L’importance de la recherche-action dans la gestion territoriale

The importance of action research in territorial management

Antonia Bousbaine
〉Docteur en sciences géographiques
〉Liège Université
〉ATER en géographie
〉Université d’Artois 〉

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Mots-clés : recherche-action, Wallonie, gouvernance territoriale

Abstract: Faced with the rise of environmental and sustainability issues within territories, more harmonious management becomes essential. In this context, a certain number of researchers integrate action research into their research. This concept, which is increasingly being applied, makes it possible to involve all stakeholders in the territory, both state authorities and those in the private sphere. This leads the researcher to take on the role of “negotiator”, informant, guide and facilitator. This researcher must stay away from the decisions made and not influence the actors. Territorial governance is therefore put in place which involves all stakeholders and often gives good results and a certain social cohesion within the territories.

Keywords: action research, Wallonia, governance, territorial

Au sein des territoires, il existe une concurrence accrue entre les multiples fonctions territoriales, ce qui, dans bien des cas, donne lieu à des conflits d’usage. En ce sens, la gestion des territoires a montré ses limites, en particulier lors des inondations en Wallonie en 2021. Ces événements ont mis en exergue le peu d’implication des populations locales dans les décisions prises par les instances politiques, malgré leur lien direct au territoire. Ces difficultés sont avant tout le résultat des nombreuses interactions entre les acteurs sur le plan tant social qu’environnemental, malgré la décentralisation des états et la volonté affichée de mieux associer les populations aux décisions prises au sein des espaces. Cette volonté est en lien direct avec l’émergence du concept de développement durable et la durabilité des territoires qui doit être atteinte. Pourtant, face à la multitude des intervenants, à leurs enjeux et intérêts, il est très compliqué d’obtenir la participation de l’ensemble des acteurs du territoire.

Dans ce contexte, le chercheur endosse un rôle non négligeable en intervenant auprès des acteurs, en les guidant. Il est donc ici question de mettre en place une recherche-action qui permet, dans bien des situations, d’aboutir à une gestion plus harmonieuse des territoires et qui s’appuie sur l’aide du chercheur. En quelque sorte, il s’agit surtout de construire un territoire plus durable et répondant aux attentes de tous les acteurs. La recherche-action devient donc un moyen d’atteindre ce but. Nous tenterons d’abord de définir ce concept qui ne cesse d’évoluer. Puis, nous analyserons les conditions de sa mise en application au sein des espaces, en particulier en Wallonie, où nous l’avons abordé. Enfin, nous verrons comment la recherche-action peut contribuer à mettre en place une gouvernance territoriale.

1. Qu’est-ce que la recherche-action ?

1.1. Un domaine en évolution

La recherche-action est une discipline scientifique qui n’est pas née spontanément. Ses premiers balbutiements ont été attribués à des chercheurs en sciences sociales, au XIXe siècle et dans le premier quart du XXe (Barbier, 1996). L’utilisation du terme de « recherche-action » revient à  Kurt Lewin, dès 1933. Cette recherche met en relief l’importance d’une démarche méthodologique où l’individu est au centre, à la fois dans sa globalité et dans une relation dynamique.

Ainsi se crée une interaction entre le chercheur et son objet d’étude, en l’occurrence, le groupe social. On assiste à une multiplication des travaux sur ce concept de recherche-action, particulièrement après la Seconde Guerre mondiale. Ceux-ci prennent une place de plus en plus importante dans le monde scientifique.

1.2. En quoi consiste-t-elle vraiment ?

L’attention du chercheur est portée sur son objet de recherche ainsi que sur une collecte systématique de données observables et vérifiables, dans le but de décrire, d’expliquer et d’envisager les événements. La recherche et l’action sont ainsi liées au sein d’une même activité, en prenant comme référence le groupe d’individus concerné par l’étude du chercheur.

Selon Lewin, la recherche-action est un type d’approche scientifique qui peut être adapté à la vie courante. Le chercheur doit donc s’impliquer totalement dans des projets de transformation de la réalité sociale (Boisclair, 2008). Il doit surtout être attentif dans son implication et son influence dans les phénomènes étudiés, en les prenant en considération. Enfin, la dimension éthique du chercheur est soulignée dans ce type de recherche. Une fois que celle-ci est définie, ce dernier doit s’y tenir.

