Prendre soin (de) chez soi : la domesticité à l’épreuve de la vulnérabilité résidentielle

Spaces of (self)care: domesticity in the face of residential vulnerability

Emma Peltier
〉Post-doctorante 〉LAB 〉UCLouvain
〉Chercheuse associée 〉LVMT 〉Université Gustave Eiffel
〉Fellow ICM

〉emma.peltier@enpc.fr 〉

〉Article long 〉

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Résumé : Cet article propose d’explorer la relation entre care et espace domestique à partir de la situation de vulnérabilité résidentielle vécue par des femmes situées à l’intersection du genre et de l’antitsiganisme. À l’aide de concepts forgés par des philosophes féministes, ce texte expose trois échelles micro-géographiques du care dans l’espace domestique : l’aménagement, l’habillement et l’hospitalité. Cette focale permet d’appréhender l’espace domestique non pas seulement comme un vecteur de la domination patriarcale mais aussi comme un levier d’émancipation.

Mots-clés :

care, espace domestique, chez-soi, genre, bidonville, selfcare

Abstract: This article explores the relationship between care and domestic space, based on the situation of residential vulnerability experienced by women situated at the intersection of gender and anti-Roma racism. Using concepts forged by feminist philosophers, this text sets out three micro-geographical scales of care in domestic space: furnishing, dressing and hospitality. This focus enables to understand domestic space not only as a vector of patriarchal domination but also as a lever of individual and collective agency.

Key-words:

care, domestic space, home, gender, slum, selfcare

Cet article propose d’explorer la relation entre le care et l’espace domestique à partir de la situation de vulnérabilité résidentielle vécue par des femmes roms en Île-de-France et en Roumanie. Dans les années 1970 en France, les féministes matérialistes théorisent les concepts de patriarcat et de travail domestique. Selon elles, l’espace domestique est le lieu par excellence de la domination patriarcale. Nettoyage, rangement, lessive, vaisselle, préparation des repas, éducation des enfants, sont autant d’activités qui constituent le travail domestique et profitent aux hommes. Réalisé gratuitement, il est indispensable à la survie de la famille, à la réalisation du travail productif et, plus largement, au fonctionnement de la société patriarcale et capitaliste (Delphy, 1998). Le temps (Haicault, 1984) et le corps des femmes (Claude-Mathieu, 1985 ; Delphy, 1998 ; Guillaumin, 1992) sont ainsi absorbés par le travail domestique et approprié par les hommes grâce au mariage hétérosexuel traduit comme « échange économico-sexuel » (Tabet, 2004). La division sexuelle du travail se matérialise ainsi par une division spatiale où les femmes sont « assignées à résidence » (Rochefort, 1963 citée par Wittig, 2018, p. 64).

Une décennie plus tard, outre Atlantique, un nouveau concept émerge en psychologie morale : le care (Gilligan, 1982).Difficilement traduisible en français, il renvoie à la fois au « soin », à la « sollicitude », à l’« attention », à la « responsabilité » ou au « souci des autres ». Heuristique pour analyser des objets de recherche variés, il traverse les champs disciplinaires et se déploie en philosophie politique (Tronto, 1993), en sociologie (Ehrenreich & Hochschild, 2002 ; Glenn, 1992, 2000) et en géographie (Kofman, 2008 ; Pratt, 2012 ; Yeoh, Huang & Gonzalez, 1999). La formulation volontairement large de la définition par Joan Tronto et Berenice Fisher en 1990 (Tronto, 2008, p. 244)[1] a plusieurs avantages. Elle permet à la fois de ne pas restreindre le care à un soin engageant deux personnes face à face et surtout, elle intègre l’attention portée à soi-même, à son environnement et à son corps comme nous le verrons dans ce texte.

À l’aide de travaux sur la vulnérabilité résidentielle et de concepts forgés par les approches intersectionnelles et décoloniales, il s’agit ici d’explorer le potentiel émancipateur de l’espace domestique à travers le concept de care.

Il peut en effet paraître contradictoire de considérer l’espace domestique comme un espace propice à l’émancipation puisqu’il demeure un lieu privilégié de la domination patriarcale. L’exploitation des femmes, à travers le travail domestique, se conjugue aux violences sexuelles subies au sein du logement (Jaspard & al., 2003 ; Tillous, 2022).

Betty Friedan (1963) dénonce précisément le piège que constitue l’espace domestique enfermant les femmes. Dans son livre The feminine mystique, resté célèbre car identifié comme initiant le féminisme de la deuxième vague (Froidevaux-Metterie, 2015), elle soutient que l’émancipation des femmes repose sur l’accès à l’espace public et au travail salarié. Une vingtaine d’années plus tard, la féministe noire bell hooks[2] (2017 [1984]) adresse une critique intersectionnelle à l’autrice blanche et pointe l’absence de prise en compte des rapports sociaux de race dans l’ouvrage. Elle rétorque que Friedan fait référence sans l’expliciter à une catégorie bien précise de femmes : des femmes au foyer blanches éduquées et de classes moyennes. Pourtant, argumente hooks, dans les années 1960, un tiers de la main d’œuvre est féminine et, précisément, noire ou racisée. En dépit de ce qu’avance Friedan, une grande partie des femmes a donc accès au travail salarié. L’espace domestique ne constitue pas, en ce qui les concerne, un piège ou une prison dorée. bell hooks, au contraire, considère que, dans une société sexiste et raciste, l’espace domestique ne saurait avoir pour seule fonction la réalisation du travail domestique. Elle désigne ainsi par home, cet espace de l’entre-soi et de l’empouvoirement (hooks, 2004).

Cet article propose d’explorer la contradiction de l’espace domestique à travers l’analyse, non pas du travail domestique, mais de pratiques domestiques féminines observées dans des lieux de vie en France et en Roumanie. On se demandera comment, dans un contexte de vulnérabilité résidentielle, le care se déploie au sein des différents espaces domestiques.

