Cachez ce care que je ne saurais voir. Les ajustements méthodologiques d’une étude féministe du travail du care dans le logement collectif

Hide this care that I dare not see! Methodological adjustments to a feminist study of care work in collective housing

Benjamin Leclercq
〉Maître de conférences, architecte et sociologue
〉Université de Strasbourg
〉UMR 7069 LinCS

〉benjaminleclercq@unistra.fr 〉

Audrey Courbebaisse 
〉Chargée de cours, architecte, 
〉UCLouvain
〉Uses&Spaces (LAB)

〉audrey.courbebaisse@uclouvain.be 〉

Ansao Totolehibe 
〉Doctorant en architecture
〉UCLouvain
〉Uses&Spaces (LAB) 〉projet CTRL+H (Innoviris)

〉agie.galicy@uclouvain.be 〉

Chloé Salembier
〉Professeure, ethnologue
〉Uses&Spaces (LAB)

〉chloe.salembier@uclouvain.be 〉

〉Article long 〉

Télécharger l'article. 2-2024 Leclercq et al.

Résumé : Visibiliser, quantifier et qualifier le travail domestique et du care pour qu’il soit mieux reconnu, réparti, mutualisé, valorisé ou externalisé, constitue l’un des défis majeurs du projet féministe depuis des décennies. Cet article discute des implications méthodologiques d’une objectivation et d’une spatialisation du travail domestique et de soin en milieu habité. Jusqu’ici la plupart des travaux s’intéressant au travail de care négligent sa dimension spatiale ou mobilisent des échelles trop larges pour donner à voir l’articulation entre travail relationnel et travail sur l’espace. Dans le cadre d’un projet de recherche mené en Région de Bruxelles-capitale sur sept ensembles de logements collectifs privés ou publics, une double proposition est amenée et mise à l’épreuve de ses freins et de ses difficultés : le relevé habité comme méthodologie de recueil de données spatialisées sur le care et le schéma de visualisation comme moyen de représentation des pratiques habitantes liées au care. Montrer le care suppose d’une part, de bousculer nos méthodes de collecte de données et leur visualisation et d’autre part, de le spatialiser pour qu’il puisse être davantage pris en compte dans les politiques urbaines. 

Mots-clés : travail reproductif, care, méthodologie féministe, visualisation des données, logements collectifs. 

Abstract: Making domestic and care work visible, quantifying and qualifying in order to recognize, distribute, share, value or outsource it among the society has been one of the major challenges of the feminist project for decades. This article discusses the methodological implications of objectifying and spatialising domestic and care work in residential environment. To date, most care work’s studies have neglected its spatial dimension, or have focused on scales that are too broad to highlight the links between relational work and work on space. As part of a research project carried out in the Brussels-Capital Region on seven private or public housing estates, a twofold proposal is put forward and its obstacles and difficulties tested: the “inhabited survey” as a methodology for collecting spatialised data on care, and the visualisation diagram as a means of representing inhabitant practices linked to care. Showing care implies, on the one hand, shaking up our methods of data collection and visualisation and, on the other hand, spatialising it so that it can be better considered in housing and urban policies.

Keywords: reproductive work, care, feminist methodology, data visualization, collective housing. 

Cachez ce care que je ne saurais voir
Par de pareils objets le monde patriarcal est bouleversé, 
Et cela nous oblige à tout reconsidérer…[1]

Introduction : l’invisibilisation structurelle du travail du care dans le logement et ses abords

Cet article discute des implications méthodologiques d’une objectivation et d’une spatialisation du travail domestique et de soin en milieu habité à travers la « perspective du care ». Définie comme une « approche multidisciplinaire centrée sur une manière de voir la vie ordinaire, le social et le politique à partir d’une prise de conscience de notre vulnérabilité en tant qu’être humain, de l’importance de nos interdépendances et de nos attachements » (Ibos et al., 2019, p. 11), cette perspective renouvelle le regard porté sur le logement et les rapports sociaux qui s’y déroulent. Si depuis les travaux pionniers de Christine Delphy (1978), le féminisme matérialiste propose de regarder le logement non pas comme un espace de repos et de loisir, mais comme un espace de division sociale et sexuelle du travail domestique, la perspective du care permet d’élargir la compréhension de la binarité entre travail productif et travail reproductif, en portant l’attention sur les processus d’inégale assignation à la dispensation du « soin », au sens ordinaire et non médicalisé du terme (Tronto, 1993 ; Molinier, 2013 ; Ibos et al., 2019 ; Hirata, 2021).

L’hypothèse est que ce parti pris nécessite de considérer les réponses aux besoins de care comme un travail dans et sur l’espace, et implique d’envisager l’extension du travail domestique dans les abords du logement (les seuils, les parties collectives et l’environnement résidentiel élargi). Cette extensivité du travail domestique est comprise ici à l’articulation du travail dit « productif », formalisé et comptabilisé dans le cadre du travail rémunéré, et du travail « improductif » qui se réalise dans la sphère familiale de façon informelle et gratuite (Kergoat, 2004 ; Galerand et Kergoat, 2008 ; Courcy, des Rivières-Pigeon et Modak, 2016). L’espace domestique ne pouvant se réduire à celui du logement (Collignon et Staszak, 2003), le travail du care en milieu habité intègre dès lors d’autres activités que les tâches ménagères réalisées dans la sphère privée, telles que les formes de prise en charge des personnes et des espaces dans les parties collectives des immeubles, de bénévolat ou implications informelles dans la vie de quartier, etc. Or, ce travail du care fait d’autant plus l’objet d’une invisibilisation structurelle qu’il se situe dans une « zone grise » où « le travail n’est pas vraiment reconnu comme travail, et ne semble pas nécessiter de savoir-faire spécifiques » (Dussuet, 2019, p. 603). Son objectivation pose dès lors un défi méthodologique pour la recherche, en ce qu’il s’agit d’articuler deux objets difficiles d’accès pour l’ethnographe. À la fois, l’étude de situations sociales rejetées « hors du domaine moral et de la sphère publique, les réduisant au rang des sentiments privés, dénués de portée morale et politique » (Laugier & Molinier, 2009, p. 74) rend difficile l’administration de la preuve. En outre, le logement est le lieu par excellence du monde privé et de l’intimité, dans lequel les membres des classes populaires peuvent se protéger des pressions et injonctions exercées dans les autres sphères de la vie sociale (professionnelles, scolaires, etc.) (Schwartz, 2012 ; Bonvalet, Dietrich-Ragon et Lambert, 2018).

