les différents rapports de genre qui les structurent. La méthodologie de l’étude repose d’une part sur la mobilisation des données de l’Enquête Nationale sur l’Emploi du Temps au Sénégal (ENETS), et d’autre part sur des analyses bivariées et multivariées portant sur des variables sociodémographiques et socio-économiques. Les résultats obtenus mettent en évidence les relations entre pauvreté et soins. Les personnes issues de ménages pauvres participent et consacrent plus de temps aux soins des enfants, des adultes dépendants et consacrent également plus de temps aux tâches ménagères comparées à celles qui vivent dans les ménages aisés. Elles vivent principalement dans les zones rurales, sont des femmes, ont un faible niveau d’éducation, vivent dans des logements inconfortables et n’ont souvent pas d’emploi rémunéré. Le travail de soins non rémunéré peut ralentir l’autonomisation économique des femmes. Cela ne permet pas aux femmes de participer au marché du travail ce qui perpétue la pauvreté.
Mots clés : Enquête sur l’emploi du temps, Sénégal, Pauvreté, Soins, Jeunes enfants, personnes âgées, travaux domestiques
Abstract: The debate around the care given to children and dependent adults is more oriented by feminists on the significant amount of time that women devote to these activities compared to men and also on the fact that these activities are not considered in national accounting systems. This article differs from this approach. He seeks to see if poverty is associated with this care. The methodology of the study is based on the one hand on the mobilization of data from the National Time Use Survey in Senegal (ENETS), and on the other hand on bivariate and multivariate analyzes relating to sociodemographic and socio-economic variables. The results obtained highlight the relationships between poverty and care. People from poor households participate and devote more time to caring for children, dependent adults and also spend more time on housework. They live mainly in rural areas, are women, have a low level of education, live in uncomfortable housing, and do not often have paid employment. Unpaid care work can slow down women economic empowerment. It does not allow women to participate in the labour force and that it perpetuates poverty.
Keywords: Time use survey, Senegal, Poverty, Care
Introduction
Le care est une notion polysémique qui s’est imposée sous sa forme anglophone dans la littérature française à partir de 2008-2009 (Avril, 2019). Elle est large et inclut une dimension sociale, politique et éthique (Gaille-Nikodimov, 2020). Elle peut être définie comme l’action que l’on fait pour les autres afin de répondre à leurs besoins et à leur bien-être (Borgeaud-Garciandía, Guimarães & Hirata, 2020). Cette définition vague du care est également partagée par Tronto (1993, p.13) qui le conçoit comme une activité générique qui inclut tout ce que nous faisons pour entretenir, perpétuer et réparer notre « monde », afin que nous puissions y vivre ensemble au mieux. L’orientation des soins vers la satisfaction des besoins d’autrui (Hirata & Molinier, 2012) ne se limite pas aux hommes et au travail domestique.
Dans cet article, nous nous limitons spécifiquement à l’aspect social du care qui est défini comme étant les activités qui visent à satisfaire les besoins physiques et émotionnels des enfants et des adultes dépendants, (Lewis, 1998, p. 6). Nos analyses se limitent aux actions destinées à ceux qui en ont le plus besoin, comme les enfants, les personnes âgées ou les adultes dépendants (Raymond, 2010). Le soin est alors l’action d’aider un enfant ou un adulte dépendant ou une personne âgée pour le progrès et le bien-être de sa vie quotidienne (Létablir, 2001, p.21).
Dans les pays occidentaux les gens sont de moins en moins disponibles pour fournir des soins gratuits en raison de l’augmentation du travail rémunéré des femmes, tandis que les enfants qui continuent de naître et les personnes âgées qui ont une espérance de vie plus élevée ont de plus en plus besoin d’assistance et de sollicitude (Molinier, 2016). Quelle est la situation en Afrique et plus particulièrement au Sénégal ? Qui sont ceux qui dispensent des soins et quels sont les facteurs associés ?
La recherche pour les politiques sur les soins et le travail de soins se développe en Afrique, avec un accent particulier sur la garde de la petite enfance (ECC) (Folbre, 2018 ; UNRISD, 2016). Les résultats soutiennent les arguments en faveur de l’expansion de l’offre ou des infrastructures de ECC, montrant que l’accès à celles-ci peut améliorer les opportunités de revenus des femmes pauvres et le développement des enfants (Clark & al., 2018). La littérature scientifique fait état de plusieurs types de soins prodigués aux enfants. Ces soins commencent dès la naissance avec des rites de protection et la création d’un environnement familial protecteur, réceptif et stimulant pour favoriser la croissance et le développement optimal des jeunes enfants (Bonnet & Pourchez, 2007 ; Lumpkin & Pallais, 2018). Au Sénégal, certains auteurs ont apporté des preuves que les soins apportés aux enfants à travers les rites de protection (Sandri, 2018), la nutrition (Gueye, 2017 ; Seck & al., 2017 ; OHK & al., 2019 ; Ndiaye, 2020) et l’éducation préscolaire sont un facteur important qui contribue à leur socialisation et à leur développement (Seurat, 2016 ; Fall & Lô, 2019, Sène, 2020). Selon Lo et Mendy (2021), la pauvreté est l’un des facteurs qui freinent la scolarisation des enfants issus de familles défavorisées.
