Pedestrianization of city centers: a new idea of proximity in mid-sized cities?
Emilie Roudier
〉Docteure en urbanisme et aménagement de l’espace
〉Chercheure associée au Lab’Urba
〉Eroudier.rch@gmail.com
〉Article court 〉
Mots-clés : Villes moyennes, mobilités, piétonisation, politique locale, modèle
Abstract: The Action Cœur de Ville program, launched by the French government in 2018, encourages projects in favor of walking in the centers of mid-sized cities. This article proposes to focus on the numerous pedestrianization projects of the winning local cities and the challenges of reducing the role of the automobile. It reflects a circulation of development models and mobility policies between mid-sized cities on the one hand, and between metropolises and mid-sized cities on the other hand.
Keywords: Mid-sized cities, mobilities, pietonization, local policy, metropolitan model
Se déplacer dans les villes moyennes et leurs agglomérations, c’est souvent prendre sa voiture. Son utilisation reste constante depuis les années 1960 et représente plus de deux tiers des déplacements (Cerema, 2019), malgré les lois successives encourageant à la mobilité durable depuis les années 2000 (Loi Grenelles I et II, Loi sur l’Orientation des Mobilités, etc.). Le lancement du programme « Action Cœur de Ville » (ACV) par le gouvernement en 2018 a récemment mis en lumière la nécessité de faire évoluer ces pratiques de déplacements dans les villes moyennes. Dans ce programme, la redynamisation de leurs centres y est entre autres associée à l’augmentation de la pratique des modes actifs (ACV, 2020), c’est-à-dire le vélo et la marche à pied. Nombre de villes moyennes lauréates du programme portent ainsi des projets de piétonisation de leurs centres, à l’instar de ceux menés dans les centres des métropoles dans les années 1950 à 1970 (Fériel, 2015 ; Pelgrims, 2018).
Cet article propose dès lors de retracer ce mouvement récent en faveur de la marche à pied dans les villes moyennes et de poser la question de la circulation de ce modèle d’aménagement entre les grandes villes et les villes moyennes. En somme, il s’agit de se demander si ces projets s’inscrivent dans une tendance au simple mimétisme métropolitain ou s’ils témoignent d’un nouveau rapport à la proximité dans les villes moyennes, en faveur de la marche à pied ?
La résistance de la marche à pied dans les villes moyennes
En préambule, les villes moyennes sont difficiles à définir avec précision : elles correspondent ici à la France des préfectures et des sous-préfectures (Béhar, 2011), à un échelon intermédiaire entre les métropoles régionales et les petits bourgs ruraux (Santamaria, 2012). Dans ces villes, la marche à pied représente le deuxième mode de transport le plus utilisé (23%), après la voiture (Gart, 2015). A une échelle plus fine, cette part varie sensiblement en fonction des territoires : elle est de 19% à Laval, quand elle est de 31% à Arles, 30% à Beauvais ou encore 25% à Nevers (Cerema, 2014). Sa pratique tend ainsi à résister face à la prédominance de la voiture et le très faible usage des autres modes de transport (vélo, transports collectifs). La marche à pied est notamment souvent utilisée pour se rendre dans les petits commerces de proximité : près d’un déplacement sur deux à pied est réalisé pour ce motif (Ademe, 2004). Son usage est néanmoins peu encouragé dans les villes moyennes : les aménagements de voirie sont surtout tournés vers la voiture (trottoirs étroits, peu de zones de rencontres ou zones 30) et les bonnes conditions de circulation et de stationnement tendent à encourager la voiture, même pour des courts trajets. Depuis les années 2000, les politiques de mobilités locales évoluent néanmoins progressivement face à l’augmentation des flux et des nuisances liés à l’automobile (pollution, bruit, encombrement de la voirie, dégradation cadre de vie, etc.), à la manière de ce qui a été observé dans les grandes villes (Roudier, 2019).
La marche : une panacée pour Action Cœur de Ville ?
Le programme « Action Cœur de Ville » s’inscrit dans la continuité de ce mouvement. Il n’est toutefois pas dédié uniquement aux enjeux de mobilités. Porté par l’Etat, le programme vise à aider les collectivités locales à redynamiser leur centre-ville dans l’ensemble des domaines (commerces, emplois, logements, déplacements, etc.) par un soutien financier et technique piloté par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT). Il se structure en cinq axes d’action dont l’un d’entre eux est dédié plus précisément au « développement de l’accessibilité, la mobilité et les connexions ». L’augmentation des déplacements en marche à pied n’est pas un objectif affiché du programme mais l’aménagement d’espaces dédiés aux piétons y est largement encouragé que ce soit dans les exemples présentés dans les communications en guise de bonnes pratiques ou dans les discours de la direction du programme[1]. Un observatoire des mobilités a par exemple été créé par l’ANCT pour étudier l’évolution des déplacements dans les centres dont le principal indicateur étudié est celui des flux piétons[2]. Alors qu’au départ du programme, ce sont surtout les mesures contre la vacance des commerces et des logements qui étaient mises en avant, l’ANCT affirme que les ambitions en matière de déplacements sont désormais de plus en plus prégnantes[3].
