Experiences of proximity, memory and production of lived space
Guy Di Méo
〉Professeur émérite en géographie
〉Université Bordeaux Montaigne
〉UMR 5319 Passages 〉
〉 Article long 〉
Résumé : L’espace vécu se construit par un jeu d’interactions entre les structures objectives d’un territoire ou d’un lieu (espace produit, espace conçu), les pratiques concrètes (espace de vie soumis à des effets de proximité) que tout individu y déploie, mais aussi les souvenirs (mémoire) et les imaginaires, tant collectifs qu’individuels qu’il suscite. Afin d’approfondir les modalités matérielles et cognitives de la production d’un tel espace vécu, cet article visite mes propres liens à la ville de Pau (Sud de la France). Pour mener cette quête, je propose un modèle théorique qui place tout habitant au centre d’un faisceau de rapports dialectiques tendus entre l’infrastructure matérielle d’un territoire (Géographie physique et sociale + Économie) et sa superstructure idéelle (Pouvoirs + Idéologies). L’exploitation de ce « quadrangle » livre plusieurs enseignements : interférences fortes entre les structures de l’espace social et le déroulement, pour chacun, de son quotidien (espace = acteur/actant de proximité) ; imprégnation de toute représentation mentale de cet espace par les effets cumulés de la pratique et d’une mémoire, activée au gré des circonstances, qui transcende les sensations du passé pour en faire des séquences intemporelles, un « temps retrouvé » dévoilant l’essence du lieu ; capacité de tout sujet à s’approprier un discours territorial et à le transformer, à travers le filtre de son vécu, en images personnelles refondatrices des lieux (espace miroir de soi).
Mots-clés : dialectique, espace vécu, imaginaire, mémoire, Pau, pratique, représentation.
Abstract: Lived space is constructed through a set of interactions between the objective structures of a territory or place, the concrete practices (living space) that each individual deploys there, and the imaginary and memory that he or she invests in it. In order to investigate the material and cognitive modalities of the production of such a space, this article visits my own links to the city of Pau (South of France), which I have been visiting and living in for almost three quarters of a century. To carry out this quest, I propose a theoretical model that places every human subject at the centre of a bundle of dialectical relationships, stretched between the material infrastructure of a territory and its ideal superstructure. The exploitation of this “quadrangle” provides several lessons: strong interference between the structures of social space and the unfolding, for each person, of his or her daily life (actor space); impregnation of any representation of this space by the cumulative effects of practice and memory; capacity of any subject to appropriate a territorial discourse and to transform it, through the filter of his or her own experience, into a personal image, refounding the places (mirror space of the self).
Keywords: dialectic, imaginary, lived space, memory, Pau, practice, representation
Défini par Henri Lefebvre et Armand Frémont (1974, 1976), le concept d’espace vécu, que l’on pourrait rapprocher de celui « d’habiter » (Lazzarotti, 2006), traduit l’incorporation physique et l’assimilation mentale des espaces sociaux de proximité que tout individu vit et occupe, parcourt, perçoit et se représente. Avant d’aller plus avant dans la présentation de ce schéma théorique, il convient de définir les trois notions géographiques qui en forment le substrat : l’espace, le lieu, le territoire. Terme le plus générique, celui d’espace (géographique et/ou social) décrit l’étendue terrestre de la géographie physique, humaine, sociale. Il englobe le territoire aussi bien que le lieu. Ce dernier relève d’une situation plus précise, quasiment ponctuelle, quelle que soit l’échelle de son observation. Ainsi, sur une carte à petite échelle, la ville/métropole se réduit à un point. À grande échelle, la place, la rue, la maison, deviennent à leur tour des lieux ponctuels ou de faible extension, alors que l’entité urbaine se territorialise et prend corps. La propriété majeure du lieu tient à sa nature de site bien circonscrit, de pôle sémiotique (signifiant) possédant une signification particulière (signifié). Il s’agit d’un espace généralement borné où s’opère une transformation du sujet. J’entends par ce terme deux choses. Soit un changement de statut de l’individu troquant, par exemple, son rôle d’agent anonyme de l’espace public pour celui d’acteur privé dans son foyer domestique. Soit la fréquentation d’un endroit de rencontre, de travail, de loisir, de service (public, privé) ou de mémoire (monument, lieu patrimonial), susceptible de répondre à un besoin personnel (la poste, l’école, l’hôpital, etc.) et d’engendrer des sentiments contradictoires : satisfaction, soulagement, bien-être, voire a contrario désillusion, malaise et mal-être, anticipation d’un futur heureux ou détestable… Entre l’espace et le lieu, le territoire présente des formes et des dimensions variables. Résultat d’une médiation socio-spatiale, il articule les dispositifs matériels et objectifs produits par les organisations administratives, politiques et économiques, avec les innombrables vécus de ses habitants. Les premiers le dotent de sa charpente, de ses limites spatiales et de ses centralités. En l’inscrivant dans leurs pratiques, leurs représentations et leurs imaginaires, les seconds lui confèrent une instabilité géographique, une fragilité formelle compliquant son identification jusqu’à la virtualiser.
Dans la mesure où le distinguo de ces trois concepts s’avère parfois ténu, il m’arrivera de passer vite de l’un à l’autre, tout en m’efforçant de ne pas prendre l’un pour l’autre. Si la proximité vécue se retrouve à l’état pur dans le lieu, elle tend à s’effriter dans le territoire et plus encore dans l’espace géographique (étendue) où la distance règne sans partage. Exemple de ces interférences conceptuelles, « l’effet de lieu » de la géographie sociale (Frémont, Chevalier, Hérin, Renard, 1984) se rapporte aussi bien à la localité étroite (la maison de mon enfance) qu’au territoire plus vaste et plus indécis auquel j’ai le sentiment d’appartenir : je me sens en effet Palois et Français (sans exclusive) au sens très territorial de ces attachements. Cependant, mon identité paloise se nourrit-elle d’une représentation globale de la ville/agglomération, voire du Pays de Béarn qui la ceint, ou de mon rapport concret aux lieux de la ville autour et en fonction desquels s’organise ma vie ? Les deux, sans doute, au prix d’un jeu subtil d’imbrications de pratiques et d’apprentissages, d’images, d’ambiances, de sensations…
Manifestant une influence des lieux sur la psyché et sur le corps, l’espace vécu s’enrichit des pratiques, des rêves, des souvenirs et des imaginaires propres aux individus qui se le représentent. Y compris, d’ailleurs, lorsque ceux-ci s’évadent de la stricte proximité. En conséquence, l’espace vécu exprime le contenu, à la fois réel et fantasmé, du rapport de chaque personne à l’espace géographique. Alors que la production de l’espace social participe d’une œuvre collective, celle de l’espace vécu relève plutôt de la juxtaposition d’expériences privées. Définir l’espace vécu revient, en conséquence, à donner la parole à l’être humain confronté à des « effets de lieu » ; le lieu et le territoire agissant sur chaque sujet comme un acteur/actant et comme un miroir de ses comportements, de ses représentations. Produit personnalisé d’un frottement de chaque individu aux réalités quotidiennes, l’espace vécu fait, à ce titre, une place de choix aux expériences de proximité, actuelles et passées, ainsi qu’aux imaginaires qu’elles suscitent.
