Proximity to water in a small city historically built along rivers: an analysis using social connectivity principles in Segré (Maine-et-Loire, France)
Victor Imbert-Bossard
〉Doctorant en géographie
〉Institut Agro Angers
〉UMR 6590 CNRS ESO et UMR BAGAP
〉v.bossard@agrocampus-ouest.fr
Nathalie Carcaud
〉Professeure de géographie
〉Institut Agro Angers
〉UMR 6590 CNRS ESO
〉nathalie.carcaud@agrocampus-ouest.fr
Véronique Beaujouan
〉Maîtresse de conférences en géomatique
〉Institut Agro Angers
〉UMR BAGAP
〉veronique.beaujouan@agrocampus-ouest.fr
〉Article court 〉
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Mots-clés : Connectivité sociale, paysage fluvial, petite ville, rivière urbaine, accessibilité
Abstract: For small cities located on the banks of rivers, the renewal of uses and representations of river systems since the second half of the 20th century questions their place in urban metabolism. In view of the specific territorial issues at this urban scale, rivers and their surroundings can be a source of new potential as part of a socio-ecological transition. In this article, we use the concept of social connectivity of rivers to assess the potential for people to be close to the Oudon and Verzée rivers in the town of Segré, in the west of France. A typology of the forms of social connectivity of the city’s rivers is proposed and discussed in relation to the local environment. The results reveal spatial patterns in the potential for interaction with the rivers. Among other things, their analysis in terms of urban organisation raises questions about projects to regenerate the city centre.
Keywords: Social connectivity, river landscape, small city, urban river, accessibility
Interroger la place de la rivière dans une petite ville
Les villes et les cours d’eau qui les traversent forment des systèmes socio-écologiques dynamiques. De nombreux changements, notamment au 20e siècle, montrent de profondes modifications des rapports des sociétés aux cours d’eau, en termes d’usages, de représentations et de modalités d’intervention. Accompagner la transition des rapports sociétés-rivières vers un équilibre relationnel est un enjeu social et écologique : celui d’une recherche de durabilité ou de résilience. Ces dernières décennies, des recherches se sont intéressées aux processus de réappropriation des rivières en ville, concrétisés par des projets d’amélioration du cadre de vie, la création de nouvelles activités ou la restauration des écosystèmes fluviaux, essentiellement dans de grandes villes ou le long de grands fleuves, qui ne représentent pourtant qu’une fraction des paysages fluvio-urbains (Lespez & al., 2020).
A l’échelle de petites villes fluviales, les relations sociétés-rivières peuvent être questionnées au regard d’enjeux spécifiques : dynamisme démographique, dévitalisation des centres bourg ou étalement urbain. Ces enjeux font écho aux potentiels renouvelés des milieux de rivières : nature en ville, lieux de sociabilisation et de ressourcement, support de tourisme et de loisir, ilots de fraicheur. Nous souhaitons interroger la place que donnent aujourd’hui les petites villes aux rivières qui les traversent : départies de la majorité de leurs fonctions initiales, sont-elles encore structurantes dans l’organisation urbaine ?
La proximité aux rivières sous l’angle de la connectivité sociale
Dans cet article nous aborderons la relation petite ville-rivière et les potentiels de valorisation socio-écologique de ces espaces à partir du concept de connectivité sociale. Le terme de connectivité est communément mobilisé en hydrologie et écologie des cours d’eau pour mesurer la qualité de leur fonctionnement. Il désigne entre autres les flux de matériaux, d’énergie et d’organismes au sein et entre les composantes des hydrosystèmes : lit mineur, plaine alluviale, aquifères (Kondolf & al., 2006). Pilier des projets de restauration écologique des cours d’eau et des politiques de Trames Vertes et Bleues, il est cependant longtemps resté à l’écart de considérations sociales.
