« Refonctionnaliser » les centres historiques des petites villes en décroissance : une quête d’attractivité basée sur la proximité servicielle.

« Refunctionalising » shrinking towns’centres: a research of attractiveness based on amenity proximity.

Alix de la Gaignonnière
〉Chercheur post-doctoral en aménagement et urbanisme
〉Ecole normale supérieure – PSL
〉Centre Jean Pépin UMR 8230

〉alix.delagaignonniere@gmail.com

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Mots clés : Revitalisation ; fonctions urbaines ; gentrification ; action cœur-de-ville ; centre-ville.

Absract: This article looks at the ‘refunctionalisation’ of shrinking historic centres in France, i.e. the relocation of amenities. To this end, it analyses this refunctionalisation within the revitalisation plan for the historic centre of Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), developed as part of the Action Cœur-de-Ville programme. The analysis is based on a corpus of local planning documents, grey literature, seven semi-structured interviews and INSEE statistical data. The article shows that the amenity proximity supported by this refunctionalisation is based on a logic of attractiveness and contributes to the social project of gentrification of the historic centre undertaken by Villefranche-de-Rouergue town council.

Keywords: Revitalisation ; urban functions ; gentrification ; Action Cœur-de-Ville ; town’s centres.

Introduction

Depuis le milieu des années 2010, la décroissance des centres historiques a progressivement constitué un objet à part entière de l’action publique urbaine en France. Cette décroissance qualifie les territoires urbains accusant localement, de manière structurelle, un changement démographique, une tension des finances publiques, une érosion du système productif ainsi qu’une dégradation de leur cadre physique (Martinez-Fernandez et al., 2012) (fig. 1). Parmi les nombreux facteurs de la décroissance des centres historiques, leur « réduction fonctionnelle » constitue celui ayant contribué, au niveau local, à la perte de leur centralité (La Gaignonnière, 2023). Cette réduction s’est progressivement opérée, depuis les années 1950, par l’externalisation des différentes fonctions urbaines (résidentielle, industrielle, commerciale puis administrative) du centre historique vers les quartiers périurbains.

Figure 1 : Les mécanismes locaux de la décroissance urbaine. Source : Florentin, 2016. Auteur : Alix de La Gaignonnière

Lancée en 2017, l’Action cœur-de-ville (ACV) se fonde sur le postulat que les centres historiques « dévitalisés » souffrent d’un manque d’attractivité. Pour combler ce manque, les actions locales préconisées s’inscrivent au sein de différents axes comme la restructuration des logements, la valorisation patrimoniale, l’amélioration de l’accessibilité, la piétonisation de certaines rues ou encore le développement de services publics et commerciaux. Nous ne traiterons toutefois, dans cet article, que de cette dernière dimension servicielle, dont le développement en centre historique participe à ce que nous appelons leur « refonctionnalisation ». Nous nous questionnons alors sur ses objectifs, les moyens de sa mise en œuvre et ses limites. Notre analyse se base sur l’étude du cas de Villefranche-de-Rouergue (VDR), une petite ville d’Aveyron en décroissance bénéficiaire de l’ACV. Parmi les différentes actions projetées dans ce cadre, un certain nombre concerne le déplacement ou la création de services en centre historique. Le corpus d’analyse se constitue de documents de planification locale, de littérature grise (sites internet, brochures), de sept entretiens semi-directifs menés auprès d’acteurs publics locaux, ainsi que de données INSEE récoltées à l’échelle du découpage en IRIS de la commune.

1. Refonctionnaliser pour gentrifier : un projet de changement social en centre historique

La refonctionnalisation du centre historique de VDR s’inscrit, avant tout, au projet social de gentrification du quartier. Il se fonde, pour cela, sur une logique d’une « migration servicielle » (amenity migration) qui tend à favoriser « [un] mouvement de personnes basé sur l’attractivité de services naturels et/ou culturels » d’un lieu (Gosnell & Abrams, 2011, p. 305).

Cette refonctionnalisation répond, d’abord, à la décroissance du centre historique dont les symptômes, visibles au moins depuis 2006, sont caractérisés par une baisse et une paupérisation des ménages résidents dans le quartier (fig. 2). Cela s’est, notamment, traduit par le classement du centre historique au titre des Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), lors de la réforme de la géographie prioritaire opérée par la loi du 21 février 2014, dite Lamy. Ce double phénomène participe tant à la réduction des recettes fiscales de la collectivité qu’à la « stigmatisation territoriale » (Wacquant et al., 2014) du quartier dégradant son image auprès des investisseurs privés.