Dans cet article, je décrirai une méthode de décodage d’un tel espace (Di Méo, Buléon, 2005 ; Gravereau et Varlet, 2019), à la fois objectif et subjectif, matériel et idéel. J’inscrirai cette méthode dans un cadre théorique et épistémologique s’accordant à de récentes orientations de la pensée géographique : analyse structurale-constructiviste et investigation tant socioculturelle qu’humaniste des réalités spatiales. Cet appairage s’impose, de mon point de vue, si l’on ne souhaite pas étudier l’espace social sous l’unique focale d’une pseudo-rationalité objective, ou si, inversement, l’on se refuse à tenter de saisir sa complexité à travers le filtre trop subjectif des seules représentations individuelles. C’est cette voie difficile d’un entre-deux méthodologique que je m’efforce de suivre. Dans cette optique, je baliserai le chemin qui mène d’un espace conçu et produit par les acteurs dominants d’un territoire, jusqu’à l’émergence des espaces vécus de ses habitants et visiteurs ordinaires -moi-même en l’occurrence, même si mon métier de géographe m’inscrit forcément en marge de cette situation. Je confronterai ensuite la ville de Pau, considérée dans ses dimensions géo-historiques, à ma propre intériorité, nourrie des expériences et des pratiques de ce même territoire de proximité. Dans cette optique, je parlerai à la première personne : « je ».
La cible que je vise est celle des voies d’une recherche susceptible d’avancer dans la compréhension des rapports complexes que tout individu tisse avec ses espaces de vie (Di Méo, 2021) : sa manière d’habiter, en somme. En fait, l’enjeu épistémologique de cette quête touche au moins à deux registres. Primo, pour toute personne, l’analyse réflexive de ses propres rapports spatiaux, surtout si elle se double d’une pratique assidue et apaisée de ses lieux de vie, génère à coup sûr du bien-être, tant corporel que psychique. Cette idée d’une thérapie spatiale par le parcours et l’évocation introspective des lieux vécus a d’ailleurs été conçue comme un appoint technique des séances curatives de micro-psychanalyse (Fanti, 1981). Je ferai ici l’hypothèse supplémentaire que cette démarche, à la fois concrète, sensible et méditative, conduit tout individu (et moi le premier) à éprouver le lien écologique qui le rattache à ses espaces de vie. Elle augmente ses chances d’adhésion (à) et d’intégration (dans) son environnement existentiel. Secundo, le succès d’un ménagement/aménagement des villes dont l’espace matériel et social est souvent malmené, dépend (peut-être ?) de cette identification/confrontation des innombrables facettes du vécu des habitants ; soit une première étape vers leur réappropriation de l’espace conçu.
Le choix de Pau, en tant que laboratoire d’une expérimentation du concept d’espace vécu, tient essentiellement au hasard de mes liens personnels et anciens avec cette ville. Je l’ai connue, alors enfant, dans les années 1950, à l’occasion de visites que nous faisions à Pau, mes parents et moi, lors des vacances que nous passions au pied des Pyrénées dans le village natal de mon père. J’y suis revenu à plusieurs reprises, dans les années 1960, à peu près dans les mêmes circonstances saisonnières et familiales. Et puis, au tout début des années 1970, j’obtins à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), fraîchement créée, un poste d’assistant au département de Géographie. Jusqu’en 1994 j’y poursuivis ma carrière et, malgré ma nomination à l’Université de Bordeaux, j’ai toujours maintenu à Pau ma résidence principale. C’est donc un mélange d’attaches anciennes et de circonstances plus hasardeuses, jalonnant les cinquante dernières années, qui ont transformé le Bordelais d’origine que j’étais en Palois d’adoption. Qu’il y ait eu, là, matière à conditionner la manière à la fois familière, prescrite et opportuniste dont s’est structuré mon espace vécu n’est guère douteux.
1. Esquisse d’un cadre théorique et méthodologique : l’espace vécu
Pour cerner l’espace vécu je fais donc appel à une théorie hybride établissant un pont entre les thèses structuralo-constructivistes de la production sociale de l’espace géographique et celles qui se rallient à la lecture humaniste ou phénoménologique des rapports comme des dispositifs socio-spatiaux (Tuan, 1971).
1.1. Emergence d’une théorie hybride
J’estime que l’espace géographique, tant matériel qu’idéel, découle, tel un palimpseste, de l’entassement de nombreuses strates historiques d’espaces sociaux, plus ou moins effacées, plus ou moins persistantes. Promoteur de cette idée d’une sédimentation des modes de développement géo-historiques qu’il nommait des « économies monde », Fernand Braudel (1966) parlait d’une « décomposition de l’histoire en plans étagés » ; chacun de ces « plans » faisant preuve de plus ou moins de résilience dans le flux inexorable du temps. Façonnés de ce métal, lieux et territoires sont à la fois les résultantes généalogiques et les creusets de toute vie humaine. C’est sur ce fond structural que je greffe une vision plus humaniste de l’espace géographique. Elle consiste à approfondir les représentations vécues de chaque individu. Ce qui revient à interroger notre manière d’habiter « en poète » (Hölderlin, In lieblicher Bläue, 1806 ; cité par Heidegger, 1989, 2013), c’est-à-dire en véritable créateur de mots et de situations, en explorateur de l’essence des choses et des lieux. Admettre que l’être humain dispose de ce pouvoir ‘poétique’, infère que par-delà toutes les chaînes qui l’entravent, il jouit d’une certaine liberté de pensée et d’action. Je crois que l’association de l’idée d’une production sociale de l’espace géographique avec la conviction que tout regard humain donne du sens à son environnement, fournit une clé de la compréhension du rapport des humains à la terre. Dans cette optique, la prise en compte de la proximité géographique constitue une obligation méthodologique.
C’est au milieu des années 1970 qu’Henri Lefebvre (La production de l’espace, 1974) et Armand Frémont (La région, espace vécu, 1976) ont proposé un nouveau paradigme de l’espace social et de sa production. L’originalité de ces deux auteurs a tenu au fait qu’ils ont installé leur concept d’espace social dans la réalité géographique. Il s’agissait là d’une posture qui les distinguait de la lecture dématérialisée qu’en faisaient auparavant, et qu’en firent par la suite nombre de socio-philosophes, de Pierre Bourdieu (1980) à Jürgen Habermas (à propos de l’Espace public, 1962, 1993). C’est sans doute à partir de la trilogie de Lefebvre (espace conçu, espace perçu, espace vécu) que Frémont forgea les notions essentielles d’ « espace de vie » (espace des pratiques concrètes, forcément perçu) et d’ « espace vécu », laquelle renvoie, comme dit plus haut, à la sensibilité des individus socialisés, à leurs représentations, à leur imaginaire, à leur mémoire. Quant à l’espace conçu, plus discret chez Frémont que chez Lefebvre, il constituait à leurs yeux le fruit d’un principe de domination et d’aliénation qui s’exerce sur tout habitant par l’intermédiaire des cadres de vie que lui imposent des pouvoirs le privant de parole : pouvoirs des élus, des planificateurs, des urbanistes et des technocrates, et bien sûr, en arrière-plan, celui du capital (Harvey, 1985). De nos jours, les progrès de la démocratie participative et les controverses quasi-systématiques que soulèvent nombre de projets d’urbanisme et d’aménagement atténuent sensiblement le caractère autoritaire d’un tel espace conçu.
