Dealing with proxemics to study stray animals in Southern Global cities
Noé Parot
〉Doctorant en géographie
〉UMR 5600 Environnement Ville Société
〉Université Jean Moulin Lyon 3
〉noe.parot1@univ-lyon3.fr 〉
〉Article court 〉
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Mots-clés : Animaux, proxémie, environnements urbains, méthodologie, interactions humains/animaux
Abstract: Proxemics is “the relationship that individuals maintain with distance” (Bouron, 2022). This concept originates from the American anthropologist Edward T. Hall (Hall, Petita, and Choay, 1978). Based on his work, it is interesting to analyze human-animal interactions in urban areas. Urban environments tend to increase interactions and reduce the distance between living beings. However, animals need a minimum amount of space for their survival. This leads to various negotiations and adaptation strategies that allow each animal to preserve its own space.
To study the proxemics of urban animals, we implemented different methodological approaches to observe their adaptation strategies. First, we used mobile observation and GPS tracking to monitor animal movements. Then, drawing on the experience of a researcher encountering a stray monkey in India, we will demonstrate how the concept of proxemics affects human-animal interactions and how to adapt methodological tools to specific situations.
Keywords: Animals, proxemics, urban environments, methodology, human/animal interactions
Introduction
La proxémie est « la relation que les individus entretiennent avec la distance » (Bouron, 2022). C’est un concept qui nous vient de l’anthropologue américain Edward T.Hall, analysé dans son ouvrage La dimension cachée publié en 1966 (Hall, Petita & Choay, 1978). En partant de l’analyse du comportement des animaux, il a transposé le concept de proxémie aux humains et a classé quatre distances (intime, personnelle, sociale et publique) influencées par le contexte culturel notamment (Paquot, 2015 ; Tiphine, 2018). Nous nous concentrerons surtout sur les réflexions concernant les animaux pour éviter de transposer à outrance des « concepts du monde animal aux sociétés humaines » (J.C Gay, cité par Tiphine, 2018).
Ce concept se révèle particulièrement intéressant lorsqu’on regarde les interactions humanimales en ville. Le milieu urbain a tendance à maximiser les interactions et à réduire la distance entre les êtres vivants. Toutefois, il est nécessaire pour les animaux d’avoir un minimum d’espace pour leur survie. Se joue alors toute une variété de négociations, de stratégies d’adaptation afin que chaque animal préserve son entre-deux : une distance nécessaire pour établir son territoire (Vacher, 2014) mais une proximité idéale aux humains, pour se nourrir par exemple. L’animal renvoie alors à son étymologie : anima, soit animé. Il se meut, se déplace (Mauz, 2002) et ainsi engendre des contacts, des interactions. C’est cette capacité de déplacement qui a été au cœur d’une réflexion autour d’un protocole méthodologique et d’une démarche de recherche qui sachent capter cette animation. Ainsi, à partir des mouvements des animaux, il est tout à fait possible d’imaginer les potentielles géographies qu’ils dessinent dans les villes. Superposés aux territoires humains, les territoires des animaux peuvent nous permettre de mieux comprendre la fabrique et le fonctionnement de la ville.
1. Construction du protocole méthodologique
La construction du protocole méthodologique s’est élaborée à partir du constat que l’observation statique des animaux dans les espaces publics comme sur le modèle ethnographique ne convenait pas à elle seule. D’une part, l’absence de langage commun nécessite une plus grande attention à la communication non verbale (Chanvallon, 2013). D’autre part, les animaux évoluant dans les espaces publics indiens et marocains sont de gabarits variés : certains sont très voyants (vache, âne, cheval) quand d’autres sont beaucoup plus petits (chat, chien). Ces derniers peuvent évoluer dans les espaces sans être repérables, en fonction des temporalités de la journée. Afin de les observer de la meilleure façon, il a été opté pour une approche originale : l’observation itinérante. Elle se décompose en deux temps :
- Un itinéraire déterminé en fonction d’un espace pour comptabiliser et dresser un tableau de la présence animale dans certains quartiers de la ville. Dans la figure 1, l’itinéraire a été élaboré à partir d’observations antérieures afin de distinguer les espaces les plus pertinents à observer (restaurant universitaire, commerce, bâtiment, forêts, etc.). L’idée est que le cheminement du chercheur puisse rendre compte des multiples réalités de la présence animale. Pour cela, l’itinéraire de ne doit pas être trop long pour éviter une marge d’erreur trop importante. Cependant, il doit épouser en grande partie des espaces composants le quartier de manière à être représentatif d’une présence à un instant T. Cet itinéraire est par la suite répété plusieurs fois par jour afin de pointer les évolutions de leur présence en fonction des temporalités (entre le matin et le soir par exemple). Cette répétition du protocole est nécessaire pour parvenir à un niveau de précision acceptable (Bates & Byrne, 2007).