Pour répondre à cette interrogation, je m’appuie sur une méthodologie mixte composée d’observations ethnographiques et d’entretiens semi-directifs. Une vingtaine de familles ont été rencontrées dans onze bidonvilles d’Île-de-France – à Mériville et à Beaulieu-les-Prés[3] – deux hôtels sociaux, cinq appartements, un village d’insertion à Laginsy et une maison familiale en Roumanie. L’enquête ethnographique repose sur des visites de quelques minutes à quelques heures dans les bidonvilles et sur des déplacements dans l’espace public. Pendant presque trois ans, j’ai observé et partagé la vie quotidienne de plusieurs réseaux d’interconnaissance à des fréquences irrégulières. L’immersion, caractéristique des enquêtes ethnographiques, n’était pas continue car je ne me suis pas installée dans un bidonville[4]. En revanche, dans la mesure où je travaillais sur le lieu de l’enquête à Beaulieu, l’investigation a été longue et suivie. Dans les deux villes d’Île-de-France où j’ai enquêté, j’ai accédé au terrain par des associations travaillant pour l’accès aux droits des personnes roms en bidonville et qui sont constituées de militant.es non-roms. Cependant, je ne me suis pas engagée en tant que bénévole afin de me prémunir d’« une présence ambivalente, tendue, non sans angoisse, sur plusieurs réseaux d’action et de pouvoir » (Makaremi, 2008, p. 175) et afin que le déroulé de l’enquête soit indépendant de l’agenda politique fixé par les membres des associations.

Cette enquête de longue haleine a permis la construction de liens plus forts avec une quinzaine de femmes âgées de 12 à 45 ans. Elles ont pour point commun d’être rom roumaines ou identifiées comme telles. Éloignées du marché de l’emploi et discriminées dans l’accès aux droits à cause de l’antitsiganisme (Bergeon & al., 2024 ; L’Alliance contre l’Antitsiganisme, 2019 ; Mile, 2020), leurs revenus reposent sur des activités économiques réalisées dans l’espace public. Elles occupent avec leur famille des terrains de manière illégale ou sont hébergées dans des dispositifs à durée limitée. Par conséquent, leur espace domestique varie en fonction des lieux de vie occupés. Elles sont ainsi confrontées à des situations de vulnérabilité résidentielle, c’est-à-dire à des situations où leur « position résidentielle – localisation du logement, caractéristiques matérielles et statut d’occupation (Grafmeyer, 2010) – est fragilisée, insatisfaisante ou menacée » (Bouillon & al., 2019, p. 12). Mener, en tant que femme blanche, une enquête ethnographique dans une perspective féministe auprès de femmes précaires et racisées soulève des questions de positionnalité qui méritent un espace de réflexion à part entière (Peltier, 2021, 2023, À paraître). En effet, « voir à partir des marges comporte de sérieux danger d’idéaliser et/ou de s’approprier la vision des moins puissants alors qu’on revendique de voir à partir de leur position » (Haraway, 2007, p. 119). Durant cette enquête, j’ai veillé non pas à gommer ou nier l’asymétrie de nos positions sociales respectives mais d’en faire un point de départ de la relation entre enquêtrice et enquêtées (Kocadost, 2017) et un point d’entrée de l’analyse de l’espace domestique dans une perspective féministe. Les rapports différents, et parfois divergents, que nous entretenons avec les normes de féminité, le travail domestique ou la conjugalité ont nourri l’analyse plus qu’ils ne l’ont biaisée. Autrement dit, objectiver les différentes manières de nous rapporter aux normes de genre a permis d’explorer, par extension, comment le patriarcat oppresse différemment les femmes en fonction de leurs positions sociales.

Inscrit dans le sillage des travaux empruntant le tournant spatial en études de genre (Direnberger & Schmoll, 2014), ce texte expose trois aspects de la relation entre care et espace domestique : l’ameublement, le corps et l’hospitalité. Tout d’abord, je m’attacherai à développer la manière dont les femmes soignent leur espace domestique en vue de la construction d’un chez-soi (homemaking). J’analyserai ensuite comment le lieu de vie constitue un espace où l’on peut prendre soin de soi (selfcare) puis, comment il permet de prendre soin de ses proches. En d’autres termes, il s’agira de considérer dans un premier temps « l’espace comme objet d’attention, de soin, [puis] l’espace comme support de soin » (Courbebaisse & Salembier, 2022, p. 3).

1 . Prendre soin de chez-soi : l’espace domestique comme objet d’attention

1.1.      Distinguer « travail domestique » et « construction du chez-soi »

Le potentiel émancipateur de l’espace domestique a rarement été abordé dans une perspective féministe dans les sciences humaines en France. Pourtant, l’espace domestique est une des caisses de résonnance de la subjectivité et constitue en cela un objet heuristique pour la recherche féministe.

L’espace domestique est une échelle spatiale qui a longtemps été ignorée par la géographie (Staszak & Collignon, 2004). Paradoxalement, c’est en sociologie que cette échelle a été privilégiée pour l’étude des domesticités (Bourdieu, 1970 ; Ibos, 2021 ; Lion, 2018), des frontières entre classes sociales (Gilbert, 2016 ; Siblot & al., 2015) et de la dimension résidentielle du genre (Bozouls, 2019 ; Lambert, Dietrich-Ragon & Bonvalet, 2018 ; Le Wita, 2015). Concernant les travaux sur la vulnérabilité résidentielle, le prisme du genre est minoritaire que l’on pense aux travaux sur les tentes et cabanes du bois de Vincennes (Lion, 2014), la cellule de prison (Bony, 2015), le camp de réfugiés (Bulle, 2009), l’habitat mobile et léger (Cousin & al., 2016), le squat (Bouillon, 2009 ; Pattaroni, 2009) ou les bidonvilles (Costil & Roche, 2015 ; Cousin, 2017 ; Legros & Vitale, 2011). Dans les travaux sur les bidonvilles et les squats roms en France, des descriptions fines du quotidien des femmes apparaissent ponctuellement (Benarrosh-Orsoni, 2015 ; Clavé-Mercier, 2014 ; Véniat, 2018) et témoignent d’observations précises. Cependant, ils n’analysent pas les scènes sociales en vue de dévoiler les rapports de pouvoir qui se jouent entre hommes et femmes et entre femmes. On n’a, en somme, peu accès à la construction des normes de genre qui s’établissent au sein de l’espace domestique. Comme le soulignent de récentes recherches doctorales (Caseau, 2020 ; Peltier 2023), le cadre théorique mobilisé n’est pas celui du genre entendu comme construction sociale et système inégalitaire.

Dans le prolongement des rares travaux qui mobilisent les perspectives féministes du care dans l’étude des bidonvilles français (Caseau, 2020 ; Rosa, 2019), j’examine dans ce texte la tension entre care et espace domestique. La distinction que Iris Marion Young (2005) fait entre homemaking (construction du chez-soi) et housework (travail domestique) permet de déplacer la focale selon laquelle l’espace domestique est un vecteur de domination vers un espace domestique comme levier de la capacité d’agir. Dans les travaux sur la vulnérabilité résidentielle, la notion de « chez-soi » invite à se saisir des pratiques d’aménagement afin d’approfondir la relation qu’entretiennent les personnes avec leur espace domestique. Pour Joanne Le Bars (2018, p. 3), un chez-soi est « un espace physique approprié qui préserve de l’extérieur et sur lequel la résidente a une autorité ». Il est conditionné pour Pascale Pichon et Élodie Jouve (2015, p. 48) à la coexistence de «  l’aménagement, l’appropriation, l’attachement et l’ancrage ».