Les données probantes sur les soins aux adultes dépendants en Afrique (soins de longue durée), bien qu’encore limitées, mettent en évidence des insuffisances prononcées dans la fourniture de soins non rémunérés, accentuées parmi les familles pauvres, avec des impacts négatifs sur le bien-être des soignants et des bénéficiaires (Clark & al., 2018 ; Epping-Jordan & Aboderin, 2017). Selon plusieurs auteurs, les personnes âgées sont négligées dans les politiques et par les bailleurs de fonds, mais elles commencent à attirer l’attention dans les pays où leur augmentation rapide par rapport aux autres catégories suscite de plus en plus d’inquiétudes (Sajoux, Amar & Ka, 2015 ; OIC, 2018). Toutefois, les travaux sur la prise en charge des adultes dépendants sont rares au Sénégal. Au Burkina Faso, les publications de Berthe et al. (2012, 2015) ont fourni des données sur les handicaps fonctionnels des personnes âgées dont les soins deviennent difficiles pour les familles pauvres (Berthe & al., 2013). Au Sénégal, des études ont montré la vulnérabilité économique (Golaz et Antoine, 2011 ; Dramani & al., 2012 ; ANSD, 2013) et relationnelle des personnes âgées (Sajoux, Amar & Ka, 2015). Les dernières publications traitent des problèmes de prise en charge des personnes âgées dans les hôpitaux publics (Sajoux & Enguerran, 2017) ou de la dégradation du rôle social joué par des personnes âgées qui sont confrontées de plus en plus à des problèmes, la précarité et l’insécurité sociale, l’éclatement des cellules familiales dû en partie au désir des enfants de s’isoler avec leur conjoint et la détérioration progressive des liens sociaux (Ka & al., 2019).
La littérature scientifique a tenté d’apporter des éléments de preuve sur la prise en charge des enfants et adultes dépendants au Sénégal. Les auteurs se sont concentrés sur les soins que reçoivent les enfants avant et dès la naissance ainsi que sur leur alimentation et leur éducation préscolaire. Concernant les personnes âgées, les auteurs mettent davantage l’accent sur leur vulnérabilité économique et sur l’insuffisance des moyens dont disposent les familles pour prendre soin d’elles. La pauvreté des ménages apparaît dans la majorité des documents scientifiques comme un facteur limitant dans les soins prodigués aux enfants et aux personnes âgées. Cependant, il n’existe aucune étude rigoureuse pour établir ce lien. Les auteurs ne fournissent pas non plus suffisamment d’informations sur le temps que les pauvres consacrent aux soins par rapport aux riches. Ce travail vise à combler cette lacune. Nous pensons qu’il est nécessaire de poursuivre les analyses sur l’association entre la pauvreté et la prise en charge des enfants et des adultes dépendants dans les familles à partir des données de l’Enquête Nationale sur l’Emploi du Temps au Sénégal (ENETS) de 2021. Cette enquête est la première du genre. au Sénégal et cet article est l’un des premiers à utiliser ses données pour documenter l’emploi du temps des Sénégalais en général et le temps consacré à la garde des enfants et des adultes dépendants en particulier. Il vise à répondre à un objectif majeur qui est d’analyser les facteurs associés au temps consacré aux soins des enfants et des adultes dépendants. L’hypothèse de départ est que la pauvreté et ses corollaires (chômage, lieu de résidence, taille du ménage, revenu du ménage, sexe de l’individu, quintile de richesse du ménage, etc.) sont associés aux soins prodigués aux enfants et aux personnes âgées. Après la présentation de la méthodologie, l’article revient sur l’analyse et la discussion des résultats de la recherche.
1 . Méthodes
1.1. Source de données : Enquête Nationale sur l’Emploi du Temps au Sénégal (ENETS)
L’analyse de cette étude est basée sur les données obtenues de l’Enquête nationale sur l’emploi du temps au Sénégal (ENETS), une initiative pionnière au Sénégal, menée dans le cadre du projet Women Count mis en œuvre par ONU Femmes. Cette enquête a été conduite au Sénégal en 2021 par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD). Elle répond à un enjeu majeur identifié par l’ODD5 « Prendre en compte et de valoriser les soins et les travaux domestiques non rémunérés effectués principalement par les femmes ». L’objectif principal de l’ENETS est d’identifier, de classer et de quantifier systématiquement la diversité des activités entreprises quotidiennement par la population sénégalaise. Plus précisément, l’ENETS vise à évaluer le temps alloué au travail rémunéré et non rémunéré chez les hommes et les femmes, ainsi qu’à mesurer le travail bénévole, les tâches domestiques, les activités de loisirs et les activités personnelles.