1.2 Rôle cognitif des pratiques, des imaginaires et du vécu
À l’image de Léopold Bloom et de Stephen Dedalus, personnages clés de l’Ulysse de Joyce (1922, 1978), nous entreprenons, chaque matin, une odyssée à notre mesure. Nous parcourons les rues de Dublin, de Pau, ou d’une autre ville, pour nous rendre sur notre lieu de travail, dans une bibliothèque, à l’université, au restaurant l’heure venue… Ces espaces parcourus, pratiqués, retentissent parfois des résonances mythiques dont James Joyce a nourri son roman fondateur de la femme (monologue final de Molly) et de l’homme contemporains. Le plus souvent, cependant, chacun de nous se contente de construire, au gré de ses déplacements les plus fréquents autour de son logis, ou en différents points autour de ses lieux de vie polycentriques, un habitus géographique élémentaire. J’entends par là un ensemble d’impressions, de ressentis, mais aussi de réactions, de dispositions à penser, rêver, agir, se comporter, variant selon les lieux de nos passages et de nos fréquentations. Toutes choses impliquant chaque parcelle, chaque lieu de l’espace que nous pratiquons et que nous percevons (espace perçu, espace de vie), que nous vivons en l’enrichissant de notre imaginaire, de notre flux de conscience, en un mot de nous-mêmes (espace vécu)… Comme chez Joyce, justement.
Ainsi un rapport spatial de proximité s’établit, à la fois personnel et soumis à de multiples influences. Les unes tiennent à nos conditions objectives d’existence, à notre position de classe, de genre, à notre âge, à notre religion, etc. Les autres viennent de l’extérieur, des configurations de la rue et des immeubles, des contextes de vie en général (espace conçu), mais aussi des événements, de nos rencontres, des paysages et des ambiances qui nous pénètrent, nous façonnent en toute inconscience, de manière quasi-subliminale. Comme cet habitus spatial a besoin de répétitions pour se forger, il nécessite des circulations récurrentes, des marches et des stations régulièrement accomplies dans une aire gérable par nos pas, notre coup de pédale ou, moins efficace, le déplacement ralenti en zone urbaine de nos véhicules motorisés. Dans son roman Leurs enfants après eux, Nicolas Matthieu (2018) décrit un tel apprentissage aussi physique que mental. Il dit de l’un de ses personnages : « Anthony allait seul (…), dans les rues qui à force s’étaient gravées dans son ventre. Depuis l’enfance il rôdait dans les environs et connaissait chaque maison, chaque rue, les lotissements, les décombres et les pavés. Il y était passé à pied, à vélo, à moto. Il avait joué dans cette allée, s’était fait chier assis sur ce muret, il avait roulé des pelles sous l’abribus et traîné sur les trottoirs… »
L’espace vécu peut être considéré, à la manière de Lefebvre, comme l’expression d’un principe de domination incorporée qui soumettrait les humains à l’espace conçu par le pouvoir. On peut aussi l’envisager, à la façon de Frémont, comme un flux de conscience, comme un langage intérieur (Joyce, 1922, 1978) se nourrissant, entre autres, des expériences géographiques de chaque individu que la société détermine. Je me rallie personnellement à cette seconde interprétation.
Michel Lussault (2007) partage ce point de vue d’un espace vécu correspondant à l’assimilation personnelle d’éléments issus de la pratique sociale et géographique de chacun. Si j’adhère à cette idée ‘bourdieusienne’ d’une intériorisation de l’extériorité, j’ai plus de mal à admettre sa réciprocité dialectique, immédiate et sans filtre, soit l’extériorisation active (agency) de l’intériorité imaginative de tout être humain. À mon sens, il convient à ce niveau de faire intervenir, avec le courant structuraliste de Claude Lévi-Strauss (1958, 2003), avec Cornelius Castoriadis (1975) et Bernard Debarbieux (2013), le rôle déterminant pour la formation des représentations psychiques individuelles d’un système symbolique partagé. Cet imaginaire collectif ou social sert de double médiateur entre le sujet et le milieu géographique. D’une part, il autorise la connaissance du milieu par le sujet (intériorisation de l’extériorité). D’autre part, il motive et légalise l’intervention de celui-ci sur celui-là (extériorisation de l’intériorité). Prenant leurs distances avec l’acception purement cérébrale de l’imaginaire, Gaston Bachelard (1957, 1961, 2020) et Gilbert Durand (2016) n’ignoraient pas, eux non plus, l’importance des perceptions et stimulations physiques pour la formation des images mentales. Conviction dont on peut remarquer l’absence chez Jean-Paul Sartre (1940, 1986), ou le caractère ambigu chez Ernst Cassirer (1973). Pour ce dernier, même si tout symbole est motivé par un « rapport de naturalité », un abîme mystérieux, difficile à sonder, demeure entre l’objet lui-même et le signe qui engendre sa représentation. Il est entendu, par ailleurs, que je conçois les objets de la perception dans un sens très large, celui de dispositifs spatiaux socialement signifiés et dotés d’une consistance matérielle. Les lieux, sites et paysages de la géographie, les territoires entrent dans cette catégorie.
Ces représentations vécues et évolutives, patiemment acquises par le concours cognitif des pratiques de l’espace, des conditions objectives d’existence de chacun et des contextes de vie qui les accompagnent, enregistrent la médiation des systèmes symboliques qui concentrent le capital culturel d’un groupe. Cependant, de telles représentations ne se comprendraient pas sans le recours théorique à l’interaction structurelle de quatre instances constitutives de tout espace social : la géographie des formes et des pratiques ; les aléas du contexte économique ; la temporalité des idéologies, des imaginaires (incluant le système symbolique et culturel propre à un collectif évoqué ci-dessus) ; l’action de tous les pouvoirs s’exerçant sur l’espace et sur la société. Schématiquement, ces quatre instances occupent les angles d’un quadrangle territorial (celui de Pau en l’occurrence, figure 1). Elles interagissent et se combinent. Elles participent à notre propre construction mentale et façonnent nos représentations comme nos usages.