Voyons comment, à travers des pratiques quotidiennes d’aménagement, les femmes de l’enquête construisent le chez-soi dans des espaces domestiques aussi variés que le bidonville, l’hôtel et le village d’insertion. 

1.2. Construction et aménagement intérieur : une répartition genrée

Les rôles dans la construction et l’aménagement des baraques en bidonville suivent une répartition clairement genrée : les hommes construisent et les femmes décorent. Les bidonvilles sont des lieux de vie auto-construits à partir de matériaux de récupération. Ici des portes, là des morceaux de meubles. Tout élément pouvant participer à l’édification de l’abri est utilisé. Dans cette enquête, les baraques suivent un modèle principal. La charpente est constituée de branchages trouvés sur place dont le faîtage se situe environ à 2,2 mètres du sol (c’est-à-dire à la hauteur d’un adulte sur une chaise). Elle est très généralement recouverte d’une bâche tissée en plastique bleu, percée d’un tuyau de poêle. L’emplacement des fenêtres fait l’objet d’un traitement singulier. Tantôt posée dans la hauteur du mur, tantôt posée dans la largeur, la fenêtre constitue le lien entre l’intérieur et l’extérieur. Elle laisse passer la lumière et les regards. L’avantage de l’auto-construction est sa plasticité. Les habitant.es sont à même d’adapter l’architecture de leur lieu de vie à leurs besoins et au climat. À l’été, des auvents et des cuisines extérieurs s’élèvent. À l’hiver, des portes et des rideaux se dressent. L’arrivée d’un nouveau meuble, d’un frigidaire ou d’un membre de la famille déclenchent aussitôt de petits aménagements qui facilitent l’usage du lieu. Les baraques, à l’image du bidonville, sont en constante évolution. Ces modifications récurrentes sont associées à la mobilité des personnes qui partent en Roumanie, changent de bidonville, décohabitent ou obtiennent un hébergement.

Pour Iris Marion Young, la fabrication du chez-soi passe par l’arrangement des objets afin de faciliter les routines des corps dans l’espace, leur donner du sens et les préserver dans le temps.

Le chez-soi et les pratiques de construction du chez-soi mettent en valeur l’identité personnelle et collective dans un sens plus fluide et matériel. Reconnaître cette valeur implique de reconnaître également la valeur créative du travail souvent inaperçu que font de nombreuses femmes (Young, 2005, p. 154)[5].

Les descriptions qui suivent illustrent la manière dont ces « savoir-faire discrets » (Molinier, 2011) s’élaborent dans les intérieurs.

Un jour chez Denisa, j’assiste à un aménagement intérieur soudain. Marta, la mère de son conjoint Florin, accompagnée de sa voisine, s’introduit chez elle pour lui demander son canapé. Marta est un personnage influent et respecté au bidonville. Elle est connue pour ses moqueries et son attitude extravertie.

La voisine entre. Puis, Marta entre à son tour. Elle s’assoit à côté de moi. Elle parle vite et fort. Je ne comprends que quelques mots « grand, petit ». Denisa rigole. Marta veut le canapé pour l’échanger avec le sien qui est trop grand. J’assiste à une rotation rapide de meubles. Les hommes prennent le canapé. Les femmes passent le balai et déplacent les tapis. Je les aide. « Vite, vite ! » disent-elles. Denisa veut se débarrasser du tapis vert car il est sale. Je l’aide à le sortir. Elle s’excuse : « Ah je te fais travailler ! » Je réponds que ça me fait plaisir de l’aider.

-Ah bon ? Alors un jour tu viendras m’aider ?

-Oui bien sûr ! je réponds.

On déplace le tapis noir à motifs géométriques mais il est fixé par des clous. La voisine s’en va. Denisa déclare :

-Chez moi c’est propre. Y’a des gens chez qui il y a de la nourriture par terre. C’est sale.

Puis les hommes arrivent avec le grand canapé. Denisa demande à Florin de passer le balai sur le canapé. Il manque un coussin, elle le remplace. Puis elle tend un drap. Je l’aide. Elle le tire pour ne pas qu’il y ait de plis.

Cette scène illustre la manière dont, en un tour de main, l’aménagement peut changer. Les meubles et les objets circulent de la rue au bidonville puis de baraque en baraque. Cette activité vient interrompre le calme déroulement du quotidien. Marta en profite pour blaguer et attirer l’attention sur elle, transformant cette opération matérielle en un moment joyeux et léger. Cet extrait montre aussi la dimension collective de l’aménagement. En effet, pour construire et meubler, il est nécessaire de porter du mobilier à plusieurs. L’aménagement fait par ailleurs apparaître les rapports de pouvoir entre femmes. Ici le transfert de canapé est une opération conduite par Marta au détriment de Denisa à qui l’échange est imposé. Cependant, cette dernière reprend les commandes de son espace domestique en ordonnant à son compagnon de nettoyer le canapé.

Bien que la charge du travail domestique lui incombe, Denisa retire de l’orgueil et de la fierté de vivre dans un espace propre et bien rangé. « Ici c’est beau, c’est propre et c’est grâce à moi »[6] me dit-elle un jour. Elle est fière de l’espace qu’elle a aménagé et aime recevoir.

-J’aime que ce soit beau chez moi, déclare Denisa.

Elle dispose des peluches sur le canapé. Elle range l’espace télé et ajoute :

-Moi je suis maniaque, mais j’ai un problème, je range et après j’oublie où[7] !

Les observations ci-dessus montrent que Denisa et Marta développent une autorité certaine sur leur lieu de vie. Cela passe par la maîtrise de l’aménagement et de la propreté des lieux. Changer de canapé, tirer le couvre-lit pour faire disparaître un pli, balayer le sol, ranger les affaires dans un meuble sont autant de gestes anodins qui témoignent de l’envie de transformer un espace, aussi précaire soit-il, en un lieu de réunion et de discussion. Cependant, la vulnérabilité résidentielle caractérisée par les évacuations incessantes et la précarité énergétique constituent un obstacle à la construction d’un « lieu relativement stable, à soi marqué par l’habitude et l’ancrage » (Le Bars, 2018, p. 3).

1.3. Un investissement dans l’aménagement intérieur qui dépend de la précarité de l’espace domestique

Expulsées des bidonvilles, hébergées temporairement en hôtel social, sélectionnées dans des projets d’insertion à durée limitée, de passage dans leur village d’origine, les femmes, en changeant de domicile, doivent s’adapter à de nouveaux espaces domestiques.

