The challenges of the agri-food transition in an intermediary city: the study of Pau and the “Green Belt Pays de Béarn” project.
Claire Casaurang-Maupas
〉Doctorante en géographie et aménagement
〉Université de Pau et des Pays de l’Adour
〉Laboratoire de sciences humaines TREE- UMR 6031
〉claire.casaurang-maupas@univ-pau.fr
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Mots clés : transition agri-alimentaire, ville intermédiaire, territorialisation, relocalisation, proximités
Abstract: This article, linked to a thesis in progress, focuses on the intermediate town of Pau in south-western France and its agri-food transition, concentrating on a territorial green belt project, the “Ceinture Verte Pays de Béarn”. In recent years, there has been renewed interest in the strategic place that intermediate towns occupy within territorial organization, as pivotal cities between urban and rural areas. By drawing intense political and societal attention, the intermediate city is seen as a fertile ground for the agri-food transition, with relocalization and territorialization movements linking agriculture, food and territory. The article focuses on the “Ceinture Verte Pays de Béarn”, a pioneering project in France that was created in Pau in 2019 between the Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées, the urban community of which Pau is a part, and a private investor. This business model, which has been developed in other regions in France, is based on a land leaseback system, which involves the purchase and provision of farmland and the loan of equipment to help market gardeners set up. This article looks at how this project reflects a new strategy of agricultural and food relocation, in terms of the tool used and its implementation, governance and scope. The article aims at highlighting the role of stakeholders in the territorialization of the agri-food transition, where operational, lived, spatial and relational proximities come into play. By questioning the geographical scale of this territorial project and analyzing the tensions between stakeholders, the article shows the prefiguration of an “intermediary” territorial system, reflecting the need to articulate several territorial scales in order to achieve transition. This very recent model raises questions about access to agricultural land and networking between stakeholders. Thus, our work is based on two methodological approaches, carried out between 2019 and 2021, in order to capture the logic of action and coordination between stakeholders : a participatory observation approach and individual semi-directive interviews with some 40 people (elected representatives, directors and project managers) targeted as multi-faceted professionals from public action, trade unions and agricultural and environmental support organizations.
Keywords: agri-food transition, intermediate city, territorialization, relocalization, proximities
Longtemps l’attention des recherches scientifiques et des politiques publiques a été donnée aux extrêmes de la hiérarchie territoriale française : les métropoles, et à contrario, le monde rural. Quid des villes moyennes, représentées dans leurs limites par « les agglomérations urbaines de 20 000 à 200 000 habitants » (Santamaria, 2000), soit presque 20 % de la population (INSEE, 2021) ? Ces dernières années, un renouvellement d’intérêt est porté à la place stratégique qu’elles occupent au sein de l’organisation territoriale en tant que ville « de l’entre-deux ». Plus que la ville moyenne, la ville intermédiaire nous semble mieux traduire le rôle de ce type de ville en dépassant la vision parfois péjorative donnée au terme de « moyenne ». Leur potentiel d’intermédiarité représente leur plus-value : elles possèdent une caractéristique de pivot et de « relais entre les métropoles et les espaces ruraux » (Baysse- Lainé, 2018) et ont la capacité « d’être des interfaces pertinentes … car leur dimension intermédiaire les place au cœur des logiques nationales et locales » (Nadou, 2010).
Ce potentiel interroge le rôle de la ville intermédiaire comme moteur d’entraînement de la transition agri-alimentaire (TAA), celle-ci ne pouvant être menée qu’en lien avec les territoires face à un contexte en mutation. La nécessité de faire évoluer les systèmes agricoles et alimentaires vers plus de durabilité, en valorisant d’abord les ressources locales, a émergé en opposition à un modèle mondialisé aux nombreuses limites. Elle serait un terreau favorable à la transition agri-alimentaire possible par la relocalisation et la territorialisation qui « tisse ou retisse des liens entre l’alimentation et les territoires d’où elle est issue » (Brit, 2019). Ces mouvements positionnent la ville intermédiaire comme force centrifuge dans les processus d’interconnexion entre agriculture, alimentation et territoire.