Figure 1. Itinéraires de l’observation itinérante dans le campus de l’université de Mumbai (2023) : 19°04’15.1″N 72°51’31.3″E. Parot, 2023

- Un suivi (GPS) particulier de certains animaux (les chiens pour la plupart) pour comprendre leurs itinéraires (à pied) (figure 2) et déterminer leur emprise. Cette méthode ajoute au recensement des animaux des informations qualitatives sur les motifs de déplacements et de concentration des individus. Les chiens étaient sélectionnés à partir de lieux constitutifs de la vie du quartier, principalement les résidences et restaurants universitaires. D’autres suivis ont été réalisés sur des individus plus isolés afin de pouvoir comparer plusieurs types de déplacements en fonction des lieux. Le suivi a dû être réalisé à une distance minimale dans le but de ne pas (trop) influencer les comportements des chiens. La forte densité humaine dans les espaces publics indiens permet un certain « effacement » du chercheur. La figure 2 indique la distance parcourue lors de suivi de chiens dans le campus de Mumbai. Une proportion considérable des 69 suivis (75%) font moins de 200 mètres et se sont concentrés en fin d’après-midi et début de soirée.
Figure 2. Exemples de suivi de chiens errants dans le campus de l’université de Mumbai. Parot, 2023

Suivre les itinéraires des animaux est un moyen de se rendre compte de leurs circulations dans l’espace public urbain et de comprendre les dimensions de leur territoire (Morizot, 2018). C’est aussi chercher avec eux (Buller, 2012) les lieux où la nourriture est présente, leurs aires de repos, etc. Ce en quoi la ville est intéressante, de leur point de vue. Cela me permettait d’assister à des situations d’interactions avec les humains tout en pouvant les recontextualiser avec un avant et un après. Il s’agit donc d’un suivi d’animaux conscient des enjeux sociaux qui sous-tendent les interactions humanimales. De plus, cela permet de spatialiser les territoires des animaux, ce qui était régulièrement écarté à cause des difficultés méthodologiques (Benhammou, 2016). Ces données deviendront ainsi le support qui permet ensuite d’élaborer des cartographies des territoires animaux en ville (Fig. 3). Des cartographies qui croisent des données d’ordre économique, social et culturel avec la présence des animaux. L’intérêt est donc à la fois méthodologique et scientifique puisque cela appuie le souhait de faire émerger une science du vivant dans l’espace (Baratay, 2012 ; Despret & Larrère, 2014 ; Estebanez, 2014).
Figure 3. Les espaces des animaux errants dans les rues de Jaipur (2020) : 26°53’34.8″N 75°49’30.3″E. Parot, 2020

2. Le suivi des animaux : une distance à adopter et à adapter
C’est donc pour mettre au point ce protocole méthodologique que la notion de proxémie devient éclairante. En effet, mettre au point cette observation itinérante a nécessité des ajustements. Nous l’avons dit, les animaux errants souhaitent préserver une distance minimale avec les humains sauf lorsqu’ils sont en quête de nourriture, alors ils s’approchent ou se laissent approcher. Pour prétendre observer et suivre les animaux, il faut toujours garder une certaine distance dans le but de ne pas (trop) influencer leur comportement. Lorsque que je[1] n’avais pas la bonne distance, que ma présence devenait trop manifeste, le comportement des animaux se modifiait et pouvait alors altérer la nature des données. C’est l’exemple des chiens errants qui est le plus parlant. Une trop grande proximité avec les chiens errants, souvent craintifs, les a mis en situation de défiance. Les chiens sont en effet attentifs à toute forme d’irruption dans leurs « espaces personnels » (De Villers, 2013), qu’ils peuvent interpréter comme une intrusion. A l’inverse, une trop grande distance peut se révéler inefficace au regard de l’activité effervescente des rues indiennes ou marocaines. Un animal suivi, surtout de faible gabarit comme un chien errant, est vite perdu de vue. L’observation itinérante, c’est une négociation continue entre la distance adéquate et la proximité nécessaire au suivi. Il faut savoir adapter son allure par rapport à celle de l’animal. Les distances parcourues sont variées mais dans la grande majorité des cas, elles sont faibles : de quelques mètres à quelques centaines de mètres (Collet, 2018). Ces circulations éprouvées par l’observation itinérante sont relatives au gabarit de l’animal.