Cette enquête globale a couvert toutes les régions administratives du Sénégal et a porté sur un échantillon de 3 990 ménages, dont 2 505 en milieu urbain et 1 485 en milieu rural. En plus d’un questionnaire ménage administré au chef de chaque ménage, des questionnaires individuels ont été administrés aux membres âgés de 15 ans ou plus, capturant des informations détaillées sur leurs activités sur une période de 24 heures. La sélection des personnes à interviewer a été effectuée de manière aléatoire au sein de chaque ménage. Au total, 11 689 personnes ont été interrogées, représentant 58 % de femmes et 42 % d’hommes, réparties dans des contextes urbains (36 %) et ruraux (64 %). Les statistiques produites grâce à cette enquête sont importantes dans l’élaboration des programmes de suivi des conditions de vie des femmes dans la société et de leur accès à l’emploi et à d’autres ressources productives.
1.2. Analyse
Dans cette analyse, l’objectif principal était d’étudier la prise en charge des enfants et des adultes dépendants. Le prétraitement initial des données comprenait un processus de nettoyage des données, qui impliquait l’identification et le traitement des valeurs aberrantes pour garantir l’intégrité de l’ensemble de données. Par la suite, une série d’analyses descriptives ont été menées pour calculer le temps total moyen consacré à la garde des enfants, à la garde des adultes dépendants et aux activités quotidiennes, au cours d’une journée de 24 heures pour l’ensemble de la population, ainsi que les moyennes et taux de participation.
Pour explorer les facteurs associés à la répartition du temps au sein des ménages, des modèles de régression des moindres carrés ordinaires (MCO) ont été utilisés séparément pour les heures de garde d’enfants, les heures de garde d’adultes et les heures de travaux ménagers. Des erreurs types robustes ont été appliquées, comme le recommande la littérature existante, pour tenir compte de l’hétéroscédasticité potentielle et maintenir la fiabilité des estimations (Stewart, 2013). Les modèles de régression intègrent un ensemble complet de prédicteurs, notamment la taille du ménage, la richesse du ménage, le type de logement, le statut d’emploi, la situation urbaine ou rurale, la localisation du ménage, le sexe, le niveau d’éducation, l’état civil, le nombre d’enfants dans le ménage et la région de résidence au Sénégal. De plus, un terme quadratique d’âge a été introduit dans les modèles pour tenir compte des relations non linéaires potentielles entre l’âge et les responsabilités professionnelles domestiques.
Les équations de régression sont les suivantes, où i représente les observations individuelles, β0 à β12 sont les coefficients de régression pour les effets des variables indépendantes respectives et ϵi est le terme d’erreur pour la variance inexpliquée de la variable dépendante des heures de soins :
Heures de garde d’enfants si = β0 + β1Taille du ménage i + β2Richesse du ménage + β3Type de logement i + β4Situation d’emploi i + β5Urbain/Rural + β6Sex i + β7Éducation Niveau i + β8Statut matrimonial i + β9Nombre d’enfants i+ β10Régions + β11Âge i + β12Âge i2 + ϵi
Heures de soins aux adultes si = β0 + β1Taille du ménage i + β2Richesse du ménage + β3Type de logement i + β4Situation d’emploi i + β5Urbain/Rural + β6Sex i + β7 Niveau d’éducation i + β8Statut matrimonial i + β9Nombre d’enfants i+ β10Régions + β11Âge i + β12Âgei2 + ϵi
Heures de travail ménage si = β0 + β1Taille du ménage i + β2Richesse du ménage + β3Type de logement i + β4Situation d’emploi i + β5Urbain/Rural + β6Sex i + β7Éducation Niveau i + β8Statut matrimonial i + β9Nombre d’enfants i+ β10Régions + β11Âge i + β12Âge i2 + ϵi
2.1. Variables associées à la participation et au temps consacré aux soins
2 . Résultats
Plusieurs variables sociodémographiques et socioéconomiques peuvent être associées aux soins consacrés aux enfants et aux adultes dépendants. Ces mêmes variables peuvent également influencer les soins indirects que ces personnes et d’autres membres de la famille reçoivent par le biais d’activités liées au travail domestique. Les résultats (tableau 1) font apparaître deux tendances selon le milieu de résidence. D’une part, 70 % des ruraux participent aux soins aux enfants, contre 30 % des citadins. En revanche, les résidents urbains participent davantage aux soins des adultes dépendants que les résidents ruraux avec un taux de participation de 53 % et 47 % respectivement. Concernant le temps consacré aux travaux domestiques, les résidents ruraux consacrent beaucoup plus d’heures aux tâches ménagères, soit en moyenne 7,9 heures par jour, par rapport aux résidents urbains qui y consacrent 6,5 heures.