L’investissement dans la décoration indique la temporalité de la résidence dans les lieux. Dans les bidonvilles où cette enquête a été menée, il ressort une relation causale entre la durée de séjour et la décoration. Quand la menace d’une expulsion plane à peine la baraque construite, ou si la certitude de ne pouvoir rester plus d’un mois fait défaut, l’intérieur est dépourvu de toute décoration, les murs et les plafonds sont à nu. À Beaulieu, les baraques que Maria occupe ne sont pas toutes investies de la même manière. Dans les bidonvilles Petit 1 et Petit 2, qui ont été évacués peu de temps après leur construction, elle n’a pas le temps d’aménager son espace. En revanche, au bidonville des Bâches Noires où elle reste plus d’un an, elle traite distinctivement plusieurs parties de la baraque en fonction de leur usage : à l’entrée, un coin vaisselle se résumant à une bassine de vaisselle sale, un coin beauté constitué d’un meuble haut à tiroir sur lequel est posé un miroir et des cosmétiques, dans l’angle un coin vêtements et plus loin un coin salon composé d’un canapé, d’une table basse et d’un fauteuil. Quelques mois plus tard, quand elle emménage au bidonville du Fossé puis au bidonville de l’Autoroute, les baraques sont plus grandes et plus encombrées. Maria commence une activité de vente de cigarettes, de boissons et de friandises chez elle. Son espace domestique devient un espace d’activité économique et de sociabilité favorisant ainsi la discussion et la convivialité. En outre, l’espace intérieur est encombré par des objets que son compagnon vend aux puces. Grâce à sa voiture, il peut récupérer des objets d’occasion et les transporter jusqu’aux lieux de vente en région parisienne. Au fur et à mesure, la baraque de Maria se remplit de services en porcelaine, de petits meubles ornementés et de couverts ciselés.

Dans les baraques du bidonville qu’Izabela et Ionuţi occupent, la décoration est plus sommaire mais la situation évolue à partir de septembre 2017. Suite à l’évacuation du bidonville du Parking 1, le couple et leurs six enfants sont hébergés dans deux chambres d’hôtel de 25 m2 chacune. Les meubles et le volume des pièces à vivre suscitent d’autres pratiques d’aménagement intérieur. Dans une des deux chambres, Mina, leur fille aînée, fait de la petite table de la salle à manger une table de restaurant en y installant une nappe et un bouquet de fleurs en plastique. Des photos et des images de magazine sont affichées aux murs et aux portes des placards alors que dans les baraques précédentes, les murs étant faits de bâches et de tentures, l’affichage de photos n’était tout simplement pas possible. 

À Mériville, l’association en charge du projet d’insertion remplace les caravanes exigües par des chalets en bois. Sorina a ainsi plus de place pour aménager l’intérieur à son goût. La vie en caravane avec son mari et ses trois enfants impliquait une rotation des espaces et un déplacement continu des objets. En hiver, l’espace intérieur était sans cesse occupé par le linge qui, malgré le chauffage, peinait à sécher tant l’humidité était forte. Le chalet permet une autre appropriation de l’espace. Sorina accroche aux grandes fenêtres les rideaux qu’elle a achetés en Roumanie. La hauteur sous plafond autorise l’installation d’armoire en bois qu’elle récupère dans la rue le jour des encombrants et dont elle ne pouvait rien faire tant qu’elle habitait en caravane. Récupérer des objets dans la rue est cependant risqué. Plusieurs familles ont été envahies par les punaises de lit ravageant la peau des adultes et des enfants.

Pour les familles relogées en appartement, l’emménagement ouvre la perspective de la durée et de la certitude de pouvoir rester chez soi. Simona a vécu plusieurs années en bidonville avec son mari et ses enfants avant d’obtenir un logement social. Elle a été expulsée des dizaines de fois. Au petit matin, la police l’obligeait à partir en précipitation. En quelques minutes, il fallait réveiller les enfants et réunir tout ce qu’il était possible de porter à la main ou de transporter avec un caddie. Le fait de pouvoir demeurer quelque part sans en être délogée modifie son rapport au chez-soi. Elle se fournit désormais dans des magasins d’occasion. Chez elle, comme chez d’autres familles relogées, les salons débordent ainsi d’objets de décoration. Les meubles en bois sculpté servent de présentoir à de multiples services en porcelaine, vases, bibelots, napperons et bouquets de fleurs en plastique.

On peut lire dans l’abondance d’objets décoratifs l’assurance de ne plus être expulsée et la sensation d’avoir trouvé un point d’ancrage stable. Comme le souligne Norah Benarrosh-Orsoni (2015, p. 92), « la construction du chez-soi s’appuie en effet largement sur des objets significatifs qui dotent les lieux de vie d’une dimension affective. » 

Tous les lieux de vie ne permettent pas la même possibilité de construire un chez-soi. Cependant, on va le voir, l’espace domestique constitue un des rares endroits où l’on peut prendre soin de soi. 

2. S’habiller, se chausser : prendre soin de soi (et de) chez soi

Pour la philosophe Marie Garrau (2018, p. 10), la vulnérabilité constitue une « fragilisation de la capacité d’agir induite par des processus sociaux qui ont pour caractéristiques de porter atteinte à l’intégrité physique ou morale des sujets sociaux » (citée par Caseau, 2020, p. 23). Les femmes de cette enquête sont vulnérabilisées par des agressions racistes dans l’espace public et des discriminations dans l’accès aux droits (Mile, 2020 ; Prud’homme, 2016 ; Véniat, 2016 ; Vitale, 2019). Leur espace domestique constitue ainsi un espace de repli où, entourées de leurs proches, l’hostilité extérieure est mise à distance. En analysant les pratiques corporelles et vestimentaires des habitantes des bidonvilles, nous verrons non seulement que l’espace domestique peut être le lieu du selfcare et donc de l’autoprotection, mais que le care peut être envisagé comme une réponse à la vulnérabilisation.

2.1. Les tenues domestiques entre selfcare et stratégie de distinction

Les baraques sont des lieux de grande sociabilité où l’on ne reste isolée que peu de temps et où les visites sont la plupart du temps imprévues. Entre selfcare et stratégie de distinction, les vêtements font l’objet d’une attention particulière.

