Small town and regenerative co-design: proximity serving life.
Sophie Eberhardt
〉enseignante-chercheuse en aménagement et urbanisme
〉directrice du City Design Lab
〉L’École de design Nantes Atlantique
〉 s.eberhardt@lecolededesign.com 〉
Frédérique Letourneux
〉docteure en sociologie, enseignante et journaliste
〉 L’École de design Nantes Atlantique
Julien Dupont
〉architecte et enseignant
〉Association Plan 9
Anaïs Jacquard
〉architecte et responsable pédagogique du City Design Lab
〉L’École de design Nantes Atlantique
Marjorie Balavoine, Chaymâ Dris, Stacy Janody, Jaouen Ronné, Romane Stein & Charline Van Dyck
〉étudiant.es du City Design Lab
〉L’École de design Nantes Atlantique
〉Article long 〉
Télécharger l'article. 3-2024 Eberhart et al.
Mots-clés : co-design, design régénératif, design urbain, proximités, vivant
Résumé : À partir d’un projet mené en partenariat avec le groupe La Poste et la petite ville de Plessé, des étudiants de master, des enseignants et des chercheurs du City Design Lab de L’École de design Nantes Atlantique ont exploré des méthodes de design régénératif en faveur des proximités et du vivant. L’article met l’accent sur 1/ une approche incrémentale et itérative et un positionnement qui questionne les pratiques urbaines à l’œuvre ; 2/ les méthodes et outils de la co-conception régénérative en faveur des proximités et du vivant dans la fabrication des villes et des territoires ; 3/ l’émergence d’une nouvelle pratique du design par la recherche.
Keywords: co-design, regenerative design, urban design, proximities, living beings
Abstract: Based on a project carried out with Masters students, researchers and teachers of the City Design Lab at L’École de design Nantes Atlantique in 2023, in partnership with La Poste and the small town of Plessé, the article explores the impact of iterative design methods on urban regeneration. It focuses on 1/ an incremental and iterative approach and a positioning that questions the urban practices at work; 2/ the methods and tools of regenerative co-design in favour of proximities and living beings in the making of towns and territories; 3/ the emergence of a new practice of design through research.
Le modèle de développement urbain et territorial dominant fondé sur les principes de la croissance infinie, de la linéarité et de la ville fonctionnelle et attractive a participé au dépassement des limites planétaires (Stockholm Resilience Institute, 2022) notamment sur les plans du climat, de la biodiversité et des ressources et a accentué les inégalités sociales. En France, cela a contribué, entre autres, à l’artificialisation des sols courant à une vitesse trois à quatre fois supérieure à celle de la croissance démographique (Ministère de l’Écologie, de l’Énergie et de la Mer, en charge des relations internationales sur le climat, 2017). Compromettant les conditions d’habitabilité de la planète et favorisant la multiplication et l’intensification des crises, ces paradigmes s’essoufflent et divisent.
En parallèle, les acteurs de la fabrique des villes et des territoires – pouvoirs publics, professionnels et habitants – sont pris en étau entre les temps longs des projets urbains et territoriaux et l’immédiateté (/l’urgence) des réponses à apporter.
Pour tenter de s’extraire de ces impasses, transformer et régénérer les villes, les territoires et les proximités existants constituent l’un des principaux leviers de la transition écologique et sociale. En effet, 80% de la ville de demain existe déjà (Leconte & Grisot, 2022). Les pratiques fondées sur l’étalement urbain sont remises en question sur les plans législatif (en particulier depuis la loi du 22 août 2021), politique, technique et pratique et commencent tout juste à être recomposées. En outre, les temps du projet et le processus d’association des acteurs dans ces temporalités sont interrogés.
La contribution explore le potentiel de régénération des villes et des territoires par le design. Elle se concentre sur une commune rurale à habitat dispersé, la petite ville de Plessé composée de trois bourgs (Plessé, Le Coudray et Le Dresny qui s’étendent sur 104,4 km2 selon l’INSEE) située en Loire-Atlantique (5 257 habitants en 2021 selon l’INSEE, 975 habitants dans le bourg du Dresny et 942 habitants dans le bourg du Coudray[1]) où la collectivité souhaite renouveler les services de proximité de La Poste, de la Mairie et de France Services réunis en un bâtiment attenant à l’une des places centrales de la municipalité. Elle permet d’accompagner la Commune dont l’attractivité s’accroît depuis les dernières décennies et où les secteurs agricole, artisanal, des commerces de proximité et associatifs sont bien représentés.