Le niveau de scolarisation est un facteur associé aux soins directs et indirects. En effet, plus le niveau d’éducation est bas, plus la participation aux soins est élevée. Les personnes sans éducation participent davantage aux soins des enfants (62 %), suivies par celles qui ont un niveau primaire (18,26 %), moyen (11 %), secondaire (6 %) et supérieur (3 %). Les personnes sans éducation participent davantage aux soins aux adultes dépendants (59%), suivies par celles qui ont un niveau primaire (21%). La participation des personnes ayant un niveau d’éducation secondaire à la prise en charge d’adultes dépendants est (6%) et même très faible pour celles d’un niveau supérieur (0,71%).
Concernant la situation matrimoniale, le tableau 1 montre que les personnes mariées participent davantage aux soins prodigués aux enfants et aux adultes dépendants que les célibataires et les veufs. 87% des personnes mariées participent aux soins et à la garde des enfants contre 6% des célibataires et 7% des veufs. 76 % des personnes mariées participent également aux soins des adultes dépendants, contre 14 % des célibataires et 9 % des veufs. 77% des activités liées au travail domestique sont réalisées par des personnes mariées, seulement 18% et 5% respectivement des célibataires et des veufs participent à cette activité. Les personnes mariées, plus que quiconque, consacrent quotidiennement plus de temps aux soins des enfants (1 heure) et aux tâches ménagères (7,4 heures).
Les femmes qui ont entre 3 et 5 enfants et celles qui ont entre 1 et 2 ans contribuent respectivement à 41 % et 39,6 % aux soins et à la garde des enfants. Ceux qui n’ont pas d’enfants sont plus impliqués dans la prise en charge d’adultes dépendants avec un taux de participation de 57 %. Le nombre d’enfants dans un ménage augmente, tout comme le temps alloué aux soins des enfants et aux tâches ménagères, les ménages de six enfants ou plus consacrant 1,2 heure à la garde des enfants et 8,1 heures aux tâches ménagères.
Les résultats montrent également que les femmes sont plus impliquées dans les soins que les hommes. 92% des femmes participent aux soins et à la garde des enfants et aux activités liées au travail domestique contre 8% des hommes. Ces derniers ont un taux de participation de 19% aux soins pour les adultes dépendants contre 81% pour les femmes. Ce résultat est confirmé par les différences d’utilisation du temps quotidien selon le sexe. Les femmes consacrent plus de temps aux soins des enfants (0,95 heure, ET = 1,41) que les hommes (0,79 heure, ET = 1,35). Les hommes consacrent également moins de temps aux tâches ménagères (6,69 heures, SD=4,65) que les femmes (7,83 heures, SD=4,36). Les heures de soins aux adultes étaient minimes pour les deux sexes. Les moyennes de la population totale étaient de 0,89 heure (ET = 1,39) pour les soins aux enfants, de 0,07 heures (ET = 0,50) pour les soins aux adultes et de 7,37 heures (ET = 4,52) pour les tâches ménagères.
Concernant les variables socio-économiques, le tableau 1 montre que les non-salariés participent davantage aux soins et à la garde des enfants (54,60%), aux soins des adultes dépendants (65,45%) et aux activités liées au travail domestique (55,39%). Le taux de participation des salariés est respectivement de 10 %, 7 % et 7,6 % pour le soin aux enfants, le soin aux d’adultes dépendants et les soins indirects. Quelle que soit la nature de l’activité exercée, les salariés consacrent moins de temps aux différentes catégories de soins. Par exemple, ils consacrent 0,6 heure aux soins et à la garde d’enfants et 5,2 heures au travail domestique, tandis que les travailleurs indépendants consacrent 0,8 heure aux soins et à la garde des enfants et 7,1 heures au travail domestique.
Les résultats montrent que le logement des ménages influence la participation des individus aux soins. Ceux qui vivent dans des appartements dans des immeubles ont une participation assez faible aux soins et à la garde des enfants (0,43%) et nulle aux soins des adultes dépendants (0%) et aux activités liées au travail domestique (0,20%). En revanche, les personnes vivant dans des maisons basses sont plus impliquées dans les soins et garde d’enfants (67%), les soins aux adultes dépendants (76%) et les soins indirects (70%). Les personnes qui vivent en box sont également plus impliquées dans ces différents soins comparativement à celles qui vivent dans des maisons à deux étages. Le taux de participation des premiers aux soins et gardes des enfants et aux soins pour les adultes dépendants est respectivement de 22% et 15% contre 8,5% et 7,3% pour les résidents des maisons à deux étages.
