Développer les mobilités actives chez les jeunes : faire participer les populations et les pouvoirs publics

Developing Active Mobility among Youth: Involving Populations and Public Authorities

Frédéric Audard
〉Maître de conférences en géographie
〉Université de Bretagne Occidentale
〉UMR 6554 LETG Brest – CNRS

〉frederic.audard@univ-brest.fr 〉

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Mots-clés : Mobilité active, jeunes, aménagement urbain, pouvoirs publics, perception

Abstract : The Sud Region, in developing its Regional Scheme for Sustainable Development and Equal Territories (SRADDET) in 2017, prioritized shifting the mobility habits of young people. This focus stemmed from their constrained mobility due to transportation modes and the expectation that early mobility changes would have lasting effects. This initiative responds to the evolving urban landscape, where cities have expanded and influenced new practices, notably shifting from pedestrian-friendly to automobile-centric environments.

Addressing this shift, authorities seek to encourage modal changes away from car-dependent travel, acknowledging the associated crises and constraints. Collaborative efforts with various stakeholders aim to understand mobility patterns and their territorial impacts. Results suggest promoting active mobility to improve public health, necessitating long-term urban planning strategies favoring compact structures and local infrastructure enhancements like cycling lanes. However, replicating this approach encounters challenges such as population receptivity, local context variations, and political complexities. The unique nature of local contexts highlights the necessity for customized strategies in future urban planning and policymaking endeavors.

Keywords: Active mobility, youth, urban planning, public authorities, perception

Un contexte de recherche et de collaboration complexe

En 2017, dans le cadre de l’élaboration de son Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires (SRADDET), la Région Sud a souhaité se concentrer sur la modification des pratiques des populations jeunes vers plus de mobilité active pour deux raisons : premièrement parce que cette population connaît une mobilité plus contrainte en terme modal (EMP, 2019) ; deuxièmement en raison de l’espoir de voir une modification survenue tôt dans les principes de mobilité perdurer plus longtemps (Touvier et al., 2010).

La volonté de développer les mobilités actives chez les jeunes se place dans un contexte spécifique : L’urbanisation croissante de ces dernières décennies n’a cessé de modifier les interactions entre les individus et l’espace. Les villes ont mué, se sont étalées, en fonction des nouvelles pratiques citadines, tout en les influençant. La croissance exponentielle de la mobilité des ménages (Crozet, Joly, 2006) s’est accompagnée d’une multipolarisation des territoires et d’un étalement de l’urbanisation. La ville dense du piéton a laissé place à la ville étalée de l’automobile (Van de Walle, 2005). Tandis que les centres-villes se vident, devenus inadaptés aux nouvelles attentes urbaines, de nouvelles centralités sont apparues en périphérie (Péguy, 2000).

C’est ainsi que progressivement « à la ville pédestre s’est substitué la ville motorisée » (Wiel, 1999), permettant « un accès à l’automobile plus important, des distances parcourues plus importantes et diversifiées » (Delage, 2012). Autrefois présenté comme une opportunité, la voiture incarne désormais une limite collective, financière, politique, et environnementale à l’expansion de la demande de mobilité (Wiel, 2002). D’autre part, la diminution l’activité physique des individus depuis trente ans et l’accroissement des maladies cardio-vasculaires et des cancers depuis quinze ans questionnent les pouvoirs publics.

Dans un contexte de méfiance envers la voiture, le report modal émerge comme une solution face aux crises et contraintes de l’automobile (Figure 1). Encourageant l’usage fréquent des modes de transport doux et alternatifs, il offre des bénéfices en réduisant les externalités négatives urbaines, comme la pollution. Cependant, son adoption nécessite des aménagements spécifiques sur l’habitat et les lieux d’activités, soulevant des questions sur les politiques publiques incitatives ou répressives susceptibles d’accompagner ou de contraindre les individus.

Figure 1 : Evolution des mobilités

C’est dans ce contexte et en raison de crises successives, écologiques depuis les années 2000 et de santé publique depuis 2010 (Figure 1), que les autorités ont décidé de s’impliquer sur la question du report modal et de rompre avec les effets secondaires d’un modèle de déplacement quotidien de masse basé sur des déplacements motorisés. Mais comment permettre et inciter ces changements de comportements et permettre, par une politique publique adaptée, une amélioration de la santé publique ?

Le travail mené en collaboration avec les pouvoirs publics, les populations concernées et les acteurs de la vie quotidienne, propose des objectifs multiples, complémentaires, analysant au mieux le croisement de causes et conséquences de la mobilité et de son territoire :

  • Détailler, sur une population exhaustive choisie, les pratiques de mobilité de populations jeunes, de territoires ciblés.
  • Comprendre les mécanismes urbains à l’œuvre dans l’explication des différenciations de mobilités actives constatées.
  • Proposer des méthodes d’analyse pour hiérarchiser et prioriser les aménagements à privilégier pour le développement des mobilités actives. Un tel travail d’analyse quel que soit son appartenance disciplinaire, prend en compte les individus et leurs comportements.

