Le maintien à domicile : entre le care, l’habitat (social) et les soins médicaux

Staying at home : between care, (social) housing and health care

Marion Ille-Roussel 
〉Postdoctoral JSPS Fellow, études urbaines
〉Tokyo Metropolitan University 
〉CRH – Lavue UMR 7218

〉Marion.ille@paris-valdeseine.archi.fr

〉Article court 〉

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Mots clés : Care, champ, habitat, habitat social, maintien à domicile

Abstract: 

Staying at home is a central concept of ageing policies that describes the ability to age in an independent dwelling, as opposed to living and being taken care of in a nursing home. Staying at home is facilitated by physical adaptation of the building, technical support and/or the help of people. Staying at home is made possible by the participation of various stakeholders as parts of the (social) housing sector, home-care sector and health care system. As we show in this article, those sectors are coming closer and may overlap. Social housing providers in France, the UK and Germany participate in the definition of staying at home as housing stakeholders who plan to continue building and managing housing. They defend a vision of housing as support for (home)care and care. Social landlords do not develop homecare and health care services but may offer social support before or in addition to homecare. Dwelling’s adaptation should allow people to stay at home, but also facilitate the activities of caregivers. The support of inhabitants by other stakeholders is made possible by the activities as builders and housing managers of social housing organizations. Housing defines homecare and frames the space of care.  

Keywords: Care, staying at home, housing, social housing, ageing in place

Le maintien à domicile, notion centrale des politiques du vieillissement, décrit le fait de pouvoir rester dans un logement indépendant, l’âge avançant, par opposition à un logement médicalisé. Le vieillissement sur place est facilité grâce à des changements ur le bâti et les équipements du logement et/ou l’aide de personnes extérieures. Cette aide humaine rentre dans la définition du terme care, issu de l’anglais qui décrit les activités réalisées pour ou avec une personne pour faciliter son quotidien et qu’elle vive dignement (Brugère, 2021 ; Daly & Lewis, 2000)[1]. Cet accompagnement peut avoir lieu dans un cadre privé (les aidants familiaux) ou commercial (les aides ou services à domicile). Nous étudions dans cet article la manière dont les bailleurs de logements sociaux européens s’engagent dans le champ du maintien à domicile en défendant leur positionnement d’acteurs de l’habitat et en participant à une certaine définition du care. Nous choisissons dans cet article d’utiliser la notion de champ du maintien à domicile pour discuter de la proximité et porosité qui s’observent entre l’habitat (social) et le care et la participation d’acteurs de différents secteurs au maintien à domicile. Les secteurs de l’habitat, des soins médicaux ou encore de l’aide à domicile sont composés d’acteurs aux fonctions identifiables qui participent et orientent la définition du maintien à domicile par leurs actions et objectifs (Bourdieu, 1971) (voir figure 1).

Figure 1 : Schéma du maintien à domicile.  Auteur.es : Marion Ille-Roussel et Clément Leloup, 2024

Les résultats présentés sont issus d’une enquête au sein de trois régions européennes : le Département du Nord en France, la métropole de la Ruhr en Allemagne et Greater Manchester en AngleterreUne centaine d’entretiens semi-directifs a été réalisée entre 2021 et 2022 avec des salariés et dirigeants d’entreprises d’habitat social, des élus et des acteurs associatifs du champ du vieillissement et de l’habitat puis complétée par des visites de terrain. Cette étude comparative convergente (Kemeny & Lowe, 1998) a suivi une approche néo-institutionnaliste (Powell, 1991). L’analyse des discours des bailleurs montre des acteurs qui continuent à penser leur activité autour du logement. Ils défendent une vision de l’habitat comme soutien au care et à la santé. Enfin ils souhaitent prévenir la perte d’autonomie pour limiter le recours à un care externalisé et le changement de leurs activités.  

1 . Des activités de constructeurs et gestionnaires à destination des personnes vieillissantes

Depuis une vingtaine d’années, les bailleurs sociaux européens s’intéressent au vieillissement des locataires de leur parc et à l’inadéquation entre leurs pratiques et les besoins de ces habitants. Ainsi, en France et en Angleterre plus de 30% des locataires du parc social a plus de 60 ans[2]. Pour répondre à ces nouveaux besoins, les bailleurs sociaux anglais, allemands et français développent des stratégies seniors qui regroupent à la fois des offres d’habitat spécifique pour les 60 ans et plus, l’adaptation du parc de logements existant et une gestion locative spécifique. Ils gèrent différentes formes d’habitat pour personnes âgées (Argoud, 2008) et participent à l’adaptation des logements et à leur massification. Des formations sont proposées par des organismes locaux de l’adaptation ou des chambres du commerce et de l’industrie (CCI), en partenariat avec les bailleurs sociaux. Ils font ainsi partie des co-fondateurs du Cluster Senior porté par la CCI de l’Artois[3]. À côté de leur intervention dans les logements, les bailleurs sociaux développent des espaces extérieurs qui favorisent le « vieillir à domicile » comme en installant des bancs pour soutenir les déplacements au sein des quartiers. 

