The challenges of proximity in the context of CIFRE research: How to deal with almost daily proximity to the object of study?
Mélanie Bosch
〉Docteure en Aménagement
〉Université de Perpignan Via Domitia
〉UR 5281 ART-Dev
〉melanie.lavois@gmail.com 〉
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Photo d’en-tête : Photo aérienne de la station balnéaire Le Barcarès dans les Pyrénées-Orientales, l’une des six stations de la mission « Racine » (source : M. Bosch, août 2022).
Quel est votre parcours de chercheuse ?
J’ai fait mes premiers pas en tant que chercheuse en 2018 avec un projet de recherche CIFRE, en partenariat avec le laboratoire Art-Dev, l’école doctorale Intermed de l’Université de Perpignan et la collectivité de Saint-Cyprien dans les Pyrénées-Orientales.
Parlez-nous de l’intérêt de votre recherche actuelle
Soutenue le 12 mars 2024, ma recherche a pour sujet l’urbanisation du littoral que je questionne au prisme de son modèle d’aménagement et de son obsolescence. L’intérêt de ma thèse est de développer une analyse critique du modèle d’aménagement du littoral occitan. Elle porte un regard rétrospectif sur 60 années de production urbaine à la suite de la mission Racine. J’ai donc mené une étude diachronique sur les ressorts, les rouages et les référentiels de la production urbaine en contexte littoral non seulement autour de la trajectoire d’urbanisation des stations « Racine », mais également autour de leur trajectoire de gouvernance. Autrement dit, de ceux qui depuis 60 ans ont construit, produit et géré cet espace littoral. A ce titre, ma production scientifique contribue aux travaux relatifs à la production urbaine des espaces sous contraintes, plus précisément, elle explore les obstacles et les voies de contournement à l’introduction des principes de durabilité dans les modalités de production urbaine. Au total, elle vise à rendre compte et à démontrer la complexité du modèle d’aménagement du littoral occitan, à comprendre ses mécanismes de production urbaine et ses limites. Elle défend l’idée d’une obsolescence intrinsèque à ce modèle d’aménagement.
Quel est votre atout créatif en tant que chercheuse ?
Je dirais que mon atout tout au long de ma recherche est d’avoir su naviguer entre deux mondes, celui de la recherche et celui du monde de la collectivité. Non sans mal, notre objectif était de créer des ponts entre nos observations et la théorie, faire de notre proximité avec le monde professionnel un objet d’étude à part entière au service de la recherche. C’est l’objet de cet article, vous décrire comment j’ai procédé pour préserver mon éthique scientifique et ainsi, composer avec ma proximité quasi quotidienne de mon objet de recherche.
Réaliser une thèse CIFRE : les enjeux de la proximité
Dès le commencement de ce projet, j’ai éprouvé le besoin, voire la nécessité de me protéger et d’établir des stratégies de prise de recul. Etant en prise directe avec les élus et notamment le Maire de Saint-Cyprien, il était important d’établir un environnement capable de respecter la neutralité des connaissances scientifiques ; et ce d’autant plus que ma proximité avec le politique, a suscité beaucoup de questionnements de la part de communauté scientifique lors des premières communications autour de la thèse. Néanmoins, je ne me suis pas exclue de ce cadre immersif, au contraire, j’ai cherché à le mettre au service de cette thèse. A l’aune d’une certaine représentation normative du processus de recherche et de la posture du chercheur, les Conventions Industrielles pour la Formation et la Recherche mettent la lumière sur des pratiques de recherche qui font émerger un nouveau paradigme : « celui d’un chercheur situé, ancré dans des réalités sociales, politiques, institutionnelles, et économiques » (Naudier & Simonet, 2011, p.8) au sein desquelles le savoir produit s’inscrit dans une configuration singulière, celle d’une position de dépendance entre le chercheur et l’organisation qui l’emploie.