Pour mener à bien ces différents objectifs, nous avons dû mettre en synergie la Région Sud, autorité organisatrice des transports, les mairies d’Aix-en-Provence et de Manosque qui accueillent les établissement scolaires cibles, le rectorat d’Aix-Marseille qui coordonnent les actions pédagogiques, les différents chefs d’établissements concernés, et bien sûr les lycéens, population cible de la participation à cette recherche. Deux enquêtes ont été menées : une première en ligne, s’appuyant sur les relais enseignants, a recueilli 9600 réponses exploitables sur les pratiques spatiales et les habitudes de mobilité des jeunes ; une seconde, exhaustive et menée par questionnaire direct (face-à-face dans trois établissements scolaires sélectionnés pour leur représentativité de comportements très différents), a recueilli les pratiques et perceptions de plus de 2000 jeunes.

S’intéressant aux mobilités dans leur ensemble, une première collaboration (en 2019) a permis de poser les bases de réflexion pour faire émerger les facteurs explicatifs sociodémographiques des mobilités dans leur aspect global et identifier les déterminants de comportements insatisfaisants du point de vue de la santé. Les données récoltées à l’échelle régionale et traitées au cours d’un premier contrat de recherche sont pertinentes à plusieurs échelles ; cependant une finesse insuffisante des informations a été observée pour traiter chaque établissement scolaire individuellement.

Désireux de prendre en compte à la fois ces échelles fines et des comportements marginaux représentés par de faibles effectifs, une autre étape de recherche (par l’intermédiaire d’un deuxième contrat en 2020) s’est intéressée aux échelles locales à des variables sociodémographiques, des variables d’équipements, des politiques d’aménagements et des variables géographiques. Nous avons dans ce cadre enquêté et analysé de manière exhaustive des établissements scolaires, entièrement mis à notre disposition durant le temps de l’enquête.

Résultats

Notre étude menée en collaboration avec les populations lycéennes concernées, a mis au jour différents bras de levier pour améliorer la santé publique, dont la connexion avec les mobilités actives peut apparaître de manière directe ou induite. En conséquence, la part modale faible des mobilités actives constatée aujourd’hui, chez les jeunes (mais on peut le supposer qui serait valable pour une majorité de la population) n’a rien d’une fatalité et de réelles opportunités se présentent pour améliorer à la fois les environnements urbains et les conditions de santé des populations. Les aménagements, principalement urbains, envisagés pour favoriser un report modal doivent se comprendre à différentes échelles, et suivant des temporalités bien distinctes (Audard et al., 2019).

Sur le temps long à une échelle globale :

Nous considérons rarement les structures urbaines comme un bras de levier potentiel pour infléchir les comportements de mobilité des populations. Il s’agit pourtant d’un des déterminants les plus présents. D’un point de vue morphologique comme fonctionnel, la ville dans ses dimensions structurelles, a une influence majeure sur les choix de mobilité, et plus particulièrement sur la répartition modale. L’analyse par Chi² de la répartition modale de la mobilité quotidienne des jeunes et de la morphologie urbaine révèle certains grands axes (Figure 2). Sur ce tableau, les associations significatives attractives sont signalées en rouge, les associations répulsives en bleu. La relation est elle-même significative et relativement explicative (T=0,1932) :

  • Le tissu urbain favorise les modes actifs
  • Le tissu urbain aéré (principalement le périurbain), comme le tissu urbain discontinu défavorise les modes actifs et favorise les mobilités motorisées.
  • Le couplage entre modes motorisés et actifs au sein d’un même déplacement est favorisé par un tissu urbain discontinu.

Figure 2 : Relation statistique entre mode de déplacement et morphologie urbaine

Sans envisager de remodeler l’ensemble de la structure d’une ville, il apparaît que la localisation d’activités, structurellement resserrées autour de lieu d’activité récurrentes, favorise de manière prégnante les mobilités actives des jeunes. Ainsi, une réflexion à long terme peut                 être portée pour relocaliser des activités de loisir (parfois peu consommatrices d’espace) ou de relocaliser à terme des établissements scolaires en vue de leur redonner une proximité spatiale plus efficiente. De même, sans connaître un transfert massif vers une mobilité active complète, les morphologies urbaines compactes, même en tissu discontinu, favorisent fortement la pratique multimodale associant des formes de mobilités actives. Ainsi, des préconisations de re-densification des quartiers périurbains par des modifications de SCoT, de PLU ou de PLH auront vraisemblablement un impact visible sur l’usage des modes actifs (Audard et al., 2020).

Sur le temps long à une échelle locale :

A une échelle plus locale, mais qui induit des logiques macroscopiques à l’échelle de la ville, une réflexion doit être menée sur les équipements en lien avec les mobilités actives, principalement les pistes cyclables. A l’échelle globale de la population française, les problèmes de sécurité apparaissent comme le premier frein à l’utilisation du vélo, mais cette logique se retrouve pour presque toutes les mobilités actives. Concernant la population jeune, cette logique, bien que moins marquée, apparaît comme un obstacle important. Ainsi, dans une analyse de différenciateurs sémantiques tirée de l’enquête (Figure 3), l’aspect de sécurité lié au vélo apparaît en négatif dans les associations caractéristiques pour les jeunes n’utilisant que peu ou pas du tout ces modes. La sécurisation de ces pratiques et un meilleur partage des voiries paraît aujourd’hui être une nécessité.

