La proximité, une question de typologie(s) ?

Xavier Lehmann
〉Doctorant en aménagement de l’espace et urbanisme
〉Université Gustave Eiffel, Ecole des Ponts
〉UMR LVMT 〉

〉Article court

Télécharger l'article. 0-2023 Lehmann

 

Porter une réflexion sur la proximité peut recouvrir une multitude d’approches et de définitions, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder notre propre rapport à ce concept dont la portée touche aussi bien au cadre universitaire qu’à la vie quotidienne. Je souhaite ici esquisser une réflexion que mes travaux sur l’aménagement par l’accessibilité, comme condition préalable au renforcement des modes actifs, m’ont amené à développer sur la proximité. La question qui m’anime est le reflet d’une constatation régulièrement étoffée par la littérature et les projets portant sur l’accessibilité comme indicateur de durabilité des territoires : c’est la place prépondérante accordée à la classification et aux typologies dans la formalisation théorique et les critères d’évaluation de la proximité. Ainsi, nous pouvons nous demander en quoi cette diversité typologique est révélatrice de la multiplicité des approches et applications du concept pour l’élaboration de stratégies de développement urbain durable.

Dans un contexte de renouvellement des solutions à apporter aux problématiques environnementales, de santé publique et de pérennité écologique des villes, les chercheurs et acteurs de l’aménagement développent des outils pour évaluer les territoires à travers un grand nombre d’indicateurs. Ces outils sont aujourd’hui principalement développés dans le cadre d’approches comme la « ville du quart d’heure » ou « ville des courtes distances ». Si ces dernières rencontrent actuellement un certain écho auprès des acteurs politiques et des chercheurs, leurs bases théoriques et opérationnelles reposent sur des concepts plus anciens comme l’accessibilité et la proximité. Pour être plus précis, le principe consiste à recentrer la performance globale d’accès des quartiers aux fonctions urbaines du territoire vers une proximité des fonctions urbaines au sein même des quartiers (Pozoukidou et Chatziyiannaki, 2021). L’objectif est de fournir une large gamme de commerces et services accessibles localement pour réduire l’usage de la voiture et favoriser le report vers les modes actifs, principalement la marche. Ainsi, l’évaluation de la localisation et de la diversité des aménités présentes sur le territoire est primordiale dans la plupart des approches méthodologiques recensées. Pour identifier ces territoires de proximité, les modèles d’évaluation se basent majoritairement sur des calculs d’aires de chalandises, sous forme de zones tampons ou d’isochrones, en associant des distances ou temps d’accès compatibles avec la pratique de la marche à une sélection d’aménités significatives.

C’est à cette étape que la construction de typologies est essentielle, aussi bien pour quantifier que pour qualifier les degrés de proximité d’une zone d’étude. L’exercice de classification est porteur de nombreux enjeux en science sociale, et notamment en géographie (Coenen-Huther, 2007). Sélectionner, classer et comparer, c’est d’abord un moyen de réduire la complexité d’un ensemble de données par le regroupement autour de variables communes. La constitution de ces groupes et le choix des variables ouvrent ainsi la voie à des évaluations et des comparaisons. À partir de ces typologies, il nous est possible de comprendre les relations entre chaque élément constitutif de la proximité et d’établir des principes généraux. Définir la proximité aux aménités du territoire permet de mesurer la portée des principales « zones de voisinages » dans lesquelles le potentiel de marche est le plus favorisé (Pozoukidou et Chatziyiannaki, 2021). Néanmoins, je constate qu’il n’existe pas de définition unanime des choix typologiques à considérer dans les évaluations. Les revues de littérature sur les outils d’évaluation de l’accessibilité nous révèlent que les choix des aménités à prendre en compte et des distances jugées raisonnables pour les modes actifs diffèrent selon les méthodes, les questions de recherches, les données utilisées et les territoires d’application. Il existe donc un enjeu pour les chercheurs et acteurs de l’aménagement à connaitre les variables et les types de classifications qu’il serait le plus judicieux d’implémenter dans leurs projets. Cette diversité de définitions et de formalisations du concept renvoie vers une autre problématique d’ordre typologique : la question des échelles de la proximité.

