Sylvie Considère
〉Maîtresse de conférences HDR en didactique de la géographie
〉Université de Lille
〉ULR 4354 CIREL 〉
〉Article court
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L’observation des élèves en situation d’apprendre en géographie montre à quel point le vécu s’invite dans toutes leurs réflexions et comment c’est à partir de lui qu’ils construisent leur compréhension des phénomènes géographiques, y compris étudiés au travers de documents.
C’est à leur entrée au CM1 qu’ils découvrent la géographie après avoir questionné le monde et avoir appris à se situer dans l’espace au cours du cycle précédent. La géographie scolaire a longtemps été marquée par la mémorisation de contenus présentés aux élèves (Tutiaux-Guillon 2004), mais récemment, il leur est demandé d’apprendre à mener des raisonnements à partir d’études de cas dans lesquelles l’espace de proximité (quartier au cycle 3, ville au collège) tient une place importante.
Pour les trois niveaux du cycle 3 (CM1 – 6e), la mention au territoire de proximité perdure. C’est à partir de cet espace, réputé connu, que des connaissances disciplinaires sont acquises. C’est à partir de cette échelle micro-locale que d’autres lieux sont étudiés (Filâtre, 2022, pp 6-8). Les outils d’accompagnement des contenus programmés en géographie au cours moyen[1] insistent, pour chaque thème abordé (la ville, un espace de tourisme, consommer, circuler, communiquer), sur la nécessité, pour les élèves, d’un appui sur le concret, défini essentiellement comme l’espace proche des élèves, celui dans lequel se développent leurs pratiques quotidiennes individuelles et familiales. Le thème « habiter mieux » invite à la sortie de terrain pour observer et échanger avec des habitants. En 6e le lien avec le vécu personnel se distend : le relais est pris par les corpus documentaires des études de cas réputés permettre aux élèves de « parcourir » les espaces de manière concrète. La relation au vécu des habitants se substitue à celui des élèves, mais il s’agit toujours que les élèves observent les façons dont les êtres humains organisent et pratiquent leurs espaces de vie […] et entrent dans le raisonnement géographique. Au cycle 3, il s’agit d’investiguer les lieux du quotidien, puis, d’aborder d’autres milieux, d’autres modes d’habiter le monde, poursuivant les travaux sur les modes de vie amorcés au cycle 2 et invitant à des comparaisons entre ici et ailleurs, entre soi et l’Autre. En 2020, dans toutes les disciplines, le programme du primaire comme du secondaire est complété de l’impératif de prendre en compte les problématiques liées au développement durable. En géographie, il s’agit d’amener les élèves à imaginer le futur de leurs territoires en s’essayant à la prospective (Fouache, 2022). Les enseignants de géographie doivent permettre à l’élève de dépasser son expérience personnelle de l’espace vécu pour accéder à la compréhension d’un espace géographique partagé. Au-delà de prendre conscience que chacun a une expérience singulière des lieux familiers du quartier, puis de concevoir que d’autres lieux représentent l’environnement proche – différent – d’autres habitants, la prospective invite à envisager des transformations futures de l’espace de proximité.
Mettre l’espace de proximité au cœur des apprentissages est une idée ancienne, alternative aux apprentissages par cœur d’une nomenclature générale, difficile pour les élèves (plan Langevin et Wallon de 1946). La réforme des activités d’éveil en primaire (1969) a poursuivi dans cette veine : il s’agissait d’opter pour des méthodes actives visant à éveiller les élèves. L’idée que l’espace vécu est davantage à la portée de jeunes élèves va de pair avec celle que, pour eux, il faut voir la réalité pour la comprendre – les activités d’éveil se sont souvent traduites par des « classe-promenades ». Or, le seul contact avec la réalité, l’appui sur le vécu ne suffit pas à faire de la géographie. Etre sur le terrain permet indéniablement de découvrir et d’observer. Si cette attitude permet à l’adulte informé de comprendre ce qu’il regarde, au géographe de collecter ses données, guidé par ses hypothèses scientifiques construites en appui sur de solides connaissances préalables, l’enfant, lui, est guidé surtout par son affect. Il privilégie ce qui le touche, l’amuse, le surprend (Considère, 2022, p.19, Briand, 2016), constituant un matériau composite et polymorphe qu’il ne sait pas lire. Partir de l’espace proche de l’enfant, c’est faire avec ces éléments hétérogènes et singuliers pour chaque élève. Cette entrée dans la géographie par le vécu est intéressante dans la mesure où les élèves, notamment au cycle 3, sont encore égocentrés et peu souvent attirés par ce qui ne les touche pas. Cependant, la question se pose de ce qui peut être appris en géographie à partir du vécu, en d’autres termes, comment éviter une « collection de vécus » variés, tant dans le quartier que dans des espaces lointains et acquérir des savoirs en géographie ?