Les organismes imaginent également des modes de gestion locative adaptés aux enjeux du vieillissement. Ils limitent par exemple le nombre d’interlocuteurs pour les locataires vieillissants et leur proposent des espaces de convivialité dédiés. Les bailleurs recrutent des travailleurs sociaux ayant acquis une expertise de l’accompagnement social des personnes vieillissantes : Conseillèr·e en Economie Sociale et Familiale (CESF), social worker, SozialarbeiterIn. Ils et elles ne réalisent pas l’accompagnement du care ou de soin, mais encouragent et mobilisent leurs réseaux pour intervenir sur « leurs » quartiers (Leclercq, 2021). 

Les différentes formes d’habitat et de services développés témoignent d’un besoin de combiner une offre de bâti avec un accompagnement spécifique des habitants âgés. Afin de proposer ces offres, les bailleurs sociaux s’entourent d’acteurs des secteurs gérontologique et médical. Ils reconnaissent la spécificité des métiers de chacun, qu’une représentante d’association gérant des habitats inclusifs[4] résume ainsi : « [les bailleurs], le médico-social ce n’est pas leur cœur de métier. Eux, c’est de construire et gérer des logements ».

2 . Des interventions qui s’arrêtent là où le care commence

2 . 1. Des lieux d’intervention qui diffèrent entre les acteurs de l’habitat et ceux du care

Les lieux d’intervention des acteurs permettent de différencier ceux de l’habitat de ceux du care. En dehors de l’installation et des contrôles réguliers des équipements, les bailleurs sociaux n’interviennent pas dans les logements et ne sont pas amenés à utiliser les équipements qu’ils ont pu installer. L’accompagnement des locataires a généralement lieu à l’extérieur des logements. À l’inverse, les acteurs privés ou professionnels du care interviennent au quotidien auprès des locataires. Le care prend toute son importance au domicile de la personne. Les professionnels du care participent aux manières d’habiter de la personne, aux actions du quotidien (Dussuet, 2017). Le vocabulaire utilisé pour désigner ce care professionnalisé marque son ancrage dans le logement : aide à domicile, House care, Hausliche Pflege. Il est ici intéressant de noter que les aidants familiaux sont peu présents dans les discours des bailleurs. Cette absence peut s’explique par leur intégration à la sphère familiale et privée autant aux yeux des individus que dans le fonctionnement de l’État social (Daly & Lewis, 2000).

2. 2. L’habitat et l’aide à domicile, des activités complémentaires : support, care et soins médicaux 

S’il est difficile de traduire en français les nuances entre support, care et health, l’anglais permet de mieux différencier l’intervention des acteurs de l’habitat de ceux de l’aide à domicile. La gestion locative peut proposer des systèmes de détections des vulnérabilités, d’accompagnement aux droits et d’animation du vivre ensemble pour soutenir et accompagner l’habiter, mais ne participe pas à la vie dans le logement. La limite entre les activités de support aux locataires des bailleurs et des acteurs du care peut paraitre fine à l’exemple des services de téléassistance gérés par les premiers. Cependant, comme la directrice de l’habitat pour personnes âgées d’un bailleur anglais l’affirme lors de la présentation du service, ils ne proposent qu’un premier niveau d’assistance qui permet aux personnes d’avoir un quotidien indépendant et de désengorger le service d’appel des urgences.  Ce soutien à l’habitat des bailleurs facilite l’intervention des organismes du care, tout comme l’intervention des services de soins médicaux. Des partenariats préférentiels avec des acteurs médicaux et du care sont possibles comme avec les services d’aides à domicile. Cependant, un service de care ou de soin médical ne peut, dans aucun des pays étudiés, être imposé aux locataires et être intégré au contrat de location, à la différence du service de support à l’habitat. Si l’on reprend les définitions du care, les bailleurs sociaux ne réalisent pas le travail domestique pour les locataires à la différence des acteurs du care (Tronto, 2008). Les bailleurs ont un rôle d’intermédiaires, de mise en relation entre le public ciblé et les prestataires privés. 