Ces quatre énergies interactives ne deviennent opératoires que lorsqu’elles entrent en collision avec le sujet, l’individu pensant et sensible. Or, cette percussion se renouvelle sans cesse au fil du temps, au fur et à mesure que les paramètres personnels et territoriaux varient. Les paramètres personnels témoignent de la position sociale et des conditions d’existence, plus ou moins changeantes, de tout être humain. Les paramètres territoriaux s’identifient aux conditions d’évolution/transformation des éléments de la formation socio-spatiale ou, si l’on préfère, du système territorial considéré (Moine, 2007). Ce dernier associe les gens et les lieux par le ciment des représentations individuelles et sociales. Un tel complexe territorial se modifie au fil du temps par sédimentation ou délitement de ses couches successives. De plus, le quadrangle d’un territoire donné n’épuise pas, à lui seul, les expériences géographique de l’individu-habitant. En ce qui me concerne, d’autres espaces sociaux que celui de Pau contribuèrent à me construire. Il en résulte cette alchimie propre à chacun, cet effet inextricable des influences et inspirations variées auxquelles nous sommes soumis au rythme de notre existence. La force des quatre énergies en question ne chasse pas non plus le dialogue permanent, engagé par chacun de nous, entre l’idéel et le matériel, le signifiant et le signifié de toute chose. N’est-ce pas ces jeux croisés, convoquant les pratiques et l’expérience sensible (espace perçu), mais aussi les vagabondages de l’imaginaire et les reflux de la mémoire, ingrédients majeurs de l’espace vécu, qui fondent la validité et la fécondité, le charme aussi de cette nouvelle géographie cognitive, sociale et humaniste, un brin littéraire, inaugurée il y a cinquante ans par Armand Frémont (1974, 1976) ?
2. Chronologie des expériences et des impressions concrètes d’une ville vécue
À l’aide du quadrangle territorial et de ces trois catégories spatiales (espaces de vie, conçu, vécu) dont l’articulation d’ensemble fait sens pour rendre intelligible notre rapport géographique au monde, je procède maintenant à la relecture de mon expérience vécue d’une ville où j’ai passé, quelques interruptions de fréquentation et de résidence mises à part, près d’une cinquantaine d’années. Une ville où je vis encore : Pau, au sud-ouest de la France, dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Je restitue ici, bien sûr, des ‘effets de mémoire’ subjectifs ; mais en partie seulement, car mon cadre objectif de vie a forcément inspiré et structuré mes représentations. Mon regard sur la ville cumule aujourd’hui ces héritages. Il les trie et les assemble pour dessiner et colorier une image de Pau qui m’est propre, mais qui épouse tout de même quelques traits du complexe mythique et symbolique édifié dans la longue durée à propos du territoire palois, système idéologique dont s’imprègne plus ou moins la société locale. Il ressort de cette modeste épopée le sentiment d’avoir vécu, et de vivre encore (pour le dernier) quatre temps très personnels de ma fréquentation de la ville. À chacun de ces quatre temps a correspondu, dans l’intimité de mon vécu et de mes pratiques spatiales, un faisceau particulier d’impressions, de sensations, de sons et de couleurs, d’odeurs, d’images, de sentiments et d’émotions… Bref, de représentations diverses de Pau.
2.1 Temps 1 (T1), l’enfance
C’est le temps très affectif et spatialement très borné d’une enfance en situation de brève villégiature : une visite de fin d’été, quasi-touristique, effectuée en compagnie de mes parents, vers l’âge de six ou sept ans, au tout début des années 1950. Dans mon souvenir, cette ville se résume à quelques fulgurantes impressions solaires : l’éclat d’une lumière intense à travers l’étrange ramage d’un palmier ; la silhouette massive et imposante d’un château ; la chaleur et la soif ; la consommation d’une grenadine, assis à la terrasse d’un café (sans doute sur le boulevard des Pyrénées ?), face à la montagne que mes parents me montraient et que je ne parvenais pas à distinguer : prémices d’une myopie tenace ?
2.2 Temps 2 (T2), l’adolescence
Le Pau de mon adolescence (T2) s’inscrit avec plus de détails dans ma mémoire. J’y effectuais alors de brefs passages, soit pour approvisionner le quotidien d’une maison de vacances béarnaise, soit pour fréquenter la gare routière. Je revois clairement mes parcours bien balisés dans le contexte d’agitation et de bruits d’une ville en grande part inconnue. Ces déplacements à pied se limitaient à quelques lieux (places) et axes viaires fonctionnels : l’arrêt des bus, au pied du Palais des Pyrénées (actuelle place Clémenceau, centre de la ville), où l’on prenait le car pour la campagne béarnaise, une longue rue commerçante (rue Serviez) menant aux Halles et aux nombreux magasins qui les bordaient : magasins populaires et quincaillerie, boutiques d’étoffes et de vêtements, restaurant où nous déjeunions parfois… Les grandes surfaces de la périphérie n’existaient pas encore et le centre urbain du négoce et des transports, cœur et résumé de la ville pour le visiteur épisodique que j’étais, regroupait la plupart des commerces indispensables à la satisfaction des besoins de la clientèle d’une petite région rurale (le Béarn, au pied des Pyrénées). Ces passages fugitifs à Pau me procuraient un indéniable plaisir. Durant une journée, je quittais mon village béarnais de vacances et l’agitation urbaine me proposait un nouveau spectacle, m’accordait un divertissement plaisant. Et puis nous faisions presque toujours quelques achats gratifiants : un poste à transistors et des livres pour égayer de ternes soirées, des accessoires de pêche pour « taquiner le pesquit » dans l’eau si claire du gave d’Ossau, etc.
2.3 Temps 3 (T3), la jeunesse et la maturité
Mon installation à Pau, en 1970 (T3), m’ouvrit d’autres horizons. C’était l’époque des grandes transformations contemporaines des villes et de leurs paysages : début de l’étalement urbain ; achèvement de la construction des grands ensemble d’habitation ; planification des sols en zones spécialisées ; émergence des centres commerciaux périphériques ; distances augmentées entre résidence, lieux de travail et de consommation ; apparition d’aires spécialisés de services et de loisirs ; démultiplication des mobilités, etc. Pau figurait parmi les villes de France connaissant alors les plus importantes mutations. Pour autant, selon une formule en faveur à cette époque, ma vie se résumait à la fameuse trilogie « métro-boulot-dodo », sauf que les distances n’étaient pas grandes et que l’automobile personnelle, autorisant quelques escapades vers la montagne proche, remplaçait un métro absent et d’ailleurs inutile dans une agglomération de cette taille. Il n’empêche que dans ce contexte, ma ville parcourue, mon espace de vie se calquait sur le quadrant nord-est d’une commune en pleine croissance : entre ma maison, l’université au nord, et d’inévitables incursions vers le centre où se regroupait encore l’essentiel des commerces (marché, magasins), des autres services et des théâtres/cinémas. Mon mode de locomotion accordait alors une place écrasante à l’automobile. Je me rendais, ainsi motorisé, d’un point à l’autre, ignorant les vides, les « tunnels » qui me séparaient des lieux autour desquels s’organisait ma vie. Admettons que j’exagère sans doute un peu, car ma profession de géographe et les études de terrain que je menais avec les étudiants m’obligeaient à ne rien ignorer de l’espace urbain local et à identifier les facteurs comme les biais et lacunes de son développement. Cependant, l’objet de mon enseignement n’avait rien de vécu. Je réifiais la ville sans la vivre, sans l’habiter vraiment. Rien à voir avec ma pratique d’aujourd’hui.
