Habiter avec une maladie respiratoire chronique : les dynamiques territoriales du Care dans le cas de la mucoviscidose

Living with a chronic respiratory disease: the territorial dynamics of care in the case of cystic fibrosis

Virginie Loizeau
〉Architecte, Docteure en Sociologie. Postdoctorante en Santé-environnement
〉Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Rennes
〉Chercheuse UMR Arènes 6051 CNRS, Université de Rennes 〉Associée UMR ESO 6590 CNRS, Université Rennes 2

〉virginie.loizeau@ehesp.fr

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Mots-clés : enfant malade, prendre soin, santé respiratoire, habiter, dynamiques territoriales.

Abstract: When a child suffers from a chronic respiratory disease, his parents question their ways of dwelling. They want to protect their child from the common risks inside and outside their home. They seek to adapt their living environment to take care of his respiratory health. The article analyses the residential path of Joshua’s family, a young boy with cystic fibrosis. It shows why his parents have chosen to live in Brittany. It highlights the various qualities that make a region an attractive place to live and care for a sick child. It underlines the need for a balance between the characteristics of the environment (such as climate), a suitable healthcare offer, and the society’s sensitivity and commitment to dealing with a rare disease like cystic fibrosis.

Key words: sick child, care, respiratory health, dwelling, territorial dynamics.

L’article propose une réflexion sur les facteurs susceptibles de rendre un territoire attractif pour les malades respiratoires chroniques dans le but de préserver au mieux leur état de santé. Dans cet objectif, il présente une analyse des dynamiques territoriales du care dans le cas de la mucoviscidose.

1 . Les implications de la mucoviscidose sur l’environnement de vie

La mucoviscidose est une maladie génétique rare et grave fragilisant les systèmes respiratoires et digestifs des personnes qui en sont atteintes. Les poumons des malades sont sensibles à des germes, à des moisissures et des bactéries courantes dans les milieux domestiques intérieurs et extérieurs. En France, pour prévenir la dégradation de l’état de santé respiratoire des nourrissons souffrant de mucoviscidose[1], les soignants adressent à leurs parents des conseils relatifs à leur logement et leurs manières de l’aménager et de l’entretenir. Ils leur recommandent de veiller à la qualité de leur environnement de vie, ce qui conduit les familles à questionner leur habiter (Gagnon, 2021) en le considérant au regard de ses différentes échelles spatiales et temporelles (Mathieu, 2016 ; Stock, 2007).

Afin de prendre soin de leur enfant, les parents effectuent un travail de care (Tronto, 2009) aux multiples dimensions. Ils prêtent attention à la prise en charge médicale dont peut bénéficier leur enfant selon leur lieu d’habitation tout en intégrant d’autres dynamiques territoriales du soin, notamment environnementales et sociales. Ils se soucient des conditions climatiques (de chaleur et d’humidité) ainsi que des pollutions atmosphériques pouvant avoir des conséquences directes sur la qualité de l’air que respire leur enfant et sur sa santé. Pour son bien-être, ils veillent aussi à ce que sa vie sociale soit comme celle des autres enfants malgré sa maladie et ses soins (Loizeau, 2022).

2 . Appréhender les dynamiques territoriales du care : le parcours résidentiel de la famille de Joshua

Nous allons aborder ces dynamiques territoriales du care en rendant compte et en analysant le parcours résidentiel de Joshua[2] et de sa famille, de sa naissance à ses onze ans. Celui-ci nous a été retracé par son père lors d’un entretien mené dans le cadre d’une recherche doctorale[3] consacrée à la prévention domestique des risques respiratoires par une quarantaine de familles d’enfants atteints de mucoviscidose ou d’asthme et résidant en Bretagne (Loizeau, 2022). A cette occasion, les parents interviewés ont présenté leurs manières respectives d’aménager leur logement et, plus largement, leur habitat et leurs conditions de vie afin de tenir compte de la maladie de leur enfant et des recommandations médicales.

Lorsqu’ils ont appris quelques semaines après sa naissance que leur fils aîné souffrait de mucoviscidose, les parents de Joshua vivaient en région parisienne. Son père y terminait ses études. Pour sa première affectation professionnelle, il a demandé à pouvoir suivre les conseils du médecin de son fils, préconisant de fuir la pollution urbaine pour l’air de la campagne ou de la mer jugé plus clément pour des bronches malades. Ainsi, la famille de Joshua s’est installée quelques temps en Bretagne avant de déménager sur la Côte d’Azur pour plusieurs années. De la pointe Ouest de la France à son extrême Sud-Est, elle a expérimenté tour à tour deux climats de bord de mer, frais mais humide pour l’un, sec mais chaud pour l’autre, lui semblant, malgré ces bémols, préférables à l’atmosphère parisienne.