1.3. Une mise en application assez faible au sein des territoires

On constate surtout que trop peu de recherches s’appuient sur cette méthode qui donne pourtant de bons résultats, comme nous le démontrerons plus loin. Il est souvent difficile de faire converger les nombreux acteurs du territoire. Le chercheur a donc besoin de beaucoup de temps pour l’organisation des rencontres, et tout le monde « ne joue pas le jeu ». Les intérêts des uns ne convergent pas toujours avec ceux des autres. Certains acteurs (politiques) restent dans une dynamique de centralisation des décisions, malgré l’importance du concept de développement durable au sein des espaces et l’urgence du réchauffement climatique.

2. Sa mise en œuvre au sein des territoires

2.1. Le rôle central du chercheur

Dans la mise en place de ce concept, force est de reconnaître que tout repose sur la personnalité du chercheur, qui doit être ouvert, dynamique et doté d’une approche très fine de la réalité du terrain. Le chercheur doit endosser le rôle d’informateur, d’accompagnateur, de facilitateur et d’animateur. Il doit être en mesure de fournir des conseils précis suivant le groupe d’acteurs, d’où son rôle de conseiller. Toutefois, le chercheur qui adopte l’approche de recherche-action ne doit en rien influencer les acteurs, ni dicter le processus de recherche ou d’élaboration de solutions. En ce sens, il doit envisager une coconstruction et être à l’écoute de l’ensemble des acteurs. Il doit donc démontrer un engagement dans le processus de coconstruction, dans la participation, la mobilisation, la planification de la recherche, les plans, les actions et les initiatives.

2.2. Qui passe par le processus d’intermédiation territoriale ?

La posture du chercheur qui envisage de mettre en application la recherche-action au sein des territoires met en exergue ce processus d’intermédiation territoriale. Ce concept a été développé par Latour dans les années 1990 (Nadou et Talandier, 2020). Le territoire serait le réceptacle « de révélations, de concrétisation à des comportements, à des processus d’acteurs » (Lacour, 1996). Le chercheur impliqué dans la recherche-action endosse le rôle d’acteur intermédiaire au regard de ce concept. Pour certains auteurs, ce processus d’intermédiation est perçu « comme processus organisationnel de gouvernance des territoires aux côtés de la coopération » (Nadaud). Ainsi, au regard de la gouvernance, ce concept peut se définir comme « un processus territorialisé de coordination des acteurs et de leurs relations sociales, [avec] des conséquences sur les trajectoires et dynamiques locales ». Le chercheur se positionne pleinement dans ce concept et permet de faire avancer la gouvernance au sein des territoires et donc de voir se concrétiser les projets autour desquels les acteurs œuvrent. Ce processus a alors toute son importance dans le développement des territoires, véritable levier pour installer une gouvernance et ainsi convoquer l’ensemble des acteurs territoriaux.

2.3. Retour d’expériences belges, en particulier wallonnes

Dans le cadre d’un master 2 à l’université de Bruxelles, nous avons démarré une recherche-action qui consistait à mettre en adéquation les agriculteurs, les acteurs politiques et les citoyens dans l’optique d’envisager une réelle cohabitation entre ces différents segments de population. Malgré nos efforts, les résultats ont été mitigés, les difficultés résidant dans la divergence des intérêts des uns et des autres. Également, en Région flamande, lors des intempéries côtières en 2016, certaines actions ont été menées, mais tous les acteurs n’ont pas été impliqués.

Un exemple très récent, que nous avons particulièrement suivi, est celui des Assises de la forêt wallonne. Le consultant mandaté par la ministre de la Forêt, Céline Tellier, a mis en place une réelle recherche-action qui a donné de très bons résultats (Bousbaine, 2023). En effet, ce consultant a endossé un rôle de chercheur. Il a respecté les trois « P » du développement durable mis en œuvre dans une recherche-action, à savoir, le processus, la patience et la participation, appliqués à l’ensemble des acteurs. Malgré les divergences entre les nombreuses entités, 74 résolutions ont été prises par les 63 parties prenantes. C’est donc une véritable prouesse qui a été réalisée par ce consultant et son équipe.

3. La recherche-action pour une gouvernance territoriale

3.1. Définitions de la GT

Dès les années 1980, le terme apparaît dans les sciences politiques, dans un contexte de décentralisation et d’européanisation (Billion, 2018). Le concept de gouvernance territoriale semble de plus en plus approprié au regard de « l’incapacité des gouvernements à répondre aux problèmes qui leur sont soumis et à s’ajuster à de nouvelles formes d’organisations sociales, politiques et économiques » (Chédiac, 2007). Les acteurs sont de plus en plus nombreux et leurs revendications sont multiples. Cette imbrication des divers acteurs conduit donc vers la gouvernance de ces territoires (Pagès et Pélissier, 2000).