2.4 Temps 4 (T4), vieillesse et retraite
Depuis le début de la décennie 2010, de retour à Pau après une vingtaine d’années de résidence alternée à Bordeaux où je travaillais, je dispose désormais de beaucoup de temps libre. Je profite largement des innombrables espaces de verdure, j’arpente les longues allées arborées, les rues et les places, les chemins des espaces boisés… Je m’efforce d’explorer de nouveaux itinéraires dans la ville et dans ses banlieues, avec l’œil toujours porté vers l’arrière-plan des collines sous-pyrénéennes et des montagnes. J’ai désormais une pratique globale de l’agglomération. J’habite réellement la ville et je m’imprègne physiquement de toutes ses ambiances. C’est un nouveau visage urbain que je découvre et qui façonne mes représentations sensibles : apaisement procuré par les lieux de nature ; tension et malaise éprouvés en traversant les secteurs où se signalent la pauvreté et les détresses sociales ; bien-être ressenti devant le paysage des montagnes, visibles depuis la ville ; souvenir ranimé, parfois douloureux, d’amis disparus ; satisfaction ou exaspération citoyenne devant certaines réalisations municipales ; etc. Ainsi, malgré mon âge avancé, mon être ne cesse de se construire, de s’élaborer au contact assidu de la cité paloise.
Je dispose donc, au total, de quatre expériences matérielles et décalées de Pau (T1, T2, T3, T4), de quatre jeux de représentations de sa réalité. Si celles du T4 se calquent sur mes pratiques actuelles, celles des trois périodes passées et plus lointaines sollicitent ma mémoire. Il s’agit d’une mémoire enfouie ou en apparence oubliée, mais susceptible d’une émergence spontanée sous l’effet d’une stimulation, consciente ou non. En prise avec l’espace que je perçois, lui-même produit à partir de l’espace conçu (Lefebvre), je sélectionne, au fil de mes pratiques, des séquences de proximité que j’explore mentalement. Les unes, la plupart, n’éveillent pour moi aucune émotion particulière. Seules quelques-unes, beaucoup plus rares, me plongent dans l’excitation d’un « temps retrouvé » (Proust, 1927, 2016). Celui-ci, mêlant passé et présent, m’autorise à « jouir de l’essence des choses (…) en dehors du temps », dans la mesure où la fusion du passé et du présent tend à annuler l’un et l’autre au bénéfice d’une représentation unifiée, quasi-intemporelle de l’espace-temps. C’est de cette façon que j’accède à l’intuition sensible, pénétrante et néanmoins fugitive, d’une essence des choses et des lieux dépouillés de leur enveloppe temporelle, soit la forme la plus accomplie de l’espace vécu.
Cependant, derrière l’amalgame complexe des expériences de proximité et de la mémoire, comment l’espace, lui-même, contribue-t-il à forger mes impressions, à organiser en quelque sorte mes pratiques et mon vécu ? C’est ce que je souhaite maintenant tenter d’éclairer.
3. Dans la longue durée : les empreintes des trois âges d’or d’une ville [figure 2]
Historiens et géographes s’accordent pour identifier trois périodes prospères, disons trois « âges d’or » (je les appelle ADO 1, 2, 3) de l’histoire de Pau (Tucoo-Chala, 1989) ; commune urbaine et agglomération de taille moyenne (76 000 et 163 000 h. aujourd’hui), née tardivement, au XIIe siècle, sur un site défensif majeur du comté de Foix-Béarn : un rocher escarpé dominant un gué du Gave (rivière), au croisement de deux routes stratégiques, l’une sud-nord débouchant des Pyrénées, l’autre, est-ouest, jalonnant leur piémont septentrional.
3.1. L’âge d’or (ADO 1) – La capitale royale
Longtemps Pau ne fut rien, sinon une place militaire nantie d’une forteresse et d’un étroit bourg castral. Puis, aux XVe et XVIe siècles, tout changea. En 1472, les souverains de Navarre-Béarn, progressivement chassés du sud des Pyrénées, installèrent leur capitale et leur cour dans la petite cité. S’ouvrit alors un siècle et demi de prospérité et de croissance (ADO 1). Jusqu’en 1620 (date de l’annexion du Béarn à la France), sous les dynasties d’Albret, de Navarre et de Bourbon, Pau grandit, s’étendit de quelques rues, fut dotée de vastes jardins et de parcs royaux, ainsi que d’un Palais de gouvernement et d’un hôpital… Ce premier âge d’or fut aussi celui de la formation en ce lieu de la dernière monarchie française, celle des Bourbons, portée à la tête de la France par Henri IV, né à Pau en 1553.
Après l’annexion française, malgré l’installation d’un Parlement et de tout un peuple de gens de robe, la ville entra dans une longue période de développement modéré, soutenu par ses fonctions judiciaires et de services pour tout un « pays » formé du Béarn, de la Basse-Navarre et de la Soule. De 2000 habitants au début du XVIIe siècle, la population passa à plus de 11 000 en 1831. Toujours blottie à l’est de son château, Pau avait franchi avec peine, en 1678, le ravin (Hédas) qui marquait alors sa limite septentrionale. Suivant l’axe de croissance de la rue Longue (de 300 m. environ) orientée vers l’Est, l’espace urbanisé grignotait timidement les domaines religieux établis par la Contreréforme au flanc de ce bastion du Protestantisme. Ces établissements furent vendus comme biens nationaux à partir de 1790.
3.2. L’âge d’or (ADO 2) – La ville anglaise du climatisme hivernal
C’est au terme des guerres napoléoniennes que les soldats de Wellington goûtèrent aux charmes d’un climat, d’une nature et d’un paysage dont ils vantèrent les mérites à leur retour en Angleterre. Des étrangers fortunés (dominante d’Anglais) affluèrent à Pau. Les années 1870-1880 marquèrent l’apogée de ce deuxième âge d’or (ADO 2), celui d’un tourisme climatique d’hiver qui s’éteignit progressivement au début du XXe siècle et ne résista pas aux bouleversements générés par la première guerre mondiale. Ce boom touristique porta la population permanente de la ville à plus de 37 000 h. en 1911. Les emplois de domestiques offerts par les riches visiteurs, ceux d’une hôtellerie en pleine expansion, alimentaient cet essor d’une population surtout issue des campagnes béarnaises. Tandis que la ville ancienne s’élargissait et se densifiait, les étrangers s’installaient à l’est (quartier Trespoey), au nord-est (allées de Morlaàs), sur les collines de rive gauche du Gave (Jurançon en particulier), dans une vaste cité-jardin parsemée de luxueuses villas. Face aux Pyrénées, au tournant des XIXe-XXe siècles, la ville se dota d’un boulevard ponctué d’hôtels de prestige, d’un Parc et d’un Palais d’hiver. Elle s’enrichit d’une palmeraie plantée sur l’escarpement du Gave, entre centre et château. Ces arbres des régions chaudes ont trouvé à Pau un milieu leur convenant parfaitement, au point qu’on les retrouve à l’état désormais naturel dans la composition floristique des ripisylves luxuriantes qui ourlent, au sud de la ville, le cours tumultueux du Gave.
