AAA. Industrie, proximité, territoires

Numéro 6-2025 « Industrie, proximité, territoires »
Coordonné par Gabriel Colletis, Simon Edelblutte et Jean-Michel Minovez

La revue GéoProximitéS (GPS)

La revue GéoProximitéS (GPS) est une revue scientifique à comité de lecture de géographie et de sciences sociales. Son champ thématique est celui des proximités entendues dans toute leur diversité. C’est une revue ouverte à toute discipline de sciences humaines et sociales incluant une dimension spatiale à ses approches. Les numéros de la revue GPS rassemblent donc des articles issus de différents champs disciplinaires autour d’un même thème. 

Argumentaire du numéro

La revue Géoproximités lance un appel à article sur la question de l’industrie et du territoire au prisme de la proximité.

Dans un monde hyper-industriel (Veltz 2017), où les réseaux mondialisés et interconnectés en systèmes productifs semblent primer sur les territoires, notamment locaux, la proximité, notamment territoriale, peut apparaître comme une question obsolète, tant les entreprises industrielles opèrent dans une économie ouverte, libérale et mondialisée, aussi bien spatialement que financièrement, culturellement ou encore techniquement.

Or, cette question de la proximité et de l’industrie au sein de territoires spécifiques, s’inscrit non seulement dans une profondeur historique longue (la proximité de l’industrie et de ses ressources matérielles ou humaines a été pendant longtemps une condition première à son fonctionnement), mais se renouvelle aujourd’hui autour de thématiques porteuses telles que le Systèmes Productifs Locaux (SPL), les circuits courts ou encore les mises en place de filières plus locales où la proximité est vue comme un avantage décisif, notamment en matière environnementale sinon économique, voire culturelle. Ainsi la proximité en lien avec l’industrie peut-elle être entendue non seulement comme pragmatiquement spatiale, mais aussi autour de questions économiques en raison de la présence, dans les territoires locaux, de compétences et savoir-faire variés et complémentaires et d’un tissu d’entreprises de toutes sortes ; ou de questions culturelles (Daviet, 2005) et sociales, avec la présence de groupes humains habitués à un travail industriel. En fonction de cela, le présent appel à article peut être structuré autour de trois axes :

Axe 1 : la profondeur historique du lien entre proximité, industrie et territoires 

À grands traits, il peut sembler que quatre phases interrogent, sur un mode différent à chaque fois, la notion de proximité dans son lien avec l’industrie.

  • Une première phase, à l’époque moderne, voit la proximité jouer un rôle essentiel dans le développement des activités productives. D’abord majoritairement urbaines, elles s’étendent au monde rural au sein d’une reconfiguration des ressources et de circulations des produits et des savoir-faire. La métallurgie est toutefois rurale depuis toujours, car prisonnière des déterminismes énergétiques parce que dévoreuse de charbon de bois produit à même les forêts. L’eau permet aussi d’actionner les roues des moulins et refroidir les métaux forgés. Les moulins, en général, dépendent du précieux liquide telles les tanneries, mégisseries, teintureries, blanchisseries, papeteries, ateliers textiles, par exemple ceux de la Bièvre à Paris (Le Roux, 2010). Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la ressource du travail devient essentielle expliquant, en partie, l’exurbanisation de l’industrie textile (Minovez, 2012).
  • Avec le développement de la mécanisation et donc de l’industrialisation au XIXe siècle, nait une  nouvelle phase au cours de laquelle de nouvelles proximités se nouent à l’origine de nouvelles agrégations. D’une part, des industries lourdes s’établissent à proximité de bassins de matières premières ou d’énergies fossiles, créant des concentrations inconnues jusqu’alors. D’autre part, des territoires industriels se structurent progressivement à partir d’aires de spécialisation productives où des entreprises sont liées entre elles par la division du travail et une forte proximité géographique. Le sentiment d’appartenance et aussi le marché du travail, les formes institutionnelles et les comportements spécifiques qui en découlent, donnent naissance à des formes d’organisation des ressources, différentes de celles observées dans les bassins industriels (Daumas, 2004).
  • Cette organisation, où la proximité joue un rôle essentiel au développement industriel, depuis le XIXesiècle, évolue depuis les dernières décennies du XXe siècle vers une industrie largement marquée par son internationalisation puis son extraversion, dans un contexte de désindustrialisation (Minovez, 2019). La proximité n’y est plus tant territoriale qu’organisationnelle, économique, financière où les coûts et le contrôle des chaînes mondiales d’approvisionnement deviennent majeurs.
  • Enfin, il semble que, depuis les années 2010 au moins, une dernière phase s’ouvre. Elle réinterroge les formes de l’industrie et de leur localisation, à travers des thématiques de proximité tant territoriales qu’organisationnelles ; la question des circuits courts, du made in France, des raisons géostratégiques, environnementales, sociales, culturelles voire éthiques, poussent à ce nouveau changement de paradigme. Elle réintroduit les questions de proximité au cœur des localisations ou relocalisations des activités productives, aussi de la volonté de réindustrialisation.