Notre propos s’appuie sur une recherche collective portant sur le care en milieu habité au sein de sept ensembles collectifs[2] de la Région de Bruxelles-Capitale depuis octobre 2021[3]. Nous définissons le care en milieu habité comme un travail régénératif, de soin, d’attention particulière, de sollicitude et de bienveillance, à la fois consciente et située tant de ses propres vulnérabilités que de celles d’autrui et des collectivités et communautés existantes. Ce travail consiste à renforcer les réseaux d’interdépendance et d’autonomie d’un milieu habité, composés à la fois d’êtres humains et non-humains, mais aussi d’espaces matériels, bâtis et non bâtis, à toutes les échelles : privées, collectives, publiques ainsi que les espaces de seuils et intermédiaires.

Figure 1 : Les sept ensembles de logements collectifs étudiés[4]

Notre hypothèse est que les travaux de care réalisés dans la sphère de l’habitation (au sens large du terme comprenant à la fois l’espace privé du logement et les espaces collectifs et d’abords) peuvent être observés de deux manières : (1) par l’identification et l’analyse du travail des caretakers ou « gardien·nes du soin » qui assurent les conditions du vivre-ensemble dans le logement et ses abords (concierges, travailleurs sociaux, habitant·es etc.) ; (2) par le relevé des espaces supports de care (caresupport), c’est-à-dire des espaces qui, à l’échelle du logement et de ses abords, soutiennent la production de pratiques du care (espaces communs de garde d’enfants, de cuisine, de commerces, d’activités sociales ou médicales, de lavoirs, etc.). À l’échelle de l’espace collectif, nous proposons ainsi de considérer que l’espace peut être à la fois l’objet de travaux de care réalisés par les habitant·es (ménage, rangement, aménagement, améliorations, etc.), et aussi support de care pour ces mêmes personnes (balcon pour se reposer, chambre en plus pour s’isoler ou s’adonner à une activité, etc.) 

La démonstration s’organise en trois parties. La première exhume le défi historique des gender studies, celui de visibiliser le travail domestique et de care dans nos sociétés imprégnées du mythe évolutionniste d’une rationalisation continue des activités humaines. Elle affirme que cette mise en visibilité gagne à être articulée à une entreprise méthodologique de visualisation, afin de mettre en évidence les liens complexes entre les dimensions relationnelles et spatiales du care. La deuxième partie s’attache à décrire les problèmes posés par l’invisibilisation du travail du care sur le terrain, illustrés par trois situations d’enquête significatives de la complexité à faire parler les enquêté·es de leurs propres vulnérabilités et de leurs relations d’interdépendance. Faute d’être rendu visible par les méthodes issues de l’oralité, le care peut être visualisé grâce à l’usage croisé de l’entretien et d’outils graphiques. Enfin, nous revenons sur les motifs qui nous encouragent à visibiliser le travail du care en milieu résidentiel, au croisement du défi historique des études féministes et des housing studies. Cette démonstration permettra finalement d’interroger dans quelle mesure la visibilisation du travail du care offre un potentiel de transformations de l’action publique, en bousculant les définitions communément admises du problème public du logement.

1.         De la visibilisation à la visualisation : articuler les dimensions relationnelles et spatiales du care

Après avoir montré en quoi la visibilisation du travail domestique représente un enjeu historique dans la littérature féministe, cette partie interroge les implications méthodologiques de l’imbrication de deux objets d’étude : l’espace et le care. Un tel projet requiert de considérer les dimensions spatiales du travail du care, ce qui suppose de croiser deux perspectives : celle de l’anthropologie de l’espace et celle de la sociologie matérialiste et féministe du travail. Étant donné que ces deux cadres d’analyse ont rarement été pensés ensemble, leur articulation pose un défi méthodologique auquel nous avons tenté de répondre empiriquement par la méthode des relevés habités à l’échelle domestique.

1.1.        Visibiliser le care : un défi féministe historique

La mesure du travail domestique et du travail du care et leurs définitions ont fait l’objet de nombreuses discussions tant leur visibilité est un enjeu central pour le capitalisme moderne. Depuis les premières tentatives de codification des méthodes « budget-temps » ou des échelles de répartition des tâches au cours des années 1960 (Goguel, 1966), il fait aujourd’hui consensus que les outils de l’économie néoclassique ne permettent pas de mesurer la dimension émotionnelle de ce travail, comme la charge mentale (Haicault, 1984), l’empathie, la préoccupation ou la sollicitude (Courcy, des Rivières-Pigeon et Modak, 2016), ni même l’imbrication des différentes temporalités des activités de care (Tronto, 1993 ; Molinier, 2013). Or, comme l’ont montré les travaux sur la « double journée » (Hochschild & Machung, 2003), c’est précisément « l’articulation » (Coutrot, 2021) et la « conciliation » (Horelli & Vepsä, 1994) entre le travail reproductif et produit qui contraint fortement la vie quotidienne. Ainsi, les indicateurs quantitatifs ne permettent ni de qualifier et d’identifier celles et ceux qui effectuent le travail du care (caretaker), ni dans quels espaces (caresupport), ni dans quelles conditions et avec quelles ressources quotidiennes.

Pour enquêter sur les formes les plus ordinaires et invisibles de l’assignation au travail de sollicitude, les recherches inscrites dans la perspective du care admettent la nécessité d’une épistémologie féministe du point de vue (Laugier, Molinier et Paperman, 2009 ; Paperman, 2013 ; Ibos et al., 2019). À rebours de la sacralisation weberienne de la neutralité axiologique, il s’agit d’intégrer les protagonistes les plus éloignés de l’espace public et académique dans la production des connaissances (Espínola, 2013 ; Clair, 2016). En pratique, cette perspective mobilise le plus souvent deux techniques d’enquête complémentaires : l’entretien biographique de type récit de vie d’une part, et l’observation participante d’autre part. 

