Résider à proximité du littoral : Nouvelles configurations territoriales et stratégies résidentielles, l’exemple de Quiberon

Living near the coast: new territorial configurations and residential strategies, the example of Quiberon

Solène Gaudin
〉Maîtresse de conférences en géographie
〉Université Rennes 2
〉ESO-Rennes 〉UMR 6590 ESO

〉solene.gaudin@univ-rennes2.fr

Brieuc Bisson
〉Maître de conférences en géographie
〉Université Rennes 2
〉ESO-Rennes 〉UMR 6590 ESO

〉brieuc.bisson@univ-rennes2.fr

〉Article long 〉

Télécharger l'article. 3-2024 Gaudin et Bisson

Résumé : Les espaces littoraux touristiques connaissent un fort engouement depuis une quinzaine d’années et tendent à se spécialiser vers une économie touristique et résidentielle. Cette convoitise pour un cadre résidentiel à proximité de la mer a fortement accentué la pression foncière et immobilière et enclenché des formes de gentrification et d’exclusion des populations modestes. Les territoires littoraux sont ainsi traversés par un double processus de construction depuis et pour l’extérieur, du fait notamment de l’importance des flux exogènes – tant au niveau démographique qu’économique – qui s’accompagne d’un renouveau des formes d’ancrage valorisant des formes communautaires de rapport au territoire, au local et à la proximité renouvelé. Les tensions locales autour de l’accès au logement y sont cruciales et posent la question des conditions de cohabitation des différents modes d’habiter, plus ou moins pérennes au sein de ces territoires. La recherche, qui s’appuie sur l’exemple de Quiberon dans le Morbihan, fait ainsi apparaitre le développement de réseaux de sociabilité fortement territorialisés, où l’appartenance au lieu est présentée comme un élément déterminant pour l’accès à un marché locatif informel.

Mots clés : littoral, proximité, logement, tourisme, localisme

Abstract: Coastal tourist areas have been very popular for about fifteen years and tend to specialize in a tourist and residential economy. This desire for a residential setting close to the sea has greatly increased land and real estate pressure and triggered forms of gentrification and exclusion of modest populations. The coastal territories are crossed by a double process of construction from and for the outside, due to the importance of exogenous flows – both at the demographic and economic level – which is accompanied by a renewal of forms of local anchoring in the relationship to territories. Local tensions around access to housing are crucial and raise the question of the conditions of cohabitation of different modes of living, more or less perennial in these territories. The research, based on the example of Quiberon in Morbihan, shows the development of highly territorialized social networks, where belonging to the place is presented as a determining element for access to an informal rental market.

Keywords: coastal areas, proximity, housing, tourism, localism

Au croisement de nouveaux enjeux économiques et de nouveaux modes de vie, le mouvement de littoralisation constaté depuis plusieurs décennies a profondément modifié le littoral français jusque dans sa définition même. Les territoires littoraux comptabilisent aujourd’hui 1 212 communes françaises[1] mais de plus en plus les communes rétro-littorales, sans qu’il soit d’ailleurs aisé de dire où s’arrête ce rétro-littoral, sont fortement dépendantes des transformations à l’œuvre. A l’image d’autres objets géographiques comme la ville ou le périurbain, le littoral est devenu difficile à définir, dépassant la simple interface terre/mer, les littoraux connaissent des transformations rapides et majeures (Bisson et al., 2024, Desse et al., 2024) : attractivité sans croissance, urbanisation discontinue, gentrification, habiter intermittent, nouvelles concurrences territoriales, etc. Ces recompositions engagent de nombreux défis en matière de vieillissement, de pression foncière (Buhot, 2009), d’accès au logement, de transformations des paysages et de modèles économiques qui représentent autant de défis au sein de ces territoires où s’inventent de nouveaux modèles d’habiter (Robert & Melin, 2016) fondés sur un rapport au local et à la proximité renouvelé. Depuis plusieurs décennies, la Bretagne méridionale notamment est particulièrement concernée par ces transformations (Lebahy & Le Delezir, 2006) et fait aujourd’hui l’objet d’une attention médiatique (Keltz, 2023) et politique particulière (Caoussin, 2021) doublée d’une mobilisation importante de la part des habitants (Collectif Droit à la Ville Douarnenez, 2023). Ces territoires littoraux sont ainsi traversés par un double processus de construction depuis et pour l’extérieur, du fait notamment de l’importance des flux exogènes – tant au niveau démographique qu’économique – qui s’accompagne d’un renouveau des formes d’ancrage, réinvestissant parfois les oppositions entre outsider versus natifs ; habitants permanents versus intermittents territoriaux (Blondy, Vacher, Vye, 2016), et valorisant des formes communautaires de rapport au territoire. Que signifie vivre et s’installer à proximité du littoral aujourd’hui ? Que cela implique-t-il en matière de choix et de contraintes résidentielles ?

L’article souhaite ainsi discuter des pistes d’un travail de recherche en cours qui porte sur la commune de Quiberon, située en Bretagne Sud, dans le département du Morbihan. Cette dernière fait l’objet d’un programme POPSU Territoires « Accès au logement et mixité sociale dans les communes littorales bretonnes, l’exemple de Quiberon » dont sont issues les réflexions proposées ici. Il s’agira dans cet article de montrer comment une approche par l’enjeu de l’accès au logement (en bord de mer) révèle les principaux défis des recompositions actuelles des territoires littoraux en France et fait apparaitre un rapport au territoire local revendiqué et politisé.