Figure 2 : Dépopulation et appauvrissement du centre historique de VDR. Sources : Données INSEE (IRIS). Auteur : Alix de La Gaignonnière

Cette refonctionnalisation s’inscrit, ainsi, dans un projet de revitalisation axé sur la promotion de l’image d’un cadre de vie de qualité lié à la proximité servicielle dans le centre historique. Pour l’équipe municipale, en effet, ce projet « ne va pas partir de l’habitat mais du cadre de vie […] Le cadre de vie, c’est ramener des services » (source : entretien élu municipal, 2020). La promotion d’une telle image ambitionne d’opérer une « mixité sociale par le haut » (source : entretien services municipaux, 2020) en « [ramenant] des habitants en [centre historique], en priorité les classes moyennes et supérieures » (Ville de VDR, 2023, p. 297). La refonctionnalisation participe ainsi à « diversifier les fonctions et les usages [du centre historique] » (Ville de VDR, 2023, p. 11) pour favoriser « [une gentrification] encouragée par les politiques municipales et le programme Action cœur-de-ville » (Ville de VDR, s.d.).

2. Une sélection spatiale et sociale des services à réimplanter

Telle qu’elle est projetée, la refonctionnalisation du centre historique de VDR s’opère, toutefois, sur une sélection tant spatiale que sociale des services à réimplanter. Cette sélection est, dans un premier temps, spatiale. La réduction fonctionnelle du centre historique a, jusque-là, bénéficié aux quartiers périurbains et notamment à la zone commerciale et artisanale de la route de Montauban du Quartier Ouest. Si l’offre de services de ces quartiers est, aujourd’hui, bien supérieure à celle du centre historique (fig. 3), la mairie ne souhaite pas développer dans ce dernier une offre concurrente. Aussi y privilégie-t-elle des « activités économiques complémentaires [par l’implantation] d’activités tertiaires, de ‘tiers lieux’ ou [des] professions libérales et [des] services publics » (Ville de VDR, 2023, p. 11).

Figure 3 : Répartition des services par quartier (en nombre d’établissements). Sources : Données INSEE/BPE (IRIS). Auteur : Alix de La Gaignonnière

Cette sélection est, dans un second temps, sociale. Dans l’optique de développer une offre de services attractive pour les classes moyennes et supérieures ciblées, la refonctionnalisation du centre historique s’opère par le biais de certains services spécifiques de natures culturelle, commerciale, administrative et liés à une politique des âges (fig.4). En matière culturelle, la refonctionnalisation vise, d’abord, à « redynamiser le quartier, générer des flux et de l’activité culturelle, embellir [et] améliorer le cadre de vie, contribuer au dynamisme du commerce de proximité [ainsi que] renforcer la fonction culturelle du centre-ville » (Ville de VDR, 2019, p. 42). Elle passe alors par l’implantation de lieux de création et de diffusion culturelles (réhabilitations de l’ancienne discothèque en résidences d’artistes et d’un hôtel du XVIIIe siècle en Pôle culturel) ; de valorisation du patrimoine local (achat et réhabilitation de bâtiments vacants pour la Maison du tourisme et du patrimoine, la maison de l’Occitan et un chantier école) ; et de développement associatif (réhabilitations des bâtiments vacants de la rue Prestat et de la halle de marché). En matière commerciale, la refonctionnalisation ambitionne, ensuite, de « faire revenir des actifs en bastide, pour favoriser les flux et la consommation […], attitrer des enseignes ‘locomotives’ pour le commerce existant [et] compenser la désertification commerciale » (Ville de VDR, 2018, p. 54). Elle s’opère par la création d’un tiers lieu dans un bâtiments réhabilité de la rue de la République (FabLab, pépinière d’entreprises, espace formation, services aux entreprises de l’EPCI et du Conseil régional), de deux locaux de restaurants (place Morlhon et rue Prestat), d’une boutique tremplin (local municipal à loyer bas) et par la mise en place d’une aide à la modernisation des locaux commerciaux existants (financée à hauteur de 100 000€ par l’EPCI). En matière administrative, la refonctionnalisation passe, en outre, par la volonté municipale de ramener « une ‘présence républicaine’ avec le retour des services [publics] en centre historique » (source : entretien élu municipal, 2020). Elle s’opère par la dispersion des services municipaux dans différents bâtiments vacants, notamment celui de la culture, du sport et de la vie associative (rue de Pomairols), de l’éducation et de la jeunesse (rue Belle Isle), ainsi qu’avec la création d’un hôtel de police municipale (place Jean Petit). En matière de politique des âges, la refonctionnalisation s’opère, enfin, par le développement de services liés aux développement urbain intergénérationnel. Elle projette, ainsi, l’implantation d’un EHPAD (dans l’ancien centre de tri postal), d’une résidence séniors (dans l’îlot de la place Morlhon acquis à l’aide de l’EPF), d’un équipement sportif (dans l’ancienne bibliothèque municipale) et d’une aire multisport (dans jardin de l’ancien presbytère des Augustins).

Figure 4 : Implantations et financements des services projetés en centre historique. Sources : Ville de VDR, 2018, 2019, 2023. Auteur : Alix de La Gaignonnière

Conclusion : un colosse aux pieds d’argile ?