En tant que discours de pratiques inscrits dans un régime narratif (Bertaux, 2010), le recours au récit de vie vise à octroyer aux enquêté·es une certaine maîtrise de l’interaction (Paperman, 2015 ; Marzi et Paperman, 2016). Ces matériaux déclaratifs restent toutefois limités pour saisir les dimensions émotionnelles et spatiale du care, car ils conduisent souvent à produire des descriptions finalement assez vagues de situations sociales largement naturalisées et considérées comme allant de soi (Benelli et Modak, 2010). Les approches ethnographiques reposant sur des observations participantes peuvent combler ces lacunes, puisqu’elles confrontent les récits des enquêté·es à l’observation de leurs pratiques. Ce dispositif peut toutefois rencontrer le même écueil de la naturalisation du travail du care, car ces approches sont la plupart du temps menées à partir d’un regard extérieur aux organisations observées (Paperman, 2015). Elles peinent ce faisant à exprimer les dimensions du travail les plus invisibles et incorporées par les acteur·ices, et à accéder ainsi à « la connaissance du monde social dont nous disposons “de l’intérieur”, c’est-à-dire à partir des conditions concrètes, particulières et locales de nos existences incarnées » (Paperman, 2013, p. 5).

Pour dépasser ces écueils, la littérature donne à voir deux types de stratégies d’enquête. La première vise à se mettre « dans la peau » de ses enquêté·es, c’est-à-dire « pénétrer et s’approprier leurs catégories de pensée, leurs implicites, leurs codes et les routines » (Alam, Gurruchaga et O’Miel, 2012, p. 160), au point de partager leurs émotions[5]. Le deuxième ajustement méthodologique consiste à co-construire l’analyse avec les enquêté·es[6], par exemple pour que les enquêté·es puissent témoigner du sens qu’ils/elles donnent à la réalisation du travail domestique. Ces stratégies n’empêchent pas certaines difficultés comme les présupposés naturalistes qui pénètrent nécessairement les représentations des chercheur·es. 

Les études pré-citées s’intéressent peu aux enjeux spatiaux des pratiques de care. En effet, toute la littérature sur le travail domestique, reproductif et sur le care ne pense pas l’espace comme un facteur déterminant ou influençant les pratiques. Il existe un certain nombre de travaux qui cherchent à spatialiser le travail du care[7], notamment dans le champ de la sociologie de la famille et de la géographie des migrations, par le biais de méthodes économétriques ou d’approches ethnographiques qui articulent entretiens qualitatifs et observations-participantes multisituées[8]. Mais cette entreprise est le plus souvent réalisée à l’échelle mondiale des transferts internationaux de care entre les Nords et les Suds. Autrement dit, la sphère domestique, qu’il s’agisse de celle des pourvoyeurs et pourvoyeuses de soin ou de celle des bénéficiaires, reste impensée (de Certeau, Giard et Mayol, 1994 ; Staszak, 2001 ; Gardner et Grillo, 2002 ; Le Bars, 2018). Trois contributions récentes prétendent combler ces lacunes, sans toutefois y parvenir : (1) l’ouvrage « Critical care. Architecture and urbanism for a broken planet » (Fitz et Krasny, 2019), (2) la notion de « care spatial » développée par Michel Lussault (2018), et (3) la publication réalisée autour de l’exposition au pavillon de l’Arsenal « Soutenir : Ville, Architecture et soin » (Fleury et SCAU, 2022). Dans ces travaux novateurs, l’échelle domestique n’est pas convoquée, questionnée ou analysée par les auteur·es. Les méthodologies proposées ne permettent pas de penser le travail du caredans le logement et ses abords. Dès lors, quelles méthodes mobilisées pour visibiliser les imbrications entre les espaces habités et les pratiques du care ? 

1.2 La méthodologie CTRL+H : visualiser le care pour mieux le visibiliser

Du côté du laboratoire CTRL+H, nous avons considéré que les habitant·es sont tout autant travailleur·euses du care que les professionnel·les. Nous avons donc articulé notre enquête de terrain en deux volets distincts : l’« expertise de vécu » et l’ « expertise de métiers ». 

Le volet de « l’expertise de vécu » repose sur une méthodologie de recueil de l’expérience par « entretien compréhensif » (Kaufmann, 2016) avec des résident·es (n=35, soit trois à huit entretiens par terrain), et par le relevé habité (à l’échelle du logement et de ses abords), que nous expliciterons plus loin. Pour tenter de diminuer les relations d’exploitation entre enquêteur·rices et enquêté·es dénoncées par certaines chercheuses féministes (Clair, 2016), nous avons proposé une gratification aux habitant·es. Cette précaution a le mérite de reconnaître que la participation à une enquête demande du temps et des compétences, qui sont principalement mis à profit par les chercheur·euses.

Le deuxième volet d’« expertise de métiers » repose sur l’hypothèse que le travail de care déployé par les habitant·es s’intègre dans un système plus vaste d’activités et de relations : le « social care » – soit l’ensemble des « activités et relations situées à l’intersection de l’État, du marché et des relations familiales et bénévoles » (Daly et Lewis, 2000, p. 285). Cette notion permet d’envisager qu’en plus des résident·es, différent·es caretakers agissent sur le monde de l’habitat pour assurer les conditions d’une vie la plus digne possible aux différentes échelles du logement. Ils ou elles sont concierges, agent·es de quartier, salarié·es d’une société de logements sociaux ou gestionnaires de copropriété, d’une association, d’un programme de cohésion sociale ou de santé communautaire, et formalisent des pratiques du care au quotidien, ou contribuent à nourrir des dynamiques individuelles ou collectives de soutien à la vie dans les espaces résidentiels. Ce volet a donné lieu à 30 entretiens compréhensifs réalisés avec des actrices et acteurs œuvrant à l’échelle résidentielle, complétés par 12 entretiens avec des agent·es d’organisations régionales du logement. Ce réseau d’enquêté·es a également été mobilisé pour des ateliers de recherche participative (n=2) inspirés de la « méthode d’analyse en groupe » codifiée par Luc Van Campenhoudt et son équipe (2009).