La proximité est ici appréhendée comme un rapport spécifique au territoire et notamment comme métrique de l’intensité des relations des individus à l’interface côtier. Celui-ci peut ainsi être déterminé par des mobilités particulières qui viennent redéfinir les espaces de vie. Ainsi, après avoir caractérisé dans la section 1 les échelles de proximité pertinentes quand on parle du littoral aujourd’hui en présentant l’hypothèse d’une définition autour de « bassins de vie littoraux », nous exposerons ce qui fonde les particularités du territoire quiberonnais. La question de la proximité est aussi celle du rapport au local et à l’ancrage que nous proposons d’analyser à travers les sections 2 et 3, pointant ainsi les tensions sur un territoire touristique qui conduisent à des formes de réappropriation mais aussi à une politisation des territoires de vie du quotidien. Cela nous amènera ainsi à questionner le poids des réseaux d’interconnaissance locaux dans l’accès au logement. La proximité sera enfin questionnée au prisme de ce qui est parfois considéré comme le développement de nouveaux localismes (Ghorra-Gobin, 2013), exacerbés dans un contexte de crise du logement.

1. Quelle(s) échelle(s) de proximité quand on parle du littoral aujourd’hui ?

La littoralisation est aujourd’hui une des composantes essentielles des dynamiques démographiques françaises. Ces seules communes littorales accueillent plus de 8 millions d’habitants soit 12% de la population française sur une surface ne représentant que 5% de la superficie nationale. Au strict sens physique du terme – i.e. d’interface entre la terre et la mer –  seules ces communes disposant d’un contact avec la mer peuvent être considérées comme littorales. Cependant de nouvelles configurations territoriales se mettent en place au sein de ces territoires qui fonctionnent de plus en plus comme de véritables bassins de vie. La proximité au littoral fonde le point commun de l’ensemble du fonctionnement territorial alors que l’accès à celui-ci reste de plus en plus sélectif.  Il nous semble donc contextuellement utile de préciser les contours de ces nouveaux territoires de proximité littoraux avant de s’intéresser à l’échelle de la commune de Quiberon, comme archétype touristique.

1.1. Vers l’émergence de « bassins de vie littoraux »

L’attrait pour les littoraux depuis les années 1970 a accentué une forte pression immobilière et foncière sur ces territoires qui s’est également étendue, de proche en proche, à des communes dites rétro-littorales – soit les communes situées directement en retrait des communes côtières. Celles-ci ont notamment accueilli des populations moins aisées, plus jeunes, pour qui l’accès au logement au sein des communes littorales est devenu progressivement très difficile. Le processus est assez comparable dans ses logiques à la métropolisation dans ce qu’elle peut engendrer en terme de périurbanisation, le rétro-littoral étant ici quelque part le périurbain des communes littorales, assimilées à des lieux concentrant les emplois et les richesses comme les villes centres dans le cadre de la métropolisation. Gérard-François Dumont parle même de « litturbanisation » (1996 ; Chalard, Dumont, 2007) pour spécifier cette forme d’urbanisation extensive. Aujourd’hui le processus prend la forme d’un étalement toujours plus en retrait du littoral, même si celui-ci demeure un moteur de l’attractivité territoriale. Pour traduire la situation de littoraux touristifiés et fortement articulés avec le rétro-littoral, nous proposons une analyse autour de la reconnaissance de « bassins de vie littoraux ». Au sens entendu par l’INSEE, un bassin de vie est défini comme le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants. Les bassins de vie littoraux peuvent être identifiés à partir d’une dépendance à l’emploi depuis les communes littorales, en reprenant le poids donné à la question de l’emploi dans la caractérisation de ces bassins de vie que l’INSEE utilisait avant 2012. Cette interdépendance liée à la question de l’emploi s’explique notamment par l’importance de l’économie des services sur les littoraux touristiques (employés du commerce, de l’hôtellerie et de la restauration, de l’aide à la personne auprès d’une population vieillissante etc.), et par l’inadéquation entre la qualification et les rémunérations de ces emplois et la possibilité de se loger au sein de ces communes littorales qui expliquent notamment l’importance des flux de navetteurs mais aussi des relations fonctionnelles spatialement distendues entre les communes littorales et rétro-littorales.

Figure 1 : Proposition de catégorisation des bassins de vie littoraux (réalisation Brieuc Bisson, 2024)

Le zonage de ces bassins de vie littoraux peut ainsi prendre la forme d’un gradient socio-spatial en fonction de la distance au littoral, selon les axes de liaisons mais aussi en fonction de la composition sociodémographique de ces territoires. Une schématisation de leur configuration donne ainsi à voir l’étalement de l’influence fonctionnelle résidentielle du littoral au sein de couronnes rétro-littorales. Cette hypothèse de l’émergence de bassin de vie littoraux éclaire le rapport distance/proximité au littoral vécu quotidiennement par les habitants. Nous proposons de l’appliquer à présent au territoire d’Auray Quiberon Terre Atlantique, l’intercommunalité à laquelle appartient Quiberon qui illustre la forte décorrélation entre lieux d’emplois et lieux de vie à l’échelle de ce territoire pourtant resserré mais tourné vers la mer.

1.2. AQTA, un bassin de vie littoral

L’intercommunalité d’AQTA (Auray Quiberon Terre Atlantique) est composée de 24 communes centrées autour de la petite ville d’Auray. L’analyse des indicateurs socio-démographiques croisée aux pratiques quotidiennes des habitants montre à la fois l’amplification et l’extension de l’influence du littoral vers les communes situées dans le foreland. Les dynamiques pour le territoire d’AQTA ne se limitent pas exclusivement à des dynamiques rétro-littorales, ce qui complique la lecture de ce territoire. Tout d’abord certaines communes littorales au sens de la loi littorale fonctionnent comme des communes rétro-littorales pour la presqu’île de Quiberon. Ainsi dans les entretiens menés lors d’une première campagne de terrain à Quiberon en octobre 2023 de nombreux actifs à Quiberon nous ont ainsi expliqué vivre à Erdeven ou à Plouharnel parce que les prix de l’immobilier à Quiberon étaient trop élevés, notamment des populations de classes moyennes plutôt supérieures, catégorie A de la fonction publique par exemple. Sur l’ensemble des agents municipaux (134 agents), 42,53% des agents (soit 57 agents) vivent hors de Quiberon, dont l’écrasante majorité des catégories A et catégories B (seul 2,6% des agents habitants à Quiberon sont des catégories A et 3,90% des catégories B). Alors que les catégories C vivent pour la plupart à Quiberon (93,5% des agents vivant à Quiberon sont des catégories C). Cette spécificité s’explique par la présence à Quiberon d’un parc de logement social communal de 42 logements, « réservés » pour partie pour le personnel municipal de catégorie C.