L’article s’articule autour de trois axes principaux :
- Le design comme approche questionnant les modalités de conception, de fabrication et de transformation des espaces urbains
- Le co-design régénératif en faveur des proximités et du vivant dans la fabrique des villes et des territoires
- l’émergence d’une nouvelle pratique (professionnelle) du design par la recherche.
S’appuyant sur la méthodologie et les projets du City Design Lab de L’École de design Nantes Atlantique, notamment un projet pédagogique adossé à la recherche conduit en partenariat avec le groupe La Poste et la petite ville de Plessé[2], l’article explore les impacts des méthodes incrémentales et itératives du design sur la régénération urbaine participant à la définition de ses caractéristiques idiosyncratiques.
1. Une approche et un positionnement questionnant les pratiques urbaines à l’oeuvre
1.1. La recherche exploratoire en design urbain dans une démarche incrémentale et itérative
Le designer urbain crée des espaces en tenant compte des dynamiques sociales, culturelles, économiques et environnementales spécifiques des terrains sur lesquels il intervient. Il se situe à l’intersection de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage, et vise à concevoir des environnements fonctionnels, esthétiques et durables. En intégrant une dimension participative, il collabore avec les habitants, les aménageurs, les promoteurs, les architectes, les urbanistes, etc. pour s’assurer que les espaces soient inclusifs et adaptés aux besoins locaux (Carmona & Tiesdell, 2007 ; Gehl & Svarre, 2013).
La recherche exploratoire en design présente une diversité de méthodes issues notamment de la sociologie via la conduite de questionnaires et d’entretiens, l’observation, le focus group, l’immersion, la marche exploratoire, etc.[3] et favorise l’innovation en explorant des problématiques nouvelles. Elle s’appuie sur des méthodes qualitatives pour comprendre les contextes et besoins des utilisateurs et des habitants. Dans le design urbain et territorial, elle permet de concevoir des espaces répondant aux besoins locaux et anticipant les évolutions futures, tout en guidant les interventions grâce à une approche réflexive et adaptative, essentielle pour favoriser des solutions en harmonie avec les dynamiques locales.
1.2. Une pratique interrogeant les temporalités des territoires dont les espaces sont la traduction
Dès les années 2000, Luc Gwiazdzinski (2009) propose une approche innovante de l’urbanisme en mettant l’accent sur la dimension temporelle des villes, notamment en analysant les rythmes urbains et l’organisation des activités sur 24 heures. Il plaide pour une gestion plus flexible et adaptable des espaces urbains, tenant compte des besoins changeants des habitants tout au long de la journée et de la nuit. Le design urbain est une pratique qui interroge profondément les temporalités des territoires, dont les espaces sont une traduction tangible. Les territoires urbains ne sont jamais statiques ; ils évoluent en fonction des dynamiques sociales, économiques et environnementales. Les designers urbains doivent donc intégrer une compréhension fine des temporalités — passées, présentes et futures — pour concevoir des espaces qui répondent aux besoins immédiats tout en anticipant les transformations à venir. Cette approche diachronique permet de créer des environnements urbains qui s’adaptent et se transforment en harmonie avec les changements continus du territoire.
En ce sens, le design urbain dépasse la simple conception spatiale pour devenir une pratique prospective et adaptative. Les designers urbains travaillent à l’articulation des échelles temporelles en intégrant les histoires locales et les projections futures dans leur processus créatif. Cette capacité à penser les temporalités multiples vise à concevoir des espaces évolutifs au fil du temps, tout en reflétant la richesse historique et les dynamiques actuelles du territoire. Le design urbain devient ainsi un outil essentiel pour façonner des espaces qui dialoguent avec le passé tout en étant tournés vers l’avenir.
