De quelles proximités parle-t-on dans les circuits-courts wallons ?

Antonia Bousbaine
〉Docteur en sciences géographiques
〉Liège Université
〉ATER en géographie
〉Université d’Artois 〉

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Dans un pays comme la Belgique et en particulier en Région wallonne, la question alimentaire interpelle de plus en plus de citoyens depuis quelques années. À ce titre, des initiatives de relocalisation alimentaire émergent un peu partout dans le territoire (Bousbaine, 2020). La finalité est de mieux se nourrir et de privilégier les productions locales. Pourtant, force est de constater que le maraîchage reste encore anecdotique et n’est pas en mesure de nourrir la population wallonne. Malgré cet état de fait, les circuits courts alimentaires sont de plus en plus plébiscités et certaines vertus leur sont attribuées, sur le plan tant environnemental qu’économique et social. Ces vertus se retrouvent dans ce qui constitue l’approvisionnement local et sont fondées avant tout sur les proximités. Sont ainsi convoqués plusieurs concepts clés, largement retrouvés dans ces circuits courts alimentaires : l’approvisionnement dit local, tant escompté par une part non négligeable des consommateurs, le rapprochement entre consommateurs et producteurs, la proximité organisationnelle qui se décline en une proximité socio-économique (les ressources, la coordination entre les acteurs).

De nombreux travaux tentent de définir cette « proximité », souvent utilisée de manière polymorphe. En ce sens, il s’agit avant tout de définir ce que nous entendons par l’« approvisionnement local » et surtout de savoir de quelle « proximité » on parle. Quelles proximités sont mises en avant dans les circuits courts alimentaires de la Région wallonne ?

1. Qu’entend-on par approvisionnement local ? Bref état de l’art…

Avant tout, définissons l’approvisionnement local. En parcourant la littérature existante, sur les nombreuses définitions relevées, nous avons pu constater que celles-ci ne font pas consensus. Selon certains chercheurs (Darly et Aubry, 2014), il s’agit de fournir une nourriture composée de produits issus de la région, de proposer directement aux consommateurs une alimentation qui rapproche géographiquement le lieu de consommation et celui de production. Selon les pays, cette notion de « local » diffère largement, tout comme celle de « produits locaux », qui est mise en avant dans quelques travaux et semble susciter des difficultés définitoires.

Cette difficulté à définir ce concept de local food system selon les chercheurs anglophones reste encore d’actualité, tant dans le monde scientifique que dans les études économiques. Tous ces travaux pointent la distance géographique, celle-ci diffère selon les régions.

Outre cette distance géographique qui semble avoisiner les 100 miles (160 kilomètres) pour la grande majorité des consommateurs, comme le soulignent Johnson et al., d’autres caractéristiques associées à l’approvisionnement dit « local » se retrouvent dans les modes de production considérés comme plus durables et respectueux de l’environnement. Pour d’autres chercheurs, le concept de local food system met en avant les relations qui émergent entre producteurs et consommateurs sur le plan social mais aussi économique. Finalement, dans la littérature anglo-saxonne, la notion de « local » diffère selon les pays en termes de distances à retenir entre les lieux de production et de consommation, l’objectif restant le même, à savoir rapprocher ces deux sphères (production et consommation).

D’autres chercheurs mettent en avant le « locavorisme » qui prend place dans le paysage alimentaire de certains consommateurs (Poulot, 2012). Il s’agit d’une alimentation « produite, distribuée et consommée dans un rayon géographiquement restreint ». Ces auteurs s’appuient sur le concept de « locavore », apparu dès 2007 aux États-Unis et en 2010 en France. Les adeptes de ce courant se définissent comme des consommateurs de produits dits « locaux » (Poulot, 2012), dont la portée va bien au-delà de la distance géographique d’où proviennent ces aliments.

2. De quelle proximité parle-t-on dans les circuits courts alimentaires (CCA) ?

Penchons-nous sur le concept de proximité, qui complète quelque peu celui de « local ». En effet, dans le cadre des circuits courts alimentaires, qui constituent des initiatives de relocalisation, qualifiées aussi « d’innovantes » (Wiskerke et van der Ploeg, 2004 ), ces dernières passent avant tout par la proximité, tant géographique que relationnelle (Hérault-Fournier, 2012 ; Kébir et Torre, 2013), et elles émergent au sein des territoires. Selon certains, « ces proximités revêtent une dimension spatiale, visant un rapprochement géographique entre consommation et production ; elles s’appuient sur une dimension fonctionnelle, visant le bon acheminement du produit du producteur jusqu’aux consommateurs via les différents acteurs du système ; elles valorisent l’interconnaissance entre ces acteurs et permettent des échanges marchands économiquement viables pour les acteurs concernés » (Praly et al., 2014). Cette proximité se retrouve dans les circuits courts alimentaires, dont nous décrirons les vertus un peu plus loin, qui semblent être la réponse aux dysfonctionnements du système agro-industriel. La proximité géographique souligne surtout la distance kilométrique qui existe entre les producteurs et les consommateurs. Cette distance diffère selon les pays. En France, certains auteurs ont remis en question la définition officielle des CCA avancée par le ministère de l’Agriculture, dans la mesure où cette dernière n’implique pas la distance spatiale. Ainsi, pour certains auteurs, il est plus judicieux d’évoquer « l’échelle territoriale de la proximité » dans le cadre de ces circuits courts. Néanmoins, selon les pays, cette distance oscille entre 140 et 200 km . Face à ces divergences, la plupart des auteurs en France s’accordent sur une distance de 80 km afin de qualifier un circuit court de « proximité ». Dans ce cas, les modes d’approvisionnement qui excèdent ces 80 km ne répondent pas à cette proximité géographique.