Cette analyse montre que les personnes qui vivent dans des maisons riches (maison à deux étages, immeuble à appartements) participent moins aux soins prodigués aux autres. Comme le révèle l’analyse de l’utilisation quotidienne du temps, ceux qui vivent dans des cases, des cabanes et des maisons basses consacrent plus de 7 heures par jour aux tâches ménagères contrairement aux résidents des maisons et appartements à deux étages qui consacrent respectivement 5,9 heures et 4,8 heures à cette activité. Le temps alloué aux soins des adultes dépendant est quasiment le même quel que soit le type de logement (0,1 heure) sauf les appartements (0,0 heure). En revanche, ceux qui vivent en appartement consacrent plus de temps (1,3 heure) à la garde des enfants, suivis par les résidents des boxes (1,1 heure), des cabanes (0,9 heure) et des maisons basses (0,9 heure). Cela peut s’expliquer par la petite taille des ménages vivant en appartement (couples, petites familles) qui pousse les couples ayant un enfant à consacrer plus de temps à la garde et aux soins des enfants. Dans les maisons basses abritant en moyenne 10 personnes selon le dernier recensement de la population, chacun peut s’impliquer dans la garde des enfants selon ses disponibilités, ce qui réduit considérablement le temps alloué à cette activité.
Ces différents résultats montrent une association entre pauvreté et soins. La pauvreté pousse davantage les membres du ménage à avoir du temps pour s’occuper des enfants et des adultes dépendants et pour effectuer des travaux domestiques. Les relations entre quintiles de richesse et de soins prouvent que de manière décroissante, les plus pauvres et les pauvres participent davantage aux soins et à la garde des enfants (22%), suivis par les moyens (20%), les riches (18%) et les plus riches (16,5%).
Tableau 1 : Facteurs associés à la participation et au temps alloué aux soins
Variables sociodémographiques | Soin et garde des enfants | Soin des adultes dépendants | Activités liées aux tâches ménagères | |||
% | Heure moyenne par jour | % | Heure moyenne par jour | % | Heure moyenne par jour | |
Lieu de résidence | ||||||
urbain | 29,7 | 0,7 | 53.2 | 0,1 | 32,7 | 6.5 |
rural | 70,4 | 1.0 | 46,8 | 0,1 | 67,3 | 7.9 |
Sexe | ||||||
Homme | 7.9 | 0,8 | 19.4 | 0,1 | 8.4 | 6.7 |
Femmes | 92.1 | 1.0 | 80,6 | 0,1 | 91,6 | 7.8 |
Éducation | ||||||
Aucun | 62,0 | 0,9 | 59,4 | 0,1 | 59,4 | 7.6 |
Primaire | 18.3 | 0,9 | 21.4 | 0,1 | 19.4 | 7.4 |
Collège | 11.0 | 0,8 | 12.2 | 0,1 | 13.1 | 7.1 |
Secondaire | 5.9 | 0,8 | 6.3 | 0,1 | 6.3 | 7.0 |
Supérieur | 2.9 | 0,6 | 0,7 | 0,0 | 1.9 | 4.9 |
Nombre d’enfants de la mère âgés de moins de 15 ans | ||||||
Pas d’enfants | 12.9 | 0,6 | 57.4 | 0,1 | 30.2 | 6.8 |
1-2 enfants | 39,6 | 1.0 | 26.3 | 0,1 | 32,5 | 7.8 |
3-5 enfants | 41,0 | 1.1 | 14.3 | 0,1 | 32.3 | 7.7 |
6 enfants ou plus | 6.5 | 1.2 | 2.0 | 0,0 | 5.1 | 8.1 |
État civil | ||||||
Marié | 86,8 | 1.0 | 76,4 | 0,1 | 77,0 | 7.4 |
Célibataire | 5.9 | 0,7 | 14.2 | 0,1 | 17.7 | 7.3 |
Veuf/Divorcé | 7.3 | 0,8 | 9.4 | 0,1 | 5.3 | 6.2 |
Soins et type de maison | ||||||
Boîte | 22.3 | 1.1 | 14.9 | 0,1 | 19.9 | 7.8 |
cabane | 2.0 | 0,9 | 1.9 | 0,1 | 1.9 | 7.3 |
Maison basse | 66,8 | 0,9 | 76,0 | 0,1 | 69,9 | 7.5 |
Maison à deux étages | 8.5 | 0,7 | 7.3 | 0,1 | 8.2 | 5.9 |
Appartement dans un immeuble | 0,4 | 1.3 | 0,0 | 0,0 | 0,2 | 4.8 |
Soins et nature de l’activité | ||||||
Employé | 10.1 | 0,6 | 7.3 | 0,1 | 7.6 | 5.2 |
Sans emploi | 54,6 | 0,8 | 65,5 | 0,1 | 55.4 | 7.1 |
Autre statut | 35.3 | 1.0 | 27.3 | 0,1 | 37,0 | 8.3 |
Niveau de richesse des ménages | ||||||
Plus pauvre | 22.2 | 1.0 | 15.2 | 0,1 | 21.2 | 7.8 |
Pauvre | 22,8 | 1.0 | 21.3 | 0,1 | 21.4 | 7.9 |
Signifier | 20.2 | 0,9 | 13,0 | 0,0 | 21.7 | 8.0 |
Riche | 18.3 | 0,8 | 28,7 | 0,1 | 19.6 | 7.2 |
Plus riche | 16.6 | 0,7 | 21,8 | 0,1 | 16.1 | 5.9 |
En outre, plus une personne est pauvre, plus elle consacre du temps aux soins. Par exemple, les plus pauvres et les pauvres consacrent en moyenne 1 heure par jour aux soins et à la garde des enfants, contre respectivement 0,8 heure et 0,7 heure pour les riches et les plus riches. Le constat est également le même pour les activités liées aux travaux ménagers. En revanche, les riches et les plus riches participent plus que les autres aux soins prodigués aux adultes dépendants avec un taux respectif de 21,8% et 28,7% contre respectivement 21,2%, 15,2% et 12,9% pour les pauvres, les plus pauvres et les plus pauvres. Cependant, le temps que les gens consacrent à cette activité (0,1 heure) ne varie pas en fonction de la situation économique.