L’ensemble de ce corpus relève toutefois de l’enquête orale qui, lorsqu’elle est utilisée seule, apparaît insuffisante pour rendre pleinement compte des implications spatiales du care. C’est pourquoi dans le projet CTRL+H, les entretiens menés avec les habitant·es des ensembles de logements collectifs sont accompagnés de relevés habités de la sphère domestique et de ses abords. Au croisement de l’architecture et de l’ethnographie, la méthode du relevé habité donne à voir des choses que la parole ne suffit pas à révéler : « le sensible et le concret, le matérialisé [qui] ont tendance à s’effacer largement alors qu’eux-mêmes peuvent éclairer d’autres relations non analysables dans la teneur de la parole » (Pinson, 1991, p. 99). Nous allons présenter cette méthode au travers de la situation d’une habitante d’un logement social dans une cité-jardin de l’entre-deux-guerres (le terrain n°1 de la figure 1). Samara est une femme sans emploi de 72 ans d’origine marocaine, locataire avec son mari retraité. L’emménagement dans ce logement n’est pas un choix. Il fait suite à son inscription sur la liste des candidat·es au logement social, dont la pénurie structurelle (40 000 ménages en attente pour un parc total de 50 000 logements selon les actrices et acteurs du logement enquêté×es) l’a conduite à quitter un quartier populaire du Nord de Bruxelles dans lequel elle a encore de nombreuses habitudes (courses, médecins, réseaux familiaux et de voisinage, etc.), pour s’installer dans un quartier du sud de Bruxelles dominé par les classes moyennes et supérieures. Ainsi, la trajectoire résidentielle de Samara lui échappe largement, marquée par les décisions bureaucratiques des institutions sociales et urbaines. Et comme de nombreuses personnes dont les conditions matérielles d’existence dépendent en partie des institutions sociales, Samara est habituée à mettre en récit ses difficultés pour faire valoir ses droits (Astier et Duvoux, 2006). Aussi, si nous nous en étions tenus à recueillir son récit de vie, il aurait été difficile d’échapper au biais de l’« injonction biographique » des bénéficiaires de politiques sociales (Ibid.). Or, accompagner l’entretien du relevé habité permet ici de dépasser ce biais, en montrant les tactiques mises en œuvre par les enquêté·es pour améliorer leur vie quotidienne, en dépit de conditions défavorables.

Avant de réaliser l’interview, nous avons préalablement rassemblé un ensemble de supports graphiques (plans du logement, de l’immeuble et de la cité-jardin) pour servir et orienter la discussion sur les dimensions les plus matérielles et concrètes de la vie quotidienne (rôle des objets, sens et représentations attribués aux différents espaces par l’enquêtée, etc.). En centrant l’échange sur la période Covid, le document ci-dessous (figure 2) retranscrit ainsi en violet les tactiques matérielles et relationnelles mises en œuvre par Samara pour maintenir son logement et répondre aux besoins de son mari, tout en préservant un espace à soi qui lui permet de se ressourcer.

Figure 2: relevé habité des caresupports du logement de Samara, 72 ans[9]

Comme le montre ce relevé, l’enquêtée laisse l’espace de séjour à son époux en journée lorsque celui-ci tombe malade, et investit la baignoire ou son lit. Cette occupation différenciée des espaces en fonction du genre – et notamment du salon socialement construit dans nos sociétés comme l’espace le plus « public » de la sphère privée (Staszak, 2001) – a déjà été documentée dans certaines enquêtes (Coquard, 2018 ; Lambert et al., 2021). L’avantage du dessin est de donner à voir les implications spatiales de cette différenciation, mais aussi de l’interpréter dans une autre perspective que celle de la stricte domination masculine : si Samara privilégie la chambre au salon pour se ressourcer, c’est d’abord par souci d’intimité, mais aussi parce que le canapé faisant face à la cuisine, la vue de cet espace lui rappelle indirectement les charges domestiques qui incombent au foyer (Rosa Bonheur, 2017). Le relevé montre aussi les pratiques inventives mises en œuvre par le couple pour maintenir un niveau de vie confortable, en dépit d’une qualité de logement dont l’enquêtée ne cesse de se plaindre. Ainsi, l’impossibilité de fixer des meubles de cuisine dans les murs du fait des matériaux de construction, conduit Samara et son mari à utiliser des cartons comme espaces de rangements de leur vaisselle. Sans le travail de dessin qui a accompagné l’entretien, un tel système aurait certainement été passé sous silence par l’enquêtée. Le relevé habité du logement de Samara met en lumière les tactiques mises en œuvre par les enquêté·es pour lutter contre leurs vulnérabilités résidentielles.

Le relevé habité justifie l’orientation de l’entretien sur des questions très matérielles, stimulées par la compétence particulière de l’enquêteur (dans notre cas, un architecte) – par exemple, demander à voir la bouche d’aération de la salle de bain devient une demande légitime lorsqu’elle émane d’un architecte – et encourager l’enquêté·e à commenter tel ou tel aménagement dans le logement, telle ou telle adaptation ou bricolage révélant alors sa propre expertise vécue. 

Ainsi, le relevé habité sélectionne et dessine le déroulé d’une pratique et la déconstruit dans l’espace et le temps, par exemple la décomposition de l’ensemble des actions, des gestes et des déplacements pour faire la cuisine (de Certeau, Giard et Mayol, 1994), ou prendre soin du linge (laver, sécher, trier, plier, ranger[10]). Ainsi, le dessin représente d’une part les espaces mobilisés pour la réalisation de telle ou telle pratique, et des gestes quotidiens répétitifs, habituellement passés sous silence. Le placard, le balcon, le couloir, le séchoir deviennent aussi, sinon voire plus importants, que le séjour ou la chambre – autant d’espaces qui ne sont souvent pas comptabilisés ni répertoriés dans les données statistiques du logement[11]. D’autre part, la comparaison des modifications et des ajustements réalisés par les habitant·es de différents logements met en lumière les espaces, les distributions, les dispositifs structurels porteurs de flexibilité ou d’évolutivité pour le logement. Des dispositifs qui pourraient être encouragés ou reconduits dans des opérations de logements futures. Enfin, les relevés habités font valoir les compétences des résident·es à réinventer leur quotidien en faisant preuve de créativité et d’inventivité. En cela, les pratiques de décoration, d’aménagement, mais aussi d’isolation et d’ouverture vis-à-vis du voisinage sont révélatrices de rapports de sociabilité, de partage ou de rétention de la part des habitant·es.