3.      Le logement et l’habitat pour faciliter le care

On remarque un positionnement de soutien au care, partagé par les secteurs des trois pays. Les mesures techniques d’adaptation des logements doivent favoriser le maintien à domicile des personnes, mais également l’intervention d’aidants. Les travaux réalisés grâce à l’aide à l’adaptation de la Pflegekasse(Wohnumfeldverbessernde Massnahmen) doivent « permettre l’aide à domicile, faciliter ou permettre de nouveau une vie en autonomie du bénéficiaire »[5]. L’intervention d’une personne extérieure est donc prise en considération dans cet instrument de politique publique mobilisé par les bailleurs allemands. Les bailleurs français souhaitant être labélisés HSS®[6] sont également encouragés à choisir des douches qui permettent le soutien facilité d’un aidant aux soins quotidiens. Le lieu d’habitation des personnes devient un espace de travail pour les aidants (Ennuyer, 2014). Les limites du logement social dans l’accompagnement des personnes vieillissantes dépendent des possibilités d’intervention des acteurs du médical et du care au sein des logements. Si les acteurs de ces secteurs ne peuvent plus intervenir, le logement habité ne correspond plus aux besoins de la personne. Les échanges avec des gestionnaires d’habitats spécialisés pour personnes vieillissantes comme les Extra Care en Angleterre montrent que les déménagements vers des établissements médicalisés font généralement intervenir les familles (le care domestique) et des acteurs médicaux. Les bailleurs sociaux et le logement sont un soutien au care et à l’aide médicale.

Figure 2 : Liens entre habitat, care et soins médicaux. Auteure : Marion Ille-Roussel, 2024

Discuter la notion de maintien à domicile permet d’identifier les liens entre l’habitat, le care et les soins médicaux. Les acteurs de l’habitat seraient l’avant-garde qui permettrait de faire reculer le besoin en care puis d’un traitement médical. L’habitat (social) permet aux de réaliser les tâches du quotidien en autonomie avant de bénéficier d’aides extérieures pour limiter les interventions médicales. Le rôle de constructeurs et logeurs des bailleurs permet l’accompagnement des habitants par des acteurs d’autres secteurs. L’habitat définit et devient le cadre du care.

 

Références bibliographiques :

Argoud D., 2008, « l’habitat et la gérontologie: deux cultures en voie de rapprochement? Enquête auprès des nouvelles formules d’habitat pour personnes âgées », Commmande du PUCA, Programme de Recherche « Vieillissement de la population et habitat », Marché n°F06.41/0600449, Paris, Plan Urbanisme Construction et Architecture.

Bourdieu P., 1971, « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie12, 3, p. 295‑334.

Brugère F., 2021, « Chapitre premier. Le thème du care la voix des femmes », dans L’éthique du « care », Paris, Presses Universitaires de France (Que sais-je ?), p. 7‑45.

Daly M. & Lewis J., 2000, « The concept of social care and the analysis of contemporary welfare estates », British Journal of Sociology51, 2, p. 281.

Dussuet A., 2017, « Le « travail domestique » : une construction théorique féministe interrompue », Recherches féministes30, 2, p. 101‑117.

Ennuyer B., 2014, Repenser le maintien à domicile-2e éd.: Enjeux, acteurs, organisation, Dunod.

Kemeny J. & Lowe S., 1998, « Schools of comparative housing research: From convergence to divergence », Housing studies13, 2, p. 161‑176.

Leclercq B., 2021, Le marché du vivre ensemble? Entre professionnalisation de l’intermédiation bailleurs-locataires et pacification des conflits dans grands ensembles HLM., Thèse en Sociologie Urbaine, Paris Saint-Denis.

Powell W.W., 1991, « Expanding the Scope of Institutional Analysis », dans Powell W.W., DiMaggio P. (dirs.), The New institutionalism in organizational analysis, Chicago, University of Chicago Press, p. 183‑204.

Tronto J.C., 2008, « Du care », Revue du MAUSS32, 2, p. 243‑265.


[1] Nous nous intéressons ici au care à destination des personnes vieillissantes et ne mobilisons qu’une partie minime de la littérature sur le care.

[2] Les locataires Hlm et les demandeurs. L’Union sociale pour l’habitat. https://www.union-habitat.org/union-data/les-locataires-hlm-et-les-demandeurs dernier accès: 01/01/2024.

[3] Au côté d’acteurs du service à la personne de la gérontologie, de la santé, de la recherche et de collectivités territoriales.

[4] Ici un ensemble de logements individuels à destination de personnes en situation de handicap ou vieillissantes partageant des espaces communs et un accompagnement humain pour un projet de vie commune. 

[5]« als Zuschuss für Anpassungsmaßnahmen zahlen, die die häusliche Pflege in der Wohnung ermöglichen, erheblich erleichtern oder eine möglichst selbstständige Lebensführung der pflegebedürftigen Person wiederherstellen. » (citation du site officiel du ministère). https://www.bundesgesundheitsministerium.de/leistungen-der-pflege/wohnumfeldverbessernde-massnahmen, dernier accès : 05/01/2023. 

[6] Label Habitat Senior Services® pour l’habitat social https://www.habitatseniorservices.fr/, dernier accès : 05/01/2023.

Pour citer cet article :

ILLE-ROUSSEL Marion « Le maintien à domicile : entre le care, l’habitat (social) et les soins médicaux », 2 | 2024 – Le care : une notion des proximité(s) ?, GéoProximitéS, URL : https:// geoproximites.fr/ark:/84480/2024/06/01/ care-ac11/