Outre cette dernière, la proximité organisationnelle est à relever. Elle fait appel à l’organisation des acteurs entre eux, dans le cadre des CCA, où le nombre d’intermédiaires est déterminant : de façon globale, il est limité à zéro ou un. De plus, il en découle une proximité organisationnelle qui pointe les relations qui existent entre les différents acteurs des CCA : les consommateurs, les producteurs, les transformateurs, mais aussi les acteurs du cadre institutionnel. Cette proximité est tout aussi indispensable afin de rapprocher les acteurs, comme nous le verrons dans le cas des GAC (groupes d’achats communs). De bonnes relations entre les individus permettent de pérenniser et d’ancrer des modes d’approvisionnement alternatifs au système conventionnel dans les territoires (Bousbaine, 2020). Cette proximité s’appuie sur deux types de logiques : la « logique d’appartenance » et la « logique de similitude ». Ces logiques permettent aux individus d’avoir de meilleures interactions, et donc de partager une perception commune dans le cadre des CCA. Ces modes alternatifs d’approvisionnement deviennent, pour leurs porteurs, une solution pour s’alimenter plus sainement. Ils doivent reposer sur un « système alimentaire territorialisé » (SAT) (Rastoin, 2015) qui allie les concepts de territoire et de filière agro-alimentaire. Surtout, le concept des SAT s’appuie sur les ressources territoriales et les réseaux locaux d’acteurs, de la production à la consommation. De fait, l’implication des instances politiques locales est repositionnée dans cette thématique alimentaire, devenue cruciale au sein des territoires urbains.

L’implication des instances politiques locales demeure très utile dans la mise en place d’un système alimentaire dit « territorialisé ». Pour ce faire, ces instances doivent se réapproprier pleinement la question alimentaire. Cette injonction, qui émerge à travers le foisonnement des modes d’approvisionnement en circuits courts, leur échappe depuis trop longtemps, laissée aux seuls acteurs de la grande distribution qui assurent un approvisionnement tant en quantité qu’en qualité. De plus, comme l’ont souligné certains chercheurs, ces circuits courts alimentaires sembleraient constituer l’un des leviers de développement du territoire. Bien que les États continuent à avoir une certaine prérogative sur l’approvisionnement des villes, les instances politiques locales en sont de plus en plus exclues. Elles ne disposent que de peu de latitude dans la gouvernance de l’approvisionnement des villes, pilotée par des acteurs privés dont le prolongement est la grande distribution.

3. …Et dans les initiatives wallonnes ?

Dans le cas de la Wallonie, depuis quelques années, on relève une montée en puissance des S3A (systèmes agro-alimentaires alternatifs) (Bousbaine, 2021), qui passent par les CCA. Il s’agit notamment des GAA (groupes d’achats alimentaires) qui se déclinent en GAC (groupes d’achats communs) et en GAS (groupes d’achats solidaires). Nous retenons que les premiers, qui sont passés de 40 en 2003 à 300 en 2020, convoquent les proximités géographiques et organisationnelles. Dans ces modes d’approvisionnement, des relations étroites existent entre les producteurs et les consommateurs mais aussi entre les consommateurs eux-mêmes. Ces initiatives sont les formes les plus anciennes de « relocalisation alimentaire ». Leur fonctionnement diffère de celui des AMAP : ils ne sont liés par aucun contrat, et leurs adhérents peuvent se retirer comme ils le souhaitent. Dans les GAC, le lieu d’enlèvement peut être chez l’un des membres, ce qui accentue donc la part de convivialité tant recherchée par les adhérents. Mais surtout, l’engagement personnel des membres reste important, puisque chacun prend en charge une tâche particulière afin d’assurer le bon fonctionnement du GAC (Hubaux, 2011). L’idée est de recentrer localement l’alimentation en soutenant un ou plusieurs producteurs respectueux de la terre et soucieux de produire une alimentation dont la traçabilité est connue.

Se développe un mouvement consumériste, axé sur la proximité, donc sur les rapports citoyens entre consommateurs et producteurs (Higgins et al., 2008). Le consommateur se définit comme un « consom’acteur ». En s’alimentant de façon durable, il pose un acte militant et politique, il se repositionne par rapport à ce qu’il souhaite manger, en respectant les producteurs et leur travail, l’environnement qui l’entoure et surtout sa santé.

