Métropolisation et recomposition territoriale d’une petite ville à la périphérie de Tunis : le cas de Soliman

Faouzi Zeraï
〉Maître de conférences HDR en géographie
〉Université de Tunis
〉LR « Gouvernance et Développement Territorial » 〉

〉Article court 〉

Télécharger l'article. 0-2023 Zerai

La métropole de Tunis est la plus grande ville de la Tunisie avec ses 2.9 millions d’habitants en 2021 (Institut National de la Statistique, 2022). Elle est entourée de deux couronnes de petites et moyennes villes. Ces centres urbains forment des points d’appui, pour la capitale tunisienne, boostant son rôle primordial de relais entre le pays et le monde.

En effet, ces petites et moyennes villes, entourant Tunis, ont attiré la population de l’intérieur du pays et du territoire du District de Tunis. La proximité de ces centres urbains de la ville de Tunis (entre 30 et 70 km) et la bonne articulation de tout le système métropolitain, grâce aux infrastructures de transport (autoroutes, routes rapides, routes nationales et lignes de chemin de fer) reliant Tunis à son arrière-pays, a formé une vaste « zone de solidarité métropolitaine » (Dlala, 2007).

Soliman est une petite ville qui comptait 37 749 hab. en 2014(INS, 2014). Sa taille démographique a été estimée à 44 672 hab. au 1 er janvier 2022 (INS,2022). Elle fait partie des centres urbains de la première couronne de Tunis. Ce qui la distingue des autres villes périurbaines de Tunis comme Kalaet El Andalous (Zerai, 2016), c’est son excellente connexion au centre de la métropole nationale grâce à des axes de circulation directs (30 km). Cela assure une rapidité de déplacement pour la population et les acteurs économiques tels que les industriels et les investisseurs dans les services.

Elle se positionne dans la zone d’influence directe de la capitale. Cette dernière joue le rôle de pôle et dirige le réseau urbain du Nord- Est (le seul réseau urbain complet de la Tunisie) qui se compose de cinq niveaux de centres urbains sont (DGAT, 2008) : une métropole, trois centres régionaux, 18 villes subrégionaux, 17 centres locaux et 15 centres de base. Soliman est dans la catégorie des centres subrégionaux.

Plusieurs manifestations indiquent le renforcement de la relation de Soliman en tant que ville de l’aire de solidarité métropolitaine avec l’agglomération de Tunis. On cite notamment, la proximité géographique qui peut expliquer l’intensification des navettes quotidiennes entre les deux espaces urbains, la croissance rapide de la population de Soliman, le développement de l’activité industrielle et l’étalement urbain fulgurant de son tissu urbanisé.

  1. L’intensification des déplacements quotidiennes

 Après l’aménagement et l’élargissement de la Route régionale n° 26 (RR 26 ) qui  relie Soliman à la banlieue littorale Sud de Tunis et celle qui relie la ville étudiée à Menzel Bouzelfa (RR 43), l’allongement de la ligne des trains de la banlieue sud de Borj-Cedria à la Cité Soliman – Erriadh. La fréquence des navettes sur la RR 26 a ainsi augmenté et le nombre de véhicules a évolué de 9875 en 1997 à 13000 en 2010 pour culminer à 15000 en 2019, selon la Direction Générale des Ponts et Chaussée (Ministère de l’Equipement de l’Habitat).  Pour la population locale de Soliman[1], Tunis est plus proche que la ville de Nabeul (chef-lieu du gouvernorat[2]). Cette proximité est due à la rapidité et la relative facilité d’accès au centre de la capitale Tunis, en empruntant un seul moyen de transport non public (bus, train de banlieue ou taxi collectif). En revanche, pour joindre Nabeul, il est nécessaire d’utiliser deux moyens de transport (bus et taxi pour arriver à la ville de Grombalia puis utiliser un taxi collectif pour joindre Nabeul).

Le rapport de présentation du Plan d’Aménagement Communal de Slimane (2009) souligne que « la trame viaire de la commune de Soliman vient confirmer la situation de carrefour de la ville entre la capitale et l’arrière-pays du Cap Bon ».

Par ailleurs, Tunis exerce une forte influence sur son arrière-pays, y compris les villes périurbaines, grâce à ses diverses fonctions urbaines de haut niveau. La nature de la proximité de la ville étudiée par rapport à Tunis est double : géographique et fonctionnelle (Gallaud et al., 2012). Soliman est une petite ville dynamique et attractive.