Le concept de connectivité sociale des rivières, ou connectivité hydrosociale (Germaine & Temple-Boyer, 2022) est défini par Kondolf et Pinto (2017) comme « la communication et le mouvement de populations, de biens, d’idées et de cultures le long et à travers les rivières, reconnaissant une connectivité longitudinale, latérale et verticale. ». Appliqué à un territoire, il reconnait ainsi la manière dont l’organisation des rivières et de leur environnement permet les circulations et offre des potentiels d’interaction. D’un point de vue matériel, on s’intéresse alors à la capacité pour les populations d’arpenter la rivière, d’accéder à ses berges, son lit ou d’en traverser le cours.
Principalement mobilisée à l’échelle de grandes agglomérations et de fleuves (Andersen, 2022 ; Che & al., 2012 ; Hermida & al., 2019), la notion l’a été plus récemment pour analyser la configuration spatiale d’une petite rivière d’île de France (Germaine & al., 2021). Nous avons ici souhaité mobiliser la connectivité sociale pour étudier le potentiel de proximité à la rivière dans une petite ville historiquement marquée par la présence de l’eau.
Segré, petite ville fluviale de la vallée de l’Oudon
Dans le Maine et Loire, loin des politiques patrimoniales de la Loire et des projets de requalification des berges de la métropole Angevine géographiquement proche, Segré est une ville de moins de 10 000 habitants, traversée par l’Oudon, un affluent de la Mayenne (Figure 1). Bâtie en zone de confluence, la ville est historiquement un lieu stratégique ; sa position d’interface, au départ de la partie navigable de l’Oudon et ouverte sur les bassins de la Maine et de la Loire, en a fait un port d’importance. Oudon et Verzée ont été successivement supports d’activités industrielles et domestiques (Figure 2) dans une forme d’appropriation ayant régulièrement eu ses revers, du fait d’épisodes de crues rapides et importantes de l’Oudon. Dans la seconde moitié du 20e siècle, la majorité des usages s’éteignent et seule subsiste la navigation de plaisance. Dans le même temps la ville subit des changements structurels importants dont le déclin de l’activité du bourg et le vieillissement de la population sont les principales conséquences. L’évolution du métabolisme urbain de Segré pose, au regard de celle des usages des rivières, la question de l’intégration de l’Oudon et de la Verzée dans le développement actuel de la ville. Malgré leur position centrale, l’organisation spatiale est-elle vectrice de formes de proximités ?
Figure 1: Localisation de Segré, de son bassin versant à son centre urbain
Figure 2 : Segré au 20e siècle (A) et en 2023 (B) / A : l’Oudon depuis le quartier du vieux pont, on trouve à gauche les Tanneries Lepage (Source : AD49) ; B : : la confluence Verzée-Oudon aujourd’hui, on trouve à gauche l’actuel port de plaisance. (Photo : V.I-B)
Une approche spatiale et quantitative des proximités
L’étude de la connectivité sociale des rivières de Segré repose sur une analyse spatiale quantitative mobilisant conjointement systèmes d’information géographique et outils statistiques.
L’espace étudié est l’environnement fluvial des rivières Oudon et Verzée au sein du périmètre de la commune de Segré. Il est compris comme l’étendue autour du cours d’eau où la présence et l’influence de ce dernier est perceptible. Nous l’avons défini arbitrairement comme une zone tampon de 100m de large, de part et d’autre du lit mineur (Figure 2). Afin d’étudier la variabilité spatiale la connectivité sociale le long des cours d’eau, la zone d’étude a été découpée à intervalle de 100m pour former 166 polygones homogènes le long des rivières.
Un ensemble d’indicateurs de connectivité sociale a été défini sous formes de variables qualitatives à trois niveaux d’expression (Tableau 1) : paramètres d’accessibilité (accès à la berge, accès à l’eau, cheminement longitudinal), indicateur de connectivité visuelle (capacité à voir la rivière), indicateur relatif aux équipements favorisant l’accueil et la proximité en bord de rivière (parkings, tables, bancs, aires de jeux). Plusieurs indicateurs quantitatifs de description du territoire, dits « contextuels » ont été calculés pour identifier de potentielles logiques spatiales de la connectivité sociale : pente moyenne, part du foncier public, indice de végétation et volume bâti.