2.    Le care en milieux habités : applications et limites à partir de trois retours d’expériences de terrains bruxellois

Cette partie vise à exposer et interpréter trois situations d’enquête au prisme des difficultés méthodologiques qu’elles provoquent. La première met en évidence les difficultés de certain·es enquêté·es à parler de leurs propres vulnérabilités et interdépendances, au point de dissimuler leur intimité en centrant leur propos sur des enjeux collectifs de la vie quotidienne. La seconde démontre une tendance équivalente à l’invisibilisation du care, en contestant tout type de rapports de dépendances avec le voisinage pour centrer le récit sur une forme d’autonomie idéalisée. Les deux dernières situations dévoilent le potentiel heuristique du croisement des entretiens et des outils graphiques : le relevé habité d’une part, et le recours à la schématisation architecturale d’un réseau de care, d’autre part.

Pour rendre compte de ces difficultés, nous avons cartographié les entretiens pour mettre en évidence les limites des approches méthodologiques reposant sur la collecte de récits (figures 3 et 4). En l’occurrence, les outils graphiques permettent de visualiser les biais de l’exercice de l’entretien dès lors qu’il s’agit pour les enquêté·es de soumettre leurs vulnérabilités à l’œil de l’enquêteur·rice. Les illustrations des deux premières situations permettent ainsi de visualiser le déroulé de l’entretien, divisé en deux temps principaux, séparé par un axe : la trajectoire résidentielle et les travaux du care représentés dans la diagonale du cercle. L’illustration représente de façon concentrique les questions de l’enquêteur·rice et les réponses de l’enquêté·e de manière chronologique. La gradation vers le centre exprime les réponses qui concernent les aspects les plus privés de la vie quotidienne, alors que les cercles extérieurs se rapportent à la vie collective et publique de l’ensemble de logements étudiés. Le report des durées de réponses de l’enquêté·e permet de visualiser l’axe le plus développé et surtout la sphère spatiale la plus investie oralement par la personne.

Situation n° 1 – Cartographie d’un entretien avec Carlos : l’invisibilisation du care domestique au profit du collectif 

La première situation illustrée concerne l’entretien d’un locataire d’une cinquantaine d’années très investi dans la vie locale. Issu de l’immigration et porteur de handicap, il vit seul dans un appartement à caractère social (terrain n°4 de la figure 1), construit au début des années 1970. Cet ensemble de logements sociaux est l’un des témoins d’une ambition politique de l’époque de produire de l’habitat adapté aux personnes porteuses de handicaps.

Dans cet entretien, l’enquêté se raconte principalement au prisme de sa vie publique, toutes les questions se rapportant à sa vie privée, concernant son bien-être ou celui de ses proches, sont bien plus éludées. Dans le cercle violet au centre de la figure 3, on peut voir qu’il se contente plus souvent de réponses brèves (une à douze secondes) et évasives – « oui » ou « non » – et évite les questions en mobilisant des expériences vécues par autrui, ses voisin·es par exemple. Tout se passe comme si ses propres relations d’interdépendance ne semblaient pas valoir la peine d’être racontées, en particulier ses rapports avec le personnel aidant qui vient ponctuellement à son domicile pour certaines tâches de sa vie quotidienne.

Figure 3 : entretien avec Carlos : le récit d’une invisibilisation de l’individu au profit du collectif[12]

L’enquêté crée un récit de la vie collective où il se situe comme porte-parole des vulnérabilités locales, sans pour autant inclure ses propres besoins. Bien sûr, cette situation peut résulter des biais de la présentation de soi qui valorise fortement l’autonomie – ce qui constitue un vrai enjeu pour une personne dont le handicap physique est visible. Ce sur quoi nous souhaitons insister est surtout la difficulté méthodologique à accéder à une partie de notre objet d’étude, car les pratiques de care témoignant de vulnérabilités personnelles ou liées à l’espace domestique sont invisibilisées au profit d’une narration des pratiques de care collectives, ou se tenant dans l’espace public. Notons que nous avons été plusieurs fois confronté·es à ces situations d’enquête, particulièrement lorsque l’enquêté·e est un homme cis, une personne moins vulnérable (du point de vue de la santé, de l’âge, etc.), ou issue de foyers très engagés dans des projets collectifs à l’échelle locale.

Situation n°2 – Cartographie d’un entretien avec Gislaine : l’invisibilisation des interdépendances, un récit d’injonction à l’autonomie

La seconde situation concerne Gislaine, une propriétaire retraitée de 70 ans qui habite seule au 18e étage d’une tour de 30 niveaux construite à la fin des années 1960 par un promoteur immobilier (terrain n°3 de la figure 1). Dans cet ensemble, les occupant·es sont lié·es à la copropriété par un système de gestion, d’entretien et de charges, un règlement de copropriété et des espaces collectifs. Comme dans la première situation, l’illustration représente de façon concentrique les questions de l’enquêteur·rice et les réponses de l’enquêtée. La gradation vers le centre exprime les réponses qui concernent les aspects les plus privés de la vie quotidienne, alors que les cercles extérieurs se rapportent à la vie collective et publique de l’ensemble de logements étudié. 

Figure 4 : entretien avec Gislaine : un récit d’injonction à l’autonomie[13]

Chez cette enquêtée, les réponses aux questions se réfèrent majoritairement à la sphère privée et à l’espace domestique. Contrairement à la cartographie précédente, celle de Gislaine présente un cercle de l’échelle privée proéminent, accaparant l’essentiel de son propos, alors que ses réponses concernant l’échelle du collectif et l’échelle publique sont beaucoup plus évasives. Par son récit, Gislaine semble vouloir faire la démonstration de son autonomie, en invisibilisant toute forme d’interdépendance avec le voisinage ou les services présents dans le quartier. Certes, ses conditions matérielles d’existence la mettent à distance des besoins quotidiens de care : elle vit seule, dispose de revenus stables et réguliers, et est très indépendante dans ses tâches quotidiennes et dans ses loisirs. Mais la mise en scène de son indépendance paraît pourtant déformée par sa trajectoire résidentielle et la projection qu’elle donne à son logement. Celui-ci a été acquis suite à son divorce et au départ du foyer de ses filles. Ce logement individuel incarne donc une façon de marquer ses distances vis-à-vis des charges familiales qui lui incombaient dans son passé (Cuny, 2011). Or, elle a aussi choisi cet immeuble pour habiter à proximité de l’une de ses filles, qui l’a d’ailleurs appelé pendant l’entretien pour savoir comment notre visite se déroulait. L’autonomie de Gislaine est donc toute relative si l’on considère la dimension éminemment relationnelle du care. En effet, apparaît ici un discours marqué par la fiction néolibérale qui valorise une société faite d’individus absolument indépendant·es et autonomes (Nakano Glenn, 2016). Dès lors, comment accéder à l’objet de l’enquête quand l’injonction à l’autonomie est intériorisée, racontée et exposée, et que toute situation relationnelle impliquant des formes de dépendance est contestée par l’enquêtée ?