Selon Pierre Bourdieu, le repli sur l’espace domestique des ouvrières et des paysannes implique « tout un rapport au corps, à la toilette et à la cosmétique » (1979, p. 197‑256 note 20). Dans mon enquête, « introduire la tenue dans l’univers domestique » n’est pas un « souci » réservé aux seules classes dominantes. Pour les habitantes de bidonvilles, qui sont elles aussi d’origine paysanne et qui disposent d’un capital économique certainement plus faible et irrégulier que les ménages français ouvriers et paysans enquêtés dans les années 1960, le repli sur l’espace domestique implique bien souvent, même en dehors des moments festifs, une attention particulière accordée à l’apparence, et ceci, des pieds à la tête.

Lors de mes visites en bidonville ou en hôtel, il m’arrivait d’être surprise par l’allure physique de mes enquêtées : maquillage, vêtements, coiffure. Alors que je venais habillée de manière banale et équipée de chaussures adaptées aux sentiers, chargée de vêtements, de nourriture ou de livres à donner, je trouvais parfois mes enquêtées parées de talons, maquillage et vernis à ongles. Un jour, en rendant visite à Denisa et Maria, je découvre, au bidonville des Bâches Noires, une fête improvisée.

Quand j’arrive, je tombe sur Albiţa pour qui j’ai apporté la revue : Le vilain petit canard. Elle la prend et m’amène chez Maria. Denisa discute devant chez Maria avec d’autres femmes. Denisa porte un gilet fin et une robe moulante qui fait ressortir son ventre arrondi par la grossesse. Elle a les cheveux tirés. Elle est très élégante. Je m’exclame :

-Wouah ! Qu’est-ce que vous avez toutes ? Vous sortez ?

-Bah non, pourquoi ?

-Bah, vous êtes belles c’est tout !

-« Belles » ?? me répond-elle étonnée.

Elles sont toutes maquillées, créoles en or, talons noirs, robes moulantes et couleurs assorties.

Maria est un peu ivre. Elle demande à Denisa de sortir un siège pour moi. Denisa me propose de mettre mon sac à l’intérieur. Elle le cache sous des vêtements et des couvertures certainement pour éviter qu’il attire l’attention. Elle en profite pour tendre le tissu qui recouvre le canapé.

Maria demande à Florin situé à quelques mètres de mettre de la musique. Florin fait semblant de ne pas comprendre, se retourne et s’adresse aux arbres derrière lui : « Eh toi là-bas ! Mets de la musique ! » C’est drôle. Maria me propose une bière. J’accepte volontiers.

Les filles dansent sur de la musique roumaine. Denisa chante. Elle me demande de danser. Je réponds que je ne sais pas faire. Elle se moque de moi. Maria est éblouissante dans son rôle de maîtresse maison. Frédéric, le voisin, la dévore des yeux. Quelques minutes plus tard, Mirela quitte l’assemblée et va chez elle. Elle me propose de la suivre. Sa fille, Liliana, et une autre enfant nous rejoignent. Elles fouillent dans des sacs plastique remplis de vêtements. Mirela cherche un soutien-gorge. Liliana trouve une robe moulante bustier qui imite un déguisement de père Noël. Mirela se change devant moi et on repart à la fête[8].

Cet extrait montre la manière dont les femmes soignent leur apparence physique lors d’une fête spontanée. Résidant au fond des bois, n’ayant pas les moyens de payer une sortie en boîte de nuit ou la réservation d’une salle des fêtes, les habitant.es du bidonville improvisent une fête où la musique et les tenues féminines occupent un rôle clé.

J’ai été témoin à une autre occasion de l’importance accordée aux vêtements. Il s’agit de l’anniversaire du fils de Maria, auquel j’ai été invité. « Je veux que Sebastian soit comme un Prince » m’avait-elle annoncée. Elle avait commenté la tenue que je portais ce jour-là et l’avait prise comme contre-exemple. « Tu t’habilleras bien hein ? Pas comme ça ! »

Bien que la fête ait lieu dans l’espace domestique, Maria désire que l’événement sorte de l’ordinaire et que les invité.es soignent leur tenue. Pour cela, elle impose un dress-code. Elle s’approprie un usage qui est en vigueur dans certains espaces dont l’accès est limité afin de garantir une image de marque et de prestige.

S’intéresser aux manières de s’approprier l’espace domestique permet de comprendre les contraintes et les possibilités des habitantes mais aussi de prendre la mesure de ce qui compte pour elles. Pensée « comme une éthique de la vie ordinaire visant à préserver les formes de vie importantes pour les personnes » (Ibos, 2019, p. 198), l’éthique du care invite à dépasser le caractère a priori superficiel ou banal des pratiques quotidiennes pour y déceler les marges de manœuvre qui s’y logent malgré des conditions de vie structurées par les rapports sociaux de domination de sexe, de race et de classe. Dans ce contexte, le care peut être envisagé comme une réponse pour faire face à la vulnérabilisation générée par les oppressions systémiques de sexe, de race et de classe. En reprenant les mots d’Audre Lorde, la philosophe Sara Ahmed considère le selfcare « non pas comme une auto-célébration mais comme une auto-protection. Le selfcare est un combat[9] » nous dit-elle.

2.2. Les chaussures, analyse d’un accessoire du seuil

Quand il fait mauvais temps, la boue encercle les baraques. Afin de garder le lieu de vie propre, il est d’usage de retirer ses chaussures sur le seuil de la porte, chose que ne fait pas Florin, le compagnon de Denisa. Un jour, je reste chez elle une heure ou deux. Nous parlons de la conjugalité et notamment du nouveau compagnon de sa mère qu’elle n’apprécie pas. Depuis le début de la conversation, deux ou trois personnes sont entrées intempestivement sans que Denisa ne fasse de remarques particulières. Quand Florin entre pour prendre quelque chose dans le meuble de la TV, Denisa l’interpelle en français :

-Monsieur est rentré avec ses petites chaussures !

-Oui, c’est moi qui fais le ménage ! Haha ! Répond-il.

-Ouais ouais… Bien sûr… fais-je remarquer[10].

Comme je le montre plus haut, et contrairement à ce qu’affirme Florin, le ménage et l’aménagement des baraques incombent principalement aux femmes et aux jeunes filles. Si Denisa ne se prive pas d’houspiller l’homme avec qui elle vit, les codes de l’hospitalité lui empêchent d’imposer à ses hôtes de quitter leurs chaussures. Je remarque cette pratique chez une autre famille.