Chaque indicateur a été calculé au sein des 166 unités polygonales à partir de bases de données de l’IGN (BD TOPO, RGE Alti) et du CEREMA (Référenciel Foncier Public), ou par arpentage du secteur d’étude, observation et interprétation. Le tableau de données a été traité sous R, par une Analyse des Correspondances Multiples puis une Classification Ascendante Hiérarchique pour étudier les relations entre les variables et leur répartition spatiale.
Figure 3 : Processus de création des unités spatiales d’analyse des indicateurs de connectivité sociale, réalisé sur QGIS
Tableau 1: Indicateurs mobilisés pour l’analyse spatiale de la connectivité sociale
Résultats
L’extraction et l’analyse statistique des indicateurs de connectivité sociale a permis de différencier cinq classes (Tableau 2). La classe 1 (C1) se caractérise par l’absence de formes de connectivité. C2 et C3 présentent des configurations où la connectivité est limitée. La première est qualifiée de « distante » car elle s’exprime dans la possibilité de longer la rivière en étant à plus de 10m de celle-ci. La visibilité y est partielle, conséquence de cette distance et de la présence de végétation et de bâti dans l’espace intermédiaire. La seconde est qualifiée de « ponctuelle » car elle s’exprime en un espace limité. Elle est ici permise par la présence de traversées, souvent associées à des équipements d’accueil du public. C4 et C5 présentent des configurations où la connectivité s’exprime dans la combinaison de plusieurs paramètres. On les qualifie de « multidimensionnelles ». Au sein de C4, la connectivité passe par la présence d’une continuité longitudinale sur berge, une pleine visibilité de la rivière et la possibilité d’accéder à l’eau. C5 reprend cette même base, se différenciant par la présence d’équipements d’accueil et d’accès à l’eau aménagés.
La cartographie des classes (Figure 4) et les indicateurs contextuels donnent des éléments de lecture sur les logiques d’organisation et de répartition des formes de connectivité sociale. On observe tout d’abord une surreprésentation de la classe « absence de connectivité » en dehors des zones urbaines. Sont associés à ces secteurs des indices de végétation forts, un faible taux de foncier public et une pente moyenne relativement faible.
La connectivité dite « distante » est associée à des valeurs de pente moyenne fortes. Les secteurs concernés se trouvent ainsi majoritairement rive gauche de l’Oudon et en rive droite de la Verzée, proches de zones bâties. La topographie y limite l’urbanisation mais la berge est occupée par des jardins familiaux et habitations qui maintiennent le visiteur à distance. La connectivité « ponctuelle » suit la répartition des différents points de traversée de la rivière. Le contexte associé est celui d’un volume bâti important.
Les classes de connectivité « multidimensionnelles » sont associées à des forts taux de foncier public. On les retrouve majoritairement en rive droite de l’Oudon. Une partie se trouve matérialisée à l’Ouest dans le parc communal de l’Oudon, qui offre une continuité longitudinale sur près de 1500m dans un environnement peu urbanisé. L’autre partie, à l’Est du bourg, se structure autour de l’ancien chemin de halage départemental. Dans un environnement plus ouvert, le secteur présente différents points d’accès aménagés liés à la navigation.
Tableau 2: Formes de connectivité sociale des rivières obtenues à partir de l’analyse spatiale. Le type de connectivité est une interprétation de l’association des valeurs caractéristiques de la classe. Ces dernières sont soulignées en orange dans les représentations. La part des individus concernés par chaque type est exprimée en pourcentage.
Figure 4: Cartographie des formes de connectivité sociale de l’Oudon et de la Verzée dans le périmètre de Segré
Discussion
L’analyse proposée a permis d’observer de quelle manière la configuration territoriale d’une petite ville comme Segré donne la possibilité aux individus d’interagir avec ses rivières. Malgré l’importance historique des cours d’eau, on constate que la connectivité sociale des rivières n’existe que dans la moitié de l’environnement fluvial communal. Dans ce périmètre, le noyau urbain apparait comme support de connectivité sociale, notamment au travers des aménagements associés aux mobilités qui la structurent. Cependant, les formes de connectivités multidimensionnelles se positionnent davantage en périphérie de celui-ci. La circulation y est favorisée par la proximité directe de la zone urbaine tandis que la faible densité d’aménagement offre davantage de potentiels accès physiques et visuels à la rivière. Ils correspondent aux espaces de parcs et promenades, dont le rôle de vecteur de connectivité sociale a été appuyé (Germaine & al., 2021). Ici, les résultats sont venus souligner l’importance de la part de foncier public dans l’expression de formes de connectivité multidimensionnelles. Certaines sont héritées d’usages historiques : l’ancien chemin de halage de l’Oudon a permis de maintenir une ouverture sur la rivière, à l’inverse de la berge opposée, tandis que des accès à l’eau sont hérités d’usages domestiques (lavoirs, abreuvoirs).