Ce lien de subordination salariale du doctorant-praticien s’est, dans mon cas, exprimé à travers une dissonance des temporalités et des enjeux qui peuvent échapper au format des conventions scientifiques. Soumis à des injonctions paradoxales, exigences scientifiques, objectifs opérationnels et différentes temporalités (production de données, agenda politique), je devais me contenir dans une certaine forme d’arbitrage afin de maintenir un équilibre entre posture théorique et activité professionnelle. Ainsi, je devais répondre aux exigences scientifiques et théoriques et dans le même temps aux exigences opérationnelles. Dans ce contexte, j’ai d’abord construit un cadre théorique capable d’incarner mon terrain en adoptant des pistes d’exploration très fines et des changements d’échelles constants qui ont permis une mise en perspective des résultats observés in situ et hissant la réflexion à une échelle globale. Puis, j’ai livré deux livrables : l’un épousant la forme et le fond d’un diagnostic territorial livré à la fin du contrat de 36 mois, l’autre sous le format thèse soutenue deux ans après l’arrêt du financement. De plus, je me suis construite en tant que praticien scientifique mais aussi en tant que professionnelle ce qui signifie que j’ai grandi moi et ma thèse, en dehors du monde académique. Cette sphère professionnelle, a constitué pour moi une modalité de recherche singulière car je l’ai placé sous l’angle des interrelations socioprofessionnelles. Loin de la vision éthérée, asociale et conventionnelle du chercheur surplombant les choses (Bensa, 2011), j’ai noué d’autres formes de relations à mon objet d’étude, au terrain ou encore aux institutions, je me suis liée à son histoire et aux collaborateurs rencontrés. Les enquêtés étaient également mes plus proches collaborateurs. Cette proximité quasi quotidienne a questionné mon engagement et ceci, au-delà des convictions idéologiques avec une vigilance permanente pour conserver la qualité de la recherche et la légitimation du projet de recherche.
En réalité, la contractualisation du savoir bouscule les codes du principe même de « neutralité axiologique » de Weber (Freund, 1990), prônant l’impératif de se distancier de ses propres jugements de valeur, de se déconnecter de tout engagement social, idéologique et politique et met en exergue le travail d’évitement d’une entrave au processus d’objectivation scientifique que peut constituer l’environnement d’une thèse CIFRE. Elle questionne également les démarches, les rouages méthodologiques, les postures théoriques, les possibilités d’exercer de manière autonome l’activité de recherche et les comportements d’autocensure. De fait, je me suis inscrite dans une maîtrise plus importante et plus expansive du processus de réflexivité et de distanciation. Cependant, il est également important de dire que le cadre d’une thèse CIFRE ne présente pas plus de contraintes que les thèses « traditionnelles » mais qu’elle demande plutôt une adaptabilité des démarches, des processus et des modalités de recherche. Effectivement, même si « la littérature existante met en avant un rapport de domination entre les employeurs et les doctorants » (Perrin-Joly, 2010) et toutes les contradictions qui peuvent en émerger, j’ai bénéficié de modalités de recherche avantageuses notamment du point de vue de l’accès facilité au terrain, à des données et à des personnes-ressources. Le monde professionnel est devenu pour moi une source d’information perpétuelle et d’analyse donnant lieu à une ouverture des perspectives de recherche, à l’identification de différents faits et circonstances qui ont modulé mes choix mais qui ont aussi donné lieu à l’apparition de nouveaux terrains d’enquête. J’ai donc procédé à une quête perpétuelle de distanciation et d’objectivation des interactions socioprofessionnelles afin d’éviter les écueils d’une proximité trop importante avec mon objet d’étude. J’ai eu pour tâche d’investiguer en construisant des stratégies et dispositifs appropriés au regard de mon appartenance professionnelle et ainsi, enquêter