Différentes stratégies en faveur des déplacements piétons sont mises en œuvre par les collectivités. De manière générale, les mesures se concentrent dans les rues commerçantes, afin de faciliter la déambulation, de valoriser les vitrines, et d’améliorer les cheminements entre ces rues et les principaux parkings.
Les plus récurrentes sont souvent celles sur les circulations autorisées (zones piétonnes, zones de rencontres, etc.) : à Blois (Centre), des compteurs piétons ont par exemple été installés dans le cadre d’Action Cœur de Ville, tandis qu’à Saintes (Nouvelle Aquitaine) ce sont des bornes rétractables pour délimiter un secteur piéton de plusieurs rues. Des projets sont aussi lancés pour requalifier des voiries afin d’augmenter la place dédiée aux piétons dans les centres-villes. Ces opérations sont essentiellement menées dans leurs rues commerçantes (revêtement, élargissement des trottoirs, place piétonne, mobiliers, etc.) : c’est le cas notamment à Cherbourg (Normandie), Bourg-en-Bresse (Auvergne – Rhône Alpes) ou encore Périgueux (Nouvelle Aquitaine). Cette requalification peut aussi être testée dans un premier temps : à la Roche-sur-Yon (Pays de la Loire), une expérimentation a été mise en œuvre pour étudier sur trois ans la piétonisation de la principale rue commerçante, avec l’aménagement de modules en bois (assises, tables, végétation, etc.) sur le modèle de l’urbanisme tactique (voir figure 1). Ces aménagements bénéficient de financements du programme.
Figure 1 : l’expérimentation de la piétonisation de la rue Clémenceau, principale rue commerçante de La Roche-sur-Yon, inscrite dans Action Cœur de Ville – Photo personnelle, 2023
Des liaisons piétonnes sont également souvent aménagées entre les rues commerçantes et les principaux parkings du centre-ville. A Bourges, la Ville conduit un projet de liaison douce entre le parvis de la cathédrale et la place centrale Séraucourt dans le cadre d’ACV. L’aménagement de cette voirie vise à faciliter les cheminements des piétons et des cyclistes sur 700 mètres entre les monuments du centre, les commerces et le principal parking gratuit de 700 places à l’entrée de l’hypercentre, qui est aussi un lieu pour les évènements locaux dont le festival du Printemps de Bourges.
Ces projets ne sont néanmoins pas tous issus directement du programme Action Cœur de Ville. Celui-ci est venu souvent accélérer un mouvement en faveur de la marche à pied qui était déjà à l’œuvre dans ces territoires. Des villes moyennes volontaristes avaient déjà réalisé des projets de requalification de voiries en faveur des piétons, bien avant le lancement du programme en 2018. Le cas de Saint-Omer (Hauts-de-France) en est un parfait exemple : la requalification de la place Foch, inscrite dans Action Cœur de Ville, fait aussi partie d’un projet de la Ville « les 3 places », porté depuis 2013 (voir figure 2) et incluant l’aménagement de deux autres places (places Victor Hugo & Pierre-Bonhomme). Le programme a ainsi aidé à compléter le plan de financement pour la rénovation du parking existant, l’augmentation de la place dédiée aux piétons et la végétation prévue sur la dernière des trois places mais les grands objectifs du projet étaient déjà fixés.
Figure 2 : Panneau de présentation du projet « 3 places » à Saint-Omer en 2015, dont le projet de la place Foch inscrit dans Action Cœur de Ville en 2018 – Photo personnelle, 2015
Il est bien sûr impossible de résumer l’ensemble des projets menés dans les villes moyennes pour favoriser les déplacements en marche à pied dans les centres-villes tant ils sont nombreux. Ces exemples montrent surtout les différents modes d’action des collectivités pour tenter de changer les pratiques par la transformation des espaces publics, très souvent dans les rues commerçantes.
De la circulation de modèles d’aménagement à la circulation des politiques de mobilités
La récurrence des projets en faveur de la piétonisation des centres est un témoin d’une circulation des modèles d’aménagement entre les villes moyennes. Celle-ci est même encouragé par Action Cœur de Ville via l’organisation de conférences, de formations ou encore la mise en réseau des pilotes du programme dans chaque ville lauréate comme nous le précise la direction du programme de l’ANCT : « On préconise plutôt de valoriser les pratiques qui ont été déjà mises en place dans les villes moyennes plutôt que de se comparer avec les métropoles. C’est presque la philosophie du programme. » [4].