3. La proxémie et le singe liminaire[2]
Cet équilibre entre proximité et distance est donc au cœur de la démarche de recherche sur la faune urbaine. Il se construit en permanence en fonction de plusieurs facteurs comme la densité d’animaux, d’humains, les infrastructures, les activités, etc. Il est aussi en permanence rappelé par notre sujet d’étude. De fait, l’observation itinérante, en s’inspirant du pistage classique (Morizot, 2018) avec notamment quelques emprunts méthodologiques : photographies, attente ; intègre le chercheur dans une quête au rythme des animaux. Il est impératif de bien connaitre le comportement des animaux, comme les errants, et de savoir maitriser sa distance avec eux. C’est donc sur cette anecdote avec un singe Hanuman Langur dans les rues de Jaipur que je souhaite illustrer les atouts et les limites de l’observation itinérante.
Lors de mon terrain à Jaipur en 2019, je me suis rendu au lac artificiel de Man Sagar Lake, au nord de la ville. Je souhaitais dresser un tableau des espèces animales rencontrées dans la ville et ce lac est un lieu de concentration d’espèces (chien, paon, singe, tortue, etc.). La première fois que je m’y suis rendu, j’ai pu observer des singes Hanuman Langur près d’un grand arbre (Fig. 4). Les adultes étaient dans les branches et certains petits jouaient dans le parc dans lequel se trouvait l’arbre. Malgré une distance parfois réduite, les singes sont restés relativement calmes. Toutefois, lors de mon second passage, j’ai retrouvé les singes, en file, sur le trottoir d’en face, le long de la route qui faisait le tour du lac. La route était fermée aux véhicules, il n’y avait donc pas de circulation. Les observants alors, les singes, principalement les femelles, se sont mis à montrer leurs dents. Ensuite, le mâle est arrivé et s’est élancé dans ma direction et celle de ma collègue, en montrant là aussi sa dentition. Surpris, je me suis ensuite mis à courir dans le but de lui échapper. C’est alors qu’un passant indien m’a fait signe de m’arrêter. En effet, comme les chiens, l’Hanuman Langur estime qu’une personne fuyante est un danger, alors que c’est en restant immobile et en faisant face qu’il s’est calmé. Cette anecdote peut faire écho à celle vécue par le géographe Jean Estebanez et la panthère (Estebanez, 2013) lors de son propre terrain, même si pour l’instant, les conséquences sur mon propre travail de thèse demeurent indéterminées. Quoi qu’il en soit, elle met en lumière l’importance de connaitre le comportement animal et l’influence du corps dans le processus d’enquête, mobilisé dans ce jeu de la proxémie. A la lecture de Hall (1978) et Goffman (1996), j’ai pu comprendre que je n’avais pas respecté la distance personnelle de l’animal. Cette distance est différente en fonction des animaux. Pour certaines espèces comme les singes ou bien encore les chiens, la trop forte proximité avait provoqué l’attaque. Il est aussi intéressant de constater ma méconnaissance de ces aspects-là de la cohabitation avec des animaux errants comme ce singe. Au contraire, ce passant indien, sûrement beaucoup plus habitué à la présence de singe dans l’espace public, n’ignorait pas le comportement à respecter. C’est en partie grâce à lui que j’ai pu comprendre et respecter la distance adéquate avec les animaux errants.
Figure 4. Un Hanuman Langur dans un arbre, à Man Sagar Lake, Jaipur (2019) : 26°57’10.8″N 75°51’22.0″E. Parot, 2019

Conclusion
Suivre les animaux errants afin de comprendre comment ils évoluent dans les territoires urbains, de dessiner leurs géographies au sein de cet environnement très anthropisé nécessite des adaptations dans le protocole méthodologique. Il faut faire preuve d’une certaine créativité pour surmonter l’obstacle d’une absence de langage commun (Buller, 2015 ; Chanvallon, 2013). La proxémie des animaux errants, tels les chiens et les singes, s’adapte et change dans le contexte urbain. Il est donc important d’en prendre la mesure afin de ne pas modifier les conditions de l’observation et d’assurer sa propre sécurité. Etudier les animaux, c’est être surpris et cela demande des mises à niveau, notamment en éthologie. L’anecdote de la rencontre avec l’Hanuman Langur, il est incontestable que cette expérience très sensible aura permis l’apprentissage du concept de proxémie et du respect de la distance à entretenir avec les animaux. Le chercheur reste un sujet-enquêtant vulnérable (Volvey, 2016). C’est un processus incontournable du travail de recherche, d’apprendre de et avec son terrain.