Figure 2 : Auray-Quiberon Terre Atlantique, un bassin de vie littoral ? (réalisation Brieuc Bisson)

On peut ici croiser ces données démographiques avec les données immobilières, notamment le prix médian du mètre carré ainsi que l’évolution des prix de l’immobilier depuis 5 ans[2].

  Prix médian m²Evolution depuis 5 ans
Communes littoralesQuiberon5853+ 52%
Plouharnel4067+ 62%
Carnac5821+ 48%
Saint-Pierre Quiberon4851+ 43%
La Trinité sur Mer6327+ 63%
Locmariaquer4416+ 31%
Etel4070+ 46%
Hoedic6149+ 22%
Houat6803+ 46%
Erdeven3928+ 56%
Saint Philibert4247+ 21%
Première couronne rétro-littoraleBelz (sur la ria d’Etel)3998+ 74%
Crach (sur le golfe du Morbihan)4622+ 75%
Ploemel3334+ 47%
Locoal-Mendon3310+ 53%
Seconde couronne rétro-littoraleAuray3792+ 56%
Sainte Anne d’Auray (nord N165)3549+ 66%
Landaul (nord N165)3058+ 68%
Pluvigner (nord N1652715+ 49%
Plumergat (nord N165)3126+ 59%
Brech (nord N165)3461+ 59%
Camors (nord N165)2341+ 69%
Landévant (nord N165)3017+ 72%
Pluneret (nord N165)3274+ 56%
Tableau 1 : Prix immobilier médian du mètre carré au sein d’AQTA et évolution depuis 5 ans (source lefigaro.fr/Yanport)

Une autre particularité d’AQTA est la multi-polarisation entre d’une part un littoral dynamique et fortement sujet à la pression immobilière, où se concentrent les emplois dans les services (tourisme, service à la personne – Quiberon offre ainsi par exemple 2 240 emplois pour 4 659 habitants (auxquels s’ajoute dont 41% de retraités), et à Carnac on comptabilise 1946 emplois pour 4231 habitants (et 44,9% de retraités). D’autre part une petite ville, Auray, concentrant un nombre d’emplois non négligeable (7 900 emplois pour 14 155 habitants), et enfin une proximité avec les agglomérations de Vannes et de Lorient via la RN 165 qui fait d’AQTA et notamment des communes proches de la RN 165 un périurbain vannetais pour l’est d’AQTA et de Lorient pour l’ouest d’AQTA (Auray est à 18 minutes de Vannes en voiture via la RN 165, et à 30 minutes de Lorient). Ces dynamiques quasi-périurbaines expliquent ici l’augmentation importante de la population dans les communes situées près de la RN 165 à l’ouest et à l’est de l’intercommunalité (alors même qu’une partie des communes littorales voient leur population résidente stagner ou diminuer ces dernières années). Landévant et Landaul à l’ouest sont liées à Lorient, et connaissent une attractivité croissante depuis 5 ans se répercutant aussi sur le prix du logement avec respectivement 72 et 68% d’augmentation des prix sur la période. Pluneret, Plumergat et Ste Anne d’Auray à l’est sont, elles, liées à Vannes et à Auray, et connaissent également des hausses marquées du prix de l’immobilier, respectivement 56, 59 et 66% d’augmentation des prix du mètre carré depuis 5 ans. Si cette multi-polarisation implique qu’AQTA en tant qu’ensemble n’est pas un bassin de vie littoral au sens strict du terme, la partie sud de l’intercommunalité reste elle largement liée au littoral d’un point de vue fonctionnel, notamment les communes situées au sud de la RN 165, qui marque une vraie rupture dans le sud de la Bretagne entre l’Armor (le littoral) et l’Argoat (l’intérieur des terres). Ainsi les communes de Crach, Belz, Ploemel, Locoal-Mendon sont liées fonctionnellement au littoral, comme les communes littorales d’Erdeven ou de Plouharnel sont intimement liées fonctionnellement à Quiberon ou Carnac (Plouharnel et Erdeven ne proposant que 558 et 648 emplois, contre respectivement 2240 et 3958 habitants). Plouharnel et Erdeven ont ainsi la particularité d’être des communes littorales fonctionnant comme des espaces rétro-littoraux pour les populations ne pouvant se loger sur la presqu’île de Quiberon mais y travaillant. Cette situation « paradoxale » se répercute depuis 5 ans sur les prix de l’immobilier au sein de ces communes, en très net augmentation, de 62% pour Plouharnel, et de 56% pour Erdeven, alors que d’autres communes littorales moins touristiques, comme Saint-Philibert et Locmariaquer, ont vu leur prix de l’immobilier évoluer de manière moins spectaculaire avec « seulement » une hausse de 21 et 31%.

D’autres communes, comme Ploemel par exemple, fonctionnent même ici comme rétro-littorales à la fois pour la presqu’île de Quiberon et pour le pôle Carnac et La-Trinité-sur-Mer (plus de 80% des actifs vivant à Ploemel ne travaillent pas sur la commune). L’agencement local joue aussi un rôle pour expliquer le fonctionnement de ce bassin de vie, la ria d’Etel à l’ouest (franchissable en un point seulement), et la rivière d’Auray à l’est (non franchissable entre Auray et la mer), participent aussi à couper le sud d’AQTA des dynamiques lorientaises ou vannetaises. On peut ainsi considérer l’ensemble de la partie située au sud de la RN165 comme appartenant au même bassin de vie littoral, dont la cohérence repose sur une forte articulation des mobilités et de l’emploi directement en lien avec l’attractivité du littoral, ainsi que sur une forte pression immobilière. Sur les communes au sud de la RN 165 seul Locoal-Mendon et Ploemel, qui sont les seules à ne pas avoir accès à une ria, sont sous la barre des 4 000€ le mètre carré, alors que l’intégralité des communes situées au nord de la RN165 le sont aussi.

2. Quiberon, trouver place au sein d’un territoire touristique sous pression

Au cœur de ce bassin de vie, Quiberon est une petite ville située au bout d’une presqu’île, rendant la question de l’accessibilité particulièrement prégnante. Lieu de pêche historique, notamment la pêche à la sardine, la ville connaît un développement du tourisme dès le XIXe siècle qui s’est accéléré ses trente dernières années. Si l’on reprend la typologie classique sur la caractérisation des espaces touristiques pensée par Philippe Duhamel (2018) distinguant site, comptoir, station et ville touristique[3] la classification de Quiberon interroge. Les habitants vivent ainsi avec une proximité de site liée à l’effet de la presqu’île, doublée de fortes singularités qui viennent redéfinir les rapports au lieu : notamment une opposition perçue comme forte entre Quiberon au sud, plus balnéaire, et Saint-Pierre-de-Quiberon au nord, historiquement moins touchée par le phénomène balnéaire, mais aussi recomposition interne des rapports sociaux selon les modes d’habiter plus ou moins intermittents que connait ce territoire fortement touristifié.

2.1. Entre la station et la ville touristique

Le tourisme représente une activité essentielle pour l’économie locale, notamment à travers l’économie dite résidentielle (Davezies, 2009). Chaque été la population de Quiberon passe de 4 658 habitants [4] à plus de 40 000 en saison estivale[5]. La part très importante des résidences secondaires dans le parc de logements, autour de 66% aujourd’hui marque le paysage, et fige également le marché immobilier déjà tendu. D’autant que ce chiffre ne prend pas en compte les résidences secondaires « temporaires » comme les mobil-homes qui ont des propriétaires, soit environ 500 mobil-homes aujourd’hui sur la commune de Quiberon. Si on s’attache à l’évolution du nombre de résidences secondaires au sein du parc de logements de Quiberon on note ainsi une très nette augmentation de cette part, particulièrement depuis 2009, alors que le nombre de résidences principales a lui légèrement baissé sur la période (une attrition de près de 400 logements du parc de résidences principales entre 2014 et 2023).

Figure 3 : Evolution du nombre de résidences principales et secondaires à Quiberon – Source : INSEE

Ce premier constat est renforcé par le fait que depuis 2009 le nombre de logements total à également nettement augmenté alors même que la population de Quiberon a baissé. A l’instar d’une partie du littoral breton, les logements construits ces quinze dernières années n’ont au final que partiellement servis à accueillir de nouveaux habitants permanents (Gaudin, 2021).

Figure 4 : Evolution de la population et du nombre de logements à Quiberon – Source : INSEE

D’un autre côté, une des particularités de Quiberon, notamment par rapport à d’autres stations touristiques littorales comparables, réside dans le maintien d’activités autres que touristiques, notamment autour de la pêche, de la conserverie ou de l’ostréiculture. Une situation qui se retrouve dans un certain nombre d’autres petites villes littorales bretonnes (Douarnenez, Guilvinec, Concarneau, etc.). Plusieurs conserveries ont historiquement été présentes sur le territoire de la commune de Quiberon. Aujourd’hui seule La Belle Iloise reste active (La Quiberonnaise et la conserverie les Jeannettes ont fermé récemment). Conserverie d’envergure nationale dont le siège social et une usine sont à Quiberon, La Belle Iloise représente jusqu’à 200 emplois à l’échelle de la commune (plus ou moins variable selon la saison). Ainsi à Quiberon les employés et ouvriers représentent encore respectivement 37,7 et 19,5% de la population active, chiffres comparables à Carnac, commune au profil assez identique et située à quelques kilomètres à l’est (respectivement 32,2% d’employés et 20,7% d’ouvriers). Autant de populations à faible niveau de qualification constituant en partie ce que l’on peut appeler les « classes populaires ». Du fait de l’attractivité résidentielle et touristique marquée, le territoire de Quiberon connait une très forte tension liée au prix du foncier. Si les chiffres de l’immobilier sont par nature volatiles on peut retenir que le prix médian du mètre carré se situe en janvier 2024 autour de 5 800€[6] (soit une augmentation de 52% depuis 5 ans), ce qui constitue une valeur parmi les plus fortes de Bretagne.

2.2. Accès au logement et gentrification touristique

Les premières enquêtes de terrain font ainsi clairement apparaitre l’ambivalence du territoire quiberonnais, particulièrement attractif et relativement dynamique sur le plan économique, mais au sein duquel les habitants et actifs permanents peinent à rester ou résider, malgré un fort attachement au lieu. Plusieurs éléments viennent donc renforcer la thèse d’une gentrification touristique : augmentation très forte des prix de l’immobilier, difficulté pour les ménages jeunes et populaires à avoir accès à un logement, vieillissement accéléré, commerces et services qui se spécialisent dans la mise en tourisme du territoire local. Ce phénomène n’est pas spécifique au littoral quiberonnais, on en retrouve de nombreux exemples qui ont fait notamment l’objet d’un travail de recherche-action mené par un collectif à proximité, concernant la ville de Douarnenez entre 2021 et 2022. Dans l’ouvrage réalisé, les militants dénoncent à la fois la captation de la rente économique sans assimiler le processus à une gentrification car selon eux : « si la gentrification des métropoles exclut pour remplacer [les catégories populaires par des ménages aisés], la mise en tourisme des villes du littoral exclut pour laisser un vide qui ne sera comblé que par un multipropriétaire quelques jours par an » (Collectif Douarnenez, 2023 :17).

A ce stade, deux hypothèses peuvent conduire l’analyse : celle d’une gentrification effective, conduisant à des luttes et mobilisations locales, que l’on retrouve d’ailleurs partiellement sur le territoire de Quiberon. Plusieurs associations basées à l’extérieur du territoire, dans des villes avoisinantes, luttent contre cette évolution en dénonçant le développement d’une économie saisonnière et l’attrition du parc de logements permanents à la faveur des logements touristiques. Le collectif Dispac’h par exemple est à l’origine d’opérations visant à interpeller les acteurs locaux mais aussi les touristes quant aux risques de dépeuplement du littoral breton et de spécialisation économique. Ainsi, il est à l’origine d’une installation sur la grande plage de Quiberon à l’été 2022, représentant un cimetière des villes fortement secondarisées constitués de croix plantées dans le sable indiquant les pourcentages de résidences secondaires dépassant la moitié du parc de logements.

Figure 5 : Opération « Croix blanches » organisée par le collectif Dispac’h, Quiberon 2 juillet 2022 – Source : Les auteurs

L’autre hypothèse relève de formes plus passives voir d’invisibilisation des catégories populaires[7] et précaires au sein de ces territoires. Au niveau de Quiberon cette hypothèse demeure fragile, du fait notamment de la part relativement importante et constante de populations issues du dernier décile – notamment si on la rapporte à la population résidente permanente. En effet Quiberon possède un parc de logement social plus important que la moyenne des petites villes touristiques et littorales bretonnes. Le Plan Local de l’Habitat (PLH) présente comme prioritaire le développement de logements en accès à la propriété pour les jeunes ménages et sous condition de ressources. Ce faisant cette offre demeure très limitée au regard des demandes en logements qui restent fortes et croissantes, d’autant que les possibilités de construction sont limités par les risques de submersion et le recul du trait de côte à proximité du rivage. Cet effet d’expulsion ou plus exactement d’impossibilité à se maintenir est-il pour autant exclusivement lié à une gentrification touristique ? D’autres éléments semblent également expliquer la forte pression immobilière, notamment le desserrement résidentiel (0,5 habitants par logement à Quiberon, taux de suroccupation de 0,6%) et la décohabitation particulièrement marquée dans un territoire vieillissant (50,6% de plus de 60 ans), la structure héritée du parc de logements avec un taux de propriété de plus de 15 points supérieur à la moyenne nationale ce qui accentue l’inertie de la chaine du logement et le faible turn over résidentiel d’une large partie du parc.

2.3. Quiberon, une identité singulière : une « presqu’iléité »

La pression très forte sur le territoire quiberonnais est accentuée par la configuration de la presqu’île, avec de fait un arrière-pays, commode en terme de délestage des problématiques foncières (les populations ne pouvant vivre sur la presqu’île allant vivre au sein des communes rétro-littorales). La situation de presqu’ile de Quiberon de taille relativement faible (environ 9km²) renforce les contraintes qui pèsent sur son accessibilité. L’isthme de Penthièvre, reliant la presqu’île au Morbihan, n’est large que de quelques dizaines de mètres sur plusieurs centaines de mètres, de quoi faire passer une route à deux voies, une voie ferrée à voie métrique, une piste cyclable et guère plus.

Comme nous l’avons vu précédemment, une partie de la population active sur le territoire quiberonnais n’y réside pas, mais pour les habitants de la presqu’île, l’attachement au lieu est particulièrement fort. En effet, tout comme l’îléité (Bonnemaison, 1990), la presqu’îléité marque une certaine rupture, un sentiment d’isolement ou de protection que l’on retrouve dans de nombreux entretiens conduits avec les habitants caractérisant le territoire de « bout du monde », de « territoire un peu à part », de « petite communauté à l’écart du continent ». Beaucoup insistent sur les permanences de leur rapport au territoire. Si les trajectoires résidentielles sont diversifiées, nombre d’enquêtés font état de l’histoire familiale où de la continuité de l’attache au territoire que ce soit des habitants à l’année qui y ont leurs vies professionnelles, comme les résidents secondaires, notamment ceux qui ont hérités de résidences familiales ou qui sont originaires de Quiberon et y ont gardé un pied à terre – plus de 60% des résidences secondaires sont la propriété de personnes résidant en Bretagne. La dimension identitaire forte est également largement relayée par la communication municipale, et pas uniquement touristique, le slogan officiel de la ville de Quiberon[8] « infiniment presqu’île » témoigne du caractère exceptionnel de la situation géographique de la commune. La presqu’îléité explique ainsi les rapports exacerbés au territoire : l’attachement géographique, les rapports de proximité contrainte et un isolement relativement marqué que la situation confère, concourant à une forme d’identité, de représentations et d’affects presqu’insulaires dont les récits de vie relatent une connaissance fine de l’histoire des lieux. Pour les personnes totalement extérieures au territoire et sans rapports familiaux antérieurs, l’intégration à la communauté presqu’insulaire est en revanche plus complexe, notamment du fait d’un accès au logement particulièrement restreint, mais aussi en partie réservé.

3. Les réseaux de sociabilité locaux dans l’accès au logement en contexte littoral

3.1. L’éloignement au littoral, une contrainte économique

La tension croissante sur le marché de l’immobilier quiberonnais accélère les formes de relégation de certaines catégories sociales des espaces littoraux. Pour le cas de Quiberon, ce processus de sélection est très net, imposant notamment aux classes moyennes une installation résidentielle sur les communes littorales et impliquant de fait des mobilités pendulaires qui rythment la circulation et l’accès à la presqu’île. C’est en effet près de 1 300 véhicules de travailleurs qui entrent au quotidien sur la presqu’île, avec une estimation d’environ 2,5 personnes par véhicules selon les chiffres du chargé de mission mobilités à la mairie de Quiberon (Entretien, 2023), cela représente près de 3 250 personnes qui, chaque jour, viennent travailler sur la presqu’ile sans donc y résider, soit un quasi doublement au regard des résidents permanents actifs (1 705 actifs[9]).

Ces mobilités pendulaires résultent de la forte pression foncière mais aussi du manque structurel de location à l’année. D’ailleurs la part des occupants de résidences principales locataires est très inférieure à la moyenne nationale (40,3% à l’échelle nationale, contre 29,8% à Quiberon). Une simple requête sur un moteur de recherche est à ce titre particulièrement marquant. La « location Quiberon » renvoie directement à des locations de vacances, il faut attendre la 30 ème  occurrence pour avoir une référence qui concerne une location à l’année. En revanche l’offre en logements de courte durée est très large et concerne tous types de biens, du studio, de préférence vue sur mer, à la maison familiale.

Figure n° 6 : Les locations de logements touristiques concentrés sur le littoral et la presqu’île de Quiberon – Source : Datascraping à partir du recueil de données du collectif ParisVSBnB, 2023.

Sans qu’il soit possible de réaliser une estimation précise de la part de logements mis en location par les plateformes touristiques (Airbnb, Abritel, etc.), celles-ci se concentrent fortement sur la presqu’île et les franges littorales. Selon les périodes (week-end, vacances, arrière-saison), l’offre varie mais nous avons pu évaluer que pour la saison estivale, cela représente jusqu’à 55% du parc de logements et près de 72% du parc des résidences secondaires. Les locations à l’année sont en revanche peu nombreuses[10] et surtout très onéreuses. A titre indicatif un appartement de 70m² avec 3 chambres est loué aujourd’hui autour de 1 300€ par mois. Les principaux concernés par la difficulté à se loger sont les jeunes actifs pour lesquels des loyers au-dessus de 600€ par mois sont inaccessibles. Cette catégorie a donné lieu à une campagne d’entretiens spécifique dont nous allons discuter à présent quelques-uns des premiers résultats.

3.2. Le poids des réseaux de sociabilité locaux

Les jeunes sont les premiers à souffrir du déséquilibre du marché immobilier à Quiberon, avec un important marché à l’achat mais un très faible marché locatif. Les entretiens réalisés auprès d’une trentaine de personnes font apparaître des situations de blocage, pendant parfois plusieurs années avant de parvenir à trouver un logement, majoritairement en location, au sein de la presqu’île. L’accès au logement locatif sur des types de bien entrant en concurrence avec de possibles locations saisonnières ou meublés touristiques (Studio, T1, T1 bis, T2) reste donc particulièrement difficile à Quiberon. Ce constat est partagé par les élus (maire, adjointe aux affaires sociales) et les témoins de la vie quiberonnaise que peuvent être les correspondants de la presse quotidienne régionale, Ouest-France et Le Télégramme, comme par les récits de vie des jeunes actifs.

Plusieurs entretiens réalisés auprès de jeunes arrivants ou de retour sur le territoire de Quiberon/AQTA racontent les stratégies opérées par le biais de réseaux d’interconnaissance pour trouver un logement. Ces récits font état, particulièrement pour les nouveaux arrivants non originaires de la presqu’île, d’un véritable parcours du combattant pour trouver un bien en location. Ainsi une employée d’un camping originaire de Poitou-Charentes a vécu deux ans dans un mobil-home mis à disposition par le propriétaire du camping dans lequel elle travaillait avant de pouvoir accéder à un logement en location à Quiberon, après plus d’un an de recherche. Une jeune mère de famille, a elle aussi eu du mal à trouver un bien en location, jusqu’à avoir connaissance d’une personne « ressource » locale qui est parvenue à lui trouver un bien assez rapidement. Une autre habitante, venant de région parisienne et travaillant dans le secteur touristique pour une conciergerie, met aussi bien en avant la difficulté à trouver un bien à la location quand on n’est pas originaire de la presqu’île et que l’on n’est pas inséré dans les réseaux de sociabilité locaux. A contrario, une habitante de St Pierre de Quiberon, originaire de St Pierre a été contactée directement par une de ses connaissances pour mettre en location, pour le fils de cette connaissance, un petit studio au fond de son jardin jusqu’ici uniquement loué en saison pour des touristes, un autre habitant relate qu’il loue à des connaissances une chambre à l’étage de sa maison durant toute l’année à l’exception de quelques semaines l’été où il souhaite accueillir ses enfants. L’association « les volets ouverts » a proposé une démarche originale afin de fluidifier les possibilités d’installation des ménages arrivants en les mettant en lien avec des propriétaires de résidences secondaires, afin que ces derniers hébergent dans leur résidence secondaire non fréquentée hors saison des habitants recherchant des logements à l’année de septembre à juin. L’objectif est « d’aider les actifs à pouvoir habiter les communes littorales et à encourager de manière ponctuelle le partage d’usage d’habitations – essentiellement secondaires », proposant ainsi des locations temporaires et une forme originale de partage de l’usage des logements.

A côté de ces initiatives, les entretiens conduits sur le terrain ont conduit à identifier les contours d’un marché informel du logement locatif qui se déploie en parallèle du marché classique. Certains acteurs quiberonnais non institutionnels vont même jusqu’à estimer que cette tension du marché locatif « officiel » est largement exagérée et en partie résorbée par le marché informel. L’accès au logement rendu très difficile pour les classes populaires et les jeunes, la solution de l’informalité s’est imposée dans le processus même d’accès au logement et parfois même aussi au travers de petits emplois dans les secteurs de la location touristique, de l’entretien des jardins, de la surveillance, du ménage ou encore de la rénovation. Sous des formats divers qui reposent souvent sur des formes de cohabitation ou d’aménagement d’espaces existants, l’informalité résidentielle apparait comme un sas d’accueil pour une population possédant déjà des liens avec le territoire. Sans qu’il soit possible d’estimer statiquement l’ampleur de ce phénomène qui échappe totalement aux agences immobilières et aux offices notariaux, le marché immobilier informel recouvre différentes configurations (colocation, aménagement d’une chambre privée ou d’un ancien garage en studio, arrangement avec des connaissances qui possèdent des résidences secondaires, logements alternants, occupations des interstices, etc.). Le point commun réside dans l’intégration à la société locale. Les propriétaires rencontrés et pratiquant ce type d’accueil revendiquent une solidarité locale à destination des jeunes du territoire. Ils partagent ainsi un souci de maintien sur place ou de retour de personnes ayant des liens où ayant d’ores et déjà vécu sur place indépendamment de la question économique, des liens de solidarité, d’entraides, de connaissances, de voisinage ou familiaux. Ces locations qui ne passent pas par les filtres officiels (agences immobilières, notaires, office du tourisme) sont aussi des possibilités de compléter des revenus (par des locations ponctuelles) et ce type de fonctionnement est aussi dans l’air du temps au niveau de la consommation des ménages (articles de seconde main, ressourceries, sites internet comme Le Bon coin qui court-circuitent les réseaux commerciaux classiques). Mais Le discours aussi largement revendiqué est de ne pas systématiquement mettre ces logements sur le marché de la location saisonnière considéré comme déjà pléthorique. Pour les personnes en bénéficiant, on retrouve deux catégories d’hébergés: ceux jouant pleinement la carte d’un retour au pays, souhaitant ancrer une démarche de réintégration au sein d’un territoire qu’ils connaissent ; ceux pour qui l’orientation professionnelle est liée au choix d’implantation (souvent dans la restauration, le tourisme et les activités de loisirs comme le surf qui constitue sur le territoire une activité de forte socialisation). Du fait de l’enclavement de la presqu’île et de l’existence de nombreux réseaux (activités associatives, paroissiales, culturelles, etc.) qui reposent avant tout sur les cercles de connaissances, on constate un dépassement du strict cadre familial ou amical. Ainsi, l’adjointe aux affaires sociales explique qu’elle reçoit « personnellement de nombreuses demandes directes de logements sociaux », sans que celles-ci soient adressées par le circuit conventionnel du CCAS.

Les nouveaux arrivants extérieurs au territoire, se retrouvent eux confrontés directement à la crise du logement et aux prix particulièrement élevés de la location ou de l’achat sur la presqu’île, sans avoir accès aux réseaux informels. La relégation se joue donc bien aussi à ce niveau. Les réseaux de solidarité reposant non pas sur le projet d’implantation ou de résidence à l’année mais à travers les liens familiaux et relationnels des individus au sein de la société locale et souvent préexistants à la nouvelle installation sur le territoire.

3.3. Les nouveaux localismes

Les revendications en faveur d’une priorité aux résidents permanents portés par les habitants et collectifs ont souvent été accompagnées de réflexions autour d’un rapport au local revalorisé. Ce tournant local assumé repose à la fois sur un discours économique, rappelant que les deux tiers des emplois de la région Bretagne sont liés à l’économie présentielle, mais aussi environnemental en positionnant la préservation des terres agricoles versus l’extension urbaine entraînée par l’attractivité touristique et résidentielle. Nil Caoussin, élu régional et auteur d’un ouvrage sur le statut de résident (2021) défend l’idée, sous couvert de limiter la résidentialisation touristique des littoraux bretons, de privilégier/réserver la possibilité d’acquisition d’un logement à une durée d’implantation préalable sur le territoire régional et/ou local. D’autres collectifs souhaitent également que soient privilégiées des solutions avantageuses pour les populations résidentes où qui envisageant de le faire de manière permanente sur le territoire. Ces revendications ont pris parfois la forme de mobilisations qui ont réuni plusieurs milliers de personnes dans différentes villes littorales depuis le début de l’année 2022. Une pétition réunissant plus de 10 000 signataires afin de réclamer le classement de la région Bretagne en zone tendue, a été portée par différents collectifs mobilisés pour l’accès au logement ainsi que par des partis politiques. La mobilisation a connu un fort retentissement politique et médiatique, débouchant sur la reconnaissance de 31 nouvelles communes en zones tendues à l’automne 2023. Ce classement permet aux collectivités de prendre des mesures telles que l’encadrement des loyers, la limitation des locations de courte durée, la surtaxation des résidences secondaires et vacantes. Parmi les acteurs à l’origine de ces actions on retrouve notamment des partis politiques régionalistes et indépendantistes bretons[11] qui à travers la question du logement trouvent ici la possibilité de mobiliser au-delà de leurs soutiens habituels. Ces nouvelles luttes et revendications pour le logement font largement valoir des arguments autour de l’identité bretonne (à préserver de formes de folklorisation et/ou de la disparition notamment autour de l’usage la langue bretonne), et de la crise du logement, considérée particulièrement à travers le prisme de l’accès à la propriété et de l’ancrage territorial. La Bretagne est en effet une région où la part des propriétaires est structurellement et culturellement forte (+ 10 points supérieure à la moyenne nationale[12]). Ce faisant, on retrouve ici l’émergence de ce que l’on peut considérer comme de nouvelles formes de localisme (Ghorra-Gobin, 2013 ;  Hok-Wui Wong et Man Wan, 2018), pour lesquelles l’attachement et la connaissance intime du territoire et de ses habitants – jusqu’à sa langue, l’identification de personnes ressources – constituent des ressources à préserver dans une forme de résistance aux transformations extérieures liées à la touristification accélérée des territoires littoraux.

Les tensions locales autour de l’accès au logement ne sont pas nouvelles en soit, mais elles réactivent une politisation de la question locale et pose des questions ouvertes quant à l’accueil, la solidarité et les possibilités de cohabitation de différents modes d’habiter, plus ou moins pérennes au sein de ces territoires.