Figure 3 : Analyse des différenciateur sémantiques dans la perception des modes de transports chez les jeunes

On envisage trop souvent les problématiques de déplacements cyclables, piétons, ou par tout autre mode actif, par une obligation de partage de la voirie, coûteuse et souvent très complexe à mettre en place en milieu urbain dense. De nombreuses villes se tournent aujourd’hui vers une forme de généralisation de zone de rencontre pacifiée limitées à 30 Km/h, moins coûteuse et moins complexe à mettre en place.

Sur un temps court :

Les perceptions des jeunes sur les modes de transport ont montré des différences marquées en fonction du mode utilisé au moment de l’enquête (Figure 3). Nous avons ainsi pu faire émerger les déterminants marqués qui constituent des leviers pour un transfert modal des populations aujourd’hui non réceptives aux modes actifs. Si le problème de la sécurité évoqué précédemment apparaît de nouveau, d’autres critères émergent concernant les modes actifs pour les populations ne faisant que peu usage du vélo : la rapidité ou le confort qui sont vus négativement d’une part ; et l’absence des critères écologiques ou de flexibilité d’autre part. C’est donc avant tout d’un déficit d’image que souffrent ces modes actifs, qui dans les faits sont flexibles et profondément écologiques ; mais dont la rapidité est tout à fait compétitive avec les autres modes de transport. Une communication efficace au sein des établissements scolaires sur ces différents aspects connaîtrait sans doute une certaine efficacité pour un report modal visible (Audard et al., 2020).

Une méthode de recherche/action reproductible ?

Une telle synergie entre acteurs multiples, à des échelles emboitées, avec des populations impliquées, est-elle rééditable sur d’autres territoires ou d’autres populations ? La méthodologie développée, spécifiquement, est-elle réutilisable dans d’autres contexte ?

Le premier constat est sur le recueil d’information et la capacité des populations à prendre part autant à la collecte des données utiles qu’aux possibilités d’actions qui peuvent en découler. Les lycéens constituent une population très réceptive : c’est une population qu’on peut aisément inciter à participer dans un cadre scolaire. De plus, c’est une population très encline à s’interroger et s’engager dans des problématiques écologiques. Tout autre population, si elle ne voit pas un intérêt direct à la participation à une telle réflexion, serait sans doute plus compliquée à mettre en synergie.

D’autre part, l’unicité des lieux est quoi qu’il en soit, un frein marqué à la reproduction de ce genre de protocole d’action. Elle exclut de fait toute application d’un modèle normatif qui aplanirait les différences locales. La plus marquée, dans un contexte d’aménagement urbain, réside certainement dans les contextes politiques locaux. Ces contextes ont une très grande incidence, tant sur les priorisations d’actions politiques que sur les actions elles-mêmes qui pourraient être envisagées dans le cadre d’une collaboration entre recherche et politique publique.

Références bibliographiques :

Audard F., Morland T., Batoux M., 2020. Aménagements urbains pour les Quartiers-Lycées : Pour un changement de comportement de mobilité des jeunes. Rapport de recherche, Région Sud. 409 p.

Charreire H., Roda C., Feuillet T., Piombini A., Bardos H., Rutter H., Compernolle S., Mackenbach J. D., Lakerveld J., Oppert J. M., 2021, “Walking, cycling, and public transport for commuting and non-commuting travels across 5 European urban regions: Modal choice correlates and motivations”, Journal of Transport Geography, 96 (2021), pp. 1-10, 10.1016

Crozet Y., Joly I., 2006, La « Loi de Zahavi » : quelle pertinence pour comprendre la construction et la dilatation des espaces-temps de la ville ?, Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), coll. recherches du PUCA, n° 163, 89 p

Delage M., 2012, Mobilités pour achats et centralités métropolitaines. Le cas de la métropole parisienne, thèse de géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Peguy P.Y., 2000, Analyse économique des configurations urbaines et de leur étalement. Thèse de Sciences Economiques, Décembre, Lyon

Touvier, M., Bertrais, S., Charreire, H. et al., 2010.  Changes in leisure-time physical activity and sedentary behaviour at retirement: a prospective study in middle-aged French subjects. Int J Behav Nutr Phys Act 7, 14 (2010)

Van de Walle, s. d., « Commerce et mobilité L’activité commerciale face aux nouvelles politiques publiques de déplacements urbains »

Wiel M., 1999. La Transition urbaine: ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée, Editions Mardaga, 164 p.

Wiel M., 2002. Ville et automobile, Paris, Descartes & Cie, 140 p.

Pour citer cet article :

AUDARD Frédéric, « Développer les mobilités actives chez les jeunes : faire participer les populations et les pouvoirs publics », 1 | 2024 – Recherches-actions participatives, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ ark:/84480/2024/02/08/developper-les-mobilites-actives-chez-les-jeunes-faire-participer-les-populations-et-les-pouvoirs-publics/