Je vais au bidonville du Parking 1 vers 17h30. Toute la pente pour y accéder est recouverte de boue. Il n’y a plus d’herbe. Des planches sont empilées entre les joncs et les places de stationnement. Je prends en photo des chaussures qui ont été déposées, salies par la boue du chemin (…) L’ancien chemin s’est démultiplié, il est constitué de plusieurs bras, menant tous au sentier forestier. Au bout du sentier : le bidonville. Il a encore grandi sur sa partie gauche. C’est impressionnant (…) J’arrive devant chez Mina. Je frappe à la porte et entre. « Ah Emma, j’avais hâte que tu viennes ! » Larisa enlève ses chaussures, je l’imite. « Non ! » dit une voix grave du fond du lit. C’est une vieille dame décoiffée qui vient apparemment de sortir de son sommeil. J’insiste car mes chaussures sont pleines de boue. Le lino posé à même le sol est presque blanc[11].

Quelques semaines plus tard, je retourne voir Denisa. Je retire mes chaussures sur le seuil de la porte et la rejoint sur le canapé où l’on discute une trentaine de minutes. Elle me parle de ses accouchements précédents et des hommes avec qui elle a vécu en Belgique et en Italie avant de rencontrer Florin.

Denisa entend Florin arriver et me dit de me taire. Il doit se demander ce qu’on fait là. Il entre et propose qu’on aille manger sous l’auvent. « On y va ? » dit-elle. Quand je remets mes chaussures, elle me dit « Non c’est trop long ! Mets celles-ci, ça va plus vite ». Elle me tend des sandales. En effet, c’est plus rapide[12] !

La discussion intime qui vient de se dérouler, l’urgence à ne pas faire attendre les voisin.es pour le repas, la familiarité qui caractérise notre relation du fait de la durée de l’enquête, poussent Denisa à me prêter des chaussures. Ce geste d’hospitalité est marquant. Il témoigne de l’accueil de Denisa et de mon intégration au sein de son entourage.

Les chaussures et les sandales sont intéressantes à analyser dans le cadre de la fabrication du chez-soi. Le retrait des chaussures signale l’entrée dans l’espace domestique. Le port des sandales signale la circulation entre l’intérieur et l’extérieur. Ce sont des accessoires qui, dans un contexte de vulnérabilité résidentielle, sont adaptés aux allées et venues entre, d’un côté, l’intérieur sombre et exigu et, de l’autre, l’extérieur lumineux et boueux. En marquant la limite entre l’intérieur et l’extérieur, elles matérialisent le seuil et l’accueil dans l’espace domestique qui est aussi celui de l’intimité.

3. Accueillir chez soi : prendre soin des autres

3.1. L’hospitalité à l’épreuve de la vulnérabilité résidentielle

En fonction du lieu de vie, recevoir des visites n’est pas toujours possible. Le bidonville étant un lieu de vie autogéré, il n’y a pas de restriction règlementaire contrairement au village d’insertion et à hôtel. Il permet ainsi l’hébergement de la famille éloignée. Une sœur qui se rend de l’Allemagne vers l’Angleterre. Une autre qui se rend du Portugal à Lyon. Un voisin qui travaille en Espagne et va voir sa famille en Roumanie, etc. Il est déjà arrivé que mes hôtes me proposent un hébergement. Quand la nuit tombait, les femmes s’inquiétaient pour mon trajet retour. En effet, en venant les voir, je prenais, comme elles, le risque d’être agressée en traversant la forêt. Un soir de février 2018, je reste discuter avec Denisa un peu tard dans sa baraque. Quand elle se rend compte que la nuit est tombée, elle panique et s’écrit « Emma ! Il fait nuit ! Tu peux dormir ici si tu veux ! ».

À l’inverse des bidonvilles, les villages d’insertion, comme la plupart des « aires d’accueil de gens du voyage », sont gardiennés et clôturés par une barrière pour réguler les entrées et sorties (Acker, 2021 ; Cossée, 2016 ; Legros, 2010). Cependant, le village d’insertion de Laginsy déroge à cette règle. Ce projet est né à l’initiative de plusieurs associations. Elles se sont opposées au gardiennage voulu par les pouvoirs publics. Les habitant.es étaient donc libres de recevoir des visites et les invité.es pouvaient se garer sur les places de parking de l’aire aménagée. Cette pratique s’est prolongée jusqu’au relogement en appartement. Lors des entretiens semi-directifs réalisés avec les personnes relogées, j’ai assisté au passage de membres de la famille venus rendre visite à leurs proches.

Je développerai ici le cas de l’hôtel et de la maison en Roumanie car leurs qualités opposées permettent de saisir l’inégale possibilité d’accueillir et donc de prendre soin des relations avec ses proches.

À l’hôtel de Chailly-les-Roses, un panneau signale que les visites sont interdites. L’accès est contrôlé. Cependant, en mettant en avant mon statut d’universitaire auprès de l’agent d’accueil, je parviens à entrer, ce qui étonne Mina la première fois que je lui rends visite : « Emma !! Comment as-tu fait pour passer[13] ?! » Si l’agent d’accueil m’octroie le droit d’effectuer une visite, ce n’est pas le cas de la grand-mère de Mina. L’interdiction des visites vise justement à empêcher l’hébergement de personnes qui n’ont pas été sélectionnées par le Samu social. Alors qu’au bidonville, les membres de la famille peuvent se rendre visite et rester dormir s’ils se font surprendre par l’heure, en hôtel, les rencontres doivent se dérouler en extérieur. Cependant, les invité.es usent de tactiques pour passer outre. Se transmettre des cartes d’accès, passer à travers les barreaux des chambres du rez-de-chaussée ou marcher suffisamment recroquevillé.es pour passer sous le guichet de l’accueil sans attirer l’attention. La grand-mère de Mina qui, usée par la vie, peine à se déplacer, ne peut ni se baisser pour échapper au regard du réceptionniste ni passer à travers les barreaux de la chambre. Elle est contrainte de voir son fils et ses petits-enfants devant l’hôtel ou en ville.

Contrairement aux parents de Mina, Domenica, accompagnée de ses enfants, a pu être hébergée avec sa mère. Cependant, l’hôtel se situe à des dizaines de kilomètres de Beaulieu alors que l’hôtel de la famille de Mina se situe à Chailly-les-Roses dans le secteur de Beaulieu. Un samedi, je lui rends visite en fin d’après-midi. Elle m’attend à la gare. Elle est accompagnée de Livia âgée de 20 ans que j’ai déjà rencontrée sur le bidonville du Parking 1 et qui vit maintenant dans un autre bidonville. Nous faisons le trajet ensemble jusqu’à l’hôtel. Nous longeons les rails, puis nous traversons la zone d’aménagement concerté et le parking du Quick. Derrière le Buffalo Grill, se trouve l’hôtel Ibis. Je repère une caméra fixée à la façade. Domenica m’informe que les visites sont interdites la semaine mais possibles le week-end. À l’intérieur, sa mère nous accueille. Je m’installe sur une chaise à côté du frigidaire. Elle me sert un café. Domenica me parle de son séjour en Italie où sa sœur est morte le mois dernier. Elle s’y est rendue pour rapatrier le corps en Roumanie.