Situation n°3 – Cartographie d’un système d’entraide clandestin : un grand frigo pour James 

La troisième situation illustrée concerne un entretien collectif de quatre habitant·es du même terrain que celui évoqué dans la première situation : une cité sociale marquée par l’ambition architecturale de répondre aux besoins des personnes handicapées. Cette ambition s’est traduite par le développement d’espaces de circulation largement accessibles et ouverts pour tous les habitant·es, permettant de passer d’un ensemble à un autre par un système de couloirs reliés entre eux. Les politiques de résidentialisation des quartiers d’habitat social ont toutefois conduit les institutions à rénover la cité selon une logique de fermeture et de sécurisation des espaces, face auxquelles certain·es habitant·es élaborent des tactiques de résistance pour maintenir leur liberté d’aller et venir. L’illustration ci-dessous (figure 5) donne à voir ces pratiques. Elle représente un système d’entraide dont l’acteur principal est un frigo, autour duquel gravitent quatre personnages. Stéphanie (en violet) a une trentaine d’années et est cheffe de ménage d’une famille monoparentale et porteuse d’un handicap mental léger. Elle est en conflit avec la société de logements à cause de problèmes d’insalubrité. Nana (en bleue) est retraitée depuis douze ans, elle a environ soixante-dix ans. Gerda (en orange) a la soixante-dizaine. Elle est également retraitée et militante pour les droits des personnes handicapées. James (en rose) est un ancien de la cité, il a presque soixante-quinze ans. Ce dernier a perdu beaucoup d’autonomie et a des problèmes de santé mentale depuis le décès de sa femme. Les trois femmes s’inquiètent de ses prises de repas, notamment depuis que l’accès à son appartement est rendu difficile par le projet de résidentialisation. Il faut désormais un badge nominatif pour se rendre aux étages et accéder aux caves. Aussi, le dessin représente en un seul plan, tel un jeu de plateau, la manière dont les trois voisines s’organisent pour alimenter régulièrement en nourriture un ancien frigo que Stéphanie a récupéré et stocké dans sa cave. En effet, contrairement aux autres caves, son accès n’est pas règlementé par un badge, mais par une simple clef. Elle a donc produit des doubles (en vert) qu’elle a donnés aux trois autres membres du groupe, afin que le frigo leur soit toujours accessible. Ce dernier est donc devenu peu à peu un lieu de stockage pour garder au frais les surplus de course ou de repas cuisinés par une association de distribution de repas de quartier (symbolisée par un papillon) dans laquelle les trois femmes sont à la fois bénévoles et bénéficiaires. Leur but est de pouvoir aider collectivement James, en lui fournissant des repas chaque jour, en limitant les temps de préparation. La figure illustre donc le trajet que ces quatre personnages doivent parcourir dans la cité pour pouvoir accéder aux différents espaces, soit par badge nominatif (représenté par une clef de la couleur du personnage), soit par la clef collectivisée. 

Figure 5 : Le frigo de James : mutualisation et collectivisation clandestine d’un réseau de care[14]

Alors que nous sommes présent·es dans le quartier depuis de longs mois, cette histoire de frigo et ses accès réglementés, était restée totalement invisible. Pourtant, elle mobilise une partie importante des habitant·es et elle relève à fortiori d’une situation remarquable de travail de care. Pourquoi les habitant·es ont-ils ou elles tu cette histoire pendant tout ce temps ? Dans l’hors-champ de ce récit, un autre acteur entre en scène : la société de logements sociaux. En effet, ces pratiques d’entraide contreviennent aux dispositifs de résidentialisation du bailleur. En se distribuant des clés, en laissant des accès ouverts, en se partageant des espaces, les habitant·es ont donc le sentiment de fabriquer des situations illicites qui pourraient leur créer des problèmes additionnels. Par conséquent, le travail du care lié au frigo se vit comme une activité clandestine qu’il a lieu de cacher aux chercheur·euses. Or, il semble que les personnes les plus vulnérables soient les plus amenées à développer ce type de réseaux de care et que la clandestinité soit le meilleur moyen de les préserver. Ces situations de terrain ne sont pas inédites, nous pensons particulièrement aux ethnographes qui travaillent sur des « terrains difficiles » (Ayimpam et Bouju, 2015), tels que les trafics illicites, les sexualités, les lieux d’enfermement, les traumas, les guerres, etc. Elles sont pourtant surprenantes dans le cadre d’une recherche sur le travail du care où nous nous attendions à ce que l’invisibilisation du care soit le fait d’institutions patriarcales et capitalistes, et moins des habitant·es elles/eux-mêmes.

Ces situations révèlent finalement combien l’invisibilisation structurelle du care positionne le travail d’enquête dans une « politique du terrain » (Olivier de Sardan, 1995) qui offre de nouvelles perspectives sur la compréhension des processus d’assignation au travail du care dans l’habitat, ouvrant la discussion aux enjeux que recouvrent l’articulation des perspectives féministes et des housing studies. Nous voudrions désormais revenir sur les raisons qui nous poussent à visibiliser le travail du care en milieu résidentiel, inscrits dans l’histoire du défi historique des études féministes visant à déjouer les rapports de domination et reconnaître l’apport du travail du care pour la société.