Ce concept de gouvernance territoriale est devenu « incontournable dans le processus de développement des territoires, notamment dans les territoires ruraux en raison de la diversification des acteurs qui le composent aujourd’hui » (Corade, 2017). De plus en plus d’acteurs utilisent ce concept, notamment pour atteindre une gouvernance au sein des espaces et donc répondre aux revendications de l’ensemble des individus devenus plus sensibles aux questions environnementales, sociales et économiques. Il s’agit en particulier de viser une certaine « durabilité des territoires » (D’Aquino, 2002). La GT renvoie au développement local des territoires et surtout à l’implication des acteurs locaux, privés et publics.

Selon plusieurs chercheurs, la gouvernance territoriale peut se définir comme « un processus non seulement de coordination des acteurs, mais aussi d’appropriation des ressources et de construction de la territorialité. Dans ce contexte, le territoire ne se réduit pas à un simple échelon spatio-administratif, mais s’impose au contraire comme un construit social permanent, un processus de discrimination et de construction d’un « dedans » par rapport à un « dehors » […].La gouvernance territoriale qui en résulte repose sur la multiplicité d’acteurs, la définition d’un espace identitaire et l’élaboration d’actions, de productions communes » (Leloup et al., 2005).

En ce sens, la recherche-action devient un moyen de parvenir à la gouvernance territoriale. Elle implique une compréhension des processus de coordination, d’apprentissage et de régulation qu’elle recouvre concrètement, et un accompagnement des acteurs locaux dans la mise en œuvre de ces nouveaux dispositifs.

3.2. Les conditions de la mise en place d’une gouvernance territoriale au sein des territoires. Le triptyque « acteurs, politiques et espaces »

Dans une gouvernance territoriale, il est primordial que le chercheur qui adopte une recherche-action prenne en compte avant tout les acteurs. Le chercheur aura donc pour rôle de faciliter la coconstruction des projets impliquant l’ensemble des acteurs en présence (IUFN, 2016). Ces derniers sont issus de la sphère politique (locale et/ou régionale et/ou fédérale et/ou provinciale) . La société civile doit également participer à cette coconstruction. Cependant, dans bien des cas, elle n’est pas réellement impliquée dans la mise en place de la gouvernance. Pourtant, des synergies doivent être créées entre les différents acteurs. Mais, la grande difficulté réside dans la mise en convergence de tous les acteurs du territoire. C’est là que la recherche-action prend son sens, dans la mesure où le chercheur montre ses réelles capacités d’écoute, de médiation et de neutralité.

Quel espace faut-il prendre en considération ? L’échelle d’action reste déterminante pour la gouvernance territoriale. En Wallonie, la superposition des échelles la rend plus compliquée. Le chercheur devra également tenir compte des politiques, sinon, aucun projet ne pourra être envisagé. Il ne doit pas oublier d’intégrer les politiques qui régissent les territoires concernés.

3.3.Aujourd’hui, le concept de gouvernance » évolue…

Comme certains le rappellent, l’État est partie prenante de la gouvernance au sein des territoires, en particulier en Europe occidentale (Leloup et al., 2023). En effet, l’État garde un rôle non négligeable dans cette gouvernance qui se met en place. Chacun des acteurs en présence joue un rôle dans ce processus selon ses buts, qui, comme le soulignent Bertrand et Moquay, peuvent être « disputés » ou « partagés ». Aujourd’hui, force est de reconnaître que les décisions prises pour la mise en mouvement de certains projets s’articulent plus autour d’une « coopération horizontale et des mécanismes étatiques ». Aussi, dans cette gouvernance, il est davantage question d’une approche multiscalaire, du local en passant par le régional et le supranational. La finalité réside dans la réalisation d’un projet collectif. Dans ce cas précis, les divers acteurs non étatiques se voient légitimés. Enfin, ce concept de gouvernance territoriale s’inscrit depuis quelques années au sein des espaces comme un « instrument proactif œuvrant à sa cohésion ». Cette cohésion devient primordiale dans les politiques publiques en Europe (Faludi, 2011). Ainsi, à travers ce concept de cohésion territoriale, la gouvernance est redéfinie et prend tout son sens (coordination, complémentarité entre les acteurs) (Leloup et al., 2020).