Pour étayer nos propos, cet article s’inscrivant dans un travail de thèse, prend appui sur l’étude de cas de la ville intermédiaire de Pau, de son contexte territorial et de son implication croissante sur les questions agricoles et alimentaires.
Figure 1 : Densité de population des communes du Pays de Béarn en 2023
Chef-lieu du département des Pyrénées-Atlantiques, Pau est une ville d’environ 80 000 habitants et possède une caractéristique de centralité avec sa fonction de pôle administratif central. Elle s’inscrit avec 30 autres communes au sein de la Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées (CDAPBP) regroupant un peu plus de 160 000 habitants (INSEE, 2024). Une communauté d’agglomération qui sera un échelon territorial important dans la suite de notre propos tout comme celui du Béarn, territoire administratif historique.
Si la ville de Pau, à l’instar d’autres villes, offre une multitude de lieux et d’expériences témoignant de liens toujours existants entre producteurs et consommateurs, il est question de se focaliser sur un projet novateur : la Ceinture Verte Pays de Béarn structurée via une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) créée en 2019 entre la Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées et un investisseur privé.
L’article propose de présenter comment ce projet de mise à disposition de terres témoigne d’une nouvelle stratégie de relocalisation agricole et alimentaire tant dans l’outil utilisé que dans sa mise en œuvre, sa gouvernance et son périmètre. Il est aussi question de montrer la place d’acteurs parties prenantes dans la territorialisation de la transition agri-alimentaire qui mobilisent des proximités spatiales et relationnelles (Torre, 2009).
Nos propos reposent sur deux démarches méthodologiques réalisées entre 2019 et 2021 afin de de saisir des logiques d’actions et de coordination d’acteurs. La démarche d’observation participante s’est traduite par une immersion et un suivi de projets dont celui de la Ceinture verte Pays de Béarn. Des entretiens individuels semi-directifs ont suivi, menés auprès d’une quarantaine d’acteurs (élus, directeurs et chargés de mission) ciblés en tant que professionnels multi-casquettes issus de l’action publique (collectivités territoriales, EPCI), du monde agricole (syndicats, organismes d’accompagnement, foncier agricole), associatif (aide alimentaire et environnement), bancaire et de l’enseignement.
1. Un partenariat entre acteurs public et privé comme force d’entraînement pour la création d’une SCIC Ceinture Verte Pays de Béarn : un élargissement des limites territoriales nécessaire
Depuis une dizaine d’années, la ville de Pau est actrice et support d’une dynamique renouvelée sur les questions agricole et alimentaire. Elle s’inscrit dans le contexte d’une montée en puissance de l’engagement des collectivités territoriales sur ces questions. Inscrite, comme beaucoup de villes intermédiaires, dans une dynamique d’adaptation à un contexte en mutation et d’application d’un cadre légal, nous constatons que le processus de territorialisation de la transition agri-alimentaire à Pau est bien enclenché.
