L’Union Géographique Internationale (UGI) : Proximités et approche scalaire

Nathalie Lemarchand
〉Professeure des universités en géographie
〉Université Paris 8
〉UMR LADYSS

〉1re Vice-présidente
〉Union Géographique Internationale   〉

Article court 〉

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Lorsque la revue a proposé de rédiger un court article sur la notion de proximité, j’ai d’abord pensé traiter le sujet en lien avec ma thématique de recherche : la géographie du commerce de détail et de la consommation. La proximité est en effet un concept clé de cette spécialisation. Elle revient sous différentes appellations au gré des approches et analyses, et en résonnance avec les périodes de transformations sociales qui affectent le commerce, quand ce n’est pas ce dernier qui impulse des changements sociaux et culturels. La proximité dépasse donc les questions de commerce, c’est un concept géographique, car il concerne l’espace, mais aussi sociologique, voire politique, car il renvoie aux interactions entre les gens, les entreprises, les institutions. C’est dans cette dernière optique qu’il m’est venu à l’esprit de discuter de façon exploratoire de la notion de proximité en lien avec ma mission de vice-présidente de l’Union Géographique Internationale (UGI : https ://igu-online.org/). Or, une des constances des conceptions de la proximité est sans contredit la question des échelles, plus précisément l’emboîtement des échelles, ce que les géographes appellent l’approche scalaire. Le défi est de taille : comment articuler l’échelle internationale d’une organisation non gouvernementale, avec les comités nationaux de géographie, et surtout avec le « local », soit la proximité des géographes avec les divers lieux et milieux avec lesquels ils et elles interagissent comme scientifiques et, pour plusieurs, comme intervenants ? Les lignes qui suivent tentent d’apporter une réponse à cette question.

L’idée de discuter du lien entre une institution internationale avec la proximité n’est possible que si on prend en compte les déclinaisons de cette notion dans les ouvrages scientifiques. Pour ce faire, je m’appuierai sur des recherches qui font ressortir des dimensions de la proximité qui peuvent ici être favorablement utilisées.

Dans un texte intitulé « Proximités et interactions : une reformulation », Lise Bourdeau-Lepage et Jean-Marie Huriot (2009) mettent l’accent sur les interactions entre les personnes qu’induit la proximité, interactions qui comprennent selon eux une dimension de partage, plus particulièrement d’information. Dans cette perspective, l’UGI est sans contredit un lieu de partage de notre identification à la géographie comme discipline scientifique, et ce, quelles que soient nos spécialités, mais aussi de notre attachement et rattachement à un espace local, régional ou national. Les congrès de l’UGI, comme celui de Paris en 2022 (https://www.ugiparis2022.org/), qui célébrait le centenaire de l’UGI, sont des moments privilégiés. Survenant après la pandémie, qui a forcé le congrès d’Istanbul de 2020 à se tenir en 2021 en distanciel, le congrès de Paris a rassemblé plus de 2 300 géographes de 79 pays, dont 789 locaux, qui trouvèrent à cette occasion un moyen d’interagir avec l’international en partageant temps et savoir avec des géographes de différentes origines nationales. La proposition de Marie-Christine Gahinet (2018) ne saurait mieux rendre compte de cet évènement lorsqu’elle différencie une proximité temporelle qui se traduiten proximité d’accès — le congrès de Paris qui avait comme thème « le temps des géographes » — et une proximité atemporelle, qu’elle qualifie de proximité relationnelle et de similitude.

Une autre définition que l’on peut appliquer à l’UGI est la proximité organisationnelle (Beltran et coll., 2021), qui renvoie aux interactions entre les acteurs en lien avec le fonctionnement de l’institution. Le moins que l’on puisse dire ici est que les géographes interagissent à toutes les échelles. L’UGI est structurée autour d’une part de ses membres agissant, en l’occurrence les comités nationaux, et d’autre part, de ses commissions thématiques, que choisissent librement les individus. Tous sont régulièrement informés des activités de l’UGI, et sont aussi sollicités pour participer aux groupes de travail de conseils internationaux, ainsi qu’aux projets et activités des commissions, cette fois comme membre d’une (ou plus) commission (s). C’est aussi lors des évènements scientifiques que cette proximité organisationnelle se fait sentir : colloques thématiques, régionaux ou internationaux, ils donnent l’opportunité à de très nombreux géographes du monde de se réunir dans une ville, dans un lieu, Cologne (2012), Kyoto (2013), Cracovie (2014), Moscou (2015), Beijing (2016), Québec (2018), Paris (2022, le Centenaire), Dublin en 2024. A ces occasions, la rencontre peut réunir plusieurs centaines ou encore plusieurs milliers de géographes, toutes et tous trouvant alors la possibilité de débattre, mais aussi de se retrouver autour d’un thème que les géographes déclinent de différentes façons suivant leur positionnement scientifique (ou culturel). Placée au cœur même de l’organisation, la diversité de la géographie est affirmée et démontrée lors de ces rencontres. L’activité des commissions est dans cette perspective révélatrice.