3. Freins et difficultés pour visibiliser le care

Depuis le féminisme de la seconde vague, les gender studies se sont données pour projet scientifique de mettre au jour les rapports de domination entre les êtres, en particulier les mécanismes d’exploitation et d’oppression aussi insidieux que discrets, car souvent protégés de la sphère publique. L’analyse du care en milieu habité rejoint cette ambition. Elle permet en effet de spatialiser et contextualiser les relations d’interdépendance entre les êtres, les expériences vécues du travail de l’espace, ou encore les tactiques individuelles et collectives mises en œuvre par les ménages pour s’adapter aux différentes crises qui traversent nos sociétés. L’objectif étant de décloisonner les catégories entre sphères publique et privée, ainsi que la distinction entre travail productif et reproductif dans le but de « changer les règles du jeu », de sorte « que des préoccupations jusqu’alors censées appartenir à la sphère privée et prétendument réservées aux femmes deviennent des questions publiques et politiques qui concernent tout le monde » (Molinier, 2013, p. 34). Des enjeux tels que le rééquilibrage des inégalités, la reconnaissance des compétences liées au travail du care, la participation citoyenne et la transformation sociale sont au cœur des préoccupations de notre étude, mais elles se heurtent toutefois à un certain nombre de difficultés que les outils féministes permettent en partie de dépasser, sans pour autant que l’exercice soit facile à réaliser. 

Alors que la célèbre définition du care de Joan Tronto (1993) en tant qu’activité générique désigne une préoccupation pour les besoins des autres, l’objectivation du care en milieu habité se heurte à différentes difficultés. Tout d’abord, le care est souvent appréhendé par les acteur· ices de terrain uniquement dans sa dimension sanitaire. Cette confusion entre care et cure réduit fortement la portée de cette notion à des considérations techniques et professionnelles, et à des préoccupations pour des lieux dédiés dans la ville (hôpital, centre de soins, etc.) qui en exclut de facto la dimension domestique. Ensuite, la littérature nous apprend que les pratiques du care sont souvent naturalisées et non conscientisées, aussi bien par les pourvoyeur·euses de soin, que par les bénéficiaires. Aussi, lorsque les pratiques de care sont analysées, « les descriptions restent relativement générales sur l’écoute, la sollicitude, l’empathie, et ne décrivent pas l’ensemble des actes » (Benelli et Modak, 2010, p. 41). 

Ces difficultés qui ont été mises à l’épreuve dans la littérature sur les dimensions méthodologiques du care, se combinent également à celles observées sur le terrain. Dans la deuxième situation (Carlos), l’enquêté surinvestit son récit dans la sphère collective et publique, et se désengage dans les réponses qui concernent sa propre vulnérabilité. L’indicible dans l’enquête ethnographique a été décrit comme un obstacle pour raconter certaines situations de précarité. En effet, des auteur·es travaillant dans les milieux populaires ont mis en évidence à quel point les rapports de domination de classe étaient intériorisé·es par les individus, au point qu’ils/elles ne voient pas l’intérêt, ne se sentent pas en capacité, ou refusent de se raconter. Dans la situation de Carlos, l’intériorisation de normes patriarcales qui déconsidèrent l’espace domestique et le self-care, a fortiori pour les hommes, semble être au cœur de la structure du récit de la personne enquêtée. Comme le démontre Glenn dans ses travaux sur le vœu d’une société du care, les vulnérabilités et les interdépendances sont des faits anthropologiques qu’il y a lieu de visibiliser pour participer à la reconnaissance de leurs prises en charge collectives (Nakano Glenn, 2016). Dans le récit de Gislaine, ce qui crée l’invisibilisation, c’est l’intériorisation de normes libérales d’autonomie de l’individu. Dans sa narration, elle met à l’écart toute forme de réponse qui pourrait être interprétée comme un aveu de faiblesse, comme s’il était honteux d’être dépendant·es, comme il peut être honteux d’être pauvres sur d’autres terrains. Et finalement, le care, compris comme un travail, contrarie les limites entre les sphères publiques et privées. Or, comme le montre l’exemple du frigo de James, les systèmes de sécurité, de surveillance et la résidentialisation des ensembles d’habitat social ont tendance à se renforcer. Par conséquent, les enquêté·es sont pris dans une sorte de double contrainte : leur volonté de répondre aux questions de l’enquêteur·ice tout en ne mettant pas en danger des pratiques de care perçues comme illicites ou devant rester clandestines. Les zones grises du travail du care ont déjà été décrites dans la littérature sur les frontières entre activités rémunérées et non rémunérées comme un obstacle à leur reconnaissance (Dussuet, 2019). Notre enquête en milieu habité semble confrontée à des difficultés comparables. En effet, la naturalisation, l’essentialisation, la dévalorisation de ce travail, ainsi que l’intégration d’injonctions à la fois patriarcales et libérales, imprègnent les récits et rendent opaque la compréhension de pratiques quotidiennes dans les ensembles étudiés. De plus, malgré les précautions méthodologiques et les outils féministes mobilisés, l’instrumentalisation des enquêté·es semble inévitable, les rapports d’exploitation se jouant tant dans les rapports de classe (entre chercheur·euses privilégié·es et habitant·es d’espaces populaires), que dans les attentes que peuvent susciter la présence d’enquêteur·rices sur ce type de terrain.

Conclusion : visibiliser les liens d’interdépendance essentiels à la vie urbaine

La mise en discussion des implications méthodologiques d’une visibilisation du care en milieu résidentiel a révélé combien cet objet nécessitait des formes complexes de triangulation (Stambolis-Ruhstorfer et Gross, 2021). Qu’elles mobilisent l’instrument des budgets-temps, le récit biographique ou l’observation participante, les méthodes éprouvées par les sciences sociales pour dévoiler le travail du care ont enrichi le défi historique des gender studies de conceptualiser les ressorts de la division sexuelle, sociale, internationale du travail. Ces différentes études ont été essentielles pour l’évolution des politiques publiques, notamment pour la prise en charge des dépendances et au niveau mondial, pour la reconnaissance d’inégalités criantes entre les pays du sud et du nord concernant les transferts du care.

