Intelligence Artificielle : Quand la technologie est au service de la proximité sociale et organisationnelle.

Hélène Yildiz
〉Maîtresse de conférences HDR en marketing
〉Responsable M2 Marketing Digital et Co-responsable MIAGE
〉Université de Lorraine
〉CEREFIGE, IUT HP Longwy, IAE Metz 〉

Alan Reiter
〉Consultant en marketing
〉Chargé d’enseignement
〉Université de Lorraine 〉

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Impulsée par les nouvelles technologies d’intelligences artificielles (IA), la société entre dans sa quatrième révolution industrielle (Murphy et al, 2021). L’IA évolue de manière exponentielle et les experts estiment qu’en 2030, ce marché représenterait environ 13 500 milliards de dollars. En outre, plus de 70% des entreprises intégreront dans l’avenir l’IA au sein de leur business model[1]. L’IA est une source majeure d’innovation (Huang et Rust, 2018) et ses apports engendrent de profondes mutations pour l’ensemble des acteurs économiques (entreprises, collectivités territoriales, consommateurs…). Ayant l’ambition d’imiter les capacités cognitives de l’être humain, l’IA peut être définie comme un système numérique capable d’interpréter correctement des données externes et d’apprendre de ces données (Learning machine) grâce au déploiement des processus algorithmiques intelligents (Davenport et al, 2019). Désormais, l’omniprésence de l’IA transforme radicalement la chaine de valeur des entreprises et leurs relations avec l’ensemble des parties prenantes. Néanmoins, cette nouvelle technologie peut s’avérer être nécessaire, notamment dans des secteurs où les pressions macroéconomiques et microéconomiques incitent les acteurs à repenser leur filière. C’est le cas, par exemple, de l’industrie du tourisme qui traverse actuellement de profondes mutations structurelles (pandémie du COVID19, réchauffement climatique et enjeux de durabilité), qui perturbent les modèles économiques et sociaux mis en œuvre.

D’un point du vue global, l’IA crée l’effervescence aussi bien dans le monde de l’entreprise que dans le monde académique. L’objectif principale étant d’identifier et de comprendre les enjeux et les impacts résultant de son utilisation par les entreprises. A ce titre, deux grandes approches se confrontent. La première considère que l’IA sera une technologie essentielle pour assister l’être humain dans sa prise de décision (Dejoux et Léon, 2018). A l’inverse, la seconde estime que l’IA sera une vraie menace pour l’humanité en menaçant massivement des emplois humains par l’automatisation des tâches (Jarrahi, 2018).

L’IA, de quoi parle-t-on ?

Beaucoup de travaux de recherches émergent entre 1960 et 1990 et des prototypes de plus en plus performants sont développés (Exemple du programme ELIZA crée par Joseph Weizenbaum ou DEEP BLUE développé par IBM). Bien que ces programmes démontrent l’étendue du potentiel de l’intelligence artificielle, cette technologie reste encore focalisée sur des traitements de données basiques avec l’obligation permanente du paramétrage humain. Le réel virage stratégique de l’IA a été initié en 2009, avec l’apparition des réseaux neuronaux artificiels. Ces systèmes numériques complexes contribuent au déploiement de l’apprentissage automatique (Deep learning – Goertzel, 2014), véritable moteur des avancées technologiques majeures comme la reconnaissance vocale (2009), visuelle (2011) ou encore le traitement du langage naturel. Ces nouvelles architectures informatiques offrent à l’IA une puissance de traitement considérable grâce à une capacité d’apprentissage autonome. Deux facteurs symbiotiques semblent favoriser le développement rapide de l’IA. L’utilisation constante et massive d’internet génère d’immenses quantités de données disponibles pour les entreprises. Cette abondance d’informations complexifie le travail d’analyse pour les entreprises. L’IA devient alors primordiale pour traiter efficacement de grandes quantités des données numériques spécifiques. En outre, grâce aux progrès technologiques, les ordinateurs disposent de capacités de calcul beaucoup plus performantes permettant le développement d’algorithmes plus puissants et proactifs. Cette relation conjointe entre ces deux facteurs (Big Data et puissance de calcul) entraîne quotidiennement l’IA à devenir toujours plus précise et rapide.