Axe 2 : les formes de la proximité territoriale dans l’industrie

Au prisme de la proximité entre industrie et territoires, les villes, grandes ou petites, jouent un rôle polarisant essentiel, tant d’un point de vue historique (villes-usines, villes industrielles, etc. – Edelblutte 2020) que d’un point de vue économique (concentration de sous-traitants, de clients, de main d’œuvre qualifiée), social (formation) et culturel (aménités). Au-delà de ces différentes proximités, la place concrète de l’industrie dans la ville et son rapport aux formes urbaines a beaucoup évolué au cours des derniers siècles, créant, façonnant, abandonnant quartiers urbains, voire villes entières. Même au temps de la mondialisation hégémonique, l’industrie reste concrètement attachée à la ville, au sein de Zones d’Activités (ZA) dans de périphéries urbaines banalisées, mais offrant de nombreux avantages en raison de la proximité d’éléments qui favorisent son interconnexion au reste du monde : échangeurs autoroutiers, réseaux divers, disponibilité de main d’œuvre qualifiée, aménités culturelles, etc. Dans le monde rural, la proximité territoriale transparaît aussi au travers des districts industriels aux usines plus petites et plus diffuses mais nombreuses et dynamiques (Marshall, 1898 ; Becattini, 1992). Ces territoires, où les villes restent modestes, traduisent une organisation où la proximité des acteurs joue un rôle fort et se réinventent plus récemment en SPL ou en clusters. À plus petite échelle, des formes plus larges, agglomérant tous ces éléments, forment des vallées, des bassins, voire des régions industrielles. Enfin, la coévolution entre la ville et l’industrie semble maintenant franchir une nouvelle étape, avec la lutte contre l’étalement urbain, pour la fin de ZA toujours plus périphériques et une réintroduction de l’industrie en ville, notamment sur des friches industrielles des générations précédentes.

Axe 3 : une proximité ou des proximités ?

D’un point de vue territorial, proximité et industrie ne se nouent pas que de façon spatiale et pragmatique, en matière de distance physique ; l’usine à côté de la mine, par exemple. En effet, la proximité peut-être entendue, avec un impact territorial certain et visible, de nombreuses façons. D’abord par une proximité économique, organisationnelle, soit entre les différents éléments d’une filière industrielle (avec la présence de sous-traitants, d’intrants, de de clients), soit avec la présence (dans les districts par exemple) de nombreuses petites et moyennes industries sur de spécialités identiques ou proches, dont la concurrence crée une émulation et un essaimage possible. La proximité des acteurs de l’industrie est aussi essentielle pour expliquer la réussite et la résilience de tel ou tel territoire dans ce domaine ; par exemple, les formes diverses de paternalisme impliquent une proximité spatiale entre patrons et ouvriers et une circulation des savoirs tacite et plus aisée dans les relations de face-à-face (Colletis et Pecqueur, 2018). Les proximités financières (développement de banques dans certains territoires industriels), sociales (main d’œuvre formée, savoir-faire spécifiques) ou encore culturelles (identité industrielle forte sur certains territoires de la réindustrialisation), voire politiques (les patrons-maires des villes-usines) sont tout autant de facettes de la proximité liant industrie et territoires.