Ces méthodes n’ont toutefois pas été directement rattachées au travail de l’espace. Or, il apparaît que les croisements entre l’étude du care et l’étude des milieux habités permettraient tout d’abord, de donner un souffle nouveau aux politiques publiques de logement et urbaines, mais aussi de ne pas reproduire la dichotomie patriarcale entre sphère professionnelle et privée dans nos productions académiques (Clair, 2016). On peut en effet espérer que la mise en visibilité de ces travaux réalisés quotidiennement modifie en partie les regards portés sur le logement, en tant que lieu d’exploitation, mais aussi en tant que ressource pour une prise en charge plus égalitaire de nos vulnérabilités réciproques. Rappelons en effet les trois conditions d’une société du care avancées par Glenn (Nakano Glenn, 2016) : (1) considérer le travail du care comme une responsabilité collective et publique, plutôt que comme une responsabilité assurée par la famille ou le marché ; (2) distribuer équitablement l’accès au care, sous forme de service public ou mutualisé ; (3) partager la responsabilité et la réalisation du travail du care. Si ces considérations sont parfois reprises par les promoteurs de la ville dite « inclusive », celles-ci s’accompagnent souvent d’un renforcement de la stigmatisation de certaines populations – celles notamment dont les catégorisations institutionnelles de la vulnérabilité peuvent être remises en question par des poncifs validistes ou ethnicisant des politiques publiques. C’est aussi pour cela qu’il paraît nécessaire de défendre un projet scientifique dont l’appareillage méthodologique et théorique s’inscrit dans la tradition des études féministes.

C’est dans cette perspective que nous avons ajusté notre méthodologie de visibilisation du care, en proposant une hybridation entre les outils émanant des gender studies et ceux issus de l’étude de l’espace. Cette triangulation n’a pas empêché certains écueils visibles dans des enquêtes inscrites dans d’autres segments du champ académique, comme l’injonction biographique dont le tournant est autant redevable des évolutions des sciences sociales que des transformations contemporaines de l’État social. Or, participer, en tant que chercheur·euses féministes, à l’avènement d’une société qui reconnaisse la valeur du care[15], suppose certainement d’inventer de nouvelles techniques d’enquête, tant dans les modes de collectes de données que dans la manière de les représenter et de les partager avec le public. Cette question souligne ainsi l’impératif démocratique de sortir de l’extraterritorialité des sciences sociales (Dubey, 2013). Si l’on considère, à la suite de Richard Hoggart (1970, p. 30), que « ceux [et celles] qui sont convaincus de la nécessité impérieuse de s’adresser au grand public doivent tout mettre en œuvre pour y parvenir » ne faut-il pas dès lors considérer l’importance des représentations graphiques des données ? 

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[1] Paroles inspirées de la pièce Le Tartuffe ou l’imposteur, Molière, acte III, scène 2.

[2] Les sept ensembles de logements collectifs ont été choisis pour la diversité de situations qu’ils offrent, d’implantation dans la Région bruxelloise, de période de construction, de régime de gouvernance (privée et publique), de présence d’espaces collectifs intérieurs (halls d’entrée, coursives, ascenseurs, locaux, etc.) et extérieurs (parcs, chemins, parkings, etc.) potentiellement objets de travaux de care et aussi supports de care(cf. figure 1).

[3] Il s’agit de la recherche CTRL+H (CareTaker/support Resilience Laboratory of Housing) démarrée en 2021 et financée par Innoviris.brussels.

[4] Sources : équipe CTRL+H. Le nom des ensembles résidentiels est volontairement non précisé dans un souci d’anonymisation des enquêté·es sur lesquels nous allons nous appuyer dans la suite du texte.

[5] C’est notamment ce que propose Loïc Wacquant (2015) avec son « ethnopraxie » de la boxe.

[6] Voir à ce sujet les travaux d’Isabelle Courcy, Catherine des Rivières-Pigeon et Marianne Modak (2016) qui utilisent les « photos-voix » pour rendre compte de la prise en charge familiale des enfants autistes, ou les recherches de Natalie Benelli et Marianne Modak (2010) sur l’usage des entretiens de « co-interprétation » pour objectiver le travail émotionnel des assistant·es de service social. 

[7] On pense notamment aux travaux pionniers d’Arlie Hochschild (2012) sur les « global care chains », centrés sur les questions migratoires, l’économie domestique et le travail émotionnel (Ehrenreich et Hochschild, 2004). Bien qu’ils aient le mérite de dépasser les analyses économistes néoclassiques pour entrer dans le domaine des émotions, les travaux d’Hochschild manquent néanmoins d’ancrage dans la littérature sur les migrations et le travail domestique, et tendent à « présenter sa réflexion sur les nourrices migrantes comme généralisables à la situation de toutes les femmes en migration » (Avril et Cartier, 2019, p. 137).

[8] Pour un état de l’art à ce sujet, nous renvoyons notre lectorat à l’article de Christelle Avril et Marie Cartier (2019). 

[9] Relevé habité des auteur·es réalisé par Ansao Totolehibe (CTRL+H, Innoviris), 2023. 

[10] Voir à ce sujet, les travaux sur le logement féministe de col·lectiu punt6 à Barcelone sur le « cycle du linge » (el ciclo de la ropa). URL : https://www.punt6.org/

[11] En Belgique, les données de Statbel, le bureau de statistique belge, l’indicateur sur les surfaces habitables exclut de fait les pièces qui sont mobilisées pour le travail de care pour ne reprendre que la cuisine, la salle à manger, le salon, les bureaux à usage privé, la salle de jeu et la chambre à coucher. L’indicateur exclut les salles de bain, les salles à repasser, les halls, les vérandas, les garages, les greniers, les caves, les buanderies, etc. (Statbel, 2021 – enquête socio-économique : https://monitoringdesquartiers.brussels/indicators/analysis/superficie-moyenne-par-logement/).

[12] Schéma des auteur×es réalisé par Ansao Totolehibe (CTRL+H, Innoviris), 2023.

[13] Schéma des auteur×es réalisé par Ansao Totolehibe (CTRL+H, Innoviris), 2023.

[14] Schéma des auteur×es réalisé par Ansao Totolehibe (CTRL+H, Innoviris), 2023.

[15] C’est-à-dire une « société où l’on reconnaîtrait que le care est un vrai travail, non seulement pourrait-on considérer les bénéficiaires de ce travail comme des citoyen·nes à part entière, mais aussi reconnaître comme service public précieux le care ainsi dispensé » (Glenn, 2016, pp. 199).

Pour citer cet article :

LECLERCQ Benjamin, COURBEBAISSE Audrey, TOTOLEHIBE Ansao, SALEMBIER Chloé « Cachez ce care que je ne saurais voir. Les ajustements méthodologiques d’une étude féministe du travail du care dans le logement collectif », 2 | 2024 – Le care : une notion des proximité(s) ?, GéoProximitéS, URL : https:// geoproximites.fr/ark:/84480/2024/06/01/ care-al7/