En effet, les commissions se situent en quelque sorte à l’échelle intermédiaire de la proximité organisationnelle. L’UGI compte, en 2023, 44 commissions, et 3 groupes de travail, structurés autour d’un comité de pilotage composé au plus de 11 membres de 11 pays différents. Les commissions et groupes de travail sont établis sur la base de propositions de géographes de toutes les parties du monde, qui doivent alors démontrer au comité exécutif leur intérêt et leur légitimité. La proposition doit aussi être associée à la composition internationale du comité de pilotage. L’international permet ici de dépasser une échelle nationale plus limitative. Il s’agit donc d’une proximité qui se manifeste et s’intensifie dans la préparation d’un congrès : quels thèmes ? Quelles conférences ? Quels ateliers ? N’en doutons pas, l’approche scalaire est omniprésente dans la gestion internationale scientifique. Si, comme l’affirmait Aristote, il n’y a de science que du général, la nature du général dans le savoir mondialisé résulte bien souvent d’une négociation entre les existences particulières. Certains thèmes ne sont pas facilement traités à l’échelle nationale ou supra régionale, pour des raisons de contexte ou de nature, ne pas en tenir compte limite les possibilités de proximité d’accès (au congrès) dont parle Gahinet (op.cit.). Ces négociations, pas toujours fructueuses suivant les spécialités, n’en intensifient pas moins la proximité atemporelle, inévitablement relationnelle, mais dans ce cas, pas toujours de similitude. Une proximité qui prend une forme entièrement nouvelle, soit la proximité géographique virtuelle, proposée par Bourdeau-Lepage et Huriot (op.cit.). Une proximité, qui, faut-il le rappeler, se manifeste en lien avec la proximité géographique temporaire (Torre, 2009), celle d’un congrès à venir. Ces situations résultent de la mondialisation des savoirs et donc de l’articulation des échelles, une thématique abordée en classe de terminale générale dans le programme de géographie en 2023 : « Dynamiques territoriales, coopérations et tensions dans la mondialisation ».

Une mondialisation du savoir qui d’ailleurs oblige aussi l’UGI à interagir avec d’autres organisations scientifiques au sein de conseils scientifiques internationaux. L’UGI est en effet régulièrement sollicitée pour proposer ou encourager des géographes à participer à des commissions, comités ou groupes de travail. L’UGI est membre de l’International Science Council (ISC) ou encore du Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines (CIPSH). L’ISC est né en 2018, à Paris, de la fusion de deux conseils scientifiques internationaux, soit le Conseil international des Unions Scientifiques (CIUS/ICSU) fondé en 1931 et le conseil international des sciences sociales (CISS/ISSC) né en 1952. L’ISC s’affirme aujourd’hui comme un conseil scientifique international majeur et un interlocuteur des organisations gouvernementales internationales pour porter la voix des scientifiques dans les débats sur les enjeux mondiaux. Le CIPSH est quant à lui fondé en 1948 à l’UNESCO et réaffirme depuis quelques années sa place et son rayonnement comme conseil international avec sa dimension scientifique spécifique à la philosophie et aux sciences humaines sans négliger les sciences sociales. Notre personnalité de géographe, soit ce que l’on accorde comme compétences aux géographes combinant dimensions humaine et naturelle, nous conduit à être identifiés comme des interlocuteurs ou participants nécessaires aux travaux de ces conseils. Être membre de ces conseils favorise la promotion de la géographie et défend sa capacité à l’analyse de la complexité des grands défis mondiaux. L’UGI par sa participation à ces conseils et sa proximité scientifique avec d’autres associations traitant de l’espace (astronomie, cartographie, etc..) déploie alors la géographie internationale à l’échelle globale.

À travers ces proximités et le jeu des échelles où elles se manifestent, l’UGI forme un réseau scientifique. Réticulaire, l’UGI s’étend à travers le monde via une pensée et des travaux géographiques où l’approche scalaire et la comparaison sont mises en valeur. De l’échelle du lieu (un village, un quartier, voire une rue) à l’échelle du monde, ils et elles saisissent la valeur et les tensions inhérentes à l’articulation des échelles ; ils font aussi face aux limites de la comparabilité, car l’Ici n’est jamais l’Ailleurs ! De la généralisation d’une situation locale où se mêlent proximité et proxémie, ils questionnent à travers la mondialisation du savoir la question du général, voire de l’universel, que l’on ne saurait confondre avec le global (Raharinjanahary et coll., 2022).

Références bibliographiques :

Beltran C., Bech N. & Botti L., 2021, « Une lecture de la proximité organisationnelle au prisme de la dimension spatiale : le cas de la destination touristique Pyrénées ariégeoise », Sud-Ouest européen (51), mis en ligne le 2 février 2022. URL: http://journals.openedition.org/soe/7523 (DOI: https://doi.org/10.4000/soe.7523)

Bourdeau-Lepage L. & Huriot J.-M., 2009, « Proximités et interactions : une reformulation », Géographie, économie, société (11) 3 : p. 233-249

Gahinet M.-C., 2018, « Les dimensions de la proximité appliquées aux achats alimentaires », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, (5-6) : p. 1367-1390

Raharinjanahary R., Lemarchand N. & Dupont L., 2022, “To Be or Not to Be International: Geographic Knowledge, Globalization and the Question of Languages”. In: Kolosov, V., García-Álvarez J., Heffernan M., Schelhaas B. (eds) A Geographical Century. Springer, Cham. p.121-133. https://doi.org/10.1007/978-3-031-05419-8_9

Torre A., 2009, « Retour sur la notion de proximité géographique », Géographie, économie, société, (11) 1 : p. 63-75.

Pour citer cet article :
LEMARCHAND Nathalie, « L’Union Géographique Internationale (UGI) : Proximités et approche scalaire », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/2023/09/21/lunion-geographique-internationale-ugi-proximites-et-approche-scalaire/