Tout à coup, on frappe. Un homme entre. Il s’exclame :

-Ça va pas ça madame. Ils ont vu que vous êtes entrées à trois dans la chambre. Ils m’ont demandé de voir. Vous entrez et après, on ne sait pas ce qu’il se passe.

-Rien, elle reste 10 minutes, c’est une amie ! explique Domenica en parlant de moi.

-Oui monsieur, je suis passée prendre des nouvelles car ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue mais ne vous inquiétez pas, je ne vais pas dormir ici, j’ai mon appartement à Paris, je vais rentrer chez moi ! je réponds.

Une fois qu’il s’en va, je demande à Domenica :

-C’est qui ? Le directeur ?

-Non, il fait le ménage, répond-elle.

On se remet à discuter sans y prêter plus attention (…) La porte frappe à nouveau. Livia va se cacher dans la pièce au fond à gauche (je crois que c’est une salle d’eau). C’est encore le monsieur.

-Là ça va pas du tout ! La directrice va venir lundi et va venir discuter avec vous. Elle voudra regarder les caméras. C’est pas possible, on vous a vu arriver à trois, vous avancez et faire demi-tour et entrer. On fait quoi ? Il s’agit d’un règlement de compte ou quoi ? On avait dit dix minutes et voilà… ça va pas. En plus, c’est pas la 1e fois, c’est pas la 2e, c’est pas la 3e… y a eu des problèmes déjà : des visites, les enfants qui sont seuls dans la chambre… 

-Non mais monsieur, on fait rien de mal, on discute, je vais rentrer chez moi… y a pas de souci ! je réponds.

-Les visites c’est le dimanche, elle le sait très bien la dame ! Si vous venez le dimanche, vous pouvez venir une heure, deux heures, comme vous voulez !

Il ferme la porte.

-Ce a zis[14] ? demande Domenica.

J’essaye de traduire.

-Il veut me mettre dehors ?

-Non mais la directrice va venir lundi, je réponds embêtée [15].

Inquiète, j’appelle quelques jours plus tard Domenica pour connaître les conséquences de ma visite. J’apprends que la directrice ne l’a finalement pas sanctionnée. Elle ne lui en a d’ailleurs même pas parlé. Le décalage entre les menaces proférées par le gardien et l’inaction de la directrice interroge. Pourquoi s’est-il attaché à nous interpeler deux fois dans la soirée ? Pourquoi nous a-t-il menacé de dénonciation à sa hiérarchie en évoquant le visionnage des caméras de surveillance ? Son comportement disproportionné révèle la volonté de contrôler les relations sociales des personnes hébergées à l’hôtel, en l’occurrence, des femmes. Alors que nous ne causons aucun trouble au fonctionnement de l’hébergement, le gardien y voit une infraction aux règles. Cette interruption constitue un rappel à l’ordre et perturbe la construction de notre relation déjà malmenée par la dernière évacuation vécue par Domenica. Cette intrusion masculine dans l’espace domestique féminin exprime le rapport de pouvoir que le responsable de l’hébergement exerce sur l’espace de vie des femmes.

3.2. L’entre-soi féminin : une dimension émancipatrice de l’espace domestique

Une autre scène ethnographique illustre la place que l’espace domestique occupe dans la sociabilité des femmes et dans la construction de liens entre elles. Dans le cas de Marina, il s’agit de la maison de famille en Roumanie. En juillet 2019, elle m’invite à passer une semaine à Pârvarele, le village où elle a grandi. À cette époque Marina n’a pas de maison à elle. Elle passe l’été chez sa sœur qui vient d’acquérir la maison voisine de celle de ses parents. Durant cette semaine, je me joins à Marina, ses sœurs et sa mère dans la réalisation des activités domestiques qui animent la maison. Leurs maris les rejoignant en août, nous sommes en permanence entre femmes. La maison est constituée d’une pièce et d’une cuisine. La pièce principale est polyvalente. On y mange, on y dort, on se prépare. On joue avec les enfants, on regarde la TV. Outre les discussions portant sur les repas, le corps est au centre des conversations et des activités. Au fil de la semaine, la proximité déjoue la pudeur qui m’habite d’ordinaire et, par souci de bienséance, je m’adapte à leurs habitudes et réalise les activités quotidiennes comme elles dans la pièce unique : se déshabiller, dormir dans le même lit, choisir des vêtements, se maquiller, se laver les pieds. Nous naviguons entre l’intérieur de la maison, la cour, la maison de leurs parents et la ville où nous réalisons des courses quasiment quotidiennement.

Un après-midi, après avoir fait la sieste, nous nous rendons, Marina et moi, chez sa mère à 50 mètres de la maison.

En s’approchant de la maison, on entend crier. Je m’inquiète. Je regarde Marina. Elle accélère le pas. On arrive. Sa mère et ses sœurs sont toutes assises dans la cour sur des couvertures à l’ombre. Elles s’invectivent les unes les autres en fumant. Elles crient et se coupent la parole. Je me demande ce qui se passe. Elles parlent en romanès. Je ne comprends pas un mot. Marina les observe et entre rapidement dans la conversation sans me tenir informée de ce qui est en jeu. Je regarde leur petit frère César en montrant que je ne comprends rien. Il ne semble pas comprendre tellement non plus mais la scène n’a pas l’air de l’interpeler outre mesure. Puis, c’est au tour de la mère de Marina. Elle se met à s’exclamer en agitant les bras. Elle parle tellement vite et fort qu’elle peine à reprendre son souffle et sa voix s’interrompt. Elle recommence de plus belle avec une telle intensité que les larmes lui montent aux yeux. Je suis hyper mal à l’aise. Je m’assois sur un tabouret laissé libre. Après la tirade de la mère c’est aux filles d’enchaîner sur le même registre. Au bout d’un moment, je réalise qu’un smartphone est posé sur les couvertures et que leurs exclamations lui est destiné. Mioara se saisit tout à coup de son téléphone et touche l’écran pour raccrocher. Un moment de silence. Tout le monde reprend son souffle et… les visages se détendent. Premier sourire de Cristina. Marina acquiesce. La mère sur un tout autre registre s’adresse cette fois-ci à ses filles en les regardant dans les yeux et non dans le vague en battant l’air de ses bras comme elle vient de le faire. Le téléphone sonne à nouveau. Mioara décroche et répond si vite que je n’ai pas le temps d’entendre la voix de la personne au bout du fil. Elle reprend sur un ton tout aussi vif, puis c’est au tour de Cristina, puis de Marina. Subitement, elle raccroche. Un bref moment de silence et la mère sourit avec satisfaction en hochant la tête. Cristina lui répond avec le même geste. Les autres regardent le tapis et fument en réfléchissant. Charles, le fils de Mioara dort paisiblement sur un coussin[16]