Le cycle d’or de la villégiature d’hiver épuisé, les municipalités paloises, espérant réamorcer la pompe de ce pactole, se lancèrent dans une politique d’urbanisme et d’équipements au cours des vingt années de l’entre-deux-guerres. Elles y parvinrent au prix d’un compromis politique entre Droite et Gauche qui fonctionna jusqu’au début des années 1970. La ville grandit alors vers le Nord, jusqu’à atteindre une première ceinture de boulevards. Encore partiellement rurale, elle fut dotée de grandes places (Clémenceau, République) formant un axe méridien administratif et commercial. Un Palais des Pyrénées fut bâti afin d’assouvir l’appétit des résidents étrangers (de plus en plus rares) pour les spectacles, les distractions sportives et mondaines (ADO 2+). Rien n’y fit, le deuxième âge d’or était révolu, et les édiles ne firent que creuser le déficit des finances municipales… Mais ces réalisations demeurèrent comme la promesse d’un avenir plus brillant.
3.3 L’âge d’or (ADO 3) – ville universitaire, hydrocarbures, aviation, technopole
À Pau, les deux premiers âges d’or avaient duré entre un siècle et demi (ADO 1) et un peu moins d’un siècle (ADO 2). Le troisième, amorcé au tournant des années 1950-1960 (ADO 3), connaît de nos jours une certaine pérennité, même si ses ressorts ont quelque peu changé depuis une vingtaine d’années.
La découverte d’un important gisement de gaz naturel, à Lacq, près de Pau, au début des années 1950 (fixation dans la ville de l’administration et de la recherche de son exploitant, la Société nationale des Pétroles d’Aquitaine, puis, bien plus tard, du groupe TOTAL), fut le déclencheur, avec la « révolution » agricole des maïs hybrides en Béarn, d’un élan économique et démographique sans précédent. Il convient d’ajouter à ces deux facteurs d’accroissement des activités, de la population et de la richesse, les apports d’une industrie aéronautique florissante et d’un développement induit du secteur tertiaire. La ville, devenue agglomération, s’étoffa dans toutes les directions, particulièrement au Nord et à l’Ouest où de nouveaux lotissements de pavillons individuels se partagent l’espace avec des cités d’habitat social et des résidences plus cossues de taille moyenne. Cette urbanisation s’effectua dans un cadre où la végétation arborée ne perdit jamais ses droits. Si cette dynamique se poursuit depuis la fin du XXe siècle, en gagnant la plupart des communes béarnaises (aire urbaine comptant désormais plus de 240 000 habitants), ses moteurs économiques ont évolué. À part les ressources gazières, les piliers des années 1960 demeurent, mais ils ont agrégé les nouveaux atouts d’une technopole orientée vers la chimie, la recherche énergétique, l’informatique et le design, les nouveaux matériaux, etc. Technopole âgée d’une trentaine d’années qui se développe dans le sillage d’une université dynamique, spécialisée dans le domaine de la transition énergétique.
Comment ce palimpseste palois agit-il sur les pratiques et les représentations de ses habitants soumis à des conditions d’existence à la fois semblables et, à bien des égards, d’un individu à l’autre, différentes ? C’est ce point que je voudrais maintenant aborder en m’inspirant de mon cas personnel.
4. Quelle construction mentale de la ville vécue ?
La méthode consiste, ici, à connecter les temps forts de la ville (ADO 1, 2 et 3 sur l’axe des ordonnées) avec ceux de ma propre expérience (GDM T1, T2, T3 et T4 en abscisse) [figure 3]. Je fais l’hypothèse que cette interconnexion me permettra de cerner une réalité paloise, à la fois objective et subjective, afin de dévoiler, en filigrane de mon espace vécu, quelques traits de son essence phénoménologique.
4.1. Raccords du vécu à l’histoire de Pau
Le premier Pau que je connus, enfant (T1), c’est cette ville étroite du premier âge d’or (ADO 1), étirée sur son balcon pyrénéen. C’est à l’ombre du château et des palmiers, sous un soleil de plomb, puis à la terrasse d’un café du boulevard des Pyrénées que ma mémoire reçut le sceau (ADO 1) de cette première expérience paloise. Son espace-temps combinait une collection d’objets et de lieux que l’on qualifierait aujourd’hui de patrimoniaux. Chargés d’une symbolique qui m’échappait alors, ils n’en exercèrent pas moins un puissant impact sur mon jeune esprit. Ils ont contribué à forger la première pièce d’une sorte de schème structurel de mon rapport à la ville, enfoui dans ma mémoire comme une icône fondatrice de mon lien avec elle.
Ces images rémanentes de (T1) témoignent, pour moi, lorsqu’elles se manifestent, d’un « temps » proustien « retrouvé ». Ce sont de brèves séquences échappées de l’oubli, des impressions et des images du passé restituées spontanément à ma conscience au hasard de rencontres objectives : celles de la palmeraie, du château, du boulevard des Pyrénées…J’observe que ces émergences mémorielles adviennent en général sous une certaine lumière, en rapport avec des sensations et des dispositions d’esprit particulières ; soit une version paloise et personnelle de la fameuse « madeleine » de Proust.
En revanche, le Pau sensiblement élargi de mon adolescence (T2) s’appuie sur un corpus mieux ordonné de bâtiments, de places et de rues formant une unité cohérente et quasi-continue d’espace urbanisé (ADO 2 et ses suites de l’entre-deux-guerres -ADO 2+). Le souvenir du contact physique avec ces divers éléments s’enrichit d’une cohorte d’impressions sensibles : le bruit de fond d’une ville coupé d’éclats stridents (klaxons, cris, interpellations), une couleur estivale d’ambiance claire et pâle, le plaisir rafraîchissant de s’asseoir à une table de restaurant, celui d’acquérir des objets convoités que les vitrines promettent… Soit la confirmation concrète d’une évidence : la ville c’est des services, des commerces, de la restauration, du désir, des autobus en partance… Une ville c’est fait pour ça ! C’est cette matérialité-là ! Son souvenir tangible prend place dans ma mémoire : effacé mais prompt à ressurgir, pour peu qu’un incident préside à sa résurrection -principes de la mémoire involontaire et affective donnant naissance au temps retrouvé. Ingrédient majeur de l’espace vécu, l’imaginaire n’est jamais loin. La ville ne se réduit pas au souvenir de ses services et fonctions, elle fait jaillir à ma conscience des bouffées d’impressions sensorielles, des affects, des extensions de sens qui m’entraînent loin de Pau, vers d’autres lieux que le temps retrouvé investit par effet d’association. Des images intemporelles viennent à ma conscience. C’est cela l’espace vécu : l’expérience d’une existence quotidienne doublée par un imaginaire que la rêverie, la mémoire spontanée et la méditation alimentent.