Au regard des enjeux énoncés en introduction, l’un des points importants concerne l’hétérogénéité des formes de connectivité sociale du bourg. L’importance des configurations « partielles » et « ponctuelles » questionne d’autant plus la place de la rivière que ces espaces représentent une centralité de l’activité urbaine. Peut alors se poser la question de l’influence de cette fragmentation sur la perception et la représentation de la rivière. Dans une perspective de transition socio-écologique où la conscience et la capacité d’interaction avec les écosystèmes importent, la promotion de formes de connectivité sociale des rivières représente un enjeu pour les politiques urbaines. A Segré, où un projet de réhabilitation du cœur de ville est programmé entre 2017 et 2030, ces enjeux semblent cependant encore secondaires pour la municipalité. Les orientations choisies témoignent d’enjeux spécifiques à l’échelle : attractivité commerciale, amélioration de l’habitat… Dans ce contexte, la cartographie de la connectivité sociale peut représenter un outil de questionnement sur la place de la rivière dans la ville et le projet de territoire.
Références bibliographiques :
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Che, Y., Yang, K., Chen, T. & Xu, Q., 2012, « Assessing a riverfront rehabilitation project using the comprehensive index of public accessibility », Ecological Engineering, n° 40, p. 80–87, DOI: 10.1016/j.ecoleng.2011.12.008
Germaine M.-A., Rabia A. & Woh, N., 2021, « Caractériser la connectivité sociale des petites rivières urbaines : l’exemple du Morbras (Ile-de-France) », Nanterre : université Paris Nanterre, PIREN-Seine, rapport d’activité, 16 p.
Germaine M.-A. & Temple-Boyer É., 2022, « Un diagnostic de connectivité hydrosociale pour appréhender les potentialités d’usage des petites rivières urbaines : exemple du Croult et du Petit Rosne (Île-de-France) ». L’Espace géographique, n°51, p. 212–237, DOI: 10.3917/eg.513.0212
Hermida M.A., Cabrera-Jara N., Osorio P. & Cabrera, S., 2019, «Methodology for the assessment of connectivity and comfort of urban rivers, Cities, n°95, , DOI: 10.1016/j.cities.2019.06.007
Kondolf G.M., Boulton A.J., O’Daniel S., Poole G.C., Rahel F.J., Stanley E.H., Wohl E., Bång A., Carlstrom J., Cristoni C., Huber H., Koljonen S., Louhi P. & Nakamura K., 2006, « Process-Based Ecological River Restoration: Visualizing Three-Dimensional Connectivity and Dynamic Vectors to Recover Lost Linkages », Ecology and Society, n°11.
Kondolf G.M. & Pinto P.J., 2017. « The social connectivity of urban rivers » . Geomorphology, n°277, p. 182–196, DOI: 10.1016/j.geomorph.2016.09.028
Lespez, L., Carré C., Germaine M-A., Gob F. & Tales E., 2020, « Considérer les cours d’eau périurbains comme des hybrides : réflexions méthodologiques du projet PARISTREAMs ». PIREN-Seine phase 8-Rapport 2020. PIREN Seine., 9 p.
Pour citer cet article :
IMBERT-BOSSARD Victor, CARCAUD Nathalie, BEAUJOUAN Véronique « La proximité à l’eau au sein d’une petite ville historiquement liée à ses rivières : une analyse par la connectivité sociale à Segré (Maine-et-Loire) », 3 | 2024 – Villes petites et moyennes en transition, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ ark:/84480/2024/09/19/vpm-ac5/