1.3. Un process à l’encontre de l’injonction de la solution réplicable
Le designer urbain est bien souvent confronté à une injonction adressée par ses commanditaires, en particulier par les collectivités territoriales, qui recherche la réplicabilité des solutions élaborées sur tous les territoires. À l’échelle du City Design Lab, un partenariat sur deux élaborés dans le cadre de projets pédagogiques la convoque. La réflexion portant notamment sur le concept de « ville non-sexiste » portée en collaboration avec la Métropole de Nantes soulevait par exemple la question « Comment rendre le sujet opérable, faire “atterrir” et rendre concret, mesurable, réplicable ? »
Pourtant dans la pratique le design urbain s’oppose fondamentalement à l’idée d’une solution réplicable sur tous les territoires, en favorisant plutôt des processus ancrés dans les spécificités contextuelles. Dès les années 1960, l’architecte Bernard Rudofsky avait argumenté contre l’approche de la standardisation dans l’urbanisme et l’architecture. Dans son ouvrage Architecture Without Architects (1964), Rudofsky critique la tendance moderne à vouloir imposer des solutions universelles, soulignant que ce qui fonctionne dans un contexte particulier ne peut pas nécessairement être répliqué ailleurs. Le design urbain doit intégrer la diversité des contextes sociaux, culturels et environnementaux, ce qui rend toute standardisation problématique. Les solutions doivent être co-construites avec les acteurs locaux et adaptées à l’identité du lieu, plutôt que de suivre des modèles prédéfinis. Ainsi, le design urbain devient un outil de création d’espaces singuliers, capables de répondre aux besoins particuliers de chaque territoire.
Ce processus de conception contextuelle et participative permet d’éviter les pièges de l’uniformisation urbaine, souvent critiquée pour son incapacité à répondre aux complexités locales. Comme le souligne Hélène Frichot (2016), l’approche itérative du design urbain encourage une adaptation continue aux conditions changeantes, refusant les solutions « clé en main ». Le design urbain valorise ainsi l’expérimentation et la réévaluation constante, ce qui permet de créer des espaces qui évoluent avec les territoires et les communautés, plutôt que d’imposer une vision rigide et généralisée.
2. Une méthodologie expérimentale au service du vivant
2.1. Le design régénératif : de l’égo à l’écosystème
Dans ce contexte, en allant au-delà d’une performance environnementale neutre, le design régénératif propose de dépasser les principes de conception, de construction et de mise en usages des quartiers dits durables visant la réduction des impacts environnementaux (Blanco, 2022). Il contribue à faire émerger des projets dont la société et la nature pourraient bénéficier tout en favorisant une « coévolution des deux systèmes » (Blanco, 2022). Aussi le design régénératif invite-t-il à s’appuyer sur une perspective systémique, approche territorialisée et sur une dimension participative (Attia, 2016 ; Brown et al., 2018 ; Cole, Oliver, & Robinson, 2013 ; Zhang, Skitmore, De Jong, Huisingh, & Gray, 2015).
Pour mesurer l’efficacité du design régénératif, des indicateurs spécifiques sont développés pour évaluer les progrès écologiques, sociaux et économiques des projets. Par exemple, Cole (2012) propose des métriques qui vont au-delà des évaluations traditionnelles de durabilité, incluant des indicateurs tels que l’augmentation de la biodiversité, l’amélioration des services écosystémiques et le bien-être communautaire. Ces indicateurs permettent de suivre l’impact régénératif des projets, assurant que chaque initiative contribue activement à la revitalisation des systèmes naturels et sociaux, conformément aux principes de la régénération.
2.2. Le co-design régénératif au service des proximités : une méthodologie partagée avec La Poste et la Commune de Plessé
Dans le cadre du projet organisé en collaboration avec le groupe La Poste, la commune de Plessé, située en Loire-Atlantique et réunissant trois bourgs de Plessé, Le Dresny, Le Coudray (figures 1 et 2), souhaitait développer une nouvelle approche servicielle autour de la présence postale, de la Mairie et de France services réunis aujourd’hui en trois bâtiments attenants à l’une des principales places du bourg. La commune visait à porter une réflexion sur le développement et la mutualisation de services et sur la mixité d’usages du bâtiment et des espaces, en associant ses habitants et ses agents.