2.2. Analyse multivariée des déterminants du temps consacré aux soins
Les résultats des régressions ont étudié les prédicteurs du temps consacré aux soins aux enfants, aux soins aux adultes et aux tâches ménagères (tableau 2). Pour les heures de soins aux enfants, la résidence rurale et le fait d’avoir plus d’un enfant étaient des prédicteurs significatifs d’une augmentation du temps de soins aux enfants. De plus, le fait d’être célibataire, d’être plus âgé et d’avoir une maison basse était associé à une réduction des heures de soins aux enfants. Il a été constaté que les résidents ruraux consacraient en moyenne environ 0,14 heures de plus aux soins des enfants par rapport à leurs homologues urbains (0,14, p<0,05).
De plus, le nombre d’enfants dans un ménage a démontré une forte influence sur les heures de soins aux enfants, les ménages ayant 1 à 2 enfants y consacrant environ 0,34 heure de plus (0,34, p <0,001), ceux de 3 à 5 enfants y consacrant 0,56 heure de plus (0,56 , p <0,001), et les ménages de 6 enfants ou plus investissant 0,65 heures de plus (0,65, p <0,001), par rapport aux ménages sans enfants. De plus, l’état matrimonial a joué un rôle, dans la mesure où les personnes non mariées étaient associées à 0,29 heures de moins consacrées aux soins aux enfants (-0,29, p <0,05) par rapport à leurs homologues mariées. L’augmentation de l’âge prédit également généralement moins d’heures consacrées aux soins aux enfants (0,04, p <0,001). Il existe également une relation quadratique significative avec l’âge et les heures consacrées aux soins et à la garde des enfants, ce qui indique que les adultes plus jeunes et plus âgés consacrent moins de temps aux soins et à la garde d’enfants que les adultes d’âge moyen. Même si le sexe de la femme était associé à un plus grand nombre d’heures de garde d’enfants, ce n’était pas statistiquement significatif (0,09, p = 0,08).
Dans la régression des heures de soins aux adultes, l’analyse a révélé que les résidents ruraux consacraient en moyenne 0,05 heures de moins aux soins aux adultes que leurs homologues urbains (-0,05, p<0,05). Il a été constaté que la taille plus grande des ménages et le niveau d’éducation inférieur étaient également associés à une augmentation du nombre d’heures de soins aux adultes.
Pour les heures de travail ménager, plusieurs prédicteurs étaient significatifs ou presque significatifs. Les prédicteurs notables de l’augmentation des heures de travail ménager comprenaient une taille de ménage plus grande (0,02, p <0,001), la résidence rurale (0,17, p <0,001), le fait d’être une femme (0,76, p <0,001), le fait d’avoir 1 à 2 enfants (0,81, p <0,001). , 3-5 enfants (0,99, p <0,001 ), ou 6 enfants ou plus (1,14, p <0,001 ), et résidant dans certaines régions comme Diourbel (2,43, p <0,001), Kolda (0,99, p <0,001), ou Matam (1,97, p <0,001) par rapport à la région de référence de Dakar.
Tableau 2 : Analyse de robustesse sur les facteurs associés au temps alloué aux soins. Source : auteurs, 2024
3. Discussion
Les analyses mettent en évidence les relations entre pauvreté et soins. Les personnes issues de ménages pauvres participent davantage aux soins des enfants et des adultes. Elles vivent principalement en milieu rural, sont des femmes, ont un faible niveau d’éducation, vivent dans des logements inconfortables et, pour la plupart, n’ont pas d’emploi rémunéré. Ces mêmes variables ont également été corrélées à la pauvreté au niveau de l’Enquête Harmonisée sur les Conditions de Vie des Ménages (EHCVM) au Sénégal (ANSD, 2021). Aussi comme le révèle notre analyse multivariée, l’EHCVM rapporte également que la pauvreté est plus répandue au Sénégal dans les régions du Sud et du Sud Est, nos analyses soulignent que c’est dans ces régions comme Kolda où plus de 50% de la population est pauvre, que les gens passent plus de temps en soins par rapport à la capitale (Dakar) qui est la plus riche du pays (taux de pauvreté de 9%) et où les gens passent moins de temps aux soins.