En (T3) j’ai une pratique d’habitant actif, à la fois résident, travailleur et consommateur. Mes relations sociales sont nombreuses et variées. Cependant, mon quotidien s’inscrit dans un agenda serré. Il en résulte une restriction relativement étroite de mes pratiques urbaines, polycentriques et géographiquement éclatées. Mon espace vécu de la ville, parcourue en automobile, s’avère un ‘espace à trous’. Je compense les lacunes de sa connaissance pratique par des informations diverses qui participent plus de mon intellect que de mon vécu. Le boom de croissance (ADO 3) qui affecte alors Pau structure mon espace de vie et le vécu que celui-ci charpente : mon quartier résidentiel au nord-est ; le campus universitaire pour le travail et le bois de Pau pour les loisirs sportifs, au nord ; quelques lotissements de l’est où résident des amis ; l’inévitable mais très sporadique fréquentation du centre ancien rénové… Tous ces lieux fréquentés forment l’archipel existentiel sur lequel mes représentations de la ville tendent à se calquer. Il n’empêche que le souvenir des temps personnels (T1 et T2) du passé, associé aux époques (ADO 1) et (ADO 2), tisse également, en sourdine, l’étoffe de mon vécu.
Aujourd’hui (T4), j’ai dit plus haut combien mon espace de vie s’était agrandi, s’accordant désormais aux dimensions augmentées d’une agglomération pluri-communale. Mon vécu de Pau s’est également enrichi. Aux expériences actuelles, porteuses de leur propre imaginaire (la ville élargie, la ville verte, la ville-jardin, la ville intelligente, la smart city, etc.), mais vite débordées par tout ce que je sais des villes en général, s’ajoutent les couches plus ou moins saillantes de mes représentations anciennes : (T1), (T2) et (T3).
4.2. Le schéma théorique de l’espace vécu
Produit par l’agrégation d’innombrables contacts de proximité, l’espace social se construit au gré des acteurs dominants qui le conçoivent et qui l’imposent à la société sur laquelle ils exercent leur pouvoir. Espace produit et espace conçu forment la matrice de l’espace perçu par tout agent social qui en fait son espace de pratiques, son espace de vie. C’est dans ce terreau que chaque individu, riche ou pauvre de ses capitaux économique, social et culturel, sélectionne, intentionnellement ou non, des séquences émotionnelles au gré des circonstances de son existence. Convertis en images mentales, ces moments d’intense excitation des sens semblent rapidement disparaître dans les profondeurs de la psyché. Cependant, loin de sombrer dans l’oubli, ils ressurgissent lors d’occurrences établissant un rapport analogique avec eux. Généralement fortuits, ces chocs sensoriels réactivent donc une mémoire que l’on croyait défunte. Ils génèrent alors quelques lambeaux d’un improbable « temps retrouvé ». Ces clichés épars agissent comme des déclencheurs, des révélateurs de l’inconscient capables de faire ressurgir à l’esprit et au corps des émotions anciennes, jusqu’alors occultées. Positives, celles-ci augmentent la profondeur réconfortante de notre rapport aux lieux, c’est « la vie heureuse » de Rousseau (posthume, 1782 et 1789, 2003). Négatives, elles ternissent l’éclat d’autres lieux, comme le firent, pour quelques rivages du Léman, certains remords durables du Jean-Jacques des Confessions. Pourtant, en même temps, ces tristes souvenirs revécus se prêtent à une réduction du malaise qu’ils engendrent. Ils procurent, malgré tout, à terme, un apaisement susceptible d’améliorer notre confort psychique, notre bien-être, en harmonie avec notre milieu et nos cadres de vie.
L’intérêt supplémentaire de ce « temps retrouvé » réside dans le fait qu’il constitue une sorte de quatrième dimension de l’espace-temps, laquelle mêle le passé au présent jusqu’à gommer les chronologies ordinaires. Confusion et abolition des temporalités en résultent, libérant une sorte d’invariance, soit une essence du lieu obtenue au prix de sa réduction phénoménologique (Husserl, 1950). L’on est alors tenté d’identifier dans ces expressions d’un « temps retrouvé » les archétypes de l’espace vécu. En effet, l’un comme l’autre néantise les contingences, s’ouvre à l’imaginaire, à des représentations insolites ou analogiques qui répandent un parfum de créativité et de liberté. Temps retrouvé et espace vécu dévoilent une manière « d’habiter en poète », laquelle reflète aussi la diversité des individus. À ce titre, notons que les espaces vécus reproduisent les inégalités sociales. De plus, les espaces vécus participent du système symbolique qui caractérise la sphère ou instance idéologique de tout territoire. Le système symbolique en question médiatise et inspire l’ensemble des relations que tout habitant établit avec son espace de vie-vécu.
L’exemple de Pau me paraît, sur ce point, tout à fait éloquent. Pour se faire une idée de la nature du système symbolique qui, dans l’épaisseur du temps, a contribué à la conception-production de l’espace palois, il est commode et instructif, dans un premier temps, de déchiffrer le blason de la ville. À sa lecture, il apparaît que l’identité de la cité s’est édifiée sur la base d’une idéologie de fermeture territoriale. À Pau, au cœur de ces armoiries dont les premières versions datent de 1482, trois pieux, ou pals (sans doute l’étymologie de Pau), forment une clôture enfermant deux bovins affrontés et couronnés. Cette simple et digne rusticité, celle d’une petite ou moyenne ville inscrite dans un pays rural, marque profondément les représentations de l’identité locale, surtout celles de la population de souche béarnaise. Mais à Pau, l’idéologie territoriale ne se borne pas à ce premier constat. Les armes de la ville arborent aussi, sur le chef de l’écu, des symboles royaux, soit une figure puissante de la domination politique. Certes ils ont été ajoutés tardivement, en 1829, sous le règne de Charles X, pour les besoins de la cause monarchique, mais ils n’en sont pas moins éloquents. Ils glorifient la personnalité royale d’Henri IV : l’écaille de tortue couronnée, berceau, selon la légende, du futur souverain désigné aussi par la lettre H et par le chiffre IV. Ainsi, le fond de ruralité se pare d’une superstructure glorieuse, celle des origines en ce lieu du dernier pouvoir royal de France, mais aussi de l’actuelle monarchie suédoise, descendante d’un palois : le maréchal d’empire Jean-Baptiste Bernadotte (Charles XIV de Suède). Sans oublier les figures emblématiques de Louis Barthou, Président du Conseil de la Troisième République, voire d’hommes politiques charismatiques plus contemporains : les maires André Labarrère et François Bayrou. Cet écart entre matérialité rustique et affichage d’une distinction politique en dit long sur l’esprit local, à la fois modeste et fier, attaché aux libertés comme à la notabilité. Esprit que les noms des rues et des établissements publics, l’activité des appareils idéologiques (la presse, la radio, les clubs sportifs, les associations, les monuments et les musées), les festivités, la rumeur locale, entretiennent et reproduisent à l’envi.