Les GAA (groupes d’achats alimentaires) wallons ne présentent aucune homogénéité dans leur mode de gestion. Comme le souligne Denise Van Dam (Van Dam et al., 2012), aucune structure de coordination globale n’est présente dans ces groupes, et leur manque de représentation formelle peut s’avérer fatal pour la pérennisation des GAC. Chaque GAC fonctionne un peu selon la motivation des adhérents qui en font partie. Ce manque de représentation formelle rend compliqué, voire impossible un éventuel appui financier par la Région wallonne (Collart, 2013). Certains s’essoufflent vite et périclitent par manque de réel investissement de l’ensemble des participants. Dans ce cadre, la proximité organisationnelle est fondamentale, d’autant plus que la proximité géographique est parfois mise à mal. En effet, on peut retrouver des produits ayant parcouru plus de 100 km dans certains GAC, ou encore des productions comme les oranges, certes bio, mais en provenance d’Espagne !

Ainsi, les relations entre les consommateurs sont déterminantes et la « proximité sociale » permet au GAC de perdurer, mais aussi d’avoir un meilleur fonctionnement. La finalité de ces initiatives est de mieux se coordonner et de maintenir une alimentation locale.

Outre ces éléments, de nombreuses vertus sont mises en perspective dans les GAC. Il s’agit de pointer une meilleure rémunération des producteurs, néanmoins, certains travaux démontrent qu’il faut nuancer cette vertu. Le rapprochement est bien réel entre producteurs et consommateurs, bien que certains adhérents des GAC passent commande sur le site et ne rencontrent pas forcément les producteurs, qui n’ont pas toujours le temps nécessaire. Toutefois, les vertus reconnues résident dans les impacts environnementaux. En effet, s’approvisionner à l’échelle locale permet de réduire les food miles et, comme le soulignent certains auteurs, de répondre à quatre dimensions : le bien-être des agriculteurs, le bien-être de la communauté, le développement local et la protection de l’environnement.

Dans tous les cas, ces initiatives qui émergent en Wallonie tentent de recentrer l’alimentation au sein des territoires et d’apporter plus de durabilité au système agro-alimentaire conventionnel, en convoquant les proximités géographiques et organisationnelles.

À travers ces quelques éléments issus d’un travail de recherche doctoral, nous avons pointé l’importance de la proximité tant géographique qu’organisationnelle dans les circuits courts alimentaires. Cette importance se retrouve dans les initiatives wallonnes de relocalisation alimentaire, un sujet qui commence à interpeller une partie des consommateurs mais aussi des instances politiques. Preuve en est que depuis 2018, la stratégie « Manger demain » a été mise en place afin de converger vers un système agro-alimentaire plus durable, dans lequel les CCA sont largement plébiscités. Pourtant, dans l’exemple des GAA, aucune réelle coordination n’est encore instaurée, et les proximités géographiques et socio-économiques sont parfois mises à mal.

Références bibliographiques :

Bousbaine A., 2020. Ville et agriculture face à l’émergence des systèmes agro-alimentaires innovants. Etudes de cas dans deux agglomérations wallonnes : Charleroi et Liège. Thèse de doctorat en géographie, université de Liège, 484 p.

Bousbaine A., 2021. « Des initiatives citoyennes pour manger local ». Revue POUR, n°239, p. 69-87.

Collart G., 2013. Les groupements d’achats alimentaires en Wallonie. UCL, 9 p.

Darly S. & Aubry C., 2014. « La demande en produits locaux de la restauration collective: quels liens avec l‘offre de proximité dans une région d‘agriculture industrielle? Le cas de l’Ile-de-France ». Géocarrefour, (89 (1)), p. 145-157.  

Hubaux S., 2011. « Le Groupe d’achats communs de Louvain-la-Neuve: convivialité et engagement » in La consommation critique, Mouvements pour une alimentation responsable et solidaire, Desclée de Brouwer, p. 91-110

Johnson R., Aussenberg R.A. & Tadlock, C., 2014. The role of Local Food Systems in U.S. Farm Policy. Congressionnal Research Service, 66 p.

Poulot M., 2012. « Vous avez dit locavore? De l’invention du locavorisme aux États-Unis », Revue POUR, (215-216), p. 349-354.

Praly C., Chazoule C., Delfosse C., Bon N. & Cornée M., 2009. « La notion de « proximité » pour analyser les circuits-courts ». 46ème colloque ASRDLF

Rastoin J.L., 2015. Les systèmes alimentaires territorialisés: le cadre conceptuel. Résolis, (4), p. 11-13.

Thompson E.J., Harper A.M. & Kraus S.I., 2008. Think Globally- Eat Locally: San Franscisco Foodshed Assessment. San Franscisco, CA: American Farmland Trust, 48p.

Wiskerke J.C. & Van der Ploeg J., 2004. Seeds of transition, essays on novelty production, niches and regimes in agriculture, Assen: Royal Van Gorcum. 356 p.

Pour citer cet article :
BOUSBAINE Antonia, « De quelles proximités parle-t-on dans les circuits-courts wallons ? », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/2023/09/21/de-quelles-proximites-parle-t-on-dans-les-circuits-courts-wallons/