2. Croissance rapide de la population de Soliman

L’effectif de la population de Soliman a enregistré une augmentation continue depuis l’indépendance (Tab. n°1). Le rythme de cet accroissement est particulièrement rapide depuis le début des années soixante-dix. Le taux moyen de variation de la population a évolué de 2.6 % pour la période 1984-1994 à 3% environ pour les deux décennies suivantes.

Tableau 1. Evolution de la population et du taux d’accroissement annuel moyen de la population de Soliman entre 1956 et 2014 selon les périodes (%)

 19561966197519841994200420142021
Soliman74628788133671655921413290603774944672
Tx an.acc. %1.61.82.42.63.12.7  2.5  
               

Source : Institut National de la Statistique (INS).

Station de bus et de taxis collectifs de Soliman. F. Zeraï.
Station de bus et de taxis collectifs de Soliman. F. Zeraï.

Le nombre des ménages a également évolué, passant de 7168 en 2004 à 9607 en 2014 enregistrant un taux annuel d’accroissement de 3 % contre 2.3 % pour l’espace communal du gouvernorat de Nabeul.

Cet accroissement assez rapide a été accompagné par un boom du parc de logements. Entre 1994 et 2014 le nombre de logements a plus que doublé (2,6 fois) passant de 5708 à 12249 unités. Le taux annuel de variation des logements à Soliman est de 4.2 % pour la période 2004-2014 contre 3.4 % pour Beni Khaled et 2.7 % pour Menzel Bouzelfa, les deux villes voisines (I.N.S).

3. Mutation et consolidation de l’activité industrielle

La base économique de la ville s’est diversifiée suite au développement du secteur industriel. Dès le début des années soixante-dix, quelques unités industrielles modernes (textiles et agroalimentaires) ont vu le jour. La ville a été dotée de trois zones industrielles, situées le long des principaux axes routiers de la ville (route de Menzel Bouzelfa à l’Est (45 ha), route de Tunis à l’Ouest (20 ha), route de Korbous au Nord -Est (10 ha))[3] et aménagées par l’Agence Foncière de l’Industrie et la Municipalité. Le nombre d’usines est passé de 10 en 1975 à 59 en 1996 pour atteindre 105 en 2002. Le nombre de postes d’emploi est passé de 100 en 1975 à 3165 en 1996, 5000 en 2010 et 12707 en 2020 (CGDR, 2020).  Ainsi « L’industrie est considérée comme l’un des leviers du développement de la ville, et fait preuve d’un dynamisme remarquable » (Commune de Soliman, 2009, p.11).

L’espace industriel forme une composante essentielle de l’occupation du sol urbain. L’implantation des unités industrielles à Soliman est la conséquence de plusieurs facteurs, les plus marquants étant :

  • la proximité de Soliman de Tunis (30 km du centre-ville et 10 km de la banlieue littorale Sud) qui permet aux investisseurs de bénéficier des équipements et des services de haut niveau de Tunis notamment le port commercial de Radès, l’aéroport de Tunis-Carthage, la Banque centrale et autres importants équipements, 
  • les encouragements de l’Etat aux investissements privés, locaux, et étrangers, depuis le début des années soixante-dix, dans le cadre du Code des Investissements Industriels qui accorde plusieurs avantages fiscaux notamment au capital étranger ;
  • la présence d’une main d’œuvre abondante et bon marché ;
  • la tolérance des pouvoirs publics quant à l’implantation industrielle en pleine zone agricole.

4. Etalement rapide et non maitrisé de l’espace urbanisé

L’espace urbain a considérablement évolué passant de 92 ha en 1989 à 382 ha en 2004 pour atteindre 865 ha en 2014 et dépasser 1000 ha en 2021 (Google Earth et autres ressources).

Le rythme de l’étalement urbain s’est intensifié dès la fin des années soixante-dix, dépassant le rythme d’accroissement de la population. Entre, 2004 et 2021, le taux annuel d’accroissement de l’espace urbanisé est de 5.8% contre 2.5 % pour la population[4] .

Cette ampleur de l’étalement urbain s’expliquerait par :

  • la forte demande de terrains à bâtir et la multiplication des projets résidentiels et touristiques notamment à Soliman plage durant les deux dernières décennies ;
  • la prédominance de l’habitat horizontal (rareté des immeubles et des résidences collectives) ;
  • l’importance de l’habitat dispersé grand consommateur d’espace (habitat non réglementaire ou habitat rural) ;
  • L’extension des banlieues du littoral Sud de Tunis. (les projets résidentiels ont dépassé les limites de Hammam Chott – Borj Cedria en direction de Soliman Plage suivant la route longeant le littoral par la réalisation de projets résidentiels programmés comme « Cité Erriadh » projet réalisé par l’Agence Foncière de l’Habitat.