Marina m’explique plus tard que la personne après laquelle elles vocifèrent au téléphone est l’ex-mari de Mioara. Parti avec une autre femme sans donner de nouvelles pendant un an, il veut maintenant récupérer la garde de son fils Charles. Face à la menace de perdre la garde d’un enfant, les femmes s’unissent et vilipendent à distance l’homme laissé sans voix. Cette scène illustre la force de l’union féminine. Seule dans l’interaction, Mioara n’aurait pas été aussi convaincante. Entourée de ses sœurs, de sa mère et de sa voisine, elle est soutenue et sa voix est décuplée. L’après-midi de discussion informelle tourne à la réunion de crise et à l’action collective. Le soutien dont bénéficie Mioara ce jour-là repose en partie sur le fait que la maison familiale réunisse toutes les sœurs au même moment. En effet, durant l’année, elles habitent toutes dans un pays différent : Cristina en Angleterre, Mioara en Allemagne et Marina en France. Avec l’argent de la migration, Cristina a pu acheter la maison voisine de celle de ses parents et, d’une certaine manière, étendre le périmètre de la maison familiale[17].

En résumé, les conditions d’hospitalité dépendent du fonctionnement des lieux de vie. La maison familiale, comme la baraque en bidonville, permet l’accueil et l’hospitalité des proches, chose que la chambre d’hôtel ou le préfabriqué en village d’insertion empêche. L’hébergement en hôtel social, s’il apporte le confort minimum, ne met pas un terme à la vulnérabilité résidentielle. Il ne bénéficie qu’à une petite minorité d’habitant.es de bidonvilles qui sont contraint.es par des règles strictes et se restreint à la famille nucléaire. C’est pourquoi nombre de personnes refusent le dilemme qui conduit à choisir entre sortie du bidonville ou abandon de la famille élargie.

Malgré la vulnérabilité résidentielle, l’espace domestique se révèle être un support du selfcare et du care entre femmes. Soigner sa tenue, se maquiller, se coiffer, discuter, se soutenir sont autant d’activités qui prennent place dans l’espace domestique et permettent de surmonter les épreuves du quotidien générées par les oppressions de sexe, de race et de classe.

Conclusion

En mobilisant les perspectives du care et des concepts de philosophie féministe pour comprendre la relation des femmes roms précaires à leur espace domestique, cet article apporte un autre regard sur la vulnérabilité résidentielle et la place de l’espace domestique dans la théorie féministe. Les récits sur la construction du chez-soi révèle la manière dont les femmes s’approprient leur espace domestique. Le soin accordé à l’espace intérieur est réalisé d’une part pour faire face à la vulnérabilité résidentielle mais aussi en vue de rendre le lieu de vie agréable et chaleureux pour recevoir de la visite.

Les perspectives du care proposent de saisir ce qui relève à la fois d’une éthique et d’une activité quotidienne inégalement répartie dans la société mais indispensable au maintien de la vie. Elles donnent à entendre des voix ignorées par les épistémologies majoritaires qui font des émotions, de la subjectivité et de l’intime des objets de recherche marginaux et les excluent du processus de production de connaissance (Despret & Stengers, 2011 ; Haraway, 2006 ; Puig de la Bellacasa, 2012). En effet, dans la littérature, les bidonvilles sont plus analysés à l’aune de leur forme urbaine et de leur gouvernance que des relations de care tissées par leurs habitant.es. Pourtant, étant donné la situation de vulnérabilité résidentielle et de dominations croisées dans laquelle iels se trouvent, les perspectives de care trouvent tout leur sens. Analyser la situation des bidonvilles franciliens à travers le prisme du care et de la vulnérabilité souligne l’absence de prise en compte par les pouvoirs publics de l’interdépendance des personnes et des pratiques concrètes dans l’espace domestique.

Grâce à la distinction entre housework (travail domestique) et homemaking (construction du chez-soi), les pratiques corporelles et vestimentaires des femmes apparaissent non pas comme des manifestations univoques de la domination patriarcale mais comme l’expression singulière et variée d’actions réalisées en vue d’assouplir le quotidien et de négocier des marges de manœuvre. Dans une critique de certaines tendances féministes, Iris Marion Young refuse la dévalorisation systématique des activités domestiques. Elle rejoint ainsi la pensée de bell hooks (2004) selon laquelle, pour toutes personnes minorisées, « home » a un sens politique quand bien même il se situe dans les marges. Le chez-soi dans la mesure où il rend possible l’échange, la discussion et le partage est une modalité de la capacité d’agir. Sa portée n’est pas uniquement individuelle. Elle est collective. « Ce type de selfcare n’a pas pour but d’assurer son propre bonheur. Il s’agit de trouver des moyens d’exister dans un monde qui s’appauvrit » nous rappelle Sara Ahmed (feministkilljoys, 2014).

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[1] « Une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie ».

[2] bell hooks tient à ce que son nom apparaisse en lettres minuscules afin d’attirer l’attention sur son œuvre plus que sur sa personne.

[3] Pour des raisons d’anonymat, le nom des personnes et des lieux ont été modifiés.

[4] Si les méthodes ethnographiques utilisées en sociologie et en anthropologie urbaine engagent souvent les chercheur.euses à s’installer pour une longue période sur les lieux de l’enquête c’est rarement le cas pour les enquêtes sur les bidonvilles contemporains en France hexagonale (Benarrosh-Orsoni, 2015 ; Caseau, 2020 ; Pétonnet, 2012).

[5] Ma traduction.

[6] Carnet de terrain, 4 septembre 2017.

[7] Carnet de terrain, 4 septembre 2017.

[8]Carnet de terrain, 30 mars 2017.

[9] Ma traduction. « Self-preservation » peut aussi être traduit par « instinct de survie ».

[10]Carnet de terrain, 4 septembre 2017.

[11]Carnet de terrain, 7 février 2019.

[12] Idem.

[13] Carnet de terrain, 6 octobre 2017.

[14] « Qu’est-ce qu’il a dit ? » Ma traduction du roumain.

[15] Carnet de terrain, 9 mars 2019. Traduit du roumain par mes soins.

[16] Carnet de terrain, 13 juillet 2019.

[17] Les projets immobiliers en Roumanie des migrant.es sont finement analysés dans le livre de Norah Benarrosh-Orsoni (2019) tiré de sa thèse.