Le blason ne dit pas tout de l’idéologie paloise. Bien d’autres images l’enrichissent. D’abord, celle du pic du Midi d’Ossau, devenu l’emblème de la ville, en même temps que le témoignage de ses liens historiques avec les transhumances ossaloises. Ensuite, celles d’une ville attirante et accueillante, au climat et aux paysages exceptionnels (Le « beau ciel de Pau » dit une chanson célèbre) : « ville anglaise », « ville jardin » proclament plusieurs livres, « plus belle vue depuis la terre » (sur les Pyrénées) selon Alphonse de Lamartine. Soit autant d’arguments susceptibles de rehausser une réputation. Enfin, au milieu du XXe siècle, Pau et sa région ont connu une prospérité sans beaucoup d’équivalent en France. L’omniprésence d’Elf-Aquitaine, désormais TOTAL, employant dans l’agglomération plusieurs milliers de cadres et de techniciens bien payés (haute classe moyenne), a fixé sur le palimpseste de l’idéologie locale une ultime pellicule de distinction élitaire.
Dès lors, le quadrangle territorial figurant le substrat théorique de mon vécu personnel, schéma élaboré à partir d’un ensemble de données urbaines recueillies dans la longue durée, prend forme (retour à la figure 1). Il décrit un système d’infrastructures/superstructures à quatre composantes, exerçant entre elles d’étroites interactions, d’actives influences réciproques. Cette structure objective télescope et déforme les quatre temps sus-énoncés de mon expérience personnelle. C’est cela ma ville, le fruit de cette rencontre. Ce n’est pas, bien entendu, la ville de tout le monde. La ville-espace-territoire, simulée par le quadrangle, n’est pas seulement une ville objective et fonctionnelle qui, pourtant, existe bel et bien. Ce n’est pas non plus, uniquement, une ville façonnée par les héritages inégaux de l’histoire (ADO 1, ADO 2, ADO 3). C’est tout cela, plus une ville réinterprétée à travers le filtre de mes expériences personnelles les plus marquantes, celles qui ont cristallisé mes représentations en (T1), (T2), (T3) et, aujourd’hui, en (T4). C’est une ville miroir de ma vie. Dans ce schéma, je me trouve, corps, cœur et esprit, au centre du dispositif territorial que définit le quadrangle. Mon espace vécu de Pau, c’est donc bien la ville et moi. Je la produis autant qu’elle me produit. Par extension de mon cas aux vécus de tous mes concitoyens, l’on pourrait brosser le portrait d’une cité kaléidoscopique dont chaque cellule, chaque facette restituerait la ville de chacun. Devant la montée en puissance de tant de représentations ajustables ou discordantes, comment fixer un regard commun sur la ville, comment établir un diagnostic fiable sur son état, comment l’aménager dans une visée de bien commun ?
Conclusion
Dans les lignes qui précèdent, je propose une méthode d’identification des rapports que chaque individu tisse avec l’espace géographique, celui d’une ville moyenne du sud de la France (Pau) en ce qui me concerne. Dans ce but, je développe mon cas personnel d’habitant en admettant qu’il revêt, comme tout vécu, une valeur générique ou nomothétique et un caractère idiosyncrasique. J’enracine cette méthode dans un corpus théorique de type dialectique et j’admets qu’il existe, dans tout contexte territorial, une réciprocité active des ordres de la matérialité et de l’idéalité des lieux, des pratiques et des vécus. C’est ce dernier trait d’interaction qui m’amène à parler d’acteur et de miroir (de soi), à propos de tout vécu individuel d’un espace. Les thèses de la production sociale de l’espace charpentent ma description raisonnée de la constitution historique de l’espace palois. Celles de la phénoménologie et de l’humanisme décrivent mon investissement personnel, fait de pratiques, de représentations mentales et sociales, de souvenirs et d’imaginaires qui ressurgissent dans ma désignation performative des lieux. L’expérience personnelle de l’espace vécu, comme celle du « temps retrouvé » chez Proust (1927), nous affranchit sporadiquement du temps. Elle troque sa trivialité, le fait que « les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives (…), comme les années », pour le don ineffable de sa « substance invisible » ; laquelle se glisse, par intermittences, entre espace concret et mémoire personnelle. L’expérience proustienne du temps retrouvé par les effets de la mémoire involontaire n’est nullement unique. Chacun de nous peut la vérifier. De plus, la littérature, de Jean-Jacques Rousseau (la pervenche -1789-, le rocher de Meillerie -1761-) à François René de Chateaubriand (le chant d’une grive -1841-), Gérard de Nerval (un nom de lieu : Loisy en Valois -1853-) ou Louis Ferdinand Céline (le lierre et le ‘piaf’-1951-), abonde de telles évocations de temps et de lieux essentiels, revisités par des personnages de romans à la faveur d’un choc mémoriel involontaire et spontané. Dans Wuthering Heights, l’héroïne (Catherine) d’Emily Brontë (1847) rencontrant sur son chemin « un grossier bloc de grès » déclare : « Le soleil teintait de jaune sa tête grise, me rappelant l’été. Je ne saurais dire pourquoi, mais tout à coup un flot de sensations de mon enfance jaillit dans mon cœur. Hindley et moi affectionnions cet endroit vingt ans plus tôt. »
Ainsi, l’intensité du vécu dévoile, pour chacune et chacun de nous, un espace total, un aleph (Borges, 1946, 1970), une essence du lieu, de la ville, qui nous colle à la peau. Ce phénomène induit, dans nos représentations et dans le meilleur des cas, une sensation d’appartenance, une sorte de pulsion identitaire accompagnée, parfois, d’un sentiment de sérénité et de bien-être. Antoine Bailly (1981, 2014) notait que « c’est à travers les relations que les individus tissent entre eux et avec leur milieu de vie que se forge une perception positive (bien-être) ou négative (mal-être toujours menaçant) » de leur existence. Mon vécu finalement heureux de Pau, organisé autour des séquences décrites plus haut, m’attache à une ville intemporelle et paradoxalement très actuelle, profondément intime. Dès lors se pose la question politique et méthodologique d’une connaissance et d’une production partagées de l’espace urbain ; soit deux conditions que l’on peut considérer comme les clés du bien-être pour tous par la magie des lieux. Mais ceci est une autre histoire, celle d’un futur bien incertain où l’on viserait la réparation conjointe des inégalités sociales, des névroses humaines et des lieux abimés.
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Pour citer cet article :
DI MEO Guy, « Expériences de proximité, mémoire et production de l’espace vécu [Pau (France) 1950-2024] . », 4 | 2024 Représentations de la proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/2024/01/08/experiences-de-proximite-memoire-et-production-de-lespace-vecu-pau-france-1950-2024/