Les parents de Joshua ont également éprouvé des prises en charge médicales inégales de leur enfant. Ils ne discutent pas le professionnalisme des soignants spécialistes de la mucoviscidose qui se sont occupés de leur fils sur leurs lieux de résidence successifs. Cependant, en région parisienne, ils ont fait l’expérience d’un CRCM[4] suivant un grand nombre de patients, ce qui laissait peu de temps au médecin référent de Joshua pour leur adresser les conseils personnalisés qu’ils recherchaient : « (c’)était un très bon hôpital mais c’était l’usine »[5].

Sur la Côte d’Azur, Joshua se rendait en consultation dans un établissement hospitalier où officiait une pneumopédiatre mais sans l’équipe pluridisciplinaire[6] qui accompagne d’ordinaire l’enfant et sa famille. Ses parents ont alors assez vite préféré s’orienter vers le CRCM de Marseille à plus d’une heure de train de leur domicile afin de retrouver l’offre de soins complète qu’ils estimaient nécessaire à la santé de Joshua.

Dès qu’ils en ont eu l’occasion, ils ont rejoint la Bretagne où ils avaient déjà vécu. Ils ont privilégié pour leur fils un suivi par le CRCM de Roscoff au savoir-faire médical et relationnel de leur point de vue incomparable en termes de prise en charge de l’enfant et de sa maladie. Ils ont aussi apprécié de retrouver un environnement social (comme à l’école par exemple) dans lequel la mucoviscidose est une maladie familière suscitant un intérêt pour la vie quotidienne des malades plutôt que de l’embarras face à une maladie méconnue :

« […] les gens connaissent cette maladie, ils savent ce que c’est. Et c’est vrai donc qu’il y a un autre rapport à la maladie… Comment dire ? Les gens peuvent avoir une vision un peu particulière quand ils ne connaissent pas la maladie, de dire : « Ah le pauvre… » ou « Ah ça doit être difficile… » Et là […] on connaît la maladie, on sait ce que c’est, il n’y a pas besoin de réexpliquer à chaque fois ce que c’est, les gens connaissent en gros. Parfois ils peuvent demander des détails et ça on peut les donner. Mais il y a une autre approche de la maladie je trouve en Bretagne par rapport à d’autres régions »

Père de Joshua, entretien réalisé en 2019

Dans cette société locale où chacun ou presque a une connaissance de la mucoviscidose, les parents de Joshua ont trouvé un cadre favorisant l’intégration sociale de leur fils en tant que malade respiratoire chronique. En vivant en Bretagne, ils le prémunissent de l’isolement voire de la stigmatisation dans laquelle sa maladie l’enfermerait peut-être plus facilement ailleurs.

3 . La Bretagne comme territoire de soins privilégié pour la mucoviscidose

Le parcours résidentiel de Joshua et de ses proches illustre les différentes dynamiques à l’œuvre dans l’adaptation de l’habiter des familles d’enfants atteints de mucoviscidose. La première a trait à la maladie, ses spécificités et celles de la prise en charge médicale dont elle fait l’objet.

Les parents de Joshua choisissent pour lieu d’habitation la Bretagne qui s’affirme comme un « foyer » de la mucoviscidose à plusieurs titres. En France, cette région est l’un des principaux foyers génétiques de la maladie depuis des millénaires (Pellen, 2012). Les mutations du gène y sont encore fréquentes dans la population et le territoire concentre un nombre important de personnes malades[7]. Au fil du siècle dernier, la Bretagne est devenue un foyer médical pour la mucoviscidose avec la constitution d’un réseau de professionnels de santé avertis et d’un maillage dense de centres de soins, dont les CRCM « historiques » de Rennes et de Roscoff (Langeard et Minguet, 2018 : 75). Elle s’est imposée en tant que base de recherche et comme lieu d’expérimentation. Le laboratoire de génétique implanté à Brest a fait de la mucoviscidose l’une de ses « pathologies phares »[8] depuis plus de 30 ans. La région a été pionnière dans la mise en place du dépistage néonatal de la maladie (Vailly, 2004). Ce statut de foyer scientifique est entré durablement en résonance avec celui de foyer social : en terres bretonnes, les malades et leurs familles bénéficient du soutien et de l’énergie de la société locale, caractérisée par une mobilisation associative généreuse[9] et appuyée par la presse locale[10] (Vailly, 2004).

La Bretagne se présente comme un territoire central au regard des multiples dimensions de la prise en charge de la mucoviscidose. En ce début de XXIe siècle, cette prédisposition historique au soin des malades croise les préoccupations environnementales inhérentes à cette pathologie. Comme le notent Bossé et alii (2023), « l’air constitue une force de recomposition des espaces habités ». Dans le cas présent, la recherche d’un air respirable pour des enfants aux bronches sensibles semble rendre le climat breton attractif. A l’aune du changement ou réchauffement climatique, les inconvénients de l’humidité ambiante sont de plus en plus contrebalancés par des températures estivales restant relativement supportables et permettant de réduire des risques de déshydratation non-négligeables pour des personnes vulnérables. De plus, ces inconvénients comptent a priori moins pour les familles que les désagréments de la pollution atmosphérique des grandes agglomérations d’autres bassins de vie. Les caractéristiques environnementales du territoire et son aménagement urbain peuvent donc aussi entrer en ligne de compte dans les logiques présidant au choix du lieu de résidence des familles en vue de mieux habiter avec la maladie respiratoire chronique de leur enfant.