Ces axes sous-tendent ainsi les questions principales auxquelles ce numéro de Géoproximités souhaite faire échos.

  • La périodisation proposée peut-elle être confirmée, illustrée, précisée ou doit-elle être amendée, voire infirmée ?
  • Comment et quels territoires spécifiques ont-ils pu être créés par les industriels autour de cette idée de proximité ?
  • Comment la ville est-elle aujourd’hui comme celle d’hier est-elle façonnée par les activités industrielles ?
  • Quelles proximités sont-elles en jeu au-delà d’une proximité spatiale ? financière, économique, sociale, culturelle ? En matière de complémentarités de compétences ? etc.

Références 

Becattini Giacomo (1992), Le district industriel milieu créatif, Espaces et Sociétés, n°66-67, p. 147-163.

Colletis Gabriel et Pecqueur Bernard (2018), « Révélation des ressources spécifiques territoriales et inégalités de développement. Le rôle de la proximité géographique », Revue d’Economie régionale et urbaine, n°5-6, p.993-1011. 

Daumas Jean-Claude (2004), Les territoires de la laine. Histoire de l’industrie lainière en France au XIXesiècle, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 419 p.

Daviet Sylvie (2005), Industrie, culture, territoire, Paris, L’Harmattan, 208 p.
Edelblutte Simon (2020), Ville-usine, ville industrielle, ville d’entreprise…Introduction à des approches croisées du fait industrialo-urbain, Revue Géographique de l’Est, vol. 58/3-4. https://journals.openedition.org/rge/9332

Le Roux Thomas (2010), Une rivière industrielle avant l’industrialisation : la Bièvre et le fardeau de la prédestination, 1670-1830, Géocarrefour, vol. 85/3, p. 193-207.

Marshall Alfred (1898), Principles of economics, Traduction française de F. Sauvaire-Jourdan et F. Savinien-Bouyssy. 4ème édition. 1971, Paris, Librairie de Droit et de Jurisprudence.

Minovez Jean-Michel (2012), La puissance du Midi. Les draperies de Colbert à la Révolution, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 306 p.

Minovez Jean-Michel (2019), La désindustrialisation en longue durée, 20 & 21. Revue d’histoire, n° 144, p. 19-33.

Veltz Pierre (2017), La Société hyper-industrielle : Le nouveau capitalisme productif, Paris, Seuil, 128 p.

Responsables du numéro :

Gabriel Colletis, PR émérite en sciences économiques, Université Toulouse Capitole

Simon Edelblutte, PR en géographie, Université de Lorraine

Jean-Michel Minovez, PR en histoire moderne, Université Toulouse Jean Jaurès

Modalités de contribution

Consignes aux auteur.es :

Les auteur·rices doivent envoyer leurs articles à la revue et aux rédacteur·rices du dossier thématique. Ces articles peuvent être basés sur une étude de cas ou offrir une perspective plus théorique, épistémologique.
La revue utilise une évaluation systématique en double aveugle et toutes les propositions d’articles sont évaluées par deux évaluateur·rices.

Deux formats de propositions d’articles sont possibles :

  • Les articles longs. Les articles font 25000 à 50000 signes espaces comprises, hors bibliographie. C’est le format « classique ».
  • Les articles courts. Les articles font 6000 à 11000 signes espaces comprises, hors bibliographie. Ce format, plus incisif, permet d’avancer des éléments plus réflexifs et conceptuels. Il ne s’agit en rien de brèves ou de notes, mais d’articles scientifiques sur un format plus court.

La date limité de réception des propositions est fixée au 21 mars 2025, pour publication à l’été 2025.

Les normes de publication sont détaillées dans la rubrique du site dédiée.

Les contributions sont à adresser :

  • à la revue ( revue.gps(at)gmail.com ), qui accusera réception