Localisée entre Redon et bordant la forêt du Gâvre, Plessé bénéficie d’un cadre de vie de qualité et s’engage pour être exemplaire en matière environnementale. En effet, elle a notamment obtenu le label Pavillon bleu pour l’étang de Buhel en 2023. Il s’agit d’un label environnemental et touristique international, décerné annuellement aux Communes et aux ports de plaisance qui se distinguent pour leur politique en la matière.
Le groupe La Poste et la Municipalité souhaitent travailler ensemble au développement d’une nouvelle organisation servicielle de proximité, une nouvelle gestion des espaces ainsi qu’une réflexion sur l’aménagement du cœur de bourg. L’objectif de cette coopération était notamment d’impulser aune dynamique nouvelle au territoire et l’approche par le design visait à accompagner les acteurs dans la définition programmatique globale (espaces, services, mobilités, etc.) en lien avec les besoins des usagers et du territoire dans une démarche circulaire participative et systémique (figures 3, 4 et 5).
En outre, la Mairie promeut un modèle de gouvernance participatif original[4]. Elle a ainsi souhaité que les acteurs de la Commune (élus, habitants, associations, commerçants, etc.) soient associés à cette réflexion (figure 6) et a ainsi sollicité L’École de design Nantes Atlantique pour animer et structurer cette réflexion qu’elle porte sur la valorisation d’une « place commune » en son centre tout en valorisant la renaturation des espaces publics et la prise en compte de la biodiversité.
Figure 1 et 2 : Éléments de diagnostic terrain : cartes figuratives du territoire et des trois bourgs @City Design Lab, L’École de design Nantes Atlantique
Figures 3 et 4 : La méthode design, dite du « double-diamant » : l’une des principales références communes en design et le déroulé du projet à Plessé @City Design Lab, L’École de design Nantes Atlantique
Figure 5 : Éléments de diagnostic sensibles de la place attenante au bâtiment réunissant les services de La Poste, de la Mairie et de France services @City Design Lab, L’École de design Nantes Atlantique
Figure 6 : Ateliers participatifs organisés par les étudiants et l’équipe pédagogique. Les jeunes designers ont tenu plusieurs ateliers participatifs intitulés « Plessé de demain » entre octobre et décembre 2023 avec les élus, des membres des comités consultatifs de la Municipalité et des habitants. Afin d’identifier les usages, les besoins et les projections des habitants, les étudiants ont questionné notamment la relation quotidienne qu’entretiennent les citoyens avec le centre-bourg, les services de proximité actuels et futurs ou encore leurs rapports avec les paysages environnants. Avec Marjorie Balavoine, Chaymâ Dris, Stacy Janody, Jaouen Ronne, Romane Stein, Charline Van Dyck, encadrés par les enseignants Frédérique Letourneux et Julien Dupont @City Design Lab, L’École de design Nantes Atlantique
2.3. Explorer les parcours / les itinéraires plutôt que les usages concentrés sur un lieu
Explorer les parcours urbains permet aux designers de comprendre les dynamiques spatiales et sociales au-delà des usages concentrés sur un lieu spécifique. Selon Gehl et Svarre (2013), les espaces publics ne sont pas seulement définis par leurs fonctions fixes, mais par les déplacements et les interactions qui les traversent. En étudiant les itinéraires, les designers peuvent mieux appréhender les besoins des usagers en matière de mobilité et de connectivité, ce qui leur permet de concevoir des espaces plus adaptés et fluides. Cette approche favorise la création de villes plus inclusives, où chaque déplacement devient une expérience enrichissante et sécurisée.
De plus, les itinéraires révèlent des espaces sous-utilisés, offrant ainsi des opportunités d’intervention créative. Lynch (1960) souligne que la perception de la ville est largement influencée par les trajets quotidiens des individus. En se concentrant sur les parcours, les designers peuvent identifier des points stratégiques pour améliorer les services et la convivialité des espaces publics. Cela conduit à une vision plus holistique du tissu urbain, où les interventions ne sont pas seulement locales, mais s’inscrivent dans un réseau plus large, renforçant ainsi la cohésion et la résilience urbaine. Le territoire considéré dans le cadre du projet à Plessé, étendu sur trois bourgs, invitait à explorer les parcours à l’échelle des trois bourgs et au-delà.