Les résultats montrent que ce sont les femmes qui sont plus impliquées dans les soins que les hommes. La plupart d’entre elles ont un faible niveau d’éducation et vivent en milieu rural. Cela confirme les résultats de l’Organisation Internationale du Travail qui souligne que hier comme aujourd’hui et quel que soit le continent, gratuit ou rémunéré, informel ou en voie de professionnalisation, le travail de soin est marqué par la centralité de l’engagement des femmes (OIT, 2018). Cette forte implication des femmes dans les soins résulte des rôles et responsabilités qui sont historiquement et socialement attribués aux femmes au sein de l’espace familial et domestique (Borgeaud-Garciandía, Guimarães & Hirata, 2020). Selon Kergoat (2016), le fait d’accorder des « soins » à autrui devient une obligation pour les femmes qui découle d’une part de leur place dans les familles (conjoints, filles, mères, sœurs) et de leur position dans la division sexuelle de la famille. Ces responsabilités domestiques constituent un handicap pour les femmes pour accéder à l’emploi et/ou développer une carrière professionnelle (Dussuet 2017).
Il est cependant important de souligner que ce travail domestique ne représente pas une corvée pour la majorité des femmes. Au contraire, Elles éprouvent du plaisir à prendre soin de leurs enfants, de leurs conjoints, et des personnes qu’elles aiment (Dussuet, 1997). C’est sous l’impulsion des féministes et la multiplication des recherches sur le care aux USA à partir des années 1980 (Tronto, 1993) que le débat a commencé à prendre de l’ampleur dans plusieurs pays et que l’on s’interroge sur la nécessité d’en tenir compte dans les politiques nationales. Ce qui était alors considéré comme des soins prodigués par amour à un membre de la famille a pris l’ampleur d’un travail non rémunéré et ne compte pas dans la richesse des pays (Molinier, 2016).
Leses activités, souvent non rémunérées, occupent les femmes au quotidien et, même si elles les font par amour, cela ne leur permet pas de gagner un revenu économique et d’améliorer leur niveau de vie. Les résultats de notre étude montrent en effet que ceux qui participent et consacrent plus de temps aux soins sont issus de ménages défavorisés. Le même constat a été fait par Laugier (2015) qui, en s’intéressant aux relations entre soin et environnement, rapporte qu’il existe en France un environnementalisme des pauvres qui est celui des classes sociales les plus défavorisées, racisées, dominées. La même situation a également été documentée aux États-Unis par Glenn (2009) qui a montré comment ce travail de care a longtemps été imposé au sein de catégories sociales dominées, notamment les femmes noires, avant d’atteindre les familles bourgeoises et aisées (Borgeaud-Garciandía, Guimarães & Hirata, 2020). L’ampleur des soins non rémunérés a un double impact sur les ménages pauvres. Non seulement elle ne permet pas aux femmes d’améliorer leur condition de vie , mais elle constitue également une forme de violence indirecte dont sont victimes les enfants, qui peut les priver de leur droit à l’éducation, à la santé et à la protection sociale et qui peut avoir des répercussions négatives sur leur vie d’adulte. (Daffé, 2015).
C’est pourquoi il est nécessaire d’établir des politiques visant à mieux formaliser les soins aux enfants et aux adultes dépendants. Cependant, même dans des contextes marqués par l’extrême pauvreté et la faiblesse des capacités d’organisation collective pour faire face à l’absence d’action des États, des formes de solidarité naissent des relations de voisinage et donnent lieu à des stratégies d’action responsable des soins mais elles ne sont ni perçues ni reconnue comme telle (Faur, 2012 ; Vieira, 2017).
Ainsi, en ce qui concerne la prise en charge des adultes dépendants malgré les indications d’un besoin et d’une demande évidents de fourniture de soins ou de soutien organisés, leur accès à ces services reste très limité – car un secteur de services de soins privés à but lucratif en expansion progressive et encore non coordonné reste concentré dans les zones métropolitaines urbaines et est accessibles uniquement à ceux qui ont la capacité de payer, tandis que les services du tiers secteur existants ne sont accessibles qu’aux plus démunis (OMS, 2015 ; Epping-Jordan & Aboderin, 2017 ; Esquivel & Kaufmann, 2017 ; OCDE, 2019 ; OIT, 2018 ; Essuman, Agyemang & Mate-Kole, 2019). Certains modèles innovants de fourniture de soins de longue durée (SLD) accessibles dans la communauté, à domicile ou en institution ont commencé à émerger dans divers contextes africains et peuvent offrir des approches potentielles sur lesquelles s’appuyer (Epping-Jordan & Aboderin, 2017).