Figure 2 : Dispositif public et projets à Pau et au sein de la Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées (CDAPBP)
Si Pau est un point de départ à la mise en action, d’autres échelons territoriaux comprenant Pau sont mobilisés. La territorialisation de la transition agri-alimentaire se construit sur un territoire « large », en raison d’acteurs mobilisés autour de projets inscrits au-delà du seul périmètre de la ville. Elle passe par un élargissement des délimitations territoriales rendant les contours de la ville intermédiaire poreux. En effet, Pau ne peut être pensé sans ses alentours. L’application de la loi NOTRe de 2015 a rendu d’autant plus logique l’articulation d’échelles territoriales. L’agrandissement de la CDAPBP en 2017 a intégré de nouvelles communes pour la plupart rurales réévaluant sa prise en considération des questions agricoles. La gestion du foncier agricole est devenue un enjeu majeur de la politique de la nouvelle CDAPBP. A travers sa gestion, les objectifs sont de répondre aux injonctions légales vis-à-vis de la restauration collective, de renforcer l’économie locale et de développer des circuits courts alimentaires. Dans ce sens, motivée par la venue d’un investisseur privé sur le territoire ayant la volonté de développer ce projet de SCIC Ceinture Verte, la CDAPBP s’est associée à travers un positionnement et une implication politique très forts. Elle a saisi cette opportunité pour répondre aux objectifs des lois EGAlim qui imposent d’intégrer dans la restauration collective à minima : « 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques » (Xicluna, 2019). En effet, une SCIC Ceinture Verte repose sur un portage foncier qui consiste en l’achat de terres agricoles afin d’aider à l’installation de maraîchers, de leur prêter du matériel en contrepartie d’une cotisation. Ce modèle économique est certes développé sur d’autres territoires, mais la Ceinture Verte Pays de Béarn a été la première à exister devenant précurseur de ce modèle en France. L’objectif est de structurer un nouveau circuit d’approvisionnement en maraîchage bio et local en Béarn en palliant un problème d’accès à du foncier agricole pour des agriculteurs hors cadre familial. Toutefois, ce projet né à Pau montre la tension d’acquérir des terres en milieu urbain et a dû élargir son périmètre d’action en périphérie de la ville puis à l’échelle du Béarn. Comme l’explique le maire d’une commune rurale de la CDAPBP interrogé à ce sujet, « Les politiques commencent à prendre conscience que l’enjeu c’est l’alimentation ». C’est une agriculture produite autour de la ville. Si ce dispositif veut se positionner comme une solution à la relocalisation d’une agriculture de proximité, en maintenant une ceinture maraîchère de proximité, il faudra la capacité d’installer un nombre conséquent de fermes maraîchères. Il en existe actuellement une dizaine.
2. Une mise en œuvre source de crispations entre acteurs
La mise en œuvre de la Ceinture Verte s’est caractérisée par l’organisation de plusieurs réunions collaboratives réunissant le plus d’acteurs possibles autour de la construction de ce projet. Parmi eux, certains ont par la suite intégré cette SCIC. La nouvelle gouvernance territoriale a toutefois pu susciter en amont du scepticisme vis-à-vis d’acteurs ancrés sur le territoire que sont les organismes d’accompagnement agricoles, les syndicats agricoles et les acteurs du foncier agricole. Ce projet bénéficiant d’un fort portage politique, ces acteurs se sont interrogés sur une mise en concurrence et sur leur capacité à exister face à « une grosse machinerie, un gros modèle d’alimentation » comme le mentionne un membre du CIVAM Béarn. La question foncière a évidemment fait l’objet de beaucoup de questionnements et d’inquiétudes comme en témoigne une personne de la FDSEA : « Le foncier agricole c’est quand même l’enjeu majeur et le sujet de la concurrence foncière en fait partie. Le prix des terres ne baisse pas. L’investissement des terres c’est toujours une opération économique donc il ne faut pas que les agriculteurs soient mis en difficulté par d’autres organisations qui auraient d’autres moyens et qui pourraient spéculer sur le foncier ». L’objectif d’installer des jeunes agriculteurs via cette SCIC est accueilli positivement par l’ensemble des acteurs même s’ils se questionnent sur l’évolution d’un tel modèle, sur sa capacité de fournir la restauration collective et sur sa logistique : « Pour l’instant, les maraîchers sont installés de manière dispersée sur le territoire. Est-ce qu’ils vont pouvoir créer des économies d’échelle en matière de stockage, de transformation et de transport ?(Elu de la Chambre d’agriculture 64) ».