librement. Je suis partie du principe que la recherche CIFRE se présente comme avantageuse avec des espaces de subjectivation et des espaces de compréhension donnant lieu à l’objectivité mais également à la réflexivité. Cependant, il me semble évident que malgré une adaptabilité du chercheur, la condition sine qua non à la préservation du caractère scientifique demeure dans la construction d’une confiance entre le chercheur et le commanditaire et la résistance à la commande. Et c’est dans cet environnement, sans pressions de la commande et sans orientations forcées du processus de réflexion, que j’ai pu œuvrer. Dès le départ, je me suis inscrite dans un schéma de confiance entre moi et le commanditaire autrement dit, le Maire de Saint-Cyprien. S’il avait des attentes sur la compréhension de son territoire, j’y ai répondu en tant que géographe ou urbaniste menant une étude sur un territoire. Néanmoins, la définition de ce qui caractérisait le territoire de Saint-Cyprien a donné lieu à plusieurs pistes de lectures et d’analyses. Le choix d’investiguer telle ou telle clés de lecture a été pris en toute liberté, même si j’ai dû motiver mon choix auprès de ma directrice et auprès de monsieur le Maire. Ma volonté d’enquêter sur le terrain de mon choix a été entièrement respecté par l’ensemble des parties prenantes. De la même manière, j’ai, librement interrogé les acteurs les plus pertinents pour l’étude, sans subir aucune contrainte politique. Au final, je n’ai pas réellement connu de rapport de force, le maire étant un docteur en droit, il connaissait le monde de la recherche. Enfin, ses motivations premières vis-à-vis du projet de recherche était d’obtenir des réponses construites en dehors des cadres politiques.
Il ne serait pas judicieux de prédéterminer avec force les méthodes ou la posture à adopter car un projet de recherche demeure unique au regard de sa dépendance à son chercheur et ses acteurs encadrants. Néanmoins, il est possible de confondre la posture d’un doctorant-salarié à celle d’un équilibriste jonglant ainsi, avec les cheminements, les langages, les représentations, les cadres conceptuels et méthodiques issus à la fois de la sphère scientifique et de la sphère professionnelle. C’est ce que j’ai fait : effacer la dualité entre projet de recherche « classique » et projet de recherche professionnel pour aller vers une épistémologie transversale et plurielle de la pratique de recherche.
Références bibliographiques :
Beaud M., 2006. L’art de la thèse : Comment préparer et rédiger un mémoire de master, une thèse de doctorat ou tout autre travail universitaire à l’ère du net. La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.beaud.2006.01
Discepolo T., 1998. « De la neutralité du savoir à l’autonomie de sa production », Philosophie, critique et littérature », NOS 18-19. (« Neutralité et engagement du savoir »), Agone, p. 32.
Freund J., 1990. « La neutralité axiologique ». in J. Freund, Études sur Max Weber. Genève: Librairie Droz. pp. 11-69
Hellec F., 2014. Le rapport au terrain dans une thèse CIFRE. Sociologies pratiques, n° 28. DOI: 10.3917/sopr.028.0101
Morange M., Schmoll C., Toureille É., 2016. Les outils qualitatifs en géographie : Méthodes et applications. Armand Colin.
Naudier D. & Simonet M., 2011. « Introduction » in D. Naudier (dir) Des sociologues sans qualités : Pratiques de recherche et engagements. Paris, La Découverte. pp. 5-21. https://doi.org/10.3917/dec.naudi.2011.01.0005
Perrin-Joly C., 2010. « De la recherche salariée en France : lien de subordination et liberté de la recherche », SociologieS, URL : http://journals.openedition.org/sociologies/3380
Pour citer cet article :
BOSCH Mélanie, « Les enjeux de la proximité dans le cadre de la recherche CIFRE : Comment composer avec une proximité quasi quotidienne de son objet d’étude ? », 2024 – Proximités émergentes, GéoProximitéS, URL : https://geoproximites.fr/ ark:/84480/2024/03/27/les-enjeux-de-la-proximite-dans-le-cadre-de-la-recherche-cifre-comment-composer-avec-une-proximite-quasi-quotidienne-de-son-objet-detude/