2.4. Stimuler les récits présents et prospectifs
Dans le cadre des ateliers conduits par les étudiants, il est apparu fondamental de stimuler les récits présents et prospectifs permettant aux designers urbains de créer des espaces qui résonnent avec l’identité collective et les aspirations des habitants. Selon Sandercock (2003), les récits urbains sont essentiels pour comprendre les expériences vécues et les valeurs d’une communauté. En intégrant ces histoires dans le processus de conception, le designer renforce le sentiment d’appartenance et crée des lieux qui reflètent la mémoire collective. Cela favorise une appropriation plus durable des espaces publics, où les récits partagés deviennent un outil de cohésion sociale et de valorisation culturelle.
En outre, explorer les récits prospectifs permet de concevoir des espaces qui anticipent les futurs possibles de la ville. Comme l’indique Boyer (1996), les récits prospectifs offrent une vision de l’avenir qui guide les décisions de conception et d’aménagement. En stimulant ces récits, les designers urbains peuvent imaginer des scénarios innovants et résilients, capables de répondre aux défis émergents tels que le changement climatique ou les évolutions démographiques. Cette approche prospective encourage une planification urbaine plus flexible et adaptée aux transformations, permettant de créer des espaces durables qui évoluent en harmonie avec les aspirations des générations futures.
3. L’émergence d’une nouvelle pratique de design par la recherche au service des proximités
3.1. Articuler et lier les différentes échelles : les porosités et l’hybridation entre les espaces publics et les espaces intérieurs serviciels
L’articulation entre les différentes échelles spatiales permet au designer urbain de créer une continuité servicielle, fonctionnelle et perceptuelle entre les espaces. Alexander (1977) souligne que l’intégration des échelles favorise une ville plus cohérente, où les micro-espaces se connectent harmonieusement aux structures plus vastes. Cette approche permet de renforcer la lisibilité urbaine tout en optimisant l’accessibilité et l’expérience des usagers et des habitants à travers différents niveaux spatiaux.
La porosité et l’hybridation entre les espaces publics et les espaces intérieurs offrent des transitions fluides et enrichissent l’interaction sociale. Selon Gehl (2010), les espaces poreux encouragent les échanges, rendant la ville plus vivante et attractive. En brouillant les frontières, le designer urbain crée des lieux polyvalents, adaptables aux besoins diversifiés des usagers. Le livrable élaboré par les étudiants, avec l’appui de l’équipe pédagogique, a souligné ces porosités.
La proposition d’aménagement de la place où se situe l’actuel bureau de poste se déploierait de manière protéiforme, autour des quatre concepts suivants mis en valeur dans un article publié sur le blog de la Fondation Bouygues Immobilier (Pigeon, 2024) :
– Les repères : création d’une Maison de la citoyenneté, lieu pilote et annexe de la Commune. Il s’agirait de bâtir un véritable repère collectif : un lieu symbolique de proximité et d’entraide, ouvert à tous. Cette structure accueillerait les services postaux et le dispositif France services, aujourd’hui délégués aux bureaux de la mairie. Des espaces de travail flexibles et fonctionnels seraient mis à disposition du public, générant une expérience conviviale et pratique du temps passé au bureau de poste (fig. 7).
– La terrasse, localisée sur le parvis, offrirait un espace aéré et végétalisé pour « renaturer la ville » et faire de ce lieu une continuité de la mairie, l’épicentre de la commune et le moteur d’une nouvelle dynamique territoriale à Plessé (fig. 8).
– La plateforme, née de la volonté de rendre les services de proximité et commerces accessibles à tous les habitants de Plessé, y compris ceux vivant dans les 3 bourgs. Il s’agit d’un service ambulant de proximité utile et modulable, évoluant au gré des saisons et des besoins des usagers. La plateforme pourrait proposer des services non marchands aux usagers et aux habitants, tels que France services (aide aux démarches administratives, mise à disposition d’un ordinateur et d’une imprimante), un Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), des services de la Poste et un espace socioculturel (fig. 9).