A une échelle plus fine, il est toutefois difficile de ne pas identifier un mimétisme entre les premières piétonisations dans les centres des métropoles régionales (Fériel, 2015) et celles des villes moyennes. De fait, face à l’usage de la voiture et de ses nuisances, les villes moyennes se posent désormais les mêmes questions que les grandes villes. Ainsi, la conduite de projets en faveur de la marche à pied est aussi le fruit d’une circulation de modèles d’aménagement métropolitains qui se développe dans la deuxième partie du XXe siècle, comme à Lyon (Baldasseroni, 2018) ou à Bruxelles (Pelgrims, 2018). On observe en effet les mêmes référentiels d’aménagement relatif à l’exploration urbaine, à l’animation des centres et à l’embellissement par les espaces piétons (Monnet et al, 2019). En parallèle, il est aussi possible de relever une circulation des référentiels des politiques de mobilités. Par ce programme, l’Etat vient en effet encourager, voire légitimer, les mesures en faveur de la piétonisation dans les villes moyennes, et montre qu’elles ne sont pas réservées qu’aux grandes villes. Cette politique nationale constitue une réponse aux craintes historiques des élus locaux souvent observées vis-à-vis de la suppression du stationnement automobile, au profit des autres modes de transport.
Cette multiplication des projets pour les piétons esquisse certes un nouveau rapport à la proximité pour les habitants mais il est encore timide. La piétonisation reste souvent limitée à quelques rues et elle est encore largement pensée en complémentarité de parkings voitures (situés dans l’hypercentre ou en périphérie immédiate), et peu avec les transports collectifs et le vélo. En somme, la piétonisation constitue plus un outil de valorisation des commerces (voir figure 3), qu’un outil de report modal inscrit dans une politique réduction de l’usage de la voiture.
Figure 3 : Une du journal municipal de la Ville de Saintes, mettant en valeur les commerces et les flux piétons – Ville de Saintes, 2018
Action Cœur de Ville ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. La dépendance à la voiture dans ces agglomérations reste très forte, ce qui accroît leurs vulnérabilités face au changement climatique et à l’augmentation du prix de l’essence. Les contraintes des collectivités sont encore nombreuses pour faire évoluer les ambitions locales de politiques de mobilités. D’ici la fin du programme Action Cœur de Ville, prévue en 2026, est-ce que la part de la voiture aura nettement baissé dans les centres des villes moyennes en faveur de la marche à pied ? Est-ce que le nombre de déplacements en automobile sera également réduit dans leurs agglomérations ? Comment est-il possible de réduire la dépendance à l’automobile (Dupuy, 1999) dans ces territoires d’ici 2050 ? Autant de questions qui seraient intéressantes à approfondir pour poursuivre les politiques publiques en faveur des villes moyennes.
Références bibliographiques :
ANCT, 2020, Guide des objectifs et indicateurs pour l’évaluation locale d’un projet action cœur de ville
Baldasseroni L., 2018, « La piétonnisation des rues, modèle pour des espaces urbains standardisés ? Réflexions lyonnaises, années 1970-1980 », Les Annales de la recherche urbaine, 113, p. 12-23.
Behar D., 2011, « Bricolage stratégique et obligation d’innovation », Urbanisme, 378, p. 50-51.
CEREMA, 2019, Mobilité dans les villes moyennes – 3 échelles territoriales d’analyse, Editions du Cerema
CEREMA, 2014, Enquêtes ménages déplacements dans les villes moyennes
Demazière C., 2017, « Le traitement des petites et moyennes villes par les études urbaines », Espaces et sociétés, 168-169, 1 / 2, p. 17-32
Dupuy G., 19991, La dépendance automobile : symptômes , analyse, diagnostic , traitements, Paris, Editions Anthropos
Feriel C., 2015, « L’invention du centre-ville européen. La politique des secteurs piétonniers en Europe occidentale, 1960-1980 », Histoire urbaine, n° 42, p. 99-122. DOI : https://doi.org/10.3917/rhu.042.0099
GART, 2015, Mobilité : état des lieux et perspectives, Paris, Editions du GART
Monnet J., Perez Lopez R. & Hubert J-P, 2019, « Éditorial », Espaces et sociétés, 179, 4, p. 7-15
Pelgrims C.,2018, « Aménager la lenteur. La dimension imaginaire de la piétonnisation du centre-ville bruxellois », Espaces et sociétés n° 175, p. 143‑162
Roudier E., 2019, « Les mutations des politiques de déplacement dans les villes moyennes : des ambitions aux contraintes de l’action. L’exemple de Périgueux », Belgeo, 4, DOI: https://doi.org/10.4000/belgeo.36696
Santamaria F. 2012. « Les villes moyennes françaises et leur rôle en matière d’aménagement du territoire : vers de nouvelles perspectives ? », Norois, 223, p. 13‑30
[1] Voir les communications proposées sur le site de l’ANCT : https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/action-coeur-de-ville-42
[2] Il s’agit d’un observatoire sur une durée de trois ans et porté par l’ANCT et MyTraffic. Il s’agit d’un outil de suivi et d’analyse du niveau d’attractivité et de fréquentation piétonne des centres-villes des 222 villes bénéficiaires du programme, en métropole et outre-mer.
[3] Entretien Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, Direction du programme Action Cœur de Ville, Septembre 2023
[4] Entretien Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, Direction du programme Action Cœur de Ville, Septembre 2023
Pour citer cet article :
ROUDIER Emilie « La piétonisation des centres : un nouveau rapport à la proximité dans les villes moyennes ? », 3 | 2024 – Villes petites et moyennes en transition, GéoProximitéS, URL : https:// geoproximites.fr/ark:/84480/2024/09/19/ vpm-ac6/