3. De la ville intermédiaire au système territorial « intermédiaire »
C’est dans l’articulation des échelles territoriales que l’on peut comprendre le processus de la territorialisation de la transition agri-alimentaire et l’aborder également à l’aide de la notion de « fluidité » (Dansero, 2016), qui permet de traduire les inévitables interactions relationnelles qui ne s’arrêtent pas à un seul échelon territorial. Nous pourrions alors parler de système territorial « intermédiaire » comprenant une ville intermédiaire combinée à d’autres échelles territoriales. Un système territorial « intermédiaire » qui n’est toutefois pas encore complètement abouti en termes de gouvernance et de métabolisme territorial révélant certes la force d’inertie de la ville intermédiaire de Pau mais également toute la complexité de faire système avec d’autres territoires et échelons territoriaux. La Ceinture Verte Pays de Béarn a la spécificité d’avoir été la première à exister en France. Elle a ainsi ouvert la voie quant au développement de ce modèle avec actuellement neuf autres ceintures vertes en France. Elle est le témoin de nouvelles pratiques de gouvernance territoriale fondées sur l’existence d’un modèle opérationnalisable (Carnoye, 2011). Ce modèle très récent pose question quant à sa pérennité et sa reproductibilité reposant notamment sur la solidité de l’appui politique de l’acteur public et sur la mise à disposition de terres. En effet, pour notre cas d’étude, la difficulté repose sur la présence d’acteurs considérés comme des passeurs et des bloqueurs de la transition agri-alimentaire. Si les acteurs de ce système s’emparent des problématiques agricoles et alimentaires, leur mise en réseau et leur coordination restent des points d’achoppement. Il s’agit de sortir d’une approche en partie sectorielle pour une approche plus transversale et systémique. Si la proximité spatiale est là, les proximités organisationnelle et relationnelle doivent encore évoluer.
Références bibliographiques :
Baysse-Lainé A., Perrin C. & Delfosse C., 2018. « Le nouvel intérêt des villes intermédiaires pour les terres agricoles : actions foncières et relocalisation alimentaire ». Géocarrefour. http://journals.openedition.org/geocarrefour/10417
Brit A-C., 2019. « Colloque Reterritorialisation de l’alimentation : quelles contributions à la durabilité des systèmes alimentaires ». INRA. https://www.rmt-alimentation- locale.org/post/colloque-reterritorialisation-de-l-alimentation-paris-le-28-novembre-2019
Carnoye L., 2013. « Reterritorialisation et développement durable : contraintes écologiques et logiques sociales ». Compte rendu de journée d’étude (Lille, 25 novembre 2011). Développement durable et territoires. Vol.4, n°1. https://journals.openedition.org/developpementdurable/9730
Dansero E., Pettenati G. & Toldo A., 2016. “Si proche et pourtant si loin : Étudier et construire la proximité alimentaire à Turin » in Patrick Mundler éd., Alimentation et proximités : Jeux d’acteurs et territoires (pp. 307-321). Dijon cedex : Éducagri éditions. https://www.cairn.info/alimentation-et-proximites–9791027500826-page-307.htm
INSEE, 2021. La France et ses territoires. Insee Références, Editions 2021.https://www.insee.fr/fr/statistiques/5040030
INSEE, 2024. Intercommunalité-Métropole de CA Pau Béarn Pyrénées (200067254). Institut National de la Statistique et des études économiques. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=EPCI-200067254
Nadou F., 2010. « La notion de ” villes intermédiaires ”, une approche différenciée du rôle des villes moyennes : entre structuration territoriale et spécificités socio-économiques ». HAL SHS. https://shs.hal.science/halshs-00596204
Santamaria F., 2000. « La notion de « ville moyenne » en France, en Espagne et au Royaume- Uni ». Annales de géographie, 109 (613), p. 227–239. https://shs.hal.science/halshs- 00174018
Torre A., 2009. « Retour sur la notion de Proximité Géographique ». Géographie, économie, société, 11, 63-75. https://www.cairn.info/revue–2009-1-page-63.htm.
Xicluna P., 2019. Communiqué de presse. Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire. https://agriculture.gouv.fr/50-de-produits-bio-de-qualite-et-durables- dans-la-restauration-collective-horizon-2022
Pour citer cet article :
CASAURANG-MAUPAS Claire « Les enjeux de la transition agri-alimentaire dans une ville intermédiaire : l’étude de Pau et du projet « Ceinture Verte Pays de Béarn » », 3 | 2024 – Villes petites et moyennes en transition, GéoProximitéS, URL : https:// geoproximites.fr/ark:/84480/2024/09/19/ vpm-ac10/