– Le réseau vert : vise à réenchanter les déplacements du piéton, du cycliste et de l’automobiliste. La notion de parcours s’est révélée comme étant le format idéal à initier, avec de nouvelles manières de se déplacer sur le territoire. Marcheurs, cyclistes et automobilistes se côtoient sur des cheminements revalorisés et dans un espace où la biodiversité reprend ses droits. Tout au long du parcours, un circuit végétal propose des haltes dans des observatoires dédiés à la contemplation de la biodiversité. Enfin, la libération des sols imperméables au profit de sols perméables ou semi-perméables permet de métamorphoser les trottoirs existants en sentiers piétons (fig. 10). (Pigeon, 2024)
Fig. 7 et 8
Fig. 9 et 10
Figure 7, 8, 9 et 10 : Concepts élaborés par les étudiants Marjorie Balavoine, Chaymâ Dris, Stacy Janody, Jaouen Ronne, Romane Stein, Charline Van Dyck autour de la « place commune » à Plessé @City Design Lab, L’École de design Nantes Atlantique
3.2. Réaffirmer des pratiques sur-mesure à l’échelle locale
Les propositions issues des ateliers animés par les étudiants ont également permis de réaffirmer la nécessité des pratiques sur-mesure à l’échelle locale. Ici le designer urbain vise à créer des espaces qui répondent précisément aux besoins et aspirations spécifiques des usagers et des habitants. Comme le souligne Healey (1997), une approche locale et contextuelle garantit que les interventions urbaines respectent les particularités culturelles, sociales et économiques du territoire. Cela favorise une plus grande appropriation par les habitants et une meilleure durabilité des projets, car ils sont en phase avec les dynamiques locales plutôt qu’imposés de manière descendante.
Jacobs (1961) argumente que les solutions adaptées au contexte local sont plus flexibles et capables de s’ajuster aux évolutions futures. En valorisant les ressources locales et en impliquant activement les communautés, le designer urbain peut développer des espaces qui ne sont pas seulement fonctionnels, mais aussi porteurs de sens et capables de s’adapter aux défis environnementaux et sociaux à long terme.
3.3. Perspectives pour aujourd’hui et demain : émergence d’une figure, de fonctions et du rôle stratégique du « designer de régénération urbaine » / « designer de stratégie urbaine »
Le projet urbain nécessite une collaboration étroite entre les urbanistes, les architectes, les designers, les pouvoirs publics et les citoyens pour concevoir et mettre en œuvre des transformations souhaitables et durables. Il constitue une opération fondamentale pour la redirection écologique des villes, alliant planification, concertation et innovation pour améliorer la qualité de vie urbaine.
Les perspectives actuelles et futures pour le domaine de l’urbanisme illustrées par notre étude de cas à Plessé mettent en avant l’émergence de la figure du « designer de régénération urbaine » ou « designer de stratégie urbaine » qui interviendrait plus en amont du projet urbain, en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage. Ce rôle stratégique s’inscrit dans un contexte où les villes doivent relever des défis majeurs liés à la durabilité, la résilience climatique, et l’adaptation des quartiers. Ces designers se positionnent à l’intersection de l’architecture, du développement durable et de la participation citoyenne. Ils conçoivent des solutions innovantes, intégrant les dimensions sociales, économiques et environnementales, pour transformer les espaces urbains en réponse aux enjeux contemporains. Leur approche holistique permet de redéfinir les priorités urbaines, en intégrant des processus collaboratifs et des technologies avancées pour anticiper les besoins futurs des habitants.
Demain, le rôle du designer de stratégie urbaine pourrait être encore plus central. Avec l’accélération des changements climatiques et l’urbanisation croissante, ces experts pourraient non seulement concevoir des villes plus durables et inclusives, mais aussi prévoir des stratégies pour gérer les crises urbaines. Leur travail impliquera une planification proactive, la création de scénarios prospectifs et l’intégration des infrastructures vertes pour renforcer la résilience des villes. Ces professionnels deviennent ainsi des acteurs-clés dans la mise en œuvre de politiques urbaines durables, en collaborant étroitement avec les décideurs politiques, les communautés locales et les experts techniques pour réinventer les espaces urbains de manière plus équitable et durable.