La relation entre pauvreté et soins peut également être observée à travers « la fuite des soins » des pays pauvres vers les pays plus riches (Laugier, 2010). Plusieurs illustrations peuvent conforter cette migration des femmes pauvres du Sud vers les pays du Nord pour y trouver des emplois liés aux soins (Molinier, 2016). C’est l’exemple des femmes mexicaines et philippines qui partent aux États-Unis pour faire ce travail (Raymond, 2010). C’est le cas des femmes noires pauvres qui travaillent pour des femmes blanches riches aux États-Unis (Hirata & Molinier, 2012). C’est aussi l’exemple des femmes africaines qui travaillent comme domestiques en France (Ibos, 2020). Ces femmes laissent leurs enfants dans leur pays pour partir dans un pays étranger et s’occuper de l’enfant d’un autre tout en s’occupant de les aimer (Avril et Cartier 2019). Ce qui pousse ces auteurs à affirmer que « les pays riches importent aujourd’hui des pays pauvres, à travers la migration des travailleurs domestiques, de l’amour et de l’attention pour leurs enfants et leurs personnes âgées » (Ibid, 2019, p.135). Le métier de domestique est également répandu dans les pays pauvres où des femmes pauvres et/ou issues des zones rurales exercent ce métier au sein de ménages de classes sociales plus aisées résidant souvent dans des centres urbains où les enfants et les adultes dépendants bénéficient de moins en moins d’aide et de soins de la part de leurs proches ( Coyer, Fadiga & Sy, 2019).
En fin de compte, les résultats montrent que jusqu’à présent, l’offre de services d’ECC et de SLD reste le domaine majoritairement non rémunéré des femmes au sein des familles, car l’offre de soins publics ou d’infrastructures sociales reste limitée (OIT, 2018 ; AFECN, 2021 ; Black & al. 2017 ; Clark & coll. 2017). À l’échelle mondiale, les soins familiaux non rémunérés restent un facteur majeur d’inégalité entre les sexes, ayant un impact sur les opportunités sociales et économiques des femmes (Razavi, 2007, 2016). Elle est souvent associée à des soins de mauvaise qualité, à des tensions entre travail et famille, au stress et à des problèmes de santé (OIT, 2018 ; OMS, 2015).
Conclusion
Les enfants et les adultes dépendants sont des êtres qui ont besoin de soins au quotidien à cause de leur vulnérabilité physique. Dans les ménages, les personnes qui s’en occupent ou leur prodiguent des soins le font pratiquement par obligation morale ; par souci de redonner à la progéniture qui les a soutenus et élevés et par le besoin de transmettre à leurs enfants l’amour et la protection qu’ils ont reçus. Il s’agit donc d’une activité qui demande du temps et une présence physique, que les personnes qui travaillent hors de chez elles ne peuvent pleinement assumer. Ceux qui en ont les moyens recrutent des domestiques qui les remplacent, pendant qu’ils effectuent un travail rémunéré ailleurs.
C’est aussi pourquoi nous avons observé, à travers nos résultats, que le taux de participation ainsi que le temps alloué aux soins dépendent de plusieurs variables sociodémographiques et socio-économiques. La conclusion que l’on peut tirer de l’analyse est que le travail de soins concerne principalement les pauvres. Il s’agit d’une activité souvent non rémunérée et qui prend plus de temps aux femmes appartenant à des classes sociales défavorisées. Même les femmes qui font carrière dans le secteur des soins en travaillant comme domestiques contre une rémunération sont issues des ménages pauvres et travaillent pour des ménages appartenant à des catégories sociales plus élevées.
Dans les pays occidentaux, les réflexions prennent de plus en plus d’ampleur sur le care et ses diverses orientations : rémunéré ou non, formel ou informel, domination des hommes sur les femmes ou réciprocité, corvée ou passion, fardeau ou bénédiction, etc. Au Sénégal en revanche, le débat sur le travail non rémunéré effectué par les femmes au sein de leur foyer n’a pas encore pris de l’ampleur. La société partage l’idée selon laquelle plus une femme s’efforce de prendre soin de ses enfants et des membres de son foyer, plus elle a de chances d’avoir des enfants qui réussiront dans la vie et pourront à leur tour prendre soin de leur mère dans sa vieillesse.
On constate donc une des limites majeures de l’ENETS, qui se limitait à quantifier le temps alloué aux soins sans s’interroger sur les raisons qui le motivent. C’est aussi une limite de cet article qui manque d’éléments sur la nature des soins, et sur la satisfaction des bénéficiaires et des dispensateurs de ces soins. Nous ne savons pas si les gens prodiguent des soins par affection, par amour, par contrainte ou par manque de choix. On ne sait pas non plus si les bénéficiaires de ces soins ne préfèrent pas des soins plus organisés, plus formels et meilleurs qualitativement et quantitativement. Améliorer l’ENETS avec l’intégration de tous ces paramètres pourrait enrichir davantage les débats sur les soins dans un contexte de pauvreté.
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