En somme, l’évolution future de Soliman est intimement liée à la proximité de l’agglomération de Tunis et qu’on prévoit que sa population atteigne 70 000 habitants en 2025. Soliman formera à cette date, une « banlieue lointaine » du Grand Tunis, car l’espace urbanisé de Soliman sera soudé à celui de la banlieue Sud littorale (Borj-Cedria), les navettes quotidiennes de la population entre la ville et Tunis seront plus intenses. On prévoit aussi, que la base économique de la ville notamment industrielle et touristique sera diversifiée et plus orientée vers la capitale. La place de la ville comme centre « métropolitain » de solidarité à Tunis sera consolidée.

L’espace métropolitain de Tunis. Faouzi Zerai.
Localisation de la ville de Soliman. Faouzi Zerai, 2014

Références bibliographiques :

Bennasr A., 2003, « L’étalement urbain de Sfax », Revue Tunisienne de Géographie, 2003, 36, pp.49-87.

Commissariat général de développement régional (CGDR), 2020. Le gouvernorat de Nabeul en chiffres, 163 p.

Commune de Soliman, 2009. Rapport de présentation du Plan d’Aménagement Urbain de la Commune de Soliman, 65 p.

DGAT, 2008.  Schéma Directeur d’Aménagement de la Région Economique du Nord-Est, Rapport de 1ère phase, 178 p.

Dlala H., 2007. « Métropolisation et recomposition territoriale du Nord-Est tunisien », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne],: http://cybergeo.revues.org/13863 ; DOI : 10.4000/cybergeo.13863.

Gallaud D., Martin M., Reboud S., Tanguy C., 2012, « Proximités organisationnelle et géographique dans les relations de coopération : une application aux secteurs agroalimentaires », Géographie, économie, société,  3 (Vol. 14), pp 261 à 285

Institut national de la statistique, 2014, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, http://www.ins.tn

Institut national de la statistique, 2022, Estimation de la population selon les délégations et les communes, http://www.ins.tn

Zerai F., 2016, « Effets de la métropolisation sur les petites villes du District de Tunis : cas de Kalaet El Andalous », Revue Tunisienne des Sciences Sociales, 143, p 39-70 (en arabe)

Zerai Faouzi,2020, « Etalement urbain et environnement à Soliman », Revue Tunisienne des Sciences Sociales, n° 145, p. 127-162.

[1] D’après des entretiens personnels, avec une vingtaine de voyageurs, à la station principale de bus et de taxi collectif à Soliman, juin 2023.

[2] Le territoire tunisien est administrativement divisé en 24 gouvernorats. Chaque gouvernorat est subdivisé en délégations (le nombre varie en fonction de la taille et de la population du gouvernorat). En 2023, on recense 264 délégations. Quant au nombre de communes, il s’élève à 350. La ville de Soliman fait partie des 16 délégations du gouvernorat de Nabeul et l’une des principales communes du gouvernorat. La ville de Nabeul est le chef-lieu administratif et de services du gouvernorat.

[3] Calcul personnel de l’espace industrielle à partir des images satellitaires de Google Earth – 2014 – à noter que 13 ha de l’espace industriel de la route de Menzel Bouzelfa forment le complexe industriel laitier de Hamdi Meddeb (Marque  » Délice Danone »). Le site de l’implantation du complexe à Soliman au cœur d’une zone agricole et à proximité de Tunis et Nabeul, a facilité énormément le développement des différentes activités (collecte de lait, production et commercialisation).

[4] La notion d’étalement urbain n’est pas synonyme d’extension urbaine. Ce dernier concept exprime une simple évolution (ou expansion) de l’espace urbain. « l’étalement exprime une faible maitrise de l’espace qui se traduit par la prolifération de l’habitat spontané et l’incapacité des institutions à suivre le rythme de l’urbanisation » (Bennasr,2003,). Plusieurs indices ont été préconisés pour signaler l’étalement urbain et le définir dont le rythme de la croissance urbaine. Lorsque le taux annuel de la croissance de l’espace urbanisé est supérieur à celui de la croissance de la population, on peut parler d’étalement urbain.

Pour citer cet article :
ZERAI Faouzi, « Métropolisation et recomposition territoriale d’une petite ville à la périphérie de Tunis : le cas de Soliman. », 0 | 2023 – Ma Proximité, GéoProximitéS, URL : https://quamoter.hypotheses.org/2769

Télécharger l’article en pdf.