Conclusion
La conception urbaine contemporaine, en se focalisant sur les parcours, les récits et les pratiques locales, permet de créer des services de proximité et des espaces résilients dans les villes. En explorant les itinéraires plutôt que les usages fixes sur un lieu donné, les designers explorent les dynamiques sociales et spatiales, offrant des interventions mieux adaptées aux usages et aux besoins du vivant. De plus, l’intégration des récits présents et prospectifs enrichit l’expérience urbaine, ancrant les projets dans la mémoire collective tout en anticipant les défis futurs.
L’articulation entre les échelles spatiales, la porosité entre les espaces publics et privés, et les pratiques sur-mesure renforcent la cohérence et l’adaptabilité des espaces. En valorisant les spécificités locales, les designers urbains assurent une plus grande appropriation par les habitants, tout en créant des lieux durables et significatifs. Aussi, l’analyse de la démarche et du projet conduite en collaboration avec le groupe La Poste et la Commune de Plessé a permis de faire émerger de premiers principes constitutifs du co-design régénératif favorisant les services et les liens de proximité dans une petite ville.
Sur le plan de la méthodologie, rebattant les cartes et surtout les rôles des différentes parties prenantes traditionnellement mobilisées en matière de programmation et conception urbaine, le projet permet de faire émerger la figure du « designer de régénération urbaine » / « designer de stratégie urbaine ». Repoussant les limites de ses actions, ici le designer ne se cantonne pas seulement à faire émerger des dispositifs dans l’espace public, à aménager des espaces intérieurs ou encore à concevoir des services et innovations sociales mais également à participer aux étapes de mise en forme d’une place commune favorisant les services et les liens de proximité. Le designer élabore un projet liant les espaces intérieurs d’un bâtiment aux trames urbaines et vertes et aux usages qui traversent ces espaces.
En outre, le projet conduit dans la petite ville de Plessé, a permis d’élaborer des concepts favorisant la démocratie participative et représentative déjà bien ancrée à l’échelle municipale. Il alimente également le plan guide opérationnel, une réflexion globale, stratégique et concrète d’aménagement dont l’objectif est de planifier l’évolution des bourgs en répondant aux besoins des habitants et d’anticiper les usages et modes de vie futurs, tout en prenant en compte les enjeux actuels et futurs (changement climatique, évolutions démographiques…) à l’horizon 2030.
Néanmoins, la démarche se confronte à deux principales limites, la première étant qu’il s’agit d’un exercice pédagogique exploratoire à petite échelle dont l’analyse mérite d’être mise à l’épreuve d’autres terrains au Pays de la Loire et au-delà. Le City Design Lab développera les projets pédagogiques adossés à la recherche dans les mois et années à venir afin de remettre l’ouvrage sur le métier et d’amender la méthodologie. L’autre limite est celle de l’évaluation et notamment des indicateurs des co-bénéfices des projets qui n’ont pas été appliqués à cette étude.
Références bibliographiques :
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[1] Extrapolation réalisée par la Municipalité à partir de la répartition des électeurs par bureau de vote comparée à la population totale.
[2] L’actuelle maire de la Commune a été désignée tête de liste d’un collectif habitant avant de remporter les élections municipales en 2020.
[3] Exposées de manière didactique dans un ouvrage édité par l’Université technique de Delft (Université technique de Delft, 2021).
[4] L’actuelle maire de la Commune a été désignée tête de liste d’un collectif habitant avant de remporter les élections municipales.
Pour citer cet article :
EBERHARDT Sophie, LETOURNEUX Frédérique, DUPONT Julien, JACQUARD Anaïs, BALAVOINE Marjorie, DRIS Chaymâ, JANODY Stacy, STEIN Romane, VAN DYCK Charline « Petite ville et co-design régénératif : les proximités au service du vivant », 3 | 2024 – Villes petites et moyennes en transition, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ ark:/84480/2024/09/19/vpm-al4/