L’IA au service de la proximité sociale

L’IA peut être visible sous une forme physique ou virtuelle. Sur le plan physique, l’apport de l’IA est important. Le développement des robots intelligents transforme la relation homme – machine notamment dans le secteur des services (Huang et Rust, 2018). Dans ce contexte, l’IA permet de créer des robots humanoïdes pouvant générer un degré de présence social fort, donnant l’impression aux utilisateurs d’être en présence d’un autre individu (van Doorn et al., 2017). Ce caractère anthropomorphique est primordial dans la perception de la physicalité de la technologie et dans la construction d’une relation de proximité avec ces nouveaux compagnons virtuels. De cette façon, les individus abandonnent davantage leur capacité de contrôle et laisse plus facilement ces nouveaux agents intelligents les accompagner. De toute évidence, l’IA physique révolutionnera l’expérience utilisateur. Ainsi, cette technologie va rendre les entreprises plus réactives à l’égard de leurs clients avec la proposition des services personnalisés (Wirtz et al., 2018).

Sur le plan virtuel, l’IA va contribuer au développement massif des futurs mondes numériques, constituant le metavers (Huynh-The et al, 2023). Le metavers possède de nombreux atouts pour attirer des utilisateurs à la recherche de nouvelles expériences virtuelles. Il s’agit d’un monde virtuel en 3D, partagé et offrant aux utilisateurs des expériences immersives et interactives (Park et Kim, 2022). Reflet du monde réel, le metavers est un monde virtuel persistant centré sur la valeur sociale. Il offre la possibilité aux individus d’échanger et de collaborer par le biais d’avatars numériques. La performance future du metavers sera très largement alimentée par l’IA. Le renforcement de cette technologie basée sur l’apprentissage automatique va offrir des univers virtuels beaucoup plus interactif grâce à des traitements graphiques plus puissant et des interfaces sécurisées, réduisant davantage les barrières entre le monde virtuel et réel (Xu et al., 2020). A titre d’exemple, la réalité virtuelle appliquée au tourisme (Caspar et al., 2019 ; Allal-Cherif, 2022) immerge les utilisateurs dans des environnements complètement numérisés. Les utilisateurs peuvent naviguer et découvrir des destinations ou des lieux culturels sans se déplacer. Par conséquent, l’IA intégrée à la réalité virtuelle favorise la proximité virtuelle et la curiosité des utilisateurs à l’égard de ces lieux touristiques et plus généralement ces mondes virtuels. Par ailleurs, grâce à l’apprentissage du traitement du langage naturel, l’IA générera, au sein du metavers, des chatbots plus performants. Les interactions entre les individus et les avatars virtuels seront alors beaucoup plus réalistes et précises, favorisant l’anthropomorphisme virtuel (Huynh-The et al., 2023) au service de mondes virtuels plus immersifs. Mondes virtuels dans lesquels il est possible par exemple d’évoluer pour faire notre shopping.

L’IA, au service de la proximité organisationnelle.

Comme évoqué précédemment, de nouvelles pratiques (managériales, entrepreneuriales, etc.) émergent de la volatilité exacerbée de nombreux secteurs d’activités. Des secteurs comme la banque (Fethi et Pasiouras, 2010) ou l’automobile (Bertrandias, 2019) connaissent d’intenses révolutions technologiques. Par conséquent, la maîtrise et l’intégration des nouvelles technologies d’IA deviennent des compétences stratégiques. L’IA permet de lier étroitement et efficacement l’ensemble des maillons de la chaine de valeur pour bâtir des nouveaux business models inclusifs et plus réactifs aux pressions externes. De cette manière, les entreprises adaptent plus effacement certaines activités importantes comme le marketing et les services (Filieri et al., 2021), pour répondre à l’émergence de nouvelles tendances de consommation. En outre, les entreprises développent, grâce l’IA, des relations permanentes, étroites et durable avec les fournisseurs et les distributeurs. Les algorithmes intelligents améliorent les stratégies de sourcing, d’achats, de ventes et de gestion partagée de stocks. Une fois de plus, les bienfaits de l’IA sont évidents. Les nombreux traitements numériques des données issues du marketing, de la logistique ou encore de la production, renforcent la performance stratégique, tactique et opérationnelle de l’entreprise. Grâce à l’IA, les entreprises identifient et anticipent plus facilement les besoins de leurs clients. Elles peuvent ainsi articuler en conséquence l’ensemble de leur chaîne de valeur.