Figure 1. Les déterminants de la santé respiratoire de l’enfant dans la mucoviscidose. Auteure : V. Loizeau, 2024

Conclusion

Le cas de la mucoviscidose montre la pluralité des critères à partir desquels se définissent l’attractivité d’un territoire quand il s’agit de prendre soin de son enfant et de mieux habiter avec sa maladie respiratoire chronique. Le care apparaît alors comme une question de proximités plurielles, d’une part entre le malade, ses proches et son territoire de vie, et d’autre part entre une société et une maladie.

Références bibliographiques :

Bossé A., Fort-Jacques T. & Romay M., 2023, « Respirer l’urbain en asthmatique et/ou en allergique. Hospitalité des espaces publics urbains et airs anthropocènes », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], vol. 23, n°1.

Gagnon É., 2021, « Habiter », Anthropen, Le dictionnaire francophone d’anthropologie ancré dans le contemporainhttps://doi.org/10.47854/anthropen.v1i1.51290.

Langeard C. & Minguet G., 2018, « Généalogie des bonnes pratiques d’hygiène : déclinaisons locales et travail d’accord dans le cas de la mucoviscidose », Sciences sociales et Santé, vol. 36, p. 71-97.

Loizeau V., 2022, La prévention domestique des risques respiratoires par les familles d’enfants malades : la mucoviscidose au prisme de l’asthme en Bretagne, Thèse de doctorat en sociologie, Université Rennes 2.

Mathieu N., 2016, « Modes d’habiter, « Modes d’habiter », « cultures de la nature » : des concepts indissociables », in Guide des Humanités environnementales, Chone A., Hajek I. & Hamman P. (dir.), Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, coll. Environnement et société, p. 567-581.

Pellen N., 2012, Hasard, coïncidence, prédestination… et s’il fallait plutôt regarder du côté de nos aïeux ? Analyse démographique et historique des réseaux généalogiques et des structures familiales des patients atteints de mucoviscidose en Bretagne, Thèse de doctorat en sociologie-démographie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Stock M., 2007, « Théorie de l’habiter. Questionnements », in Habiter le propre de l’humain, Paquot T., Lussault M. & Younes C., Paris, La Découverte, p. 103-125.

Tronto J. C., 2009, Un monde vulnérable : pour une politique du « care », Paris, La Découverte.

Vailly J., 2004, « Une politique de santé « a priori ». Le dépistage néonatal de la mucoviscidose en Bretagne », Sciences sociales et santé, vol. 22, n°4, p. 35-60.


[1] La mucoviscidose fait partie des cinq maladies dépistées à la naissance par le Test de Guthrie.

[2] Prénom choisi afin de respecter l’anonymat de l’enfant et de ses parents.

[3] Financée par l’association Vaincre la Mucoviscidose et la Région Bretagne.

[4] Centre de Ressources et de Compétences de la Mucoviscidose, centre de soins hospitalier spécialisé dans la prise en charge des personnes atteintes de mucoviscidose, enfants et adultes.

[5] Comme les suivantes, cette citation est extraite de l’entretien réalisé avec le père de Joshua en Novembre 2019.

[6] Cette équipe est plus ou moins exhaustive selon les CRCM et les moyens financiers variables dont ils disposent. Elle se compose en théorie a minima d’un pneumopédiatre, d’un infirmier et d’un kinésithérapeute. Elle peut aussi comprendre un gastroentérologue, un diététicien, un assistant social, un psychologue, un secrétaire, un éducateur sportif, un art-thérapeute, etc.

[7] Pour des données chiffrées, voir le Registre français de la mucoviscidose – Bilan des données 2022 publié en Septembre 2023 : registre_francais_mucoviscidose_bilan2022.pdf (vaincrelamuco.org).

[8] Cf. BIGG : Biomedicine and Integrative Genetics & Genomics | Génétique, Génomique fonctionnelle et Biotechnologies (univ-brest.fr).

[9] L’une des plus actives associations de lutte contre la mucoviscidose étant La Pierre Le Bigaut Mucoviscidose.

[10] Le Télégramme.

Pour citer cet article :

LOIZEAU Virginie « Habiter avec une maladie respiratoire chronique : les dynamiques territoriales du Care dans le cas de la mucoviscidose », 2 | 2024 – Le care : une notion des proximité(s) ?, GéoProximitéS, URL : https:// geoproximites.fr/ark:/84480/2024/06/01/ care-ac17/