L’une des principales critiques formulées contre le concept de la ville du quart d’heure porte sur la proéminence d’une seule échelle « d’hyper-proximité » qui permettrait d’avoir accès à une offre quasi-complète de commerces et services dans une limite de 15 minutes de marche (Lebrun, 2023). Bien que cette échelle valorise la construction de territoires du quotidien accessibles pour les modes actifs, elle ne rend pas nécessairement compte de l’inégale répartition des commerces et services sur le territoire. Cette diversité de localisation tient notamment compte de la fréquence de recours, du type de produit et du format commercial, renvoyant à des zonages d’implantation spécifiques. Comme le souligne Lebrun à propos des centralités commerciales « l’ensemble des dimensions marchandes de la ville ne sauraient être présentes à l’échelon de la proximité » (Lebrun, 2023). Il serait donc pertinent de tenir compte, dans les typologies, de la diversité d’échelles propre à chaque aménité du territoire pour évaluer différents niveaux de proximité géographique. L’enjeu consiste à développer un système territorial permettant de passer efficacement aux échelles supérieures pour répondre aux besoins justifiant des déplacements plus longs et moins fréquents. Cette lecture hiérarchique et équilibrée de l’armature urbaine, valorisant une approche multi-échelle de la proximité, nous la retrouvons dans le concept d’aménagement Fractalopolis, dont j’ai contribué à définir les typologies au cours du projet SOFT (sobriété énergétique par les formes urbaines et le transport).

Renvoyant à la théorie des besoins, cet « outil d’évaluation » vise à formaliser une hiérarchie urbaine fonctionnelle à partir d’un système spatial emboîté, composé de centralités de différents niveaux d’importance (Bonin et al., 2020). À ces centralités, nous avons identifié quatre niveaux d’aménités basés sur des critères comme « la demande de proximité, la fréquence de recours et les contraintes d’implantation dans l’armature urbaine ». Pour chaque niveau, un seuil de distance d’accès a été défini, augmentant selon le niveau de fréquence et de rareté de la ressource sur le territoire. À travers cette approche multi-échelle, l’enjeu porte sur la satisfaction des différents besoins des habitants en réduisant les distances aux aménités et en favorisant ainsi l’accessibilité globale du système (Bonin et al., 2020). Comme je l’ai souligné pour de nombreux autres projets, la difficulté principale de la mise en œuvre des calculs d’accessibilité a résidé dans la sélection des destinations ainsi que dans la calibration des distances d’accès. En complément de la littérature scientifique, j’ai mené une étude comparative sur un ensemble de documents d’urbanisme français. En effet, pour garantir une organisation équilibrée de l’armature commerciale et des services à l’échelle des bassins de vie, des documents comme les Schémas de cohérence territoriale (SCoT) développent différents critères de classification formalisés dans des typologies (FédéSCoT, 2019). Aux variables liées à la nature des activités commerciales, sont associées des conditions de proximité et de localisations préférentielles dans les centralités et les pôles qui structurent le territoire. Ces attributs, liés à l’environnement bâti, conditionnent d’autres indicateurs essentiels comme les fréquences de recours, distances et temps d’accès ou l’animation des centralités. Ainsi, selon des environnements urbains et des contextes géographiques particuliers, l’étude des documents d’urbanisme m’a apporté un grand nombre d’éléments permettant d’ajuster davantage les évaluations de l’accessibilité et de la proximité, ce qui constitue une piste intéressante pour enrichir la base documentaire nécessaire aux acteurs de l’aménagement.

Nous voyons ainsi que la définition des espaces de proximité peut s’appuyer sur une multitude de typologies et d’indicateurs. Si la base méthodologique des mesures d’accessibilité est courante, le choix des aménités et des distances d’accès dépend de critères relatifs qu’il est nécessaire de définir. Il en résulte une diversité de résultats et de définitions du concept, d’autant plus avec la diversité des terrains d’application depuis le succès d’approches comme la ville du quart d’heure. Définir la proximité dépend également de l’échelle d’analyse. Couramment abordée à l’échelle du quartier, elle peut également recouvrir une dimension multi-échelle par l’accessibilité. Enfin, si l’approche typologique est répandue dans les travaux de recherche académique, elle est également au cœur des outils de planification du territoire et tend à être renforcée par la législation.

Ressources bibliographiques :

Bonin O., Bonneau P., Clerc M., Cousin J., Frankhauser P. et al., 2020. Projet SOFT : Sobriété énergétique par les formes urbaines et le transport. [Rapport de recherche] ThéMA, UMR 6049 ; Institut pour la Transition Energétique, Efficacity; LVMT., 214 p. ⟨hal-03111221⟩

Coenen-Huther J., 2007. « Classifications, typologies et rapport aux valeurs », Revue européenne des sciences sociales, XLV-138, 27-40.

Fédération nationale des SCoT, 2019. « Les SCoT et l’aménagement commercial de demain ». Lestoux & Associés.

Lebrun N., 2023. Réinterroger la centralité marchande. Pôles, territoires, discontinuités et réseaux au service de la centralité. Géographie. HDR. Université Paris 8 – Vincennes-Saint-Denis, ⟨tel-03961158⟩

Pozoukidou G., Chatziyiannaki Z., 2021. “15-Minute City: Decomposing the New Urban Planning Eutopia”. Sustainability.; 13(2):928.

Pour citer cet article :
LEHMANN Xavier, « La proximité, une question de typologie(s) ? », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://quamoter.hypotheses.org/2310

Télécharger l’article en pdf