Enfin, comme toute révolution industrielle, l’IA génère également des externalités négative. Depuis peu, une IA-anxiété se développe auprès des salariés. Elle engendrée par la préoccupation de se voir remplacé par des IA. Ce phénomène d’anxiété n’est pas sans rappeler les prémices de l’automatisation présente à la fin du XVIIIe siècle, lorsque les machines automatiques ont progressivement investi les usines de tissage. A cette époque, les travailleurs redoutaient déjà ce que l’économiste John Maynard Keynes appellera, dans les années 1930, le « chômage technologique ».  Aujourd’hui, ce parallèle reste largement envisageable compte tenu des effets de l’introduction de l’IA dans les organisations. Pour preuve, les analystes suggèrent que plus de 300 millions d’emplois dans le monde pourrait être supprimés à cause de l’IA[2]. Les questions portant sur l’éventualité de voir un jour les machines, les robots et plus généralement l’informatique dépasser les capacités de l’être humain a toujours fait débat depuis des décennies au sein des communautés d’experts et plus largement dans la société. L’IA a toujours fasciné, et laisse encore aujourd’hui, beaucoup de questions sans réponses tant dans le monde de l’entreprise que dans celui de la recherche

Références bibliographiques :

Allal-Chérif O., 2022. “Intelligent cathedrals: Using augmented reality, virtual reality, and artificial intelligence to provide an intense cultural, historical, and religious visitor experience”, Technological Forecasting and Social Change, 178, 121604.

Bertrandias L, Lowe B, Sadik-Rozsnyai O, Carricano M., 2021. “Delegating decision-making to autonomous products: A value model emphasizing the role of well-being”, Technological Forecasting and Social Change, 169, 120846.

Caspar E,  Cleeremans A, Haggard P., 2015. “The relationship between human agency and embodiment”, Consciousness and Cognition, 33, p. 226-236.

Davenport T, Guha A, Grewal D. et al., 2020. How artificial intelligence will change the future of marketing”. Journal of the Academy of Marketing Science, 48, p. 24-42.

Dejoux C. & Leon E., 2018. Métamorphoses des managers : à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, Eds Pearson, 229 p.

Fethi M.D, & Pasiouras F., 2010. “Assessing bank efficiency and performance with operational research and artificial intelligence techniques: A survey”, European Journal of Operational Research, 204, 189-198.

Filieri R, Mariani M., 2021. “The role of cultural values in consumers’ evaluation of online review helpfulness: a big data approach”. International Marketing Review, 38, p. 1267-1288.

Goertzel B. 2014. “Artificial General Intelligence: Concept, State of the Art, and Future Prospects”. Journal of Artificial General Intelligence, 5, 1-46.

Goldman Sachs Analys, 2023. The Potentially Large Effects of Artificial Intelligence on Economic, URL : https://www.key4biz.it/wp-content/uploads/2023/03/Global-Economics-Analyst_-The-Potentially-Large-Effects-of Artificial-Intelligence-on-Economic-Growth-Briggs_Kodnani.pdf

Huang M-H & Rust, R.T. 2018. “Artificial Intelligence in Service”. Journal of Service Research, 21, p. 155–172.

Jarrahi M.H. 2018. “Artificial Intelligence and the Future of Work: Human-AI Symbiosis in Organizational Decision Making”. Business Horizons, 61, p. 577-586. 

Murphy K, Di Ruggiero E, Upshur R. et al. 2021. Artificial intelligence for good health: a scoping review of the ethics literature. BMC Med Ethics, 22.

Park S.M, Kim Y-G. 2022. A Metaverse: Taxonomy, Components, Applications, and Open Challenges. IEEE Access.

The T.H, Pham Q.V, Pham X.Q, Nguyen T.T, Han Z & Kim D.S., 2023. “Artificial intelligence for the metaverse: A survey”, Engineering Applications of Artificial Intelligence, 117, 105581.

Van Doorn J, Mende M, Noble S. et al. 2017. “Domo Arigato Mr. Roboto: Emergence of Automated Social Presence in Organizational Frontlines and Customers’ Service Experiences”. Journal of Service Research, 20, p. 43–58.

Wirtz J, Patterson P.G, Kunz W.H, Gruber T, Lu V.N, Paluch S & Martins A. 2018. “Brave new world: service robots in the frontline”. Journal of Service Management.

Xu X, Bowen S, Sheng D, Gautam S, Muhammad B, Mohammad K, Varun M, Ahmad J, Maoli W. 2020. Service Offloading With Deep Q-Network for Digital Twinning Empowered Internet of Vehicles in Edge Computing. IEEE Transactions on Industrial Informatics.

[1] Le marché de l’IA et son périmètre, Dans SAY 2021/3 (N° 5), pages 144 à 145

[2] Goldman Sachs Analyse 23 mars 2023

Pour citer cet article :
YILDIZ Hélène, REITER Alan, « Intelligence Artificielle : Quand la technologie est au service de la proximité sociale et organisationnelle. », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/2023/09/21/intelligence-artificielle-quand-la-technologie-est-au-service-de-la-proximite-sociale-et-organisationnelle/