Références bibliographiques
Baratay E., 2012, Le Point de vue animal: Une autre version de l’histoire, Hyper Article en Ligne – Sciences de l’Homme et de la Société.
Bates L.A. & Byrne R.W., 2007, « Creative or created: Using anecdotes to investigate animal cognition », Neurocognitive Mechanisms of Creativity: A Toolkit, 42, 1, p. 12‑21.
Benhammou F., 2016, « Chapitre 5 / Une histoire contemporaine de la géographie française de l’animal », dans Manifeste pour une géographie environnementale, Paris, Presses de Sciences Po (Académique), p. 141‑164.
Bouron J.-B., 2022, « Proxémie », Géoconfluences.
Buller H., 2012, « “One slash of light, then gone”: Animals as movement », Études rurales, 189, p. 139‑153.
Buller H., 2015, « Animal geographies II: Methods », Progress in Human Geography, 39, 3, p. 374‑384.
Chanvallon S., 2013, « Les relations humains/animaux: De l’espace protégé à l’espace partagé, une géographie physique et sensible », Carnets de géographes, 5.
Collet J., 2018, « Territoire et domaine vital : pourquoi les animaux bougent (assez) peu ? », Planet-Vie.
Despret V. & Larrère R., 2014, « Présentation »: dans Les animaux : deux ou trois choses que nous savons d’eux,Hermann, p. 17‑22.
De Villers B., 2013, « La peur chronique des chiens chez les enfants: Une question d’empiétement de l’espace personnel ? », Carnets de géographes, 5.
Estebanez J., 2013, « Penser avec le corps : Comment une panthère a transformé ma thèse », Carnets de géographes, 5.
Estebanez J., 2014, « Des animaux-objets ? », Géographie et cultures, 91‑92, p. 125‑152.
Goffman E., 1996, La présentation de soi, Paris, Ed. de Minuit (La mise en scène de la vie quotidienne / Erwing Goffman), 251 p.
Hall E.T., Petita A. & Choay F., 1978, La dimension cachée, Paris, Éditions du Seuil (Points).
Lévy J. & Lussault M., 2013, Dictionnaire de la géographie et l’espace des sociétés, Nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Belin.
Mauz I., 2002, « Les conceptions de la juste place des animaux dans les Alpes françaises », Espaces et sociétés,110‑111, 3, p. 129‑146.
Morizot B., 2018, Sur la piste animale, Arles, Actes Sud (Mondes sauvages).
Paquot T., 2015, « V. Usages et pratiques des espaces publics », dans Paris, La Découverte (Repères), p. 93‑106.
Reigné P., 2021, « « Protégeons les animaux “liminaires” qui vivent en liberté dans l’espace urbain » », Le Monde.fr, 7 août.
Tiphine L.F., 2018, L’événement proxémique : étude des relations de circulation entre piétons aux heures de pointe à Delhi, Los Angeles, Paris et Tokyo, Thèse de doctorat, Lausanne, EPFL.
Vacher L., 2014, Réflexion géographique sur la distance, une approche par les pratiques de tourisme, mémoire d’HDR, Université d’Angers.
Volvey A., 2016, « Sur le terrain de l’émotion : déconstruire la question émotionnelle en géographie pour reconstruire son horizon épistémologique », Carnets de géographes, 9.
[1] Après une première partie à la 1ere personne du pluriel qui illustrait un travail de réflexion collectif, cette deuxième et troisième partie en « je » explorent des situations rencontrées sur le terrain.
[2] Les animaux liminaires comprennent les animaux domestiques retournés à l’état sauvage (féral) et les animaux sauvages dont l’habitat a été intégré à la ville (Reigné, 2021).
Pour citer cet article :
PAROT Noé , « Composer avec la proxémie pour étudier les animaux errants
dans les villes du Sud Global », 4 | 2024 – Représentations de la proximité, GéoProximitéS, URL : https://
geoproximites.fr/ark:/84480/2024/12/23/rp-ac10/