Le concept d’habiter, apparu dans les programmes de géographie du cycle 3 en 2015, fournit les éléments d’une réponse didactique en ce qu’il permet d’articuler les pratiques individuelles et collectives déployées dans les lieux, les activités des individus et des groupes, et les aménagements conçus pour y répondre et qui organisent l’espace. Les pratiques des élèves, à l’échelle locale, constituent, dans un premier temps, un pêle-mêle à recueillir : aller à l’école, rêvasser dans sa chambre, aller au foot, fêter son anniversaire avec ses camarades, acheter du pain, regarder des vidéos sur le net, accompagner les petits au square, faire les courses avec ses parents, partir en vacances etc. Ces activités familières issues de l’expérience individuelle, fournissent, à l’échelle d’une classe des éléments que les élèves eux-mêmes, accompagnés de l’enseignant vont pouvoir trier. Les catégories obtenues restituent les premiers attributs du concept d’habiter : se loger, consommer, se former, travailler, se déplacer, se divertir, porteurs à la fois des pratiques, des lieux et des aménagements. Cet embryon de concept permet, dès lors de lire paysages et cartes et de comprendre qu’habiter un village, une ville, un espace de tourisme ou un éco quartier comporte des invariants mais aussi des différences en termes de distance aux services, d’accès aux réseaux de circulation, ou encore de choix d’aménagements.
Références bibliographiques :
Briand M., 2016, « Approche sensible en sortie. Construire une relation au terrain en géographie scolaire à l’école élémentaire », dans Thémines J.F. & Doussot S., Acteurs et action, Perspectives en didactiques de l’histoire et de la géographie, Presses universitaires de Caen, 73-86.
Considère S., 2022, « Comment le récit en géographie permet-il de construire une modélisation du monde ? », dans Courdent A., Quand raconter permet d’apprendre : le récit dans l’enseignement et la formation, Presses Universitaire du Septentrion, 23-40.
Filâtre E.,2020, « La place de l’espace proche dans l’évolution des programmes de géographie de l’école élémentaire française de 1977 à 2015 », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne],
Epistémologie, Histoire de la Géographie, Didactique, document 950, mis en ligne le 05 août 2020,
consulté le 21 mars 2023. URL : https://journals.openedition.org/cybergeo/35167
Fouache L., 2022, « La géographie prospective dans l’enseignement », Géographie et cultures [En
ligne], 116, https://journals.openedition.org/cybergeo/35167
Tutiaux-Guillon N., 2004, « Les conceptions de l’apprentissage auxquelles se réfèrent les enseignants une faction porteur d’inertie disciplinaire ». In : Actes du colloque JED, Caen, http://ecehg.ens-lyon.fr/ECEHG/colloquehgec/2004%20Caen/intervenants
[1] Ressources d’accompagnement du programme d’histoire et géographie du cycle 3 : site https://eduscol.education.fr/260/histoire-et-geographie-cycle-3
Pour citer cet article :
CONSIDERE Sylvie, « L’espace de proximité au cœur des apprentissages en géographie au cycle 3 », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/2023/09/10/lespace-de-proximite-au-coeur-des-apprentissages-en-geographie-au-cycle-3/