Conclusion

Dans cet article, nous avons pointé l’importance de la recherche-action dans la gestion des territoires. Surtout, ce concept ne peut être pleinement abouti que si certaines conditions sont totalement remplies. Ces conditions passent par une implication totale du chercheur, qui endosse le rôle de fournisseur d’informations le plus large possible, dont les contenus seront compris et intégrés par l’ensemble des acteurs concernés. Tous ceux qui le souhaitent peuvent être impliqués et participer aux réunions et aux rencontres que le chercheur met en place. Il est aussi animateur de réunions, de focus groups.

Le chercheur aide les participants, en l’occurrence ici les agriculteurs, mais aussi les autres acteurs à mieux s’approprier les fonctions multiples qui existent dans les espaces périurbains, en leur expliquant leur importance dans l’approvisionnement des villes et leur rôle pour créer des territoires plus durables à long terme. Sa place et surtout sa personnalité sont fondamentales dans le cadre d’une recherche-action ; il doit être à l’écoute de tous les acteurs, les guider, mais avant tout, leur démontrer l’intérêt d’une telle implication. Son engagement personnel et son degré de motivation constituent un gage de réussite dans la construction de sa recherche.

Néanmoins, il n’est pas toujours aisé pour le chercheur de faire passer le message auprès de tous les acteurs qui, bien souvent, campent sur leurs idées préconçues. Surtout, il faut que les demandes de ces différents acteurs soient bien présentes. Ainsi, les objectifs et les solutions, à travers les actions entreprises, doivent être clairement définis par le chercheur, et ce, tout au long du processus. Il doit remplir pleinement son rôle et répondre aux demandes des personnes impliquées.

Bibliographie :

Barbier R., 1996 : La Recherche Action. Paris, France: Editions Economica

Bertand N. et Moquay P., 2004, La gouvernance locale, un retour à la proximité. Economie Rurale 280
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Boisclair M., 2008. La Recherche Action. Report prepared for C. Bryant in the context of his research project on the reduction of the vulnerability of periurban agriculture by using an Action Research process and building upon the multi-functionality of periurban agricultural territories. Montreal, Canada : Social Sciences and Humanities Research Council.

Bousbaine A., 2023. Les assises de la forêt : vers une stratégie forestière régionale ? Revue Pour, numèro 246, pp 169-184

Chediac, S., 2007. Compte rendu du livre de Pasquier, R., Simoulin, V. & Weisbein, J. (dir.). La gouvernance territoriale Pratiques, discours et théories.  Paris, LGDJ, 2007, 235 p, dans Pôles Sud, (27), 161-171.

Corade, N., 2017. Lectures.  Dans : Revue d’Economie Régionale et Urbaine, 2017/4, 733-746.

D’Aquino, P., 2002. Le territoire entre espace et pouvoir : pour une planification territoriale ascendante. L’Espace géographique, (1), 3-23

Faludi A., 2011. La cohésion territoriale à la croisée des chemins In Bettoni G., Gouverner les territoires : antagonismes et partenariats entre acteurs publics, Institut de la gestion publique et du développement économique, 27-60.

IUFN, 2016. Construire un projet alimentaire territorial. Rapport de synthèse, IUFN et Labo’m21, 16p.

Leloup, F., Moyart, L. & Pecqueur, B., 2005. La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination territoriale ? Géographie, Économie, Société, (7), 321-331.

Leloup F., Moyart L. et Pecqueur B., 2023. Gouvernance, action publique et cohésion ou comment piloter nos territoires. La gouvernance territoriale : d’un mode de coordination à un processus de cohésion territoriale ? Géographie, économie, société Vol25, pp. 145-161.

Nadaud E., 2020. La politique contractuelle de la Nouvelle-Aquitaine : entre coopération et intermédiation. Géographie, économie, société. Vol. 22, pp.265-284.

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Pagès, D., Pélissier, N., 2000. Territoires sous influence/1, 12 p.

 

 

Pour citer cet article : 

BOUSBAINE Antonia, « L’importance de la recherche-action dans la gestion territoriale », 1 | 2024 – Recherches-actions participatives, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ ark:/84480/2024/02/04/limportance-de-la-recherche-action-dans-la-gestion-territoriale/