Ainsi la refonctionnalisation se fonde-t-elle sur le développement d’une proximité servicielle en centre historique. Elle s’inscrit au sein du projet de revitalisation plus large – le premier aussi ambitieux et intégré porté par la commune pour ce quartier – qui bénéficie, localement, d’un large consensus auprès des élus, habitants et commerçants. Le financement et la mise en œuvre de cette refonctionnalisation se fondent sur un important soutien de l’Etat (au travers de divers dotations) et du Conseil régional ainsi que d’un endettement de la commune et de l’EPCI auprès de la Banque des territoires. Par ailleurs, certains des projets ne bénéficient pas encore d’un budget prévisionnel (fig. 4), laissant douter de leur réalisation à terme.

Si le développement de services dans un quartier en décroissance est, en soit, souhaitable, la formalisation qu’il prend n’est, toutefois, pas sans poser au moins deux questions. La première concerne les bénéficiaires de cette refonctionnalisation. Ancré dans les logiques de la ville néolibérale – axées sur le développement de l’entrepreneuriat et de l’offre de services plutôt que sur la réponse aux besoins des habitants (Pinson, 2020) – cette refonctionnalisation supporte, à terme, une politique de ségrégation socio-spatiale. Aucun projet ne comporte, en effet, un accompagnement des populations précaires, pourtant faible, basé par exemple sur le développement d’une économie sociale et solidaire, sur l’amélioration des services du CCAS ou même sur le déménagement de l’agence France travail en centre historique, où se situent par ailleurs bon nombre de ses usagers. La quête d’attractivité par le développement de la proximité servicielle, pose d’autant plus question qu’elle s’inscrit au sein d’une stratégie dite « réactive », qui parie sur le regain démographique plutôt que sur une planification de la décroissance de la ville et qui, à l’international, à fréquemment démontré son inefficacité (Sousa & Pinho, 2015). A VDR, elle se fonde sur l’hypothèse, encore très incertaine, d’un « desserrement des métropoles » de Toulouse et de Montpellier (Région Occitanie, 2022, p. 91) et l’échec d’une telle stratégie menacerait alors la sécurité budgétaire de la collectivité. Une partie des dépenses en équipement est, en effet, absorbée par l’augmentation des impôts locaux (fig. 5) qui peut, à terme, faire peser une lourde charge fiscale sur les habitants si la collectivité ne bénéficie pas des recettes fiscales supplémentaires escomptées, issues des ménages ciblés. Ainsi la quête d’attractivité soutenue par l’ACV peut-elle, à terme, aggraver les symptômes de la décroissance des petites villes.

Figure 5 : Evolution des dépenses en équipements, de l’endettement et des impôts locaux par habitant à VDR. Source : Finances publiques (impots.gouv.fr). Auteur : Alix de La Gaignonnière

Références bibliographiques :

Florentin D., 2016. « Shrinking city », Géoconfluences, [en ligne].

Gosnell H. & Abrams J., 2011. « Amenity migration : diverse conceptualizations of drivers, socioeconomic dimensions, and emerging challenges », GeoJournal, 76, p. 303-322.

La Gaignonnière (de) A., 2023. Revitaliser la ville : les instruments de gestion du patrimoine urbain face à la décroissance des centres historiques des petites villes, Thèse de doctorat, ENS-PSL

Martinez‐Fernandez C., Audirac I., Fol S. & Cunningham Sabot E., 2012. « Shrinking cities: Urban challenges of globalization ». International journal of urban and regional research, 36, 2, p. 213-225.

Pinson G., 2020. La ville néolibérale, Paris, Presses universitaires de France.

Région Occitanie, 2022. « Rapport d’objectifs », Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, [en ligne].

Sousa S. & Pinho P., 2015. « Planning for shrinkage: Paradox or paradigm », European planning studies, 23, 1, p. 12-32.

Ville de VDR, 2018. « Annexes », Convention cadre Action coeur-de-ville de Villefranche de Rouergue (2018-2022), signée le 13 octobre 2018.

Ville de VDR, 2019. Contrat cadre, Bourgs-Centres Occitanie/Pyrénées-Méditerrannée.

Ville de VDR, 2023. « Rapport de présentation », Site patrimonial remarquable : Plan de sauvegarde et de mise en valeur.

Ville de VDR, s.d. « Acheter et habiter en bastide », disponible sur https://villefranche-de-rouergue.fr/acheter-et-habiter-en-bastide/, consulté le 11 février 2024.

Wacquant L., Slater T. & Pereira V.B., 2014. « Territorial stigmatization in action », Environment and planning A, 46, 6, p. 1270-1280.

Photo en tête : source : https://www.flickr.com/photos/philippedaniele/30934782048

Pour citer cet article :
DE LA GAIGNONNIERE Alix « « Refonctionnaliser » les centres historiques des petites villes en décroissance : une quête d’attractivité basée sur la proximité servicielle. », 3 | 2024 – Villes petites et moyennes en transition, GéoProximitéS, URL : https:// geoproximites.fr/ark:/84480/2024/09/19/ vpm-ac4/