Conclusion

Le programme de recherche Popsu Territoires sur la commune de Quiberon a permis de recueillir des données originales et inédites mobilisées dans cet article et de réaliser ces premières analyses; il constitue une opportunité pour mettre en relation les acteurs de ce territoire côtier, en s’intéressant aux enjeux multiples soulevés par la question de l’accès au logement sur un territoire soumis à une forte pression immobilière. La démarche mise en œuvre par les chercheurs à partir de campagnes d’entretiens autour de groupes-cibles (habitants permanents, élus, résidents secondaires, jeunes actifs) rend visibles les confrontations entre les différentes logiques d’utilisation et d’installation à proximité de l’espace côtier ainsi que les formes de territorialité qui se jouent à de multiples échelles : Bassins de vie littoraux, de plus en plus étendus et fonctionnant en forte interdépendance avec les communes littorales qui tendent à se spécialiser dans le tourisme et l’économie résidentielle ; à l’échelle des communes littorales elles-mêmes dont le rapport au littoral impacte fortement les stratégies des acteurs locaux en matière d’accueil et parfois de dérogation au cadre institutionnel ; enfin à l’échelle des populations résidentes – de manière permanente ou intermittente – qui à travers des logiques diverses développent une sociabilité fortement territorialisée, où les attaches au lieu sont présentées comme des éléments déterminants quant à l’accès à des ressources réservées, à l’image du marché locatif informel qui se met en place.

Références bibliographiques :

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Blondy C., Vacher L. & Vye D., 2016, « Les résidents secondaires, des acteurs essentiels des systèmes touristiques littoraux français ? », in Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 30 | 2016, mis en ligne le 20 avril 2016, URL : http://journals.openedition.org/tem/3344  

Bonnemaison J., 1990. « Vivre dans l’île », in l’Espace géographique, tome 19-20, n° 2, 1990. p. 119-125

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Chalard L. & Dumont G.-F., 2007, « Territoires français : le renforcement de la « para-urbanisation » et de la « litturbanisation » », Population & Avenir, vol. 682, no. 2, 2007, pp. 14-16.

Collectif Droit à la Ville Douarnenez, 2023, Habiter une ville touristique Une vue sur mer pour les précaires, Rennes, 243 p.

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Desse M., Robert S., Herbert V. & Chadenas C. (dir.), 2024, Les Littoraux français. Permanences, changements, enjeux. Sous la direction de Sous la direction de Michel DESSE, Samuel ROBERT, Vincent HERBERT, Céline CHADENAS. Paris, Armand Colin, 560 pages.

Duhamel P., 2018, « Chapitre 5. La mise en tourisme des lieux et leur développement : logiques, typologies et dynamiques », in Géographie du tourisme et des loisirs. Dynamiques, acteurs, territoires, pp.171-209

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Ghorra-Gobin C., « Le new localism », Tous urbains, 2013/1 (N° 1), p. 56-58. DOI : 10.3917/tu.001.0056. URL : https://www.cairn.info/revue-tous-urbains-2013-1-page-56.htm

Hok-Wui Wong Stan & Man Wan Kin, 2018, « Boom immobilier et essor du localisme à Hong Kong », Perspectives chinoises, n°144, URL: https://www.jstor.org/stable/26618765

Keltz B., 2023, Bretagne secondaire, Langrolay sur Rance, Les éditions du coin de la rue, 255 p.

Lebahy Y. & Le Delezir R., 2006, Le littoral agressé : pour une politique volontariste de l’aménagement en Bretagne, Rennes, Editions Apogée, 190 p.

Robert S. & Melin H. (dir.), 2016, Habiter le littoral. Enjeux contemporains. Editions Espace et Développement, Presses Universitaires de Provence & Presses Universitaires d’Aix Marseille, Aix Marseille Université, 471 pages


[1] Chiffres INSEE intégrant les communes riveraines de grands lacs de plus de 1000 hectares

[2] Source lefigaro.fr – chiffres de janvier 2024, à partir des données de Yanport, 2024

[3] Une plage étant l’idéal type du site, le Club Med l’idéal type du comptoir (pour l’exemple de Quiberon la thalasso), Station de ski de troisième génération un archétype de la station, et Paris un archétype de la ville touristique, où existe de nombreuses autres activité que le tourisme

[4] Recensement de 2019

[5] Données du service d’urbanisme d’AQTA, 2023.

[6] Chiffres prenant en compte le prix du neuf, de l’ancien, le prix du mètre carré en appartement et en maison. Chiffres Le Figaro Immobilier.fr, consulté le 11/01/2024.

[7] Cette deuxième hypothèse est notamment à l’étude dans le cadre d’un travail doctoral financé par la Région Bretagne portant sur la gentrification littorale et la place des catégories populaires dans ces territoires, conduit par Laura Couedel au laboratoire ESO-Rennes, UMR CNRS 6590

[8] Slogan figurant sur le logo de la commune, ainsi qu’au-dessus de l’entrée de la mairie

[9] Service d’urbanisme AQTA, 2023

[10] Une recherche effectuée le 5 décembre 2023 sur le site des agences du réseau Orpi donnait 46 logements à vendre sur la commune de Quiberon contre seulement 2 biens à louer. Sur Ouest-France immobilier ce même 5 décembre 2023 on retrouvait 147 biens à vendre contre seulement 5 locations !

[11] Union Démocratique Bretonne notamment et depuis quelques années déjà, mais aussi plus récemment le Parti National Breton, qui est réapparu depuis quelques mois en Bretagne.

[12]  A l’échelle de la Bretagne : 29,8% locataires 67,3% de propriétaires (INSEE, 2020)

Pour citer cet article : 

GAUDIN Solène & BISSON Brieuc « Résider à proximité du littoral : Nouvelles configurations territoriales et stratégies résidentielles, l’exemple de Quiberon », 3 | 2024 – Villes petites et moyennes en transition, GéoProximitéS, URL : https:// geoproximites.fr/